Cour de révision, 14 octobre 2015, Mme S D c/ M. r. T

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Procédure civile - Pièces - Pièces rédigées en langue italienne - Absence de traduction - Recevabilité (non)

Divorce - Prestation compensatoire - Appréciation - Moment

Résumé🔗

Aux termes de l'article 8 de la Constitution, la langue française est la langue officielle de la Principauté. Le seul fait qu'une pièce soit rédigée en langue étrangère n'a nullement pour effet de la rendre irrecevable. La Cour de Révision ne peut cependant tenir compte de telles pièces que dans la mesure où elles sont accompagnées de traductions certifiées, elles-mêmes régulièrement communiquées. Faute de production d'une traduction en langue française, les pièces doivent être jugées irrecevables.

La prestation compensatoire est destinée à compenser autant qu'il est possible la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux. Son principe et son montant s'apprécient au moment du divorce, la date à prendre en considération étant celle où la décision prononçant le divorce est passée en force de chose jugée et qu'elle est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci. En l'espèce, il convient d'examiner la demande en considération de la date à laquelle la décision prononçant le divorce est passée en force de chose jugée, soit le 27 novembre 2014. La comparaison de la situation de chacun des époux au moment de la rupture du mariage ne permet pas de retenir la disparité qui justifierait le versement, au profit de Mme D, d'une prestation compensatoire.


Motifs🔗

Pourvoi N° 2014-52 en session

COUR DE RÉVISION

ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2015

En la cause de :

  • - Mme S D, née le 29 septembre 1952 à Santos (Brésil), de nationalité italienne, domiciliée X à Monaco ;

Bénéficiaire de l'assistance judiciaire par décision du Bureau n°186 BAJ 08 en date du 29 janvier 2009,

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Christophe BALLERIO, avocat auprès de la même Cour ;

APPELANTE,

d'une part,

Contre :

  • - M. r. T, né le 29 mars 1950 à Ferrara (Italie), de nationalité italienne, domicilié, X à Monaco, exerçant la profession d'expert en art international ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR DE RÉVISION,

VU :

  • - l'arrêt de la Cour de Révision du 27 novembre 2014, cassant et annulant l'arrêt de la Cour d'appel du 15 mars 2013, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de prestation compensatoire formée par Mme Isabel D, et renvoyant l'affaire à la prochaine session de la Cour de révision autrement composée ;

  • - les conclusions additionnelles déposées le 26 janvier 2015 au greffe général, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Mme Isabel D, signifiées le même jour ;

  • - les conclusions additionnelles déposées le 25 février 2015 au greffe général, par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de M. r. T, signifiées le même jour ;

  • - le certificat de clôture établi le 11 mars 2015, par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

  • - les conclusions après cassation du Ministère Public en date du 12 mars 2015 ;

Ensemble le dossier de la procédure,

À l'audience du 5 octobre 2015, sur le rapport de M. Jean-François RENUCCI, Conseiller,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï le Ministère Public ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu que Mme Isabel D et M. r. T se sont mariés le 15 décembre 1991 ; qu'un jugement de séparation de corps a été rendu le 23 septembre 2002 par le tribunal de San Remo ; que par jugement du 29 avril 2010, confirmé en toutes ses dispositions par arrêt de la Cour d'appel du 19 mars 2013, le Tribunal de première instance a prononcé le divorce aux torts exclusifs de M. T et débouté Mme D de sa demande de prestation compensatoire ; que Mme D a formé un pourvoi contre cet arrêt, lequel a été cassé et annulé par arrêt du 27 novembre 2014, mais seulement en ce qu'il a rejeté sa demande de prestation compensatoire, aux motifs qu'en statuant ainsi, sans viser ni analyser, même sommairement, les 36 pièces nouvelles qui avaient été produites devant elle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; que la Cour est donc saisie de l'appel du jugement du 29 avril 2010 dans les limites de la cassation prononcée ;

Attendu que, par conclusions d'appel et conclusions additionnelles en date du 26 janvier 2015, Mme D demande à la Cour de révision de condamner M. T au paiement d'une prestation compensatoire ; qu'à l'appui de cette prétention, elle expose qu'ils sont demeurés mariés pendant 22 ans ; que durant la période de vie commune qui a duré plus de 10 années à compter du mariage, leur niveau de vie était aisé, tel que cela ressort notamment du bail à loyer de l'appartement que le couple a occupé pendant presque 10 ans ; qu'elle a sacrifié sa carrière professionnelle pour se consacrer à l'éducation de leur enfant et a favorisé la carrière professionnelle de son époux au détriment de la sienne ; qu'elle se trouve actuellement, après 22 années de mariage, âgée de 62 ans, sans emploi à ce jour, sans couverture sociale, sans retraite, dans une situation de précarité manifeste, totalement dépendante de l'aide financière de ses amies proches ; que la situation dans laquelle elle se retrouve aujourd'hui est aux antipodes de celle dont elle a bénéficié durant les années de vie commune ; qu'elle soutient que cette situation est exclusivement imputable à la rupture du mariage ; que la situation tant professionnelle que personnelle de M. T est extrêmement confortable ; qu'il exerce la profession, depuis de nombreuses années, d'expert en art international et plus particulièrement tapisseries haute époque et tapis anciens ; qu'en sus de ses activités répertoriées en Principauté de Monaco, il gère une galerie d'art à San-Marin ; qu'à la différence de son épouse, il a toujours travaillé et par voie de conséquence cotisé pour une retraite et dispose de ressources importantes lui assurant des conditions de vie, après le prononcé du divorce, identiques à celles dont il disposait pendant le mariage ; que la rupture du mariage crée manifestement une disparité dans les conditions de vie respectives des époux ; qu'en conséquence, Mme D conclut à la réformation du jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de l'octroi d'une prestation compensatoire, et à la condamnation de M. T au versement de la somme de 350.000 euros à titre de prestation compensatoire et aux dépens ;

Attendu par conclusions d'appel et conclusions additionnelles du 25 février 2015, M. T demande que les pièces 8, 9, 10, 11, 12 et 13 communiquées par Mme D soient écartées des débats, étant en langue étrangère sans traduction française, et que la demande de prestation compensatoire qu'elle soutient soit rejetée ; que le prononcé du divorce est passé en force de chose jugée à compter de l'arrêt de la Cour de révision du 27 novembre 2014 et que c'est donc à cette date que doit être constatée la disparité que la rupture du mariage a créée dans les conditions de vie respectives des époux ; que sa situation financière est à l'opposé de celle que tente de dépeindre Mme D ; qu'il est actuellement sans profession et dans l'attente de pouvoir bénéficier de ses droits à la retraite, lesquels seront inférieurs à 400 euros mensuels ; qu'il a de nombreux créanciers dont les organismes privé chargé de la gestion d'un service public C de Monaco et que partie de sa retraite pourrait faire l'objet de saisies ; qu'il bénéficie de l'aide financière de ses proches et notamment de sa mère qui l'aide, non seulement pour tenter d'apurer sa dette auprès des organismes privé chargé de la gestion d'un service public C mais également pour régler le loyer de son domicile à Monaco ; qu'il doit subvenir non seulement à ses propres besoins, mais également à ceux de sa nouvelle compagne et de leur enfant ; que l'affirmation de Mme D selon laquelle elle est actuellement sans travail est totalement contredite par une attestation que celle-ci verse elle-même au débat judiciaire indiquant qu'elle a pu trouver un travail de vendeuse ; que le loyer que celle-ci règle actuellement est de seulement 300 euros mensuels de moins que l'ancien appartement qu'elle occupait ; que Mme D n'a pas réellement diminué son train de vie, contrairement à ce qu'elle tente de faire croire ; que le loyer mensuel de Mme D s'élève à la somme de 2.455 euros, soit pratiquement 500 euros de plus par mois que celui réglé par lui-même ; que les capacités financières de Mme D sont beaucoup plus confortables que les siennes ; que les éléments communiqués par cette dernière ne sont pas crédibles et que manifestement elle tente de dissimuler la réalité de ses revenus et de sa situation financière ; qu'il est étonnant, alors que Mme D estime à 1.600 euros par mois son salaire de vendeuse, qu'un bailleur ait pu consentir à lui signer un bail à loyer alors même que son seul salaire ne lui permet même pas de régler le montant du loyer ; qu'en définitive, la situation financière respective des époux au moment du divorce, soit à la date du 27 novembre 2014, et son évolution prévisible, ne met en évidence aucune disparité que la rupture du mariage aurait pu créer dans leurs conditions de vie respectives, justifiant le paiement d'une somme quelconque à titre de prestation compensatoire ;

SUR CE,

  • Sur les pièces n° 8, 9, 10, 11, 12 et 13 dont le rejet est demandé par M. T :

Attendu qu'aux termes de l'article 8 de la Constitution, la langue française est la langue officielle de la Principauté ; que le seul fait qu'une pièce soit rédigée en langue étrangère n'a nullement pour effet de la rendre irrecevable ; que la Cour ne peut cependant tenir compte de telles pièces que dans la mesure où elles sont accompagnées de traductions certifiées, elles-mêmes régulièrement communiquées ;

Attendu que les pièces communiquées par Mme D sous les numéros 8, 9, 10, 11 et 12 sont rédigées en langue étrangère et non accompagnées de traductions certifiées ; que la pièce n° 13 est rédigée en français ; que faute de production d'une traduction en langue française, les pièces n° 8, 9, 10, 11 et 12 sont irrecevables ;

  • Sur la demande de prestation compensatoire :

Attendu que la prestation compensatoire est destinée à compenser autant qu'il est possible la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux ; que son principe et son montant s'apprécient au moment du divorce, la date à prendre en considération étant celle où la décision prononçant le divorce est passée en force de chose jugée et qu'elle est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci ;

Attendu en l'espèce qu'il convient d'examiner la demande en considération de la date à laquelle la décision prononçant le divorce est passée en force de chose jugée, soit le 27 novembre 2014 ;

Attendu que la comparaison opérée par Mme D entre la situation dans laquelle elle se trouvait durant la vie commune et celle qui était la sienne à la date de la rupture du mariage est inopérante dans la mesure où ne peuvent être pris en considération que les éléments de comparaison contemporains de cette rupture ; que l'allégation d'une activité lucrative de M. T dans le domaine de l'art n'est pas établie, les pièces n° 13 à 17, dépourvues de date, n'étant indicatives que d'une activité d'exposition ; que les pièces n° 18 à 22 attestent d'évènements antérieurs à l'année 2010 et que si elles révèlent la nécessité pour Mme D de contracter des emprunts ou de solliciter l'aide de proches, elles ne sont pas de nature à établir la disparité alléguée au moment de la rupture du mariage ; que l'allégation d'une activité par M. T en art international est inopérante pour l'appréciation de ses facultés ; qu'au demeurant il est établi par la pièce n° 7 produite par M. T que ladite activité a fait l'objet d'une déclaration de cessation au 31 mai 2012 concomitante à la radiation au RCI ; que l'affirmation que M. T dispose de ressources importantes n'est assortie d'aucune justification ;

Attendu que les pièces n° 23 à 36 n'ajoutent rien au contenu des pièces précédemment examinées ;

Attendu que les pièces n° 37 à 48 ne font qu'attester des difficultés financières et professionnelles de Mme D sans pour autant démontrer la disparité des conditions de vie au moment de la rupture du mariage ;

Attendu, concernant la situation de M. T, que l'insuffisance de ses ressources est attestée par les modalités de règlement d'une somme de 8272,21 euros due aux organismes privé chargé de la gestion d'un service public C de Monaco, prévoyant le versement de 300 euros par mois, ainsi que par l'accumulation de dettes de loyers et autres dépenses de la vie courante, malgré l'aide de sa mère attestée par celle-ci ;

Attendu en conséquence que la comparaison de la situation de chacun des époux au moment de la rupture du mariage ne permet pas de retenir la disparité qui justifierait le versement, au profit de Mme D, d'une prestation compensatoire ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

statuant contradictoirement ;

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme Isabel D de sa demande en paiement d'une prestation compensatoire ;

Condamne Mme S D aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé le quatorze octobre deux mille quinze, par la Cour de révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs Charles BADI, conseiller, faisant fonction de président, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, M. Jean-Pierre GRIDEL et M. Jean-François RENUCCI, rapporteur, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, conseillers, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Béatrice BARDY, Greffier en Chef, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.

Le Greffier en Chef, le Président.

  • Consulter le PDF