Cour de révision, 25 novembre 2010, S. c/ L.

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Abstract🔗

Juge tutélaire - Saisine par la mère des enfants qui demeurent à Monaco avec leur père aux fins d'exercice de son droit de visite et d'hébergement et d'ordonnancement d'une mesure d'enquête ou d'expertise - Exception d'incompétence soulevée par le père au motif de l'existence d'une clause attributive de compétence au profit d'un tribunal ukrainien - Rejet de cette exception, en vertu de la Convention de la Haye du 19 octobre 1996 ratifiée par Monaco et l'Ukraine donnant la faculté de retenir la compétence du juge tutélaire monégasque en raison de la nécessité de faire effectuer des enquêtes psychologiques et sociales dans leur environnement familial, scolaire et social actuel.

Résumé🔗

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches ;

Selon l'arrêt critiqué, M. S. et Mme L., tous deux de nationalité israélienne, se sont mariés en Ukraine ; que, de leur union sont nés en Israël deux enfants, S. et S., le 24 avril 1998 ; que, courant 2000, la famille s'est installée en Ukraine ; qu'envisageant de divorcer, les époux ont signé le 12 avril 2007, conformément au droit ukrainien, une « convention de mariage » dont l'objet était de régler les conséquences du divorce sur leurs biens et sur leurs droits et obligations à l'égard de leurs enfants ; que le divorce a été prononcé le 13 avril 2007 par un tribunal ukrainien ; que, le 17 août 2007, le même tribunal a retiré l'autorité parentale à la mère et annulé les stipulations de la convention du 12 avril 2007 concernant les rapports de la mère et des enfants ; que Mme L. a sollicité du juge tutélaire monégasque un droit de visite et d'hébergement, ainsi que des mesures d'enquête ou d'expertise ; que le juge tutélaire a, notamment, rejeté l'exception d'incompétence territoriale au profit du tribunal ukrainien de Dnipropetrovsk, soulevée par M. S. ; que par arrêt du 6 avril 2010, la Cour d'appel de Monaco a, notamment, confirmé la décision du juge tutélaire relative à la compétence ;

M. S. reproche à l'arrêt de statuer comme il fait, alors, selon le pourvoi, de première part, qu'une clause claire et précise doit recevoir application sans que le juge puisse, sous couvert d'interprétation, la modifier ou l'écarter ; que le contrat de mariage stipulait que « la juridiction territoriale et internationale compétente pour les questions découlant de ce contrat (...) est la juridiction d'Ukraine » ; qu'en retenant que la clause du contrat de mariage du 12 avril 2007 invoquée par M. S. comme fondant la compétence du juge ukrainien était obscure et devait être interprétée en ce sens qu'elle désignait la loi ukrainienne et non le juge ukrainien, la cour d'appel a méconnu la loi des parties et a violé l'article 989 du Code civil ; alors, de deuxième part, que pour écarter la clause de compétence, la Cour d'appel a énoncé que le contrat la prévoyant avait été annulé par le jugement ukrainien du 17 août 2007 ; que cette décision a annulé certaines dispositions du contrat de mariage, mais par l'article 1, relatif à la compétence juridictionnelle ; qu'en retenant que le jugement du 17 août 2007 avait annulé la clause attributive de juridiction, la Cour d'appel a méconnu cette décision et violé l'article 989 du Code civil ; et alors, de troisième part, que les clauses attributives de juridiction sont valables sauf si elles sont en contradiction avec une règle d'ordre public conférant la compétence territoriale exclusive aux juridictions de la Principauté ; qu'il ressort de la convention de La Haye du 19 octobre 1996 rendue applicable à Monaco par ordonnance souveraine du 2 avril 2004, que si le juge en principe compétent pour statuer sur les mesures concernant les enfants est le juge de l'État de leur résidence habituelle (article 5), il peut être reconnu compétence au juge d'un autre État, s'il apparaît mieux à même d'apprécier l'intérêt supérieur de l'enfant (article 8) ; qu'il ressort de cette disposition, qui admet la compétence éventuelle d'un juge autre que celui de l'État de résidence, que la compétence du juge de l'État de la résidence n'a rien d'exclusif ; qu'en retenant que la clause attributive de juridiction convenue par les parties était contraire à la loi monégasque en tant qu'elle faisait obstacle à une compétence exclusive, la Cour d'appel a violé les articles 5 et 8 de la convention de La Haye du 19 octobre 1996, ensemble les articles 3 al 2 et 831 du Code de procédure civile ;

Mais, de première part, la Cour d'appel n'a pas constaté que le contrat prévoyant la clause de compétence avait été annulé par le jugement ukrainien du 17 août 2007, mais a retenu que les dispositions concernant l'autorité parentale et les visites de la mère ont été, en l'absence de celle-ci, toutes annulées par le jugement du 17 août 2007 du tribunal de Dnipropetrovsk ;

De deuxième part, la Cour d'appel n'a pas énoncé que la clause attributive de juridiction convenue par les parties était contraire à la loi monégasque en tant qu'elle faisait obstacle à une compétence exclusive, mais, après avoir rappelé la compétence exclusive de la juridiction tutélaire comme règle de droit interne monégasque destinée seulement à régler les conflits de compétence au sein de la Principauté, a retenu que, sur le plan international, la convention de La Haye, ratifiée tant par Monaco que par l'Ukraine, lui permettait de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par M. S. ;

Enfin, l'arrêt retient, par une motivation non critiquée, que, sur le plan international, la convention de La Haye lui donnait la faculté de retenir la compétence du juge tutélaire monégasque en lieu et place du juge ukrainien choisi par les parties, dès lors que l'intérêt des enfants justifiait cette compétence, cet intérêt tenant à des raisons pratiques évidentes, à savoir la nécessité de faire effectuer des enquêtes psychologiques et sociales dans leur environnement familial, scolaire et social actuel ;

D'où il suit qu'abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué dans la première branche, la Cour d'appel a légalement justifié sa décision.


Motifs🔗

Pourvoi N° 2010-46 Hors Session

Civile

COUR DE RÉVISION

ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2010

En la cause de :

- Monsieur v. SH., né le 27 avril 1960 à LASOURKA (Russie), de nationalité israélienne, président du conseil des directeurs des sociétés, demeurant X, X à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel et ayant Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Nice et Maître Zeev WELNER, avocat au barreau d'Israël comme avocats plaidant ;

Demandeur en révision,

d'une part,

Contre :

- Madame n. LO., née le 3 septembre 1973 à KRIVOY ROG (Ukraine), de nationalité israélienne, sans profession, demeurant X, Suisse ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel ;

Défenderesse en révision,

d'autre part,

LA COUR DE REVISION,

Statuant hors session et uniquement sur pièces, en application des dispositions des articles 445 et 446 du Code de procédure civile ;

VU :

- l'arrêt rendu le 9 mars 2010 par la Cour d'Appel, statuant en Chambre du Conseil sur appel d'une ordonnance du Juge Tutélaire, notifié le 10 mars 2010 ;

- la déclaration de pourvoi souscrite au greffe général, le le 6 avril 2010, par Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de v. SH. ;

- le récépissé délivré par la Caisse des Dépôts et Consignations sous le n° 39190, en date du 30 mars 2010, attestant de la remise par Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de v. SH., de la somme de 300 euros au titre de l'amende éventuelle prévue par la loi ;

- la Requête déposée au Greffe Général, le 29 avril 2010, par Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de v. SH., accompagnée de 10 pièces, signifiée le même jour ;

- la contre requête, déposée au Greffe Général le 31 mai 2010, par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de n. LO. divorcée SH., accompagnée de 28 pièces, signifiée le même jour ;

- le certificat de clôture établi le 6 septembre 2010, par le Greffier en Chef attestant que tous les délais de la loi sont expirés ;

- les conclusions du ministère public en date du 9 septembre 2010 ;

Ensemble le dossier de la procédure,

Sur le rapport de Monsieur Jean-Pierre DUMAS, conseiller,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu, selon l'arrêt critiqué, que M. S. et Mme L., tous deux de nationalité israélienne, se sont mariés en Ukraine ; que, de leur union sont nés en Israël deux enfants, S. et S., le 24 avril 1998 ; que, courant 2000, la famille s'est installée en Ukraine ; qu'envisageant de divorcer, les époux ont signé le 12 avril 2007, conformément au droit ukrainien, une « convention de mariage » dont l'objet était de régler les conséquences du divorce sur leurs biens et sur leurs droits et obligations à l'égard de leurs enfants ; que le divorce a été prononcé le 13 avril 2007 par un tribunal ukrainien ; que, le 17 août 2007, le même tribunal a retiré l'autorité parentale à la mère et annulé les stipulations de la convention du 12 avril 2007 concernant les rapports de la mère et des enfants ; que Mme L. a sollicité du juge tutélaire monégasque un droit de visite et d'hébergement, ainsi que des mesures d'enquête ou d'expertise ; que le juge tutélaire a, notamment, rejeté l'exception d'incompétence territoriale au profit du tribunal ukrainien de Dnipropetrovsk, soulevée par M. S. ; que par arrêt du 6 avril 2010, la Cour d'appel de Monaco a, notamment, confirmé la décision du juge tutélaire relative à la compétence ;

Attendu que M. S. reproche à l'arrêt de statuer comme il fait, alors, selon le pourvoi, de première part, qu'une clause claire et précise doit recevoir application sans que le juge puisse, sous couvert d'interprétation, la modifier ou l'écarter ; que le contrat de mariage stipulait que «  la juridiction territoriale et internationale compétente pour les questions découlant de ce contrat (...) est la juridiction d'Ukraine » ; qu'en retenant que la clause du contrat de mariage du 12 avril 2007 invoquée par M. S. comme fondant la compétence du juge ukrainien était obscure et devait être interprétée en ce sens qu'elle désignait la loi ukrainienne et non le juge ukrainien, la Cour d'appel a méconnu la loi des parties et a violé l'article 989 du Code civil ; alors, de deuxième part, que pour écarter la clause de compétence, la Cour d'appel a énoncé que le contrat la prévoyant avait été annulé par le jugement ukrainien du 17 août 2007 ; que cette décision a annulé certaines dispositions du contrat de mariage, mais par l'article 1, relatif à la compétence juridictionnelle ; qu'en retenant que le jugement du 17 août 2007 avait annulé la clause attributive de juridiction, la Cour d'appel a méconnu cette décision et violé l'article 989 du Code civil ; et alors, de troisième part, que les clauses attributives de juridiction sont valables sauf si elles sont en contradiction avec une règle d'ordre public conférant la compétence territoriale exclusive aux juridictions de la Principauté ; qu'il ressort de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 rendue applicable à Monaco par ordonnance souveraine du 2 avril 2004, que si le juge en principe compétent pour statuer sur les mesures concernant les enfants est le juge de l'État de leur résidence habituelle (article 5), il peut être reconnu compétence au juge d'un autre État, s'il apparaît mieux à même d'apprécier l'intérêt supérieur de l'enfant (article 8) ; qu'il ressort de cette disposition, qui admet la compétence éventuelle d'un juge autre que celui de l'État de résidence, que la compétence du juge de l'État de la résidence n'a rien d'exclusif ; qu'en retenant que la clause attributive de juridiction convenue par les parties était contraire à la loi monégasque en tant qu'elle faisait obstacle à une compétence exclusive, la Cour d'appel a violé les articles 5 et 8 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, ensemble les articles 3 al 2 et 831 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, de première part, que la Cour d'appel n'a pas constaté que le contrat prévoyant la clause de compétence avait été annulé par le jugement ukrainien du 17 août 2007, mais a retenu que les dispositions concernant l'autorité parentale et les visites de la mère ont été, en l'absence de celle-ci, toutes annulées par le jugement du 17 août 2007 du tribunal de Dnipropetrovsk ;

Attendu, de deuxième part, que la Cour d'appel n'a pas énoncé que la clause attributive de juridiction convenue par les parties était contraire à la loi monégasque en tant qu'elle faisait obstacle à une compétence exclusive, mais, après avoir rappelé la compétence exclusive de la juridiction tutélaire comme règle de droit interne monégasque destinée seulement à régler les conflits de compétence au sein de la Principauté, a retenu que, sur le plan international, la Convention de La Haye, ratifiée tant par Monaco que par l'Ukraine, lui permettait de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par M. S. ;

Attendu, enfin, que l'arrêt retient, par une motivation non critiquée, que, sur le plan international, la Convention de La Haye lui donnait la faculté de retenir la compétence du juge tutélaire monégasque en lieu et place du juge ukrainien choisi par les parties, dès lors que l'intérêt des enfants justifiait cette compétence, cet intérêt tenant à des raisons pratiques évidentes, à savoir la nécessité de faire effectuer des enquêtes psychologiques et sociales dans leur environnement familial, scolaire et social actuel ;

D'où il suit qu'abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué dans la première branche, la Cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Sur la demande de paiement de la somme de 10.000 euros pour procédure abusive, présentée par Mme L. :

Attendu qu'en formant un pourvoi en cassation, M. S. n'a fait qu'user normalement d'une voie de droit qui lui est reconnue par la loi ; qu'il n'y a donc pas lieu d'accueillir la demande de Mme L. ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

– Rejette le pourvoi ;

– Rejette la demande de paiement de la somme de 10.000 euros présentée par Mme L. ;

– Condamne M. S. à une amende de 300 euros, ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat défenseur, sous sa due affirmation.

Composition🔗

Ainsi délibéré et jugé le vingt-cinq novembre deux mille dix, par la Cour de Révision de la Principauté de Monaco, composée de Monsieur Jean APOLLIS, Premier-Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Jean-Pierre DUMAS, rapporteur, Madame Cécile PETIT et Monsieur Guy JOLY, Conseillers.

Et Monsieur Jean APOLLIS, Premier Président, a signé avec Madame Béatrice BARDY, Greffier en Chef.-

Le Greffier en Chef, le Premier Président.

Note🔗

Cet arrêt rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 9 mars 2010 par la Cour d'appel statuant en chambre du Conseil sur appel d'une ordonnance du juge tutélaire.

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