Cour de révision, 8 juin 2016, c. GR. c/ Ministère public
Abstract🔗
Procédure pénale - Compétence territoriale - Faits commis en France - Inculpé trouvé sur le territoire de la principauté de Monaco (oui) - Appréciation souveraine des juges du fond (oui) - Droits de la défense - Rejet justifié de la demande de confrontation de l'inculpé avec les parties civiles (oui)
Loi pénale - Faits commis à l'étranger - Application de la loi de fond et de procédure monégasque (oui) - Prescription de l'action publique - Appréciation au regard de la loi monégasque (oui)
Résumé🔗
La chambre du conseil de la cour d'appel a prononcé la mise en accusation du demandeur pour avoir, en France, commis des attentats à la pudeur, consommés avec violence, ainsi que des viols sur deux victimes de nationalité française. L'accusé fait grief à l'arrêt d'avoir jugé qu'il relevait de la compétence des juridictions monégasques pour s'être trouvé dans la Principauté au sens de l'article 8, 3° du Code de procédure pénale alors qu'il s'est rendu à Monaco sur convocation de la police pour y être entendu. Ce moyen est écarté dès lors que l'appréciation de la condition, posée par l'article 8 3° du Code de procédure pénale, que la personne poursuivie soit trouvée dans la Principauté, relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Si le statut personnel et la capacité d'une personne relèvent de sa loi nationale en matière civile, cette règle de conflit est sans portée s'agissant d'appliquer une loi pénale qui ne met pas en cause la capacité d'une personne mais sa qualité de victime. C'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que les juridictions monégasques régulièrement saisies et compétentes sont fondées à appliquer le droit monégasque pour entrer en voie de répression, et ce, qu'il s'agisse tant de la loi de procédure que de la loi pénale de fond. L'éventuelle prescription de l'action publique s'appréciant selon la loi du for, il convient de se référer à la loi n° 1.344 du 26 décembre 2007 ayant modifié le délai de prescription en matière de crime contre un mineur qui s'applique immédiatement aux infractions commises avant son entrée en vigueur, pour autant que la prescription ne soit pas acquise à cette date. C'est donc à bon droit qu'elle a appliqué ces dispositions.
Les intérêts de la défense devant être mis en balance avec ceux des témoins ou des victimes appelés à déposer. La cour d'appel a justement rappelé que le droit d'être confronté à un accusateur n'est pas absolu et elle a souverainement considéré que sa restriction se trouvait justifiée en l'espèce par le risque avéré de retentissement anxiogène « généré » par la mise en présence de l'inculpé avec des jeunes victimes psychiquement fragiles, dont l'une éprouvait de la peur et de graves problèmes dépressifs et l'autre était d'une grande fragilité et d'un caractère vulnérable et influençable. Elle a également relevé que l'inculpé a pu être confronté aux autres plaignants et qu'il a eu l'occasion de s'expliquer à plusieurs reprises sur les faits reprochés par ces deux victimes et a ainsi été mis en mesure de contester leurs accusations, lesquelles donneront lieu à des débats contradictoires devant la juridiction de jugement lorsque celle-ci connaitra de l'affaire au fond. Elle en a déduit, à bon droit, que les règles du procès équitable ne commandaient pas d'imposer de nouveaux contacts entre les victimes et l'inculpé.
Motifs🔗
Pourvoi N° 2016-28 Hors Session
pénal
COUR DE RÉVISION
ARRÊT DU 8 JUIN 2016
En la cause de :
- c. GR., né le 13 décembre 1941 à Copertino (Italie), d a. et de v. CA., de nationalité française, retraité, demeurant X1 - 06320 La Turbie ;
actuellement DÉTENU à la Maison d'arrêt de Monaco (mandat d'arrêt du 11 janvier 2014)
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant comme avocats plaidants Maître Christophe BALLERIO, Avocat près de la Cour d'appel de Monaco et Maître Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de Nice ;
Inculpé :
- d'attentats à la pudeur, consommés avec violence, sur des mineurs de l'un ou de l'autre sexe, au-dessous de l'âge de 15 ans accomplis et au-dessous de l'âge de 16 ans accomplis avec cette circonstance aggravante que les faits ont été commis par une personne de la classe de ceux qui ont autorité sur les victimes,
- d'attentats à la pudeur consommés avec violence contre un individu de l'un ou de l'autre sexe avec cette circonstance aggravante que les faits ont été commis par une personne de la classe de ceux qui ont autorité sur les victimes,
- de viols avec cette circonstance aggravante qu'ils ont été commis sur des mineurs au-dessous de l'âge de 15 ans accomplis et au-dessous de l'âge de 16 ans accomplis ;
DEMANDEUR EN RÉVISION,
d'une part,
Contre :
- LE MINISTÈRE PUBLIC,
DÉFENDEUR EN RÉVISION,
En présence de :
- so. AB., née le 17 avril 1983 à Monaco, de j. et de a. BE., de nationalité française, sans profession, demeurant X2, 06300 Nice ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° Y1, par décision du Bureau du 12 février 2015 ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près de la cour d'appel de Monaco ;
- an. TU., né le 28 octobre 1951 à Monaco, de nationalité monégasque, demeurant « X3 », X3 à Monaco, ès-qualités de représentant légal de d. HA., mineure, née le 21 décembre 1999 à Nice, de an. TU. et de da. HA., de nationalité monégasque, demeurant « X3 », X3 à Monaco,
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près de la cour d'appel de Monaco et ayant comme avocat plaidant Maître Philippe-Bernard FLAMMANT ;
- em. RE., née le 15 juin 1996 à Monaco, de ch. et de fr. BEL., de nationalité monégasque, demeurant X4, 06130 Grasse,
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° Y2, par décision du Bureau du 12 mai 2015 ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près de la cour d'appel de Monaco ;
- pa. RO., demeurant X6 à Monaco, ès-qualités d'administrateur ad hoc de fa. JO., mineur, né le 2 février 1998 à Monaco, de se. et de na. ME., de nationalité monégasque, placé X5 à Monaco,
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° Y3, par décision du Bureau du 19 février 2015 ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près de la cour d'appel de Monaco ;
PARTIES CIVILES,
d'autre part,
LA COUR DE RÉVISION,
Statuant hors session et uniquement sur pièces, en application des dispositions de l'article 489 du Code de procédure pénale ;
VU :
l'arrêt de mise en accusation rendu par la chambre du conseil de la Cour d'appel, le 4 février 2016
la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 9 février 2016, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de c. GR. ;
la requête déposée le 24 février 2016 au greffe général, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de c. GR., signifiée le même jour ;
les notifications du dépôt de la requête à Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Melle so. AB., à M. pa. RO. administrateur ad hoc de fa. JO., à Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de M. an. TU. ès-qualités de représentant légal de d. HA. et Melle em. RE., parties civiles, par lettres recommandées avec avis de réception du greffe général en date du 24 février 2016, conformément aux dispositions de l'article 477 du Code de procédure pénale ;
la contre-requête déposée le 9 mars 2016 au greffe général, par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de M. an. TU. es-qualités de représentant légal de Melle d. HA. mineure et Melle em. RE., parties civiles, signifiée le même jour ;
la contre-requête déposée le 10 mars 2016 au greffe général, par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Melle so. AB. et M. fa. JO. représenté par M. pa. RO. es-qualités d'administrateur ad hoc, parties civiles, signifiée le même jour ;
les conclusions du Ministère Public en date du 2 mars 2016 ;
le certificat de clôture établi le 5 avril 2016, par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 19 mai, sur le rapport de Monsieur François-Xavier LUCAS, Conseiller,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la chambre du conseil de la cour d'appel a prononcé la mise en accusation de M. c. GR., de nationalité française, pour avoir en France, à La Turbie, entre les mois d'octobre et de décembre 2001, depuis un temps non couvert par la prescription, commis des attentats à la pudeur, consommés avec violence, ainsi que des viols sur la personne de Melles so. AB. et lu. SC., toutes deux de nationalité française ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. GR. fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé qu'il relevait de la compétence des juridictions monégasques pour s'être trouvé dans la Principauté au sens de l'article 8, 3° du Code de procédure pénale et pour avoir commis une des infractions visées par ce texte ; alors, selon le moyen, que ne peut être considérée comme trouvée dans la Principauté, au sens de cet article, la personne qui ne s'y est rendue que sur convocation de la police pour y être entendue, et qui y est restée à raison des mesures de garde à vue puis de placement en détention provisoire dont elle a fait l'objet ; qu'en statuant comme elle l'a fait, au seul motif que M. GR. était emprisonné à Monaco au moment où la juridiction monégasque a été saisie de ces faits, la cour d'appel a violé l'article 8.3° précité et excédé ses pouvoirs ;
Mais attendu que l'appréciation de la condition, posée par l'article 8-3° du Code de procédure pénale, que la personne poursuivie soit trouvée dans la Principauté, relève du pouvoir souverain des juges du fond ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. GR. fait encore grief à l'arrêt attaqué d'avoir fondé la compétence des juridictions monégasques ainsi que l'absence de prescription des infractions qui lui étaient reprochées sur le fait que so. AB., née le 17 avril 1983, était encore mineure par application du droit monégasque lors de la commission, entre les mois d'octobre et décembre 2001, des faits reprochés, l'âge de la majorité civile étant encore fixé à 21 ans en Principauté de Monaco avant la loi n° 1.261 du 23 décembre 2002 l'ayant ramené à 18 ans alors que, selon le moyen, la minorité s'apprécie par rapport au statut personnel de la personne et non par rapport à une quelconque loi du for ; que la minorité de so. AB., de nationalité française, s'apprécie exclusivement par rapport au droit français ; que so. AB., née le 17 avril 1983, était majeure en octobre et novembre 2001, date des faits qu'elle a dénoncés ; qu'en prétendant que les juridictions monégasques seraient compétentes à raison de la compétence universelle qui leur est reconnue en matière d'infractions commises sur les mineurs d'une part, et en appliquant les dispositions régissant la prescription des crimes et délits commis contre les mineurs d'autre part, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les article 8.3° et 12 du Code de procédure pénale et les principes relatifs à la compétence universelle ainsi que les articles 410.1° du Code civil par fausse application et 414 du Code civil français ;
Mais attendu que, si le statut personnel et la capacité d'une personne relèvent de sa loi nationale en matière civile, cette règle de conflit est sans portée s'agissant d'appliquer une loi pénale qui ne met pas en cause la capacité d'une personne mais sa qualité de victime ; qu'ainsi c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les juridictions monégasques régulièrement saisies et compétentes sont fondées à appliquer le droit monégasque pour entrer en voie de répression, et ce, qu'il s'agisse tant de la loi de procédure que de la loi pénale de fond, et que l'éventuelle prescription de l'action publique s'appréciant selon la loi du for, il convient de se référer à la loi n° 1.344 du 26 décembre 2007 ayant modifié le délai de prescription en matière de crime contre un mineur qui s'applique immédiatement aux infractions commises avant son entrée en vigueur, pour autant que la prescription ne soit pas acquise à cette date ; que c'est sans encourir les critiques du moyen qu'elle a appliqué ces dispositions ; d'où il suit que celui-ci n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que M. GR. fait enfin grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné son renvoi devant le tribunal criminel sans qu'il ait été mis en mesure d'interroger so. AB. et fa. JO. alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout accusé a la droit d'être confronté à ceux qui l'accusent ; qu'il ne peut être dérogé à ce droit que s'il est impossible de procéder à cette confrontation, une telle impossibilité devant être caractérisée par des motifs concrets et précis, que les juges doivent justifier ; qu'en s'abstenant de caractériser toute impossibilité de confronter M. GR. à deux des personnes qui l'accusent de faits extrêmement graves d'attentats sexuels, le « retentissement anxiogène » éventuellement subi par les jeunes victimes ne caractérisant pas une telle impossibilité, la cour d'appel a gravement méconnu les droits de la défense et violé l'article 6 susvisé ;
Mais attendu que les intérêts de la défense devant être mis en balance avec ceux des témoins ou des victimes appelés à déposer, la cour d'appel a justement rappelé que le droit d'être confronté à un accusateur n'est pas absolu ; qu'elle a souverainement considéré que sa restriction se trouvait justifiée en l'espèce par le risque avéré de retentissement anxiogène « généré » par la mise en présence de l'inculpé avec des jeunes victimes psychiquement fragiles, dont l'une éprouvait de la peur et de graves problèmes dépressifs et l'autre était d'une grande fragilité et d'un caractère vulnérable et influençable ; qu'elle a également relevé que M. GR. a pu être confronté aux autres plaignants et qu'il a eu l'occasion de s'expliquer à plusieurs reprises sur les faits reprochés concernant so. AB. et fa. JO. et a ainsi été mis en mesure de contester leurs accusations, lesquelles donneront lieu à des débats contradictoires devant la juridiction de jugement lorsque celle-ci connaitra de l'affaire au fond ; qu'elle en a déduit que les règles du procès équitable ne commandaient pas d'imposer de nouveaux contacts entre les victimes et l'inculpé et que dès lors il y avait lieu de rejeter les deux demandes d'actes formées par M. GR. ; que le moyen n'est pas fondé ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Rejette le pourvoi ;
Condamne M. c. GR. aux dépens dont distraction au profit de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, pour ce qui la concerne et recouvrés comme en matière d'assistance judiciaire.
Composition🔗
Ainsi délibéré et jugé le huit juin deux mille seize, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs François-Xavier LUCAS, Conseiller, rapporteur, faisant fonction de Président, Guy JOLY et Jacques RAYBAUD, Conseillers.
Et Monsieur François-Xavier LUCAS, Conseiller faisant fonction de Président, a signé avec Madame Béatrice BARDY, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint c..
Le Greffier en Chef, le Président.