Cour de révision, 9 octobre 2012, SAM Crédit Foncier de Monaco c/ J. N.

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Abstract🔗

Banque

Responsabilité de la banque : nullité du cautionnement en raison de la réticence dolosive de la banque. Dissimulation de l'identité du véritable bénéficiaire de l'acquisition financée par le prêt garanti.

Résumé🔗

Il est constant que le CFM ne pouvait ignorer les modalités d'acquisition du voilier projetée par M. de R., dès lors que, préalablement à l'ouverture dans ses livres d'un compte au nom de ce dernier et d'un compte au nom de la CMMN, sur lesquels les relevés produits ne font apparaître aucun dépôt à l'ouverture, il avait reçu communication, le 29 mai 2002, par un fax émanant de l'expert-comptable D. de Bruxelles, des statuts de cette compagnie et, par ailleurs, d'un projet de bilan de celle-ci au 25 mai 2002 et d'un bilan au 31 décembre 2001, pièces qu'il verse lui-même aux débats, à l'instar du compromis de vente du voilier par l'association Défi Aquitaine autour du monde à la CMMN en date du 21 avril 2002 ; 'il n'est pas démontré que cette communication était l'œuvre conjointe de MM. de R. et N. ; en ne soumettant à ce dernier que la convention de prêt dont il devait garantir le remboursement par un engagement de caution solidaire et une constitution de gage et en ne l'informant pas, sous prétexte de préservation du secret bancaire ou d'obligation de non-ingérence, de l'identité de l'acquéreur du navire, de sorte qu'il le laissait dans l'ignorance du véritable bénéficiaire de l'opération qu'il cautionnait, tandis qu'il entendait garantir une acquisition d'un voilier par M. de R., alors son gendre, le CFM a commis une réticence dolosive sans laquelle M. N. n'aurait pas accordé sa garantie. Cette seule circonstance justifie l'annulation du cautionnement consenti par lui. Il apparaît en conséquence sans intérêt de rechercher s'il y a lieu d'écarter des débats les pièces qui sont sans influence sur la solution du litige ou de rechercher si le CFM a en outre commis une faute engageant sa responsabilité en omettant de prendre une garantie réelle sur le navire.


Motifs🔗

Pourvoi N°2011-43 en session

Après cassation

civile

COUR DE REVISION

ARRET DU 9 OCTOBRE 2012

En la cause de :

- La SAM «CREDIT FONCIER DE MONACO» dont le siège social se trouve 11, boulevard Albert 1er à MONACO, prise en la personne de son président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

Appelante,

d'une part,

Contre :

- Monsieur J. N., né le 26 janvier 1930 à GAND (Belgique), de nationalité belge, demeurant et domicilié X ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître François THOUIN-PALAT, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, et par Maître Jean-Pierre PILLON, avocat au Barreau de Caen ;

Intimé,

d'autre part,

LA COUR DE REVISION,

VU :

- l'arrêt rendu le 29 mars 2011 par la Cour d'appel,

- l'arrêt de la Cour de révision du 16 mars 2012 cassant et annulant en toutes ses dispositions cette décision et renvoyant l'affaire à la prochaine session utile de la Cour de révision autrement composée,

- les conclusions additionnelles déposées le 15 mai 2012 au greffe général, par Maître Palmero, avocat-défenseur au nom de M. J. N.,

- les conclusions additionnelles déposées au greffe général, le 13 juin 2012, par Maître Licari, avocat-défenseur, au nom du Crédit foncier de Monaco,

- le certificat de clôture établi le 3 juillet 2012,

- les conclusions déposées au greffe général le 27 septembre 2012 par Maître Palmero, avocat-défenseur, au nom de M. N.,

Ensemble le dossier de la procédure,

A l'audience du 3 octobre 2012 sur le rapport de Monsieur Charles BADI, conseiller, rapporteur,

Après avoir entendu les conseils des parties,

Ouï le ministère public,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Ensemble le dossier de la procédure

Attendu que par acte sous seing privé du 5 juin 2002, le Crédit foncier de Monaco (le CFM) a consenti à M. P. de R., navigateur professionnel, un prêt d'un montant de 587.000 euros dont l'objet porté au contrat était le financement de l'acquisition d'un voilier ; qu'en garantie du remboursement de ce prêt le CFM a recueilli le cautionnement solidaire de M. J. N. par acte daté du même jour ; que les fonds prêtés ont permis à la Compagnie maritime de la mer du Nord (la CMMN), dont M. de R. était l'un des associés, de payer le solde du prix d'un voilier, dû en vertu d'un compromis de vente en date du 21 avril 2002 prévoyant le paiement du prix au plus tard le 1er juin ; que la défaillance de l'emprunteur, dès la première échéance de remboursement exigible le 17 février 2003 et pour les deux suivantes, a conduit la caution à en régler le montant ; qu'en raison de la persistance de la défaillance du débiteur, le CFM a mis la caution en demeure de payer ; que, par acte du 9 février 2005, M. N. a assigné le CFM aux fins de voir prononcer la nullité du cautionnement et la condamnation de la banque au remboursement des sommes payées au titre du prêt soit, 100.935,18 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 27 août 2003, 67.290,12 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 20 février 2004 et 459.781,64 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2004 ; que, par jugement du 29 mai 2008, le Tribunal de première instance a prononcé la nullité du contrat de cautionnement et condamné le CFM à payer les sommes réclamées ; que sur appel du CFM, la cour d'appel a réformé cette décision et débouté M. N. de toutes ses prétentions par arrêt du 29 mars 2011 ; que celui-ci a été cassé le 16 mars 2012 et l'affaire renvoyée à la première session utile de la Cour de révision, autrement composée ;

Attendu que le CFM demande à la cour d'appel de déclarer irrecevables les demandes formées par M. N. par conclusions du 15 mai 2012, de réformer le jugement déféré, de déclarer nulle l'attestation de Mme Sandrine N. (pièce n°38) de rejeter des débats les pièces adverses n° 53 et 59, de débouter M. N. de l'ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi qu'au dépens distraits au profit de Maître Licari ; qu'à l'appui de ses prétentions il fait valoir que M. N. ne demande pas la confirmation du jugement et ne forme pas d'appel ce qui rend ses demandes irrecevables ; qu'il soutient par ailleurs qu'il est faux de prétendre que le cautionnement a été conclu postérieurement au contrat de prêt, alors que la banque avait déjà exposé les fonds, et invoque la date de l'engagement de la caution pour affirmer qu'il est concomitant au prêt et antérieur à la mise à disposition des fonds ; qu'il ajoute que M. N. a payé spontanément les premières échéances à la place du débiteur et que son changement d'attitude envers la banque procède en réalité de la situation créée par le divorce de sa fille d'avec M. de R., lequel fournit son appui à son ex beau-père qui semble avoir renoncé à le poursuivre, de sorte que l'attestation qu'il a établie, constituant la pièce n° 53, doit être rejetée des débats ; que la documentation fournie conjointement par M. N. et son gendre sur la CMMN atteste de la parfaite connaissance qu'avait le premier de l'opération projetée, de la situation juridique du navire et de la situation comptable de cette compagnie ; que contrairement à ce qu'il soutient, M. N. a signé les actes de cautionnement et constitution de gage le 6 juin 2002, date à laquelle il les a transmis à la banque par télécopie, les originaux ayant été adressés ultérieurement ; qu'il était donc particulièrement bien informé de l'opération de financement eu égard à l'étroitesse des relations familiales qu'il y avait alors entre la caution et le cautionné et qu'il n'a pas fait de la capacité de son gendre à rembourser le prêt une condition de son engagement de caution qui est un cautionnement omnibus, c'est-à-dire garantissant toutes opérations et le remboursement de toute créance que la banque pourra acquérir contre le principal obligé ; qu'étant un professionnel avisé, parfaitement au courant des mécanismes de crédit et de ses garanties, il n'avait pas besoin d'être conseillé par le CFM ; qu'il n'a jamais démontré que la situation de M. de R. était irrémédiablement compromise ou lourdement obérée au moment où il s'est engagé ;

Attendu que M. N. réplique qu'il était client du CFM depuis 1989 et se faisait conseiller pour la gestion de son patrimoine personnel et le choix des placements ; que M. Sciarrino était le responsable de ses comptes et qu'il est venu avec M. G. au domicile des époux de R. N. fin mai 2002 afin de présenter les différentes pistes que le CFM pourrait envisager pour financer l'acquisition du bateau projetée par M. de R. ; qu'ainsi a été prise la décision d'accorder un prêt à ce dernier avec la garantie de son beau-père ; qu'il fait observer que la banque a mis à la disposition de M. de R. une avance d'un montant égal au prêt pour permettre le règlement du solde du prix du navire avant même la régularisation du contrat de prêt et du cautionnement et que ce n'est que le 25 novembre 2002 que le montant du prêt a été crédité au compte de M. de R. avec comme date de valeur le 15 novembre, conformément aux stipulations du contrat qui prévoyaient la mise à disposition des fonds après régularisation de la convention et constitution des garanties exigées, à savoir cautionnement solidaire et constitution de gage ; que cette régularisation est intervenue en octobre 2002, les actes régularisés ayant été transmis à la banque le 16 octobre ; qu'il en déduit que le CFM a manqué à son obligation d'information, de vigilance et de loyauté à son égard, ce qui justifie l'annulation du cautionnement ; qu'il demande en conséquence de cette annulation la condamnation du CFM à lui payer les sommes de 100.935,18 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 27 août 2003, 67.290,12 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 20 février 2004 et 459.781,64 avec intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2004, le tout avec anatocisme à compter du 9 février 2005, date de la demande, outre celle de 200.000 euros à titre de dommages-intérêts toutes causes de préjudice confondues ;

SUR CE

Sur l'irrecevabilité des conclusions déposées le 27 septembre 2012, relevée d'office après invitation aux parties à formuler leurs observations :

Attendu que l'arrêt de cassation ayant été rendu le 16 mars 2012 par la Cour de révision, les conclusions du 27 septembre 2012, déposées hors des délais prévus à l'article 459-3 du code de procédure civile, sont irrecevables ;

Sur l'irrecevabilité, invoquée par le CFM, des demandes formées par M. N. par conclusions du 15 mai 2012 :

Attendu que les demandes formées par M. N. au titre du remboursement des sommes payées en sa qualité de caution et en paiement de dommages-intérêts impliquent nécessairement une demande de confirmation partielle du jugement déféré en ce qu'il a accueilli la première et un appel de sa disposition rejetant ses autres prétentions ; que l'irrecevabilité invoquée ne sera donc pas retenue ;

AU FOND

Attendu qu'il est constant que le CFM ne pouvait ignorer les modalités d'acquisition du voilier projetée par M. de R., dès lors que, préalablement à l'ouverture dans ses livres d'un compte au nom de ce dernier et d'un compte au nom de la CMMN, sur lesquels les relevés produits ne font apparaître aucun dépôt à l'ouverture, il avait reçu communication, le 29 mai 2002, par un fax émanant de l'expert-comptable Debroux de Bruxelles, des statuts de cette compagnie et, par ailleurs, d'un projet de bilan de celle-ci au 25 mai 2002 et d'un bilan au 31 décembre 2001, pièces qu'il verse lui-même aux débats, à l'instar du compromis de vente du voilier par l'association Défi Aquitaine autour du monde à la CMMN en date du 21 avril 2002 ; qu'il n'est pas démontré que cette communication était l'œuvre conjointe de MM. de R. et N. ; qu'en ne soumettant à ce dernier que la convention de prêt dont il devait garantir le remboursement par un engagement de caution solidaire et une constitution de gage et en ne l'informant pas, sous prétexte de préservation du secret bancaire ou d'obligation de non ingérence, de l'identité de l'acquéreur du navire, de sorte qu'il le laissait dans l'ignorance du véritable bénéficiaire de l'opération qu'il cautionnait, tandis qu'il entendait garantir une acquisition d'un voilier par M. de R., alors son gendre, le CFM a commis une réticence dolosive sans laquelle M. N. n'aurait pas accordé sa garantie ; que cette seule circonstance justifie l'annulation du cautionnement consenti par lui ; qu'il apparaît en conséquence sans intérêt de rechercher s'il y a lieu d'écarter des débats les pièces n° 53 et 59 qui sont sans influence sur la solution du litige ou de rechercher si le CFM a en outre commis une faute engageant sa responsabilité en omettant de prendre une garantie réelle sur le navire ;

Sur la demande en paiement de dommages-intérêt de M. N. :

Attendu que M. N. réclame une somme de 200.000 euros en réparation du préjudice que lui aurait causé la nécessité de recourir à justice ;

Attendu qu'en recueillant le cautionnement de M. N. en lui dissimulant l'identité du véritable bénéficiaire de l'acquisition financée par le prêt ainsi garanti, le CFM a suscité des difficultés ayant contraint la caution à accomplir de multiples démarches pour assurer la défense de ses droits et lui a causé un préjudice moral et un préjudice matériel dont il convient d'ordonner la réparation par l'allocation de la somme de 50.000 euros ;

Sur la demande en paiement de dommages-intérêts du CFM :

Attendu que le CFM demande la condamnation de M. N. à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Attendu que la succombance du CFM justifie le rejet de cette demande et sa condamnation aux dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

ET CEUX NON CONTRAIRES DES PREMIERS JUGES

- Déclare irrecevables les conclusions déposées le 27 septembre 2012 au nom de M. N. ;

- Déclare recevables les demandes formées par M. N. par conclusions du 15 mai 2012 ;

- Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de cautionnement daté du 5 juillet 2002 entre J. N. et le Crédit foncier de Monaco et condamné ce dernier à payer à M. N. les sommes de 100.935,18 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 27 août 2003, de 67.290,12 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 20 février 2004 et de 459.781, 64 euros avec les intérêts à compter du 5 octobre 2004 et dit que les intérêts échus des capitaux dus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts à compter du jugement ;

- Condamne le Crédit foncier de Monaco à payer à M. N. la somme de 50.000 euros à. titre de dommages-intérêts ;

- Déboute le Crédit foncier de Monaco de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

- Le condamne aux dépens distraits au profit de maître Christine Palmero, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le neuf octobre deux mille douze, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Monsieur Jean APOLLIS, Premier-Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Cécile PETIT, conseiller, et Monsieur Charles BADI, conseiller, rapporteur, et Monsieur Jean-François RENUCCI, conseiller, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Béatrice BARDY, Greffier en Chef, chevalier de l'ordre de Saint-Charles.-

Le Greffier en Chef, le Premier Président,

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