Cour de révision, 24 mars 2017, LA S.A.M. MONACO YACHTING & TECHNOLOGIES c/ la société de droit de l'Ile de Man dénommée SWALLOWFALLS LIMITED

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Abstract🔗

Sentence arbitrale - Frais de procédure - Exequatur - Convention de New York - Ordre public monégasque - Convention européenne des droits de l'homme - Article 6 - Consultation juridique - Production - Principe du contradictoire - Dommages et intérêts - Condition

Résumé🔗

Ayant relevé, par motifs propres et adoptés que l'hypothèse dans laquelle une sentence arbitrale ne se prononce que sur les frais de la procédure d'arbitrage ne figure pas parmi les situations particulières énumérées par l'article 5 de la Convention de New York pouvant conduire à un refus d'exequatur, la Cour d'appel qui en a exactement déduit qu'une décision arbitrale ne se prononçant que sur les frais de la procédure pouvait, en tant que telle, recevoir l'exequatur a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

Ayant relevé, par motifs propres, et adoptés que le caractère définitif des sentences arbitrales était établi puisque celles-ci n'avaient pas fait l'objet de recours dans le délai de 28 jours prévu par l'article 70 (3) de la loi anglaise sur l'arbitrage, la Cour d'appel qui, faisant une exacte application de la Convention de New York du 10 juin 1958 a nécessairement retenu que l'objet du différend était susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage, que les sentences étaient motivées sur l'évaluation des frais d'arbitrage, que la réciprocité résultait de la Convention et que la société SWALLOWFALLS avait produit les documents exigés par cette Convention.

À défaut pour la principauté de Monaco d'avoir adopté pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères des dispositions spécifiques ou dérogatoires, la Cour d'appel qui a fait une juste application des articles 940 et suivants du Code de procédure civile a exactement retenu que ces sentences motivées dont l'exécution n'était pas contraire à l'ordre public monégasque étaient devenues obligatoires au sens de l'article 5 e) de la Convention de New York du 10 juin 1958.

Ayant retenu que la consultation juridique de Maître Cyrus BENSON avait été régulièrement produite dans le respect du contradictoire et pouvait de la sorte donner lieu à une analyse critique de son contenu, l'arrêt en a exactement déduit sans violer le principe du contradictoire ni l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'il n'y avait pas lieu d'écarter cette consultation des débats.

La demande de la société SWALLOWFALLS aux fins de condamnation de la société MYT à lui payer l'indemnité maximale prévue par l'article 459-4 du Code de procédure civile, outre la somme de 50 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour pourvoi abusif ne peut, compte tenu des circonstances de la cause, être accueillie.


Motifs🔗

Pourvoi N° 2016-56

en session civile

COUR DE RÉVISION

ARRÊT DU 24 MARS 2017

En la cause de :

- LA S. A. M. MONACO YACHTING & TECHNOLOGIES, société anonyme monégasque au capital de 250.000,00 euros, dont le siège social est sis 42, Quai Jean-Charles Rey, « Le Grand Large », 1er étage, bureau B6 - n° 22, MC 98000 MONACO, agissant poursuites et diligences de son Président Administrateur délégué en exercice, Monsieur p. LA., demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Jean-Luc RICHARD, avocat au Barreau de Nice, substitué par Maître Aude CALENDRI, avocat au Barreau de Nice ;

DEMANDERESSE EN RÉVISION,

d'une part,

Contre :

- La société de droit de l'Ile de Man dénommée SWALLOWFALLS LIMITED, dont le siège social est sis 12-14, Finch Road, DOUGLAS, (Ile de Man), prise en la personne de son Administrateur en exercice, Monsieur d. AD. LA., demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

DÉFENDERESSE EN RÉVISION,

d'autre part,

En présence du Ministère Public ;

LA COUR DE RÉVISION,

VU :

- l'arrêt rendu le 7 juin 2016 par la Cour d'appel, statuant en matière civile, signifié le 24 juin 2016 ;

- la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 19 juillet 2016, par Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur, au nom de la SAM MONACO YACTCHING & TECHNOLOGIE ;

- la requête déposée le 29 juillet 2016 au greffe général, par Maître Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur, au nom de SAM MONACO YACTCHING & TECHNOLOGIE, signifiée le même jour ;

- la contre-requête déposée le 3 août 2016 au greffe général, par Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de la société SWALLOWFALLS LIMITED, signifiée le même jour ;

- les conclusions du Ministère Public en date du 11 août 2016 ;

- le certificat de clôture établi le 17 octobre 2016, par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

Ensemble le dossier de la procédure,

À l'audience du 16 mars 2017 sur le rapport de Monsieur François CACHELOT, Conseiller,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï le Ministère Public;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt critiqué, que par contrat du 3 janvier 2006 la société de droit de l'île de Man dénommée SWALLOWFALLS LIMITED (la société SWALLOWFALLS) a commandé à la société anonyme monégasque MONACO YACHTING TECHNOLOGIES (la société MYT) la construction d'un yacht à moteur ; que l'article 25 du contrat stipulait que les différends éventuels qui ne sont pas de nature technique opposant les parties seront soumis à une procédure d'arbitrage à Londres, confiée à un collège d'arbitres, régie par les règles de la London Maritime Arbitrators Association et par la loi anglaise de 1996 en matière d'arbitrage ; qu'un litige (de nature non technique) étant né entre les parties, la société MYT a mis en œuvre la procédure d'arbitrage ; que le 6 janvier 2014, le collège arbitral a rendu une sentence qualifiée d'arbitrale partielle dont le dispositif énonce notamment : « Nous statuons et jugeons que la demanderesse viole l'Ordonnance péremptoire prononcée par le tribunal le 12 novembre 2012 ; nous rejetons la demande de la demanderesse ; nous décidons et ordonnons que la demanderesse verse à la défenderesse les frais de l'arbitrage, qui doivent être évalués si aucun accord n'est trouvé ; nous décidons et ordonnons en outre que la demanderesse verse à la défenderesse, dans un délai de 21 jours à compter de la date de la présente sentence arbitrale, une provision sur les frais ; nous décidons et ordonnons en outre que les frais de justice de la présente sentence arbitrale soient à la charge de la demanderesse ; la présente décision arbitrale est définitive eu égard aux points sur lesquels elle a statué. Nous réservons en outre notre compétence pour statuer sur tous les autres litiges qui pourraient survenir concernant la mise en application des décisions et déclarations énoncées dans la présente sentence arbitrale » ; que le même collège arbitral rendait le 6 mai 2014 une seconde sentence arbitrale partielle définitive dont le dispositif statue sur la charge des frais d'arbitrage et de justice et précise in fine : « La présente sentence arbitrale est définitive eu égard à tous les points sur lesquels elle a statué et nous réservons la compétence pour statuer, et pour prononcer d'autres sentences arbitrales, sur toutes questions restées en suspens, particulièrement concernant l'évaluation des frais » ; que, par ordonnance du 11 juillet 2014, le président du Tribunal de première instance de Monaco, statuant sur requête de la société SWALLOWFALLS a déclaré exécutoires en toutes leurs dispositions sur le territoire de la Principauté les sentences arbitrales rendues à Londres le 6 janvier et le 6 mai 2014 et ce, sur le fondement de la Convention de New-York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958, rendue exécutoire à Monaco par ordonnance n° 7 485 du 14 septembre 1982 ainsi que des articles 956 et 957 du Code de procédure civile ; que, par exploit du 27 février 2015, la société MYT a fait citer la société SWALLOWFALLS devant le Tribunal de première instance afin, notamment, que soient déclarées irrecevables les sentences arbitrales du 6 janvier et du 6 mai 2014, en application de la Convention de New York du 10 juin 1958, car ne statuant que sur les frais de justice et que soit prononcée en conséquence l'annulation de l'ordonnance du président du Tribunal de première instance du 11 juillet 2014 ; que, par jugement du 3 décembre 2015, le Tribunal de première instance a débouté la société MYT de toutes ses demandes ; que, par arrêt du 7 juin 2016, la Cour d'appel, statuant sur l'appel interjeté par la société MYT a notamment : Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats la consultation de droit anglais produite par la société SWALLOWFALLS, débouté la société MYT de l'ensemble de ses prétentions, confirmé le jugement en toutes ses dispositions ;

Sur le premier moyen

Attendu que la société MYT fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir prononcer l'irrecevabilité des sentences arbitrales du 6 janvier et du 6 mai 2014 alors, selon le moyen, que ces sentences arbitrales ne peuvent faire l'objet d'exequatur dès lors qu' elles n'ont statué que sur les frais de procédure et non sur le fond du droit et ce, en violation de la Convention de New York du 10 juin 1958 ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés que l'hypothèse dans laquelle une sentence arbitrale ne se prononce que sur les frais de la procédure d'arbitrage ne figure pas parmi les situations particulières énumérées par l'article 5 de la Convention de New York pouvant conduire à un refus d'exequatur, la Cour d'appel qui en a exactement déduit qu'une décision arbitrale ne se prononçant que sur les frais de la procédure pouvait, en tant que telle, recevoir l'exequatur a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen

Attendu que la société MYT reproche à l'arrêt de rejeter ses demandes sans se prononcer sur la régularité de l'ordonnance R. 6835 rendue le 11 juillet 2014 par le président du Tribunal de première instance déclarant exécutoires sur le territoire de la Principauté les sentences arbitrales rendues à Londres les 6 janvier et 6 mai 2014 alors, selon le moyen, que cette ordonnance est irrégulière au regard de l'ordre public monégasque de première part parce que les deux sentences arbitrales qui ne font pas mention de l'exercice éventuel des voies de recours ne sont donc pas passées en force de chose jugée et ne sont pas exécutoires au Royaume - Uni et plus particulièrement à Londres, alors de deuxième part que les frais d'arbitrage n'ont jamais fait l'objet d'une évaluation justifiée, motivée et calculée, et que cette absence de motivation n'est pas compatible avec les principes d'ordre public de la Principauté de Monaco ; qu'en conséquence, aux visas des articles 473 et 475 du Code de procédure civile, les dispositions d'ordre public monégasque qu'il convient de respecter afin d'obtenir à Monaco force exécutoire d'une décision étrangère ne sont pas réunies et que, dans ces conditions, l'exequatur des deux sentences arbitrales ne peut être prononcée, alors de troisième part que dans le cadre de la reconnaissance de la force exécutoire à Londres d'une décision étrangère, la « réciprocité » n'est pas expressément prévue par la « loi », en violation de l'article 473 du Code de procédure civile ; alors, de quatrième part, qu'en violation de l'article 475 du Code de procédure civile, la société SWALLOWFALLS ne produit pas aux débats l'ensemble des documents nécessaires à l'obtention de la reconnaissance de la force exécutoire à Monaco des deux sentences arbitrales susvisées rendues par le Tribunal arbitral de Londres ; qu'elle s'est limitée à produire les documents prévus à l'article IV de la Convention de New York (original ou copie de la sentence et du contrat) ; que la Convention de New-York prévoit elle-même en son article V que : € la reconnaissance et l'exécution d'une sentence arbitrale pourront être refusées si l'autorité compétente du pays ou la reconnaissance et l'exécution sont requises constate que d'après la loi de ce pays, l'objet du différend n'est pas susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage ou que la reconnaissance et l'exécution de la sentence serait contraire à l'ordre public de ce pays€ ; que la société SWALLOWFALLS n'a pas justifié ni indiqué dans le cadre du présent litige les articles de la loi de Londres admettant expressément la réciprocité, la présente demande d'exequatur ne pourra qu' être rejetée par la Cour de révision pour défaut de fondement légal ;

Mais attendu d'une part qu'ayant relevé, par motifs propres, et adoptés que le caractère définitif des sentences arbitrales était établi puisque celles - ci n'avaient pas fait l'objet de recours dans le délai de 28 jours prévu par l'article 70 (3) de la loi anglaise sur l'arbitrage, la Cour d'appel qui, faisant une exacte application de la Convention de New York du 10 juin 1958 a nécessairement retenu que l'objet du différend était susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage, que les sentences étaient motivées sur l'évaluation des frais d'arbitrage, que la réciprocité résultait de la Convention et que la société SWALLOWFALLS avait produit les documents exigés par cette Convention ;

Attendu d'autre part qu'à défaut pour la principauté de Monaco d'avoir adopté pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères des dispositions spécifiques ou dérogatoires, la Cour d'appel qui a fait une juste application des articles 940 et suivants du Code de procédure civile a exactement retenu que ces sentences motivées dont l'exécution n'était pas contraire à l'ordre public monégasque étaient devenues obligatoires au sens de l'article 5 e) de la Convention de New York du 10 juin 1958 ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen

Attendu que la société MYT fait grief à l'arrêt de violer l'article 478 du Code de procédure civile en ne se prononçant pas sur ses demandes concernant l'absence d'exécution de l'ordonnance R. 6835, alors, selon le moyen, qu'elle a contesté devant les juges du fond la signification de cette ordonnance qui a donné lieu à une saisie arrêt à son encontre en date du 28 juillet 2014 ;

Mais attendu que le présent litige n'ayant pas pour objet la validité d'une saisie - arrêt du 28 juillet 2014, le moyen est sans portée ;

Sur le quatrième moyen

Attendu que la société MYT reproche à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que soit écartée des débats la consultation juridique de l'avocat anglais Maître Cyrus BENSON produite par la société SWALLOWFALLS, alors, selon le moyen, que si la partie adverse a respecté les règles de procédure, son comportement de faire appel à un tel consultant a entraîné une entrave aux droits de la défense dans la mesure où elle n'a eu ni les moyens ni le temps nécessaire de faire appel à un autre consultant anglais pour contredire l'analyse totalement partiale de Maître Cyrus Benson dont la consultation porte justement sur la question qui est soumise à la présente juridiction ; qu'ainsi, la Cour d'appel a violé le principe du contradictoire et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

Mais attendu qu'ayant retenu que la consultation juridique de Maître Cyrus BENSON avait été régulièrement produite dans le respect du contradictoire et pouvait de la sorte donner lieu à une analyse critique de son contenu, l'arrêt en a exactement déduit sans violer le « principe du contradictoire » ni l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'il n'y avait pas lieu d'écarter cette consultation des débats ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur la demande de la société SWALLOWFALLS aux fins de condamnation de la société MYT à lui payer l'indemnité maximale prévue par l'article 459-4 du Code de procédure civile, outre la somme de 50 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour pourvoi abusif :

Attendu qu'il n'y a pas lieu, compte tenu des circonstances de la cause, d'accueillir cette demande ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS

Rejette le pourvoi

Rejette la demande d'indemnité et de dommages intérêts pour pourvoi abusif formée par la société SWALLOWFALLS ;

Condamne la société MONACO YACHTING & TECHNOLOGIE aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le vingt-quatre mars deux mille dix-sept, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Madame Cécile CHATEL-PETIT, Présidente, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Messieurs François CACHELOT, rapporteur, Jean-Pierre GRIDEL, et Jacques RAYBAUD, Conseillers, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur adjoint, assistés de Madame Béatrice BARDY, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef, La Présidente,

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