Cour de révision, 27 juin 2000, D. R. c/ D.

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Abstract🔗

Extradition

Convention franco-monégasque du 11 mai 1992 - Principe de spécificité - Modification de qualification de l'infraction visée par l'extradition - Infraction substituée, non punissable dans l'État requis. Violation de la convention : nouvelle infraction insusceptible de poursuites

Procédure pénale

Prescription - Point de départ retardé - Date d'apparition du délit, fixée par le juge à défaut violateur de la loi (recours en révision)

Résumé🔗

Après avoir été extradée de France sur la base des délits de recel et d'abus de confiance dame M. D. R. a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu du chef de recel et de renvoi du chef d'abus de confiance ; elle a été condamnée par la cour d'appel statuant en matière correctionnelle pour les délits d'abus de blanc-seing et d'abus de confiance.

En vertu du principe de spécialité, la personne qui aura été livrée ne pourra être poursuivie ou jugée contradictoirement pour aucune infraction autre que celle ayant motivé l'extradition.

En retenant contre la prévenue le délit d'abus de blanc-seing, l'arrêt attaqué a méconnu les dispositions de la Convention franco-monégasque d'extradition du 11 mai 1992 en ce qu'elle interdit la poursuite ou le jugement d'une personne extradée pour un fait, antérieur à la remise, autre que celui ayant motivé l'extradition sauf consentement de l'État requis ; qu'au cas de modification de qualification de l'infraction pour laquelle la personne a été extradée, la poursuite ou le jugement ne sera possible que si les mêmes faits sont visés et si l'infraction nouvelle peut donner lieu à extradition en vertu de la convention, c'est-à-dire si elle est punissable dans le pays requis ; en raison de la suppression du délit d'abus de blanc-seing dans le droit français, à compter du 1er mars 1994, soit antérieurement à la demande d'extradition, toute extension de cette dernière était impossible sauf à porter atteinte aux articles 15-2 et 2-1 de la Convention susvisée ainsi qu'à l'ordre public international ; dès lors la cassation est encourue à ce titre ; elle aura lieu sans renvoi en ce qui concerne l'abus de blanc-seing, non susceptible de poursuites.

Pour rejeter l'exception de prescription de l'action publique régulièrement soulevée par les conclusions de la prévenue devant la Cour d'appel, l'arrêt attaqué énonce que le délit d'abus de confiance n'a été révélé à C. D. - partie civile que le 13 novembre 1995, jour de l'ouverture du coffre-fort loué par M. D. R.

Cependant les délais de prescription de l'action publique courent à compter du jour du délit ; si ce point de départ peut, en matière d'abus de confiance, être retardé jusqu'au jour où le délit est apparu et a pu être constaté, c'est à la condition que la date ainsi fixée ne soit pas contraire aux faits et aux propres déclarations du plaignant ; en l'espèce, la date retenue par les juges est postérieure à la plainte en abus de confiance du 26 juin 1995, laquelle fait elle-même référence à des événements antérieurs, de nature à permettre la mise en œuvre de l'action publique.

Il appartenait à la cour d'appel, pour fixer le point de départ de la prescription, de rechercher à quelle date le détournement incriminé était apparu et avait pu être constaté ; faute de l'avoir fait, elle n'a pas mis la Cour de révision en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision prononcée, d'où cassation et renvoi devant la cour d'appel autrement composée pour qu'il soit à nouveau statué sur le délit d'abus de confiance et les intérêts civils de ce chef


Motifs🔗

La Cour de révision,

Sur le moyen relevé d'office, pris de la violation de l'article 2 et de l'article 15 de la Convention franco-monégasque d'extradition du 11 mai 1992, ensemble les dispositions des articles 491-2e alinéa et 494-1° du Code de procédure pénale ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu'en vertu du principe de spécialité, la personne qui aura été livrée ne pourra être poursuivie ou jugée contradictoirement pour aucune infraction autre que celle ayant motivé l'extradition ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 26 juin 1995, C. D., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritier d'A. D., son père, a déposé plainte avec constitution de partie civile du chef d'abus de confiance à l'encontre notamment de M. F.-D. R. ; qu'il exposait qu'au cours de l'année 1981 lui-même et son père s'étaient acquittés auprès de la SCI Saphir dont M. D. R. était la gérante, respectivement des sommes de 975 000 francs et un million de francs correspondant au prix d'achat de deux studios à Monaco ; qu'en 1985, il avait versé une somme complémentaire de 800 000 francs par studio à la SCI Saphir ; que n'ayant pu obtenir la délivrance des titres de propriété et sans nouvelle de M. D. R., il s'était décidé à porter plainte, estimant son préjudice en principal à la somme de 3 575 000 francs ; qu'une information était alors ouverte contre M. D. R. dans un premier temps pour recel, puis, à la suite d'un réquisitoire supplétif, pour abus de confiance ;

Attendu qu'après avoir été extradée de France sur la base de ces deux délits, M. D. R. a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu partiel du chef de recel et de renvoi pour « Avoir à Monaco entre le 20 janvier 1981 et le 13 novembre 1995, détourné ou dissipé au préjudice de M. D., une somme de 3 575 000 francs qui ne lui avait été remise qu'à titre de mandat, à charge de la rendre ou représenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé, en l'espèce acheter et gérer des studios en Principauté, faits prévus et réprimés par l'article 337 du Code pénal » ;

Attendu que par jugement du 9 novembre 1999, le tribunal correctionnel, après avoir joint au fond l'exception de prescription de l'action publique régulièrement soulevée par la prévenue, a prononcé sa relaxe ; que les juges ont considéré que les versements initiaux avaient été effectués en exécution des contrats de vente passés entre M. D. R., venderesse, et les D., acquéreurs, et qu'il était établi que les deux sommes de 800 000 francs avaient été utilisées conformément à la convention des parties relative à la constitution des sociétés de droit panaméen Ivalban et Claupas ; que dès lors, était exclu tout détournement de fonds quant auxdites sommes ;

Attendu qu'après avoir approuvé les premiers juges en ce qu'ils avaient écarté l'abus de confiance quant au paiement du prix d'achat des studios, la cour d'appel n'en a pas moins déclaré M. D. R. coupable des délits d'abus de blanc-seing et d'abus de confiance, et fixé le préjudice du plaignant au total des sommes versées ;

Attendu que pour statuer ainsi, les juges du second degré ont estimé que l'usage des mandats confiés par les D. à M. D. R. était constitutif tant du délit d'abus de blanc-seing pour le montant d'achat des studios dont les victimes se trouvaient ainsi dépossédées que de celui d'abus de confiance quant aux deux sommes de 800 000 francs ; que sur ce dernier point, ils précisent que les deux sociétés de droit panaméen ont été constituées dans l'intérêt non des consorts D. mais de la seule M. D. R. ;

Attendu qu'en retenant contre la prévenue le délit d'abus de blanc-seing, l'arrêt attaqué a méconnu les dispositions de la convention franco-monégasque d'extradition du 11 mai 1992 en ce qu'elle interdit la poursuite ou le jugement d'une personne extradée pour un fait, antérieur à la remise, autre que celui ayant motivé l'extradition sauf consentement de l'État requis ; qu'au cas de modification de qualification de l'infraction pour laquelle la personne a été extradée, la poursuite ou le jugement ne sera possible que si elle vise les mêmes faits et si l'infraction nouvelle peut donner lieu à extradition en vertu de la convention, c'est-à-dire si elle est punissable dans le pays requis ; qu'en raison de la suppression du délit d'abus de blanc-seing dans le droit pénal français, à compter du 1er mars 1994, soit antérieurement à la demande d'extradition, toute extension de cette dernière était impossible sauf à porter atteinte aux articles 15-2 et 2-1 de la convention susvisée ainsi qu'à l'ordre public international ;

Que dès lors, la cassation est encourue à ce titre ; qu'elle aura lieu sans renvoi en ce qui concerne l'abus de blanc-seing, non susceptible de poursuites ;

  • Sur le second moyen, pris de la violation de l'article 13 du Code de procédure pénale ;

  • Vu ledit article ;

Attendu que pour rejeter l'exception de prescription de l'action publique régulièrement soulevée par les conclusions de la prévenue devant la Cour d'appel, l'arrêt attaqué énonce que le délit d'abus de confiance n'a été révélé à C. D. que le 13 novembre 1995, jour de l'ouverture du coffre-fort loué par M. D. R. ;

Attendu cependant que les délais de prescription de l'action publique courent à compter du jour du délit ; que si ce point de départ peut, en matière d'abus de confiance être retardé jusqu'au jour où le délit est apparu et a pu être constaté, c'est à la condition que la date ainsi fixée ne soit pas contraire aux faits et aux propres déclarations du plaignant ; qu'en l'espèce, la date retenue par les juges est postérieure à la plainte en abus de confiance du 26 juin 1995, laquelle fait elle-même référence à des événements antérieurs de nature à permettre la mise en œuvre de l'action publique ;

Attendu qu'il appartenait à la Cour d'appel, pour fixer le point de départ de la prescription, de rechercher à quelle date le détournement incriminé était apparu et avait pu être constaté ; que faute de l'avoir fait, elle n'a pas mis la Cour de révision en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision prononcée ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

Et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen proposé par la requête,

Casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Monaco ;

Vu l'article 494-1° du Code de procédure pénale ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi devant la juridiction pénale du chef d'abus de blanc-seing ;

Renvoie pour les faits retenus de ce chef la cause et les parties devant le Tribunal de première instance de Monaco, saisi à la diligence de la partie civile ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué conformément à la loi sur le délit d'abus de confiance et sur les intérêts civils de ce chef,

Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Monaco autrement composée.

Composition🔗

MM. Jouhaud, prem. prés. ; Malibert, vice-prés. rap. ; Apollis et Cathala, cons. ; Montecucco, gref. en chef ; Mes Blot et Karczag-Mencarelli, av. chef ; Le Maux et Chauvet, av. bar. de Nice.

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