Cour de révision, 19 février 2018, Madame a. MA. épouse CA-CAI. c/ le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble « VILLA JULIETTE »

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Abstract🔗

Assemblée générale - Copropriété - Résolution - Abus de majorité - Motifs non conformes aux intérêts collectifs


Motifs🔗

Pourvoi N° 2017-21 en session

Après cassation

COUR DE REVISION

ARRET DU 19 FÉVRIER 2018

En la cause de :

- Madame a. MA. épouse CA-CAI., née le 2 décembre 1974 à Paris, de nationalité suisse, sans profession, domiciliée X1, 98000 Monaco ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

Contre :

- Le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble « VILLA JU. », sis X1, représentée par son Syndic en exercice la Société à Responsabilité Limitée dénommée Alain VI. & Cie, exerçant sous l'enseigne CABINET VI., dont le siège est sis « X2 », X2, 98000 Monaco, prises en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège social ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, substituée et plaidant par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, près la même Cour ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR DE REVISION,

VU :

- l'arrêt de la Cour de révision du 16 octobre 2017, cassant et annulant l'arrêt de la Cour d'appel, statuant en matière civile, rendu le 10 janvier 2017, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de Mme a. MA. épouse CA-CAI. fondée sur l'abus de majorité et renvoyant l'affaire à la prochaine session de la Cour de révision autrement composée ;

- les conclusions additionnelles déposées le 14 décembre 2017 au greffe général, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Mme a. MA. épouse CA-CAI., signifiées le même jour ;

- les conclusions additionnelles déposées le 4 janvier 2018 au greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom du Syndicat des copropriétaires de la « VILLA JU. », signifiées le même jour ;

- le certificat de clôture établi le 9 janvier 2018, par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

- les conclusions après cassation de Monsieur le Procureur général en date du 10 janvier 2018 ;

Ensemble le dossier de la procédure,

A l'audience du 12 février 2018, sur le rapport de Mme Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président ;

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï le Ministère public ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu que, selon acte notarié en date du 15 juin 2010, Mme a. MA. épouse CA-CAI. (Mme CA-CAI.) a fait l'acquisition, dans l'immeuble dénommé «Villa Juliette», soumis au statut de la copropriété, d'un appartement situé au 3e étage, de l'entier 4e étage mansardé et de l'aire libre, soit du droit de construire au-dessus dudit étage ; qu'une assemblée générale de copropriété s'est tenue le 12 mai 2014, au cours de laquelle a été soumis au vote des copropriétaires (résolution n°8) une demande de Mme CA-CAI. concernant un projet de rehausse de la toiture de l'immeuble ; que cette résolution a été rejetée, la majorité de l'article 17 de la loi n° 1. 329 du 8 janvier 2007 relative à la copropriété des immeubles bâtis, modifiée par la loi n° 1.391 du 2 juillet 2012, n'étant pas atteinte ; que Mme CA-CAI. a fait assigner le syndicat des copropriétaires de la « Villa Juliette » devant le tribunal de première instance aux fins d'obtenir, à titre principal, sur le fondement de la loi du 8 janvier 2007, l'annulation de cette résolution ; qu'à titre subsidiaire, elle a invoqué un abus de majorité estimant que le refus du syndicat des copropriétaires serait contraire à l'intérêt de l'immeuble, uniquement destiné à lui nuire et abusif car l'empêchant de jouir de sa propriété ; que par jugement du 21 janvier 2016, elle été déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

Attendu que sur appel relevé par Mme CA-CAI., la cour d'appel, par arrêt du 10 janvier 2017, a confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, déboutant le syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Villa Juliette » de sa demande de dommages et intérêts ;

Que sur pourvoi formé par Mme CA-CAI., la Cour de révision, par arrêt du 16 octobre 2017, a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de Mme CA-CAI. fondée sur l'abus de majorité, renvoyant l'affaire et les parties à la prochaine session utile de la Cour de révision autrement composée ;

Attendu que par conclusions récapitulatives en date du 30 septembre 2016, Mme CA-CAI. prie la cour de dire et juger que le refus du syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Villa Juliette » de l'autoriser à réaliser son projet d'aménagement des combles par la rehausse de la toiture du 4e étage de l'immeuble est constitutif d'un abus de majorité et, en conséquence, d'annuler la résolution n° 8 de l'assemblée générale du 12 mai 2014 ; que par conclusions additionnelles après cassation, elle réitère cette demande et conclut au débouté du syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Villa Juliette » de l'ensemble de ses demandes ainsi qu'à la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Qu'au soutien de ses demandes, elle fait valoir :

  • qu'aux termes du règlement de copropriété de l'immeuble, l'ensemble des copropriétaires ont convenu qu'ils souffriraient les travaux de surélévation de l'immeuble par le copropriétaire de l'aire libre sans aucune indemnité, que les dispositions de ce règlement s'imposent à tous et constituent la loi des copropriétaires, que le syndicat des copropriétaires n'était donc pas en droit de conditionner son autorisation au versement d'une contrepartie financière ;

  • qu'elle a proposé spontanément de prendre à sa charge les travaux inévitables pour la copropriété permettant à cette dernière de réaliser une économie substantielle et que le refus qui lui a été opposé constitue un abus de majorité caractérisé car étranger à l'intérêt collectif ;

  • qu'elle a également proposé lors de l'assemblée générale des copropriétaires du 26 mai 2015 qu'un expert soit désigné afin qu'il se prononce sur la faisabilité de la surélévation, son absence d'atteinte à la solidité et à l'esthétique de l'immeuble et déterminer le cas échéant les mesures complémentaires devant être prises, étant précisé que la direction de la prospective, de l'urbanisme et de la mobilité a donné un avis favorable dans un courriel du 18 mars 2016 et que le bureau SOCOTEC aurait confirmé la faisabilité du projet ; qu'elle estime qu'encore une fois la majorité des copropriétaires a voté contre cette proposition sans aucun motif et qu'ainsi, le refus opposé par le syndicat des copropriétaires, clairement destiné à lui nuire, est abusif ;

  • que les griefs émis par le syndicat des copropriétaires relatifs à l'esthétique de l'immeuble, à la gêne rédhibitoire pour les copropriétaires, à l'affectation des parties communes et à la modification des charges de copropriété seraient totalement injustifiés ;

Attendu qu'en réplique, le syndicat des copropriétaires de la « Villa Juliette » a déposé le 4 janvier 2018 des conclusions additionnelles après cassation aux termes desquelles il sollicite la confirmation du jugement du tribunal de première instance et la condamnation de Mme CA-CAI. à lui verser la somme de 4.000 € à titre de dommages-intérêts ;

Qu'il fait valoir que l'abus de majorité doit être distingué de la simple opposition d'intérêt et de l'opportunité des décisions prises par l'assemblée générale des copropriétaires, qu'il appartient à Mme CA-CAI. de rapporter la preuve que la décision de refus serait étrangère à l'intérêt collectif de la copropriété ce qu'elle ne fait en aucune façon ; qu'il ajoute qu'à aucun moment il n'a conditionné son autorisation au versement d'une contrepartie financière et qu'elle ne démontre pas plus que la décision refusant les travaux de surélévation n'aurait été prise que dans le but de lui nuire, alors que ce refus était justifié par des considérations d'esthétique de l'immeuble, par la gêne occasionnée durablement pour les copropriétaires, par les travaux envisagés par la modification des tantièmes de copropriété préjudiciable aux autres copropriétaires ; qu'il souligne que les documents versés aux débats par Mme CA-CAI., postérieurs à l'assemblée générale, ne sauraient servir de soutien à un prétendu abus de majorité puisqu'ils sont postérieurs à la décision critiquée et que d'ailleurs, une assemblée générale réunie le 9 février 2016 a voté contre sa demande d'effectuer un carottage/sondage au niveau des caves afin de vérifier les fondations de l'immeuble et confirmer la faisabilité structurelle de l'immeuble, que cette décision a fait l'objet d'un recours devant le tribunal de première instance et que Mme CA-CAI. a été déboutée de sa demande d'annulation au motif que les sondages envisagés s'avéraient inutiles dans la mesure où les travaux de rehaussement de l'immeuble n'avaient pas été autorisés, l'inutilité de ces travaux constituant un motif sérieux de rejet opposé par les copropriétaires ; que cette décision devenue définitive, n'a fait l'objet d'aucun recours ;

Sur ce la cour,

Attendu qu'il incombe au copropriétaire, demandeur en nullité de la résolution de l'assemblée générale, de rapporter la preuve d'un abus de majorité, lequel doit être distingué de la simple opposition d'intérêt que révèle nécessairement tout système de vote majoritaire ;

Que l'abus de majorité consiste à utiliser la majorité dans un but autre que l'intérêt collectif, dénotant une intention de nuire, ou des manœuvres frauduleuses ou encore la recherche d'un but illégitime contraire aux intérêts de la copropriété ; que par ailleurs, si l'assemblée générale n'a pas à motiver sa décision, le syndicat des copropriétaires doit pouvoir, a posteriori, justifier de motifs sérieux et légitimes en contre preuve de l'abus invoqué ;

Sur la violation des dispositions du règlement de copropriété invoquée par Mme CA-CAI.

Attendu que s'il résulte des dispositions du règlement de copropriété que le syndicat des copropriétaires ne pouvait effectivement conditionner l'autorisation de réaliser les travaux de rehaussement sollicités par Mme CA-CAI. au versement d'une contrepartie financière, il ressort des écritures mêmes de cette dernière que « ce n'est que pour être agréable à l'ensemble des copropriétaires qu'elle a proposé une contrepartie financière à la mise en œuvre de son projet » ; que dès lors, étant l'initiatrice de cette proposition, elle ne saurait valablement invoquer une violation du règlement de copropriété de ce chef ;

Sur le grief de contrariété à l'intérêt collectif

Attendu que si Mme CA-CAI. a proposé de prendre en charge les travaux imposés à la copropriété par l'administration monégasque réalisés pour un coût total de 468.833.97 euros, le refus opposé par le syndicat des copropriétaires d'accepter une telle compensation financière, estimée insuffisante, relève de l'appréciation de l'opportunité d'un tel choix au regard des intérêts en présence et ne saurait, à lui seul, suffire à établir un abus de majorité ;

Sur les griefs relatifs à la faisabilité du projet de rehaussement présenté par Mme CA-CAI. et l'intention de nuire

Attendu que Mme CA-CAI., a présenté lors de l'assemblée générale du 12 mai 2014, un certain nombre de documents relatifs à la faisabilité des travaux envisagés et notamment une lettre du bureau SOCOTEC, en date 5 mai 2014 aux termes de laquelle :

« l'examen des plans et notre visite sur site appellent les observations suivantes :

  • les modifications structurelles projetées devront faire l'objet d'une étude d'exécution établie par un bureau d'études. Des renforts structuraux devront être dimensionnés.

  • Il conviendra de réaliser des sondages afin de confirmer la faisabilité des modifications structurelles.

  • Il conviendra d'établir un état des lieux des niveaux adjacents. » ;

Qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les réserves ainsi émises doivent être considérées comme sérieuses et ne rendent pas certaine la faisabilité de l'opération et l'absence de risque pour la solidité de l'immeuble ; que ce n'est que postérieurement à la décision de refus, objet de la demande d'annulation, que Mme CA-CAI. a proposé aux copropriétaires lors de l'assemblée générale du 9 février 2016, soit plus de 18 mois après la décision attaquée, de faire réaliser les sondages préconisés par le bureau SOCOTEC à ses frais pour lever tout doute sur la faisabilité sans risque pour l'immeuble de la surélévation ; qu'il s'ensuit qu'à la date du 12 mai 2014, le caractère abusif du refus opposé à Mme CA-CAI. par le syndicat des copropriétaires dont les doutes sur la faisabilité du projet n'avaient pas été levés, ne pouvait résulter d'éléments dont il n'avait pas connaissance ;

Qu'il convient de rappeler que Mme CA-CAI. a de nouveau soumis à l'assemblée générale des copropriétaires une demande pour effectuer un carottage/sondage au niveau des caves afin de vérifier les fondations de l'immeuble et confirmer la faisabilité des modifications structurelles de l'immeuble et que, par décision du 9 février 2016, l'assemblée générale a voté contre cette résolution ; qu'elle a alors saisi le tribunal de première instance d'une demande d'annulation de cette dernière décision en invoquant son caractère abusif et que les premiers juges ont rejeté cette demande au motif que « les travaux projetés ne devaient être exécutés que dans son intérêt exclusif et aux dépens de celui des autres copropriétaires, s'agissant d'une opération génératrice de nuisances (durée, poussière et bruit), certes limités mais devant être réalisée dans les parties communes ; qu'elle ne rapportait pas la preuve de ce que le vote émis par la majorité des copropriétaires contre sa demande d'autorisation d'effectuer un carottage/sondage au niveau des caves présentait un caractère abusif » ;

Sur les autres griefs

Attendu qu'à juste titre, le tribunal a relevé qu'au vu du projet de l'architecte de Mme CA-CAI., la rehausse du 4e étage de 1,70 m qui entrainait la surélévation des murs périphériques et des murs porteurs inférieurs, avec la création de fenêtres et la création d'une nouvelle toiture ne pouvait être considérée comme une surélévation mineure ;

Que la crainte légitime des nuisances inévitables engendrée par ces travaux pour les copropriétaires, tout particulièrement pour celui habitant le 3e étage, ainsi que les doutes concernant la solidité de l'immeuble à la date du refus opposé le 12 mai 2014 et les atteintes à son esthétique, justifient cette décision de l'assemblée générale et constituent des motifs conformes aux intérêts collectifs des copropriétaires ;

Qu'ainsi, à défaut pour Mme CA-CAI. de rapporter la preuve de l'abus de majorité qu'elle invoque, il convient de confirmer le jugement déféré ;

Attendu qu'au vu des circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner Mme CA-CAI. au paiement de dommages-intérêts ; que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Villa Juliette » doit être débouté de sa demande de ce chef ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Rejette la demande de dommages-intérêts du syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Villa Juliette » ; Condamne Mme MA. épouse CA-CAI. aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le dix-neuf février deux mille dix-huit, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Premier Président, rapporteur, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Messieurs Jean-Pierre GRIDEL, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et Serge PETIT, Conseillers, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef adjoint, le Premier Président,

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