Cour de révision, 6 octobre 2004, S. c/ D.P.

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Abstract🔗

Divorce

Torts exclusifs d'un conjoint - Preuve de l'abandon de l'épouse : « piège à la preuve » - propos excusables de l'épouse

Conséquences financières

Pension alimentaire : fixée en fonction des ressources respectives des parties - Dommages-intérêts pour préjudice : article 206 du Code civil


Motifs🔗

La Cour de révision,

Attendu qu'après cassation par arrêt du 15 mars 2004, d'un arrêt de la Cour d'appel du 29 juillet 2003 en ce qu'il a prononcé, aux torts réciproques des deux époux, le divorce de P. S. et de D. P., sans avoir recherché si le comportement fautif-du mari, qu'elle a caractérisé, n'était pas de nature à excuser les torts de la femme, la Cour se trouve saisie de cette question, et par voie de conséquence, du problème du droit ou non de P. S. d'obtenir une pension alimentaire et le cas échéant des dommages-intérêts ;

Sur la répartition des torts :

Attendu que, tant par conclusions initiales que par conclusions additionnelles postérieures à la cassation, P. S. s'est déclarée victime d'injures graves ; qu'en effet son mariage, heureux jusqu'à la fin 1997, aurait, dès lors, été troublé par l'infidélité de son mari, lequel aurait abandonné le domicile conjugal pour la maison de campagne du ménage, où il aurait interdit à sa femme et leurs enfants de l'accompagner, ne s'occupant plus des enfants du foyer, engendrant un désaccord source de scènes et de violences faisant savoir à ses amis qu'il ne voulait plus de sa femme et ayant, un jour de discussion, exercé des brutalités sur elle ; qu'elle soutient, donc, que c'est aux seuls torts de son mari que le divorce aurait dû être prononcé ;

Attendu de son côté que D. P. soutient que c'est aux seuls torts de sa femme qu'il aurait fallu prononcer le divorce ; que sans nier être allé vivre dans la résidence secondaire du ménage, il a soutenu qu'il ne s'était comporté ainsi que sur les insistances de sa femme ; qu'il fait état des propres déclarations de celle-ci à un huissier venu faire, le 23 décembre 1998 à la demande du mari un constat en vue de prouver qu'il n'avait pas quitté le domicile conjugal, selon lesquelles elle refusait désormais de vivre avec lui. Qu'il prétend, aussi, qu'elle aurait entretenu, pendant son absence, des relations extra-conjugales ;

Attendu que pour apprécier les torts respectifs des époux, il appartient à la Cour de rechercher la chronologie des faits allégués comme griefs et d'examiner, de part et d'autre, la crédibilité des preuves avancées ;

Attendu que des éléments de la procédure apparaît ce qui suit :

Qu'après de dernières vacances familiales à la campagne, D. P., croupier au Casino, est rentré de plus en plus tard chez lui : que les rapports se sont alors aigris entre les deux époux ; qu'il a été vu par un témoin à Nice en compagnie d'une femme dans une attitude ne laissant pas de doute sur la nature de leurs rapports. Que c'est à cette époque que D. P. s'est établi dans sa maison de campagne et a interdit à sa femme et à ses enfants de l'y rejoindre et, à cette époque aussi, qu'il a fait mettre à son nom seul le compte joint qu'il avait avec sa femme et fait annuler et fait virer sur son compte personnel les sommes inscrites sur ceux de ses enfants mineurs ;

Que dans le même temps, il faisait des déclarations à ses amis, comme quoi il ne voulait plus vivre avec son épouse ni avoir avec elle de rapports physiques. Que ces déclarations correspondent exactement à celles, rapportées par sa femme, à un huissier venu, à sa demande, constater, le 17 novembre 1998 au domicile conjugal non seulement qu'il n'y était plus mais qu'il avait déménagé l'essentiel de ses affaires ;

Qu'entre temps P. S. avait fait constater par un médecin, le 19 octobre 1998, des traces de violences exercées sur elle. Qu'aussi bien, introduisait-elle, le 23 novembre 1998, une requête aux fins de séparation de corps, suivie d'une requête en divorce, tant pour abandon de domicile conjugal que pour violences ; qu'un certificat médical atteste qu'elle est alors tombée en dépression ;

Qu'il apparaît que, de son côté, D. P. s'organisait des preuves. Qu'il réintégrait très temporairement la maison familiale et convoquait un huissier pour le 23 décembre 1998 au matin. Que le recevant en pyjama auprès du canapé défait de la salle de séjour, il lui déclarait, sa présence étant censée prouver qu'il n'avait pas abandonné le domicile conjugal, qu'il couchait là parce que sa femme ne voulait plus de lui, quant à elle, elle confirmait qu'elle jugeait inacceptable de dormir avec quelqu'un lui ayant dit ne plus rien ressentir pour elle et ajoutait, à la fin, « ça fait deux ans qu'il me dit qu'il voudrait partir, qu'il est bien tout seul à Sospel » ;

Attendu qu'eu égard aux circonstances dans lesquelles ils ont été prononcés, la Cour ne saurait considérer comme torts inexcusables de tels propos tenus par une femme abandonnée par son mari, de ce fait dépressive, et s'estimant en raison de la mise en scène organisée par lui, victime de sa part d'un « piège à la preuve », alors qu'il n'était là que pour la circonstance et l'avait rejetée, lui, depuis plus de deux ans ;

Qu'en ce qui concerne le grief d'adultère avancé par le mari, c'est avec raison que les premiers juges l'ont écarté, dès lors qu'il ne repose que sur une attestation imprécise dénuée de valeur probante ;

D'où il suit que le divorce doit être prononcé aux torts exclusifs du mari ;

Sur les conséquences financières du divorce :

Attendu que P. S. fait valoir que sa situation financière a été profondément bouleversée par le divorce ; qu'elle a dû tenter une réinsertion professionnelle en ouvrant une nouvelle boutique de coiffure pour laquelle elle a dû emprunter beaucoup et que les loyers tant de son local professionnel que de son habitation absorbent l'intégralité de ce qu'elle parvient à gagner ; qu'elle réclame donc une pension alimentaire égale à celle qu'elle avait obtenue pour la période de la procédure du divorce avec un arriéré correspondant aux sommes non versées pour cette période ; qu'elle réclame, aussi, pour le préjudice moral et matériel lié aux circonstances comme à la procédure qu'elle a été obligée d'engager, une indemnité de 15 244,90 euros ;

Attendu que D. P. soutient que P. S. occulte ses sources de revenus réels « ainsi qu'elle a coutume de le faire depuis, à tout le moins, le début de la procédure de divorce », et même avant, puisqu'elle lui en aurait caché le montant réel depuis 1988, donc dès dix ans avant le divorce. Il soutient également qu'elle aurait touché 485 000 francs pour la cession de son ancien fonds de commerce ; il déclare, enfin, n'avoir pas interrompu jusqu'au divorce prononcé, les versements à son ex-femme de la pension alimentaire qui lui était due ;

Attendu qu'une pension alimentaire doit être fixée en fonction des ressources du débiteur et de celles du créancier ;

Que la Cour a des éléments suffisants pour fixer à la somme mensuelle de 1 000 euros, à indexer sur l'indice du coût de la vie, la pension alimentaire que D. P. devra verser à P. S ; et ce à compter de la présente décision ;

Attendu que P. S. ayant subi préjudice du fait des agissements de son mari, des problèmes matériels qu'elle a rencontrés avec les aléas de la procédure et de l'état de dépression, prouvé médicalement qui en est résulté, la Cour fixe à 5 000 euros l'indemnité due à P. S. au titre de l'article 206-24 du Code civil ;

Dispositif🔗

M. M. Jouhaud, prem. prés. rap. ; Apollis, v. prés. ; Cavellat-Delaroche, cons. ; Serdet, proc. gén. ; Mes Escaut, Pastor-Bensa, av. déf. ; Lavagna-Bouhnik, av.

Composition🔗

PAR CES MOTIFS,

- La Cour réformant le jugement du Tribunal de première instance du 20 décembre 2001 en ce que c'est aux torts réciproques des deux époux qu'il a prononcé le divorce des époux P. S.,

- Le déclare aux torts de D. P. ;

- Dit que celui-ci est redevable envers son ex-épouse d'une pension alimentaire mensuelle de 1 000 euros à indexer sur le coût de la vie, et ce, à compter de la présente décision ;

- Déboute D. P. de ses fins et conclusions ;

- Le condamne envers P. S. au paiement d'une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 206-24 du Code civil ;

- Met les frais à la charge de D. P.

Note🔗

Après avoir cassé et annulé partiellement, par arrêt du 15 mars 2004, l'arrêt de la Cour d'appel rendu le 19 juillet 2003, la Cour de révision a jugé au fond cette affaire.

L'analyse qu'elle donne des faits pour retenir des torts exclusifs de l'un des époux apparaît intéressante dans son contexte.

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