Cour de révision, 14 octobre 2015, La société I c/ La société A (Monaco) S.A.M. (venant aux droits de la SAM B)
Abstract🔗
Rétractation - Arrêt de la Cour de révision - Recevabilité (non) - Recours abusif (oui)
Résumé🔗
Sous le couvert de griefs faits à l'arrêt de la Cour de révision statuant sur le fond du droit de s'être prononcé sur des choses non demandées et de contenir des dispositions contradictoires, la société I ne tend qu'à remettre en discussion devant cette même juridiction le montant de son préjudice tel que souverainement évalué par celle-ci, préjudice dont l'existence même était contestée par la banque, ainsi que le bien-fondé du rejet par cette juridiction de demandes de restitution de la contre-valeur de titres donnés en gage et de remise de relevés de comptes bancaires. De telles critiques, qui ne relèvent pas des cas énumérés par l'article 438 du Code de procédure civile, ne peuvent être formulées au soutien d'une requête en rétractation. Partant, la requête est irrecevable.
En présentant à l'appui de sa requête en rétractation des griefs étrangers aux dispositions de l'article 438 du Code de procédure civile, la société I a abusé de son droit d'agir en justice. Elle sera condamnée en conséquence à payer à la banque la somme de 5.000 euros pour procédure abusive.
Motifs🔗
Pourvoi N° 2013-72 en session
COUR DE RÉVISION
ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2015
En la cause de :
- La société I, dont le siège social est sis X, Douglas ISLE de MAN, représentée par son directeur en exercice, Monsieur Ivo VA., domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près de la même Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de Nice ;
APPELANTE,
d'une part,
Contre :
- la société A (Monaco) S. A. M. (venant aux droits de la SAM B), immatriculée au R. C. I sous le numéro X, dont le siège est X à Monte-Carlo, prise en la personne de son président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR DE RÉVISION,
VU :
- l'arrêt de la Cour de révision du 26 mars 2015 après cassation, infirmant le jugement du 9 juin 2011 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a retenu la responsabilité de la banque en tant que commettant et statuant à nouveau ;
- requête aux fins de rétractation déposée le 24 avril 2015 au greffe général, par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la société I, signifiée le même jour ;
- les conclusions en réponse et d'irrecevabilité déposées le 8 juillet 2015 au greffe général, par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de la SAM A (MONACO), signifiées le même jour ;
- les conclusions en réplique aux fins d'irrecevabilité déposée le 15 juillet 2015 au greffe général, par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la société I, signifiées le même jour ;
- le certificat de clôture établi le 22 septembre 2015, par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;
Ensemble le dossier de la procédure,
À l'audience du 5 octobre 2015, sur le rapport de M. François CACHELOT, Conseiller,
Ouï le Ministère Public ;
Après avoir entendu les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Attendu qu' après avoir obtenu devant la juridiction pénale la condamnation de deux préposés de la SAM A (la banque) à lui verser une somme de 3.696.567 euros en remboursement de son préjudice résultant d'infractions ainsi sanctionnées, la société de droit de l'île de Man I a recherché le 30 juillet 2009 la responsabilité civile de cet établissement bancaire sur le fondement de l'article 1231, alinéa 4, du Code civil devant le tribunal de première instance ;
Attendu que par jugement du 9 juin 2011, le tribunal, après avoir opéré compensation entre la dette de la banque à l'égard de la société I et la créance réclamée par la banque au titre d'ouvertures de crédit avec nantissement de titres, souscrites par la société I en raison de découverts de compte résultant des achats de titres effectués à son insu par les préposés de la banque, a condamné celle-ci à payer à la société I la somme de 2.632.760,24 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2009 ; que, par arrêt du 18 juin 2013, la cour d'appel, réformant partiellement la décision déférée, a condamné la banque à payer à la société I la somme de 2.695.137,07 euros ;
Attendu que sur le pourvoi de cette société, la Cour de révision à, par arrêt du 26 mars 2014, cassé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu entre les parties le 18 juin 2013, au visa de l'article 1198 du Code civil, pour violation du principe de l'autorité de la chose jugée et renvoyé la cause et les parties à la prochaine session utile de la Cour de révision autrement composée ;
Attendu que, par arrêt du 26 mars 20015, la Cour de révision statuant comme juridiction de renvoi et dans la limite des appels des parties a infirmé le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a retenu la responsabilité de la banque en tant que commettant et, statuant à nouveau a :
- condamné la SAM A (Monaco) à payer à la société de droit de l'Ile de Man I en deniers ou quittances la somme de 2.365.617,24 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2008 ;
- condamné la société de droit de l'Ile de Man I à payer à la SAM A (Monaco) la somme de 579.796,96 euros en remboursement du solde du capital à la date du15 janvier 2010 de l'autorisation de découvert conclue entre les parties le 18 avril 2000, modifiée par avenant du 18 octobre 2000, avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2011 ;
- débouté la SAM A (Monaco) de sa demande de remboursement des intérêts contractuels produits par cette somme de 579.796,96 euros ;
- ordonné la compensation de la créance de 2.365.617,24 euros de la société de droit de l'Ile de Man I à l'égard de la banque avec la créance de 579.797,96 euros de cette dernière à l'égard de la société de droit de l'Ile de Man I ;
- condamné la banque à payer à la société de droit de l'Ile de Man I en deniers ou quittances la somme de 250.000 euros à titre de réparation de son préjudice matériel ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraire ;
- Condamné la SAM A (Monaco) aux dépens dont distraction au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat défenseur, sous sa due affirmation.
Attendu que, par requête déposée au greffe général le 24 avril 2015, signifiée le même jour à la société C, la société I, invoquant l'article 438 du code de procédure civile, sollicite de la Cour de révision la rétractation partielle de cet arrêt, en ce que :
1/ Il a été prononcé sur des choses non demandées ; qu' en effet, la Cour de révision n'était saisie, en cause d'appel, ni par la société I, ni par la société C d'une demande tendant au réexamen du bien-fondé de l'évaluation au principal du préjudice de la société I découlant des infractions pénales dont elle a été la victime en l'an 2000,et dont le quantum, fixé par le premier juge, n'était contesté par aucune des parties ;
2/ l'arrêt contient à trois reprises des dispositions contradictoires :
- Premièrement, la Cour de révision rejette la demande de restitution de la contre-valeur des titres donnés en gage au motif que le préjudice invoqué par la société I afférent à la dissipation de ses titres ne résulte pas des détournements condamnés par le juge pénal alors qu' elle rappelle que cette remise de titres nantis n'est que la contrepartie d'une ouverture de crédit (...) destinée à combler le solde débiteur du compte courant de cette société pendant la durée de l'enquête interne menée par la banque sur les détournements dénoncés (...) pour laquelle elle décide à titre de dommages-intérêts de débouter la banque de sa demande de paiement des intérêts et de limiter la compensation demandée par la banque au montant du capital dû ;
- Deuxièmement, la Cour de révision rejette la demande de restitution de la contre- valeur des titres donnés en gage au motif que la banque propose de restituer ces titres, alors qu' elle rappelle que le tribunal de première instance avait condamné avec exécution provisoire la société C à restituer l'ensemble des titres gagés et que celle-ci n'avait, au jour où la Cour statuait, toujours pas déféré à cette injonction remontant au 9 juin 2011, et alors même qu'aucun écrit judiciaire n'est susceptible de confirmer l'assertion selon laquelle la Banque proposerait de restituer lesdits titres ;
- Troisièmement, la Cour de révision - sans répondre au moyen péremptoire tiré de la contestation de toute valeur probante du relevé de compte produit par la banque qui ne fait état ni de l'existence des titres remis en garantie et transférés sur un compte nanti, ni de l'existence de titres que la société I admet avoir achetés, mais qui fait état de titres qu'elle conteste avoir acquis - considère que la société I ne prouve pas la disparition des titres gagés alors qu'elle refuse de faire droit à la remise de la totalité des relevés de compte n° 11456 depuis le jour du blocage ainsi que de la totalité des instructions d'achat et de vente survenus sur ce compte, laquelle aurait pourtant été de nature à confirmer la disparition des titres gagés ;
Attendu que la société I soutient que la voie naturelle de réparation de ce type d'irrégularités est la requête en rétractation puisqu'il revient au juge qui a commis l'erreur de la réparer ; qu'il s'agit là d'un usage normal des voies de recours reconnues par la loi pour défendre ses intérêts en justice qui relève du droit d'accès au juge, garanti par l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'elle demande de déclarer sa requête en rétractation recevable et bien fondée et, en conséquence de :
Rétracter partiellement l'arrêt entrepris en ce qu'il a :
- Condamné la A à payer à la société I uniquement la somme de 2.365.617, 24 euros ; avec intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2008 ;
- Ordonné la compensation de la créance de la société de droit de l'Ile de Man I à l'égard de la Banque arrêtée uniquement à la somme de 2 365 617,96 euros de cette dernière à l'égard de la société de droit de l'Ile de Man I ;
- Débouté la société de droit de l'Ile de Man I de sa demande de condamnation de la SAM A à restituer à la société I la contre- valeur des titres remis en gage, soit les sommes de 1.251.150 euros et 56.250 euros, assorties des intérêts légaux à compter du 18 avril 2000, jusqu'au parfait paiement, en raison de la disparition desdits titres ;
- Débouté la société de droit de l'Ile de Man I de sa demande de condamnation de la SAM A à remettre à la société I la totalité des relevés du compte n° 14456 depuis le jour du blocage dudit compte, ainsi que la totalité des instructions d'achat et de vente survenus sur ce compte depuis cette date ;
Dire qu'il n'y a pas lieu à rétractation de l'arrêt en ce qu'il a :
- Condamné la société C à payer à la société de droit de l'Ile de Man I la somme de 250.000 euros à titre de réparation de son préjudice matériel
Et, ce faisant, statuant à nouveau,
- Constater que le montant du préjudice de la société I découlant directement des infractions pénales, fixé par le tribunal de première instance à la somme de 3 696 567 euros n'a pas été contesté en appel par la société I et par la A ;
- Constater en conséquence que le montant de la créance principale détenue par la société I à l'encontre de la SAM A s'élève à la somme de 3.696.567 euros ;
- Dire que la somme de 3.696.567 euros doit être assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2008, date de l'arrêt de la cour d'appel condamnant MM TR. LO. et RO. solidairement à payer à la société I ;
- Ordonner la compensation de la créance de la société de droit de l'Ile de Man I à l'égard de la banque, arrêtée à la somme de 3.696.567 euros avec la créance de 579.797,96 euros de cette dernière à l'égard de la société I;
- Condamner la SAM A à payer à la société I la somme de 250.000 euros à titre de dommages-intérêts pour avoir illégalement dissipé des titres remis en gage et avoir indûment réclamé en justice la condamnation à payer une prétendue dette de 1.063.809 euros ;
Attendu que, par conclusions en réponse et d'irrecevabilité déposées au greffe général le 8 juillet 2015 et signifiées le même jour, la banque, après avoir rappelé qu' en l'état du droit et de la jurisprudence, il est admis que les arrêts de la Cour de révision qui statuent non pas sur un pourvoi, mais sur renvoi après cassation ne peuvent en aucun cas faire l'objet d'un nouveau pourvoi en révision dès lors qu'aucun texte ne permet de former un tel pourvoi contre eux, soutient que, sous le couvert de rétractation fondée sur de prétendues erreurs matérielles, la requête déposée par la société I tend en réalité à remettre en question l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour de révision ayant statué au fond après renvoi ;
Attendu que la banque fait valoir par ailleurs que les critiques adressées à l'arrêt de la Cour de révision ne sont pas pertinentes ; qu'en effet, l'affirmation selon laquelle il aurait été prononcé par cette décision sur des choses non demandées manque en droit et en fait, en droit car la Cour de révision statuant comme juridiction du fond fixe souverainement le quantum du préjudice qui lui est soumis et par conséquent n'est aucunement limitée par un montant minimum, en fait car c'est de manière fallacieuse que la société I affirme que la banque avait demandé sa propre condamnation dans le cadre des conclusions qu'elle avait déposées après cassation ; que le simple examen du dispositif des conclusions de la banque fait apparaître qu'à titre principal, celle-ci avait sollicité le débouté pur et simple des demandes de la société I dont le quantum était donc contesté ;
Attendu que la banque soutient en outre qu'il n'y a aucune contradiction dans le fait pour la Cour de révision d'avoir estimé qu'une autorisation de découvert consenti à la société I ne découle pas d'une faute de la banque alors même que les fautes commises par cette dernière auraient été reconnues par cette même décision ; que, de même, il n'existe aucune contradiction dans le fait d'avoir constaté que la banque ne refusait pas la restitution des titres litigieux au motif qu'elle les aurait fait disparaître, ce qui est matériellement inexact ; que c'est au contraire à juste titre que la Cour de révision a estimé, par une appréciation souveraine, que la preuve de cette disparition n'était pas rapportée ;
Attendu que la banque soutient enfin qu'il résulte de la jurisprudence citée par la société I qu'une contrariété n'affectant que les motifs d'une décision ne peut exposer celle-ci à la voie du recours en rétractation ;
Attendu que la banque demande en conséquence à la Cour de révision de :
Déclarer irrecevable la requête déposée par la société I ;
La débouter en conséquence et en tant que de besoin de toutes ses prétentions ;
Dire et juger que le recours engagé par la société I est abusif, cette société n'ayant pu se méprendre sur ses droits ;
Condamner la société demanderesse à payer à la banque la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de son recours abusif ;
Condamner la société I aux entiers frais et dépens dont distraction au profit de Maître Frank MICHEL, avocat défenseur sous sa due affirmation ;
Attendu que, par conclusions en réplique aux fins d'irrecevabilité, déposées au greffe général le 15 juillet 2015 et signifiées le même jour, la société I faisant valoir que les conclusions « en réponse et d'irrecevabilité » de la banque ne lui ont été signifiées que le 8 juillet 2015, après l'expiration du délai légal de trente jours prévu par l'article 450 du code de procédure civile, « pour signifier ses défenses signées par un avocat défenseur » ne pourront qu'être déclarées irrecevables par la Cour de révision ;
SUR CE, LA COUR :
Sur la recevabilité des « conclusions en réponse et d'irrecevabilité » de la banque, contestée par la société I :
Attendu que le délai de 30 jours prescrit par l'article 450 du code de procédure civile pour « signifier ses défenses signées par un avocat défenseur » n'est applicable qu'au pourvoi en révision ; qu'aucun texte ne fixe de délai au défendeur à une instance en rétractation des jugements où arrêts passés en force de chose jugée pour déposer des conclusions ;
D'où il suit que les conclusions signifiées par la banque sont recevables ;
Sur la recevabilité de la requête en rétractation contestée par la banque :
Attendu que sous le couvert de griefs faits à l'arrêt de la Cour de révision statuant sur le fond du droit de s'être prononcé sur des choses non demandées et de contenir des dispositions contradictoires, la société I ne tend qu'à remettre en discussion devant cette même juridiction le montant de son préjudice tel que souverainement évalué par celle-ci, préjudice dont l'existence même était contestée par la banque, ainsi que le bien fondé du rejet par cette juridiction de demandes de restitution de la contre-valeur de titres donnés en gage et de remise de relevés de comptes bancaires ; que de telles critiques qui ne relèvent pas des cas énumérés par l'article 438 du Code de procédure civile ne peuvent être formulées au soutien d'une requête en rétractation ;
D'où il suit que la requête est irrecevable ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour recours abusif formée par la banque :
Attendu qu'en présentant à l'appui de sa requête en rétractation des griefs étrangers aux dispositions de l'article 438 du code de procédure civile, la société I a abusé de son droit d'agir en justice ; Qu'elle sera condamnée en conséquence à payer à la banque la somme de 5.000 euros pour procédure abusive ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Déclare recevables les « conclusions en réponse et d'irrecevabilité » déposées par la SOCIETE A Monaco ;
Déclare irrecevable la requête en rétractation formée par la société I ;
La déboute de toutes ses demandes ;
Condamne la société I à payer à la société A Monaco la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
La condamne aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Frank MICHEL, avocat- défenseur sous sa due affirmation.
Composition🔗
Ainsi délibéré et jugé le quatorze octobre deux mille quinze, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Messieurs Jean-Pierre DUMAS, Président, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, François-Xavier LUCAS, François CACHELOT, rapporteur, Conseillers, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Béatrice BARDY, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le Greffier en Chef, le Président.