Cour de révision, 30 mars 2011, S. c/ B.

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Abstract🔗

Procédure civile - Exceptions

- Exception de communication d'une traduction en langue française réalisée par un traducteur assermenté de documents en langue hébraïque ;

- Moyen fondé sur l'article 8 de la Constitution monégasque (le français étant la langue officielle) ;

- Rejet du moyen : absence de formalisme particulier, le requérant ayant produit lui-même une traduction en français concordant avec celle produite par la partie adverse.

Prérogative religieuse judaïque découlant du refus de délivrance du « gueth »

- Abus dans l'exercice du refus de délivrance

Compétence du juge civil

- Sans s'immiscer dans le domaine des convictions religieuses, pour constater que ce refus constitue au regard des règles du Code civil, un fait fautif générateur de préjudice justifiant réparation

Résumé🔗

Selon l'arrêt critiqué, M. S., de nationalité française, et Mme B., de nationalité marocaine, tous deux résidents monégasques, se sont mariés le 5 mai 1983 en mairie de Monaco ; que, de confession juive, ils se sont également mariés religieusement le 8 mai 1983 selon le rite israélite au cours d'une cérémonie à l'association culturelle israélite de Monaco ; que, sur demande de l'épouse, leur divorce a été prononcé aux torts exclusifs du mari par jugement du tribunal de première instance du 8 juillet 1999, confirmé par la Cour d'appel le 30 mai 2000 et devenu définitif ; que, par exploit d'assignation du 12 avril 2005, Mme B. a saisi le Tribunal de première instance de diverses demandes, notamment celle tendant au paiement, par son ex-mari, de dommages et intérêts pour abus du droit de refuser la délivrance du « gueth » ; que, par jugement rendu le 26 mars 2009 sous le numéro R 3618, le tribunal a, notamment, constaté que M. S. avait renoncé à exiger la production du passeport de Mme B., du passeport de R. T. et des habilitations éventuelles de celui-ci à exercer les fonctions de traducteur en Israël, débouté M. S. de son exception relative à la traduction des pièces rédigées en hébreu, déclaré irrecevable la demande de Mme B. tendant à ce que M. S. soit contraint de saisir le tribunal rabbinique de Paris, condamné M. S. à payer à Mme B. la somme de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts et débouté M. S. de sa demande reconventionnelle en paiement de 10 000 euros ; que, par arrêt rendu le 8 juin 2010 sous le numéro R 5014, la Cour d'appel a rejeté les exceptions de nullité soulevées par les parties et confirmé le jugement ;

Sur le premier moyen :

M. S. reproche à la Cour d'appel d'avoir rejeté son exception de communication d'une traduction en langue française, réalisée par un traducteur assermenté, de documents rédigés en langue hébraïque produits par Mme B., en retenant que la traduction en langue française des pièces produites par les parties dans une instance n'est pas soumise à un formalisme particulier, de plus, M. S. ne conteste pas la fidélité de la traduction de ces documents qu'il utilise dans ses écritures judiciaires pour les besoins de son argumentation, qu'il produit lui-même une traduction en français de ces mêmes documents, à savoir une décision rendue par les juridictions d'Israël, qui est parfaitement concordante avec la traduction produite par son ex-épouse, qu'il bénéficie donc d'un procès parfaitement équitable, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article 8 de la constitution, la langue officielle de l'État, qui est donc la seule qui ait cours devant les tribunaux, est la langue française et qu'à défaut de la traduction demandée, le procès n'a pas été équitable à son égard et qu'en jugeant le contraire, la Cour d'appel a violé l'article 8 de la constitution de la Principauté de Monaco du 17 décembre 1962, révisée par la loi n° 1.249 du 2 avril 2002, ensemble le principe du contradictoire et l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés ;

Mais c'est sans encourir les griefs visés au moyen que la Cour d'appel a justifié sa décision par les motifs qui lui sont reprochés ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen ;

M. S. fait enfin grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il le condamne à payer à Mme B. la somme de 75000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de son droit de ne pas délivrer le « gueth », alors, selon le moyen, qu'il est de principe en droit que le juge national civil ne peut en aucun cas sanctionner le non-respect d'une règle à caractère religieux et qu'en se déterminant comme elle a fait, la Cour d'appel a violé les articles 9 et 23 de la constitution monégasque du 17 décembre 1962 révisée par la loi n° 1.249 du 2 avril 2002 et n'a donné ni motif ni base légale à sa décision ;

Mais tout abus dans l'exercice d'un droit peut être constitutif d'une faute civile ; ayant exactement relevé qu'en retenant la responsabilité civile de M. S. le tribunal ne s'était pas livré à une appréciation des motifs religieux pour lesquels la délivrance du « gueth » était refusée, puis énoncé que, sans s'immiscer dans le domaine des convictions religieuses, le juge civil peut en effet constater de façon objective que l'exercice d'une prérogative religieuse comme le refus de délivrance du « gueth » constitue au regard des règles du Code civil un fait générateur de préjudice qui oblige celui par la faute duquel il est survenu à le réparer, sans pour autant se livrer à une appréciation des motifs du refus, la Cour d'appel a pu retenir que M. S. avait abusé de son droit de ne pas délivrer le « gueth », que cet abus résultait à l'évidence de la résistance obstinée de celui-ci pendant plusieurs années malgré les recommandations qui lui ont été adressées par les autorités rabbiniques et les décisions des juridictions rabbiniques qui ont eu à connaître de ce litige, que le préjudice invoqué par Mme B. résulte de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de contracter une nouvelle union conforme à ses convictions religieuses et que cette situation lui occasionne un préjudice très important en raison de la violence morale qu'elle subit ; que la Cour d'appel a encore retenu, par motifs adoptés de ceux des premiers juges, qu'en fait le seul but de M. S. était de poursuivre une vindicte à l'égard de Mme B. à la suite du divorce prononcé à ses torts exclusifs ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, la Cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé.


Motifs🔗

Pourvoi N° 2011-06 en session

Civile

COUR DE REVISION

ARRET DU 30 MARS 2011

En la cause de :

- Monsieur m. SE., né le 7 octobre 1958 à TUNIS (TUNISIE), de nationalité française, demeurant X à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit-avocat défenseur ;

Demandeur en révision,

d'une part,

Contre :

- Madame c. BI., née le 24 août 1958 à MARRAKECH (MAROC), de nationalité marocaine, demeurant Résidence X à MONACO ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Olivier MANTUCHANSKY, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Défenderesse en révision,

d'autre part,

LA COUR DE REVISION,

VU :

- l'arrêt rendu le 8 juin 2010 (R. 5013) par la Cour d'appel, signifié le 15 septembre 2010 ;

- la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le 14 octobre 2010, par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de M. m. SE., signifiée le même jour ;

- le récépissé délivré par la Caisse des Dépôts et Consignations sous le n°39954, en date du 14 octobre 2010, attestant du dépôt par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom du demandeur, de la somme destinée à assurer le paiement de l'amende éventuelle prévue par la loi ;

- la requête, accompagnée 14 pièces, déposée le 15 novembre 2010 au greffe général, par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de M. m. SE., signifiée le même jour ;

- la contre-requête, accompagnée 5 pièces, déposée le 13 décembre 2010 au greffe général, par Mâitre Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de Mme c. BI., signifiée le même jour ;

- le certificat de clôture établi le 10 janvier 2011, par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

- les conclusions du Ministère Public en date du 11 janvier 2011 ;

Ensemble le dossier de la procédure,

A l'audience du 29 mars 2011 sur le rapport de Monsieur Jean-Pierre DUMAS, conseiller,

Après avoir entendu les conseils des parties ;

Ouï Monsieur le Procureur Général;

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Attendu, selon l'arrêt critiqué, que M. S. de nationalité française, et Mme B. de nationalité marocaine, tous deux résidents monégasques, se sont mariés le 5 mai 1983 en mairie de Monaco ; que, de confession juive, ils se sont également mariés religieusement le 8 mai 1983 selon le rite israélite au cours d'une cérémonie à l'association cultuelle israélite de Monaco ; que, sur demande de l'épouse, leur divorce a été prononcé aux torts exclusifs du mari par jugement du tribunal de première instance du 8 juillet 1999, confirmé par la Cour d'appel le 30 mai 2000 ; qu'en 2003, Mme B. a saisi une juridiction rabbinique de l'État d'Israël afin que M. S. lui délivre un acte de répudiation appelé « gueth », lui permettant de retrouver la liberté de se remarier religieusement et qu'en outre il soit mis à la charge de celui-ci une pension alimentaire ; que, dans le cadre de cette procédure, M. S., qui se trouvait momentanément en Israël avec les deux enfants du couple depuis le 5 avril 2004, s'est vu notifier une interdiction de quitter ce pays où il a été contraint de demeurer jusqu'à un arrêt rendu par la Cour suprême d'Israël le 29 novembre 2004, soit pendant près de huit mois ; que, par exploit d'huissier du 21 octobre 2004, il a fait assigner son ex-épouse devant le tribunal de première instance de Monaco afin que celle-ci soit condamnée, avec exécution provisoire, à lui payer la somme de 1 00 00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui lui aurait été causé par l'atteinte à sa liberté de circuler ainsi qu'aux conditions d'exercice de son droit de garde et de ses obligations à l'égard des deux enfants communs et qu'elle soit condamnée en outre, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, à retirer les demandes introduites devant la juridiction rabbinique afin de lui permettre de recouvrer sa liberté de circuler ; que, par jugement prononcé le 26 mars 2009 sous le numéro R3619, le tribunal a débouté M. S. de sa demande de production de pièces, constaté que M. S. avait valablement renoncé à sa demande tendant à contraindre Mme B. à renoncer à l'action introduite devant les juridictions israéliennes, s'est déclaré compétent pour connaître de l'action indemnitaire de M. S., a débouté celui-ci de ses demandes et l'a condamné à payer à Mme B. la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de procédure ; que, par arrêt rendu le 8 juin 2010 sous le numéro R 5013, la Cour d'appel a rejeté les exceptions de procédure soulevées par les parties en cause d'appel, confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et condamné M. S. à payer à Mme B. la somme de 8 000 euros pour appel abusif ; que M. S. s'est pourvu en révision contre cet arrêt ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. S. reproche à la Cour d'appel d'avoir rejeté son exception de communication de pièces accompagnées d'une « traduction jurée » soulevée en première instance comme en appel, aux motifs qu'ainsi que l'a exactement retenu le tribunal, la traduction en langue française des pièces produites par les parties dans une instance n'est pas soumise à un formalisme particulier, que, de plus, M. S. ne conteste pas la fidélité de la traduction de ces documents qu'il utilise dans ses écritures judiciaires pour les besoins de son argumentation, qu'il produit lui-même une traduction en français de ces mêmes documents, à savoir une décision rendue par les juridictions d'Israël, qui est parfaitement concordante avec la traduction produite par son ex-épouse, qu'il bénéficie donc d'un procès parfaitement équitable, alors, selon le moyen, que suivant l'article 8 de la constitution, la langue officielle de l'État, qui est donc la seule qui ait cours devant les tribunaux, est la langue française, qu'à défaut de la traduction demandée, le procès n'a pas été équitable à son égard et qu'en jugeant le contraire, la Cour d'appel a violé l'article 8 de la constitution de la Principauté de Monaco du 17 décembre 1962, révisée par la loi n° 1249 du 2 avril 2002, ensemble le principe « du contradictoire » et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que c'est sans encourir les griefs du moyen que la Cour d'appel a justifié sa décision par les motifs qui lui sont reprochés ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que M. S. fait encore grief à la Cour d'appel d'avoir rejeté « l'exception » qu'il a soulevée en cause d'appel tendant à voir constater qu'il n'avait jamais renoncé, contrairement à ce que les premiers juges ont cru devoir estimer, à la demande qu'il avait formée en première instance qui tendait à obtenir la production de copies de passeports et de documents administratifs par son ex-épouse, aux motifs que « C'est également à bon droit que le tribunal a constaté que dans ses dernières conclusions S. ne soutenait plus sa demande tendant à la communication de passeports, qui au demeurant n'a pas été jugée utile aux débats par les premiers juges », alors, selon le moyen, que, comme il l'avait fait observer dans son exploit d'appel et d'assignation, l'examen des écritures judiciaires déposées par lui devant le tribunal de première instance ne faisait apparaître aucune renonciation explicite ou expresse à cette demande, qu'il n'avait pas renoncé, dans ses dernières conclusions, aux moyens soulevés dans ses conclusions antérieures et qu'en statuant comme elle a fait, la Cour d'appel a violé l'article 199-4° du Code civil et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'ayant souverainement estimé, par motifs propres et adoptés, que les documents en discussion n'étaient pas utiles aux débats, la Cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que M. S. reproche en outre à la Cour d'appel d'avoir violé l'article 199-4 du Code de procédure civile, de ne pas avoir répondu à ses moyens et de n'avoir pas donné de base légale à sa décision en le déboutant de sa demande de dommages et intérêts fondée sur le comportement fautif de Mme B., caractérisé par l'engagement d'une procédure abusive et vexatoire par cette dernière en Israël sur la base de fausses allégations qui ont eu pour effet de le priver momentanément de sa liberté d'aller et venir ;

Mais attendu qu'interprétant l'arrêt de la Cour suprême d'Israël en ce sens qu'il n'avait pas condamné Mme B. pour avoir abusivement fait comparaître M. S. devant les juridictions rabbiniques de ce pays et retenu que ce dernier avait lui-même admis la compétence des juridictions rabbiniques d'Israël devant lesquelles il avait déclaré accepter de se présenter, que Mme B. n'avait pas utilisé de procédés déloyaux pour que M. S. comparaisse devant un tribunal rabbinique d'Israël, et qu'enfin la mesure de rétention sur le territoire d'Israël prise par les juridictions rabbiniques du premier degré l'avait été d'autorité et non à la demande de Mme B., la Cour d'appel a pu décider que celle-ci n'avait pas commis de faute ; que le moyen n'est pas fondé

Mais sur le troisième moyen :

Vu l'article 1229 du Code civil

Attendu que, pour condamner M. S. à payer à Mme B. la somme de 8.000 euros pour appel abusif, l'arrêt retient qu'en raison de l'appel téméraire interjeté par M. S., Mme B. a subi un préjudice résultant des tracas de la procédure ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser les circonstances qui rendent l'exercice de la voie de recours fautif et répréhensible, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Sur la demande indemnitaire :

Attendu que Mme B. sollicite la condamnation de M. S. à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 459-4 du Code de procédure civile ;

Attendu que cette demande est justifiée par les frais que Mme B. a du exposer pour assurer sa défense au pourvoi ; qu'il y a lieu de l'accueillir à hauteur de 3000 euros ;

Et sur la condamnation à l'amende :

Vu l'article 459-4 du Code procédure civile

Attendu que compte tenu des circonstances de l'affaire relevées ci-dessus, il n'y a pas lieu de dispenser M. S. de la condamnation à l'amende ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

– Casse et annule l'arrêt déféré, mais seulement en ce qu'il condamne M. S. à payer la somme de 8.000 euros à Mme B. à titre de dommages et intérêts pour appel abusif ;

– Renvoie la cause et les parties à la prochaine session utile de la Cour de révision autrement composée ;

– Condamne M. S. à payer la somme de 3.000 euros à Mme B. sur le fondement de l'article 459-4 du Code procédure civile ;

– Le condamne à une amende de 300 euros ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de Maître Étienne LÉANDRI, avocat défenseur sous sa due affirmation.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé le trente mars deux mille onze, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Monsieur Jean APOLLIS, Premier-Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Jean-Pierre DUMAS, conseiller, rapporteur et Monsieur Charles BADI, conseiller, en présence du Ministère Public, assistés de Madame Béatrice BARDY, Greffier en Chef, chevalier de l'ordre de Saint-Charles.-

Le Greffier en Chef, le Premier Président,

Note🔗

NOTE : Cet arrêt rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 8 juin 2010 par la Cour d'appel.

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