Cour de révision, 31 mars 1998, A... c/ P...

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Abstract🔗

Divorce

Effets patrimoniaux - Avantages matrimoniaux conservés par l'époux innocent - Pension alimentaire : en outre - Insuffisance des avantages matrimoniaux - Détermination en fonction des facultés du conjoint coupable - Dommages-intérêts : préjudice moral ou matériel - Attribution à l'époux innocent - Preuve d'un préjudice, distinct, non compensé par la pension alimentaire - Non-attribution à l'époux coupable

Résumé🔗

Aux termes du 2e alinéa de l'article 206-22 du Code civil « l'époux au profit de qui le divorce est prononcé conserve les avantages consentis par son conjoint ».

L'article 206-23 prévoit de son côté qu'à défaut d'avantages matrimoniaux suffisants à assurer sa subsistance, « l'époux au profit de qui le divorce a été prononcé peut obtenir à la charge de son conjoint une pension alimentaire » ; enfin, il doit être tenu compte pour l'attribution d'une pension alimentaire des facultés contributives du défendeur.

Il peut être accordé au conjoint qui obtient le divorce des dommages-intérêts pour le préjudice matériel ou moral que lui cause la dissolution du mariage, non point sur le fondement de l'article 1229 du Code civil, qui régit la responsabilité délictuelle, mais sur celui de l'article 206-24 du Code civil qui les prévoit.

Pour obtenir le bénéfice de cette disposition, le demandeur doit toutefois justifier d'un préjudice distinct de la perte du droit au recours déjà compensé par l'attribution d'une pension alimentaire.

Dès lors que par décision définitive le divorce a été prononcé aux torts exclusifs d'un conjoint, celui-ci ne saurait prétendre à la réparation d'un quelconque préjudice matériel ou moral que lui aurait causé la dissolution du bien matrimonial étant observé, au demeurant, qu'il ne fonde sa demande sur aucune disposition légale.


Motifs🔗

La Cour de révision,

Attendu que par arrêt du 24 février 1997, la Cour de révision a cassé et annulé en ses seules dispositions relatives à la pension alimentaire et aux dommages-intérêts l'arrêt rendu le 25 juin 1996 par la Cour d'appel de Monaco dans l'instance en divorce opposant A. et P. ; que la cause et les parties ont été renvoyées à la prochaine session de la Cour de révision ; qu'après renvoi prononcé le 2 octobre 1997, l'affaire a été inscrite au rôle de la session qui s'est ouverte le 23 mars 1998 ;

Attendu que la Cour de révision, statuant sur l'appel interjeté par P. du jugement du Tribunal de première instance du 26 janvier 1995, est saisie par conclusions de l'appelante qui sollicite la condamnation de A. à lui payer une pension alimentaire mensuelle et indexée de 75 000 francs, ainsi que la somme de 800 000 francs par application de l'article 1229 du Code civil et celle de 1 500 000 francs par application de l'article 206-24 du Code civil ; la demanderesse conclut, d'autre part, à ce que soit confirmée l'attribution à son bénéfice de la jouissance du domicile conjugal et du mobilier le garnissant, sauf à condamner A. à lui régler la somme mensuelle de 100 000 francs pour permettre son relogement dans des conditions similaires à celles qu'elle a toujours connues ;

Attendu que A. conclut au débouté de P. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; qu'à titre reconventionnel, il demande la condamnation de P. à lui payer la somme de deux millions de francs pour les préjudices moraux et matériels causés par la dissolution du lien matrimonial ;

Sur ce,

Sur la pension alimentaire :

Attendu qu'au soutien de sa demande sur ce point, P. fait valoir en premier lieu qu'elle ne dispose d'aucun revenu suffisant pour les besoins de sa vie quotidienne dès lors qui lui a été accordé le bénéfice de l'assistance judiciaire étant toutefois admis par elle que cette mesure ne concerne pas la présente procédure ;

Attendu par ailleurs qu'elle verse aux débats différentes pièces dont un document établi de la main de A. le 5 mai 1989 ; qu'elle expose que le défendeur est propriétaire de biens immobiliers tant à Monaco, qu'à Cannes, Gibraltar, en Italie et en Espagne ; que, selon elle, un « relevé sommaire de fortune de M. A. » fait apparaître qu'il est très largement en mesure de payer la pension alimentaire sollicitée ; qu'enfin elle précise que lors de la vie commune, le ménage A.-P. disposait de près de 2 000 000 de francs de revenus mensuels ;

Attendu que A. expose de son côté que les sociétés qu'il administrait en 1989 ont été dissoutes par la suite, ce qui ôte toute valeur probante à la liste établie à cette époque ; qu'en près de dix ans sa situation patrimoniale a pu évoluer dans un mauvais sens en raison notamment du comportement de la demanderesse ; qu'il fait en outre valoir que cette dernière, par elle-même ou par l'intermédiaire de sa mère, détient un patrimoine immobilier et mobilier (fonds de commerce) important ; qu'enfin il fait état de nombreux avantages matrimoniaux qu'il aurait consentis à son ex-épouse, laquelle se serait livrée à un gaspillage inconsidéré ;

Attendu que sont sans portées sur le présent litiges les considérations relatives à des vols et détournements imputés à P. dès lors qu'il est apparu des débats que la procédure pénale engagée par A. s'est terminée par une décision de non-lieu aujourd'hui définitive ;

Que de même, il paraît superfétatoire de constater que la décision sur le prononcé du divorce ne saurait être remise en cause ;

Attendu qu'aux termes du 2e alinéa de l'article 206-22 du Code civil « l'époux au profit de qui le divorce est prononcé conserve les avantages consentis par son conjoint » ;

Que l'article 206-23 prévoit de son côté qu'à défaut d'avantages matrimoniaux suffisants à assurer sa subsistance, « l'époux au profit de qui le divorce a été prononcé peut obtenir à la charge de son conjoint une pension alimentaire » ; qu'enfin il doit être tenu compte pour l'attribution d'une pension alimentaire des facultés contributives du défendeur ;

Attendu qu'en l'espèce A. n'a versé aux débats aucune pièce relative à son propre patrimoine et à son évolution, se bornant sur ce point à présenter des considérations générales sur l'aléa des fortunes ; que de même il n'est pas établi que les avantages matrimoniaux dont il excipe suffisent à assurer la subsistance de P. ;

Attendu dès lors qu'il convient d'attribuer à cette dernière une pension alimentaire que les éléments ci-dessus analysés permettent de fixer à 60 000 francs par mois ;

Sur les dommages-intérêts :

Attendu que P. entend justifier sa demande de dommages-intérêts sur le double fondement juridique des articles 1229 et 206-24 du Code civil ;

Attendu que seul ce dernier texte est applicable à l'espèce qui ne saurait être régie par la responsabilité délictuelle ;

Attendu que l'article 206-24 du Code civil prévoit qu'il peut être accordé au conjoint qui obtient le divorce des dommages-intérêts pour le préjudice matériel ou moral que lui cause la dissolution du mariage ; que pour obtenir le bénéfice de cette disposition, le demandeur doit toutefois justifier d'un préjudice distinct de la perte du droit au recours déjà compensé par l'attribution d'une pension alimentaire ;

Attendu que P. fait valoir à cet égard l'affaiblissement de sa santé et sa situation matérielle ;

Que pour le préjudice matériel il n'est fourni par la demanderesse aucun élément différent de ceux analysés pour la fixation de la pension alimentaire ;

Qu'elle verse aux débats un certificat médical établi le 2 décembre 1997 faisant étant d'une atteinte grave à son équilibre physique et psychique, que la date de ce document et sa teneur ne permettent pas de considérer que l'état de santé qu'il décrit soit la conséquence directe du divorce ;

Attendu en définitive qu'il convient de dire P. mal fondée en ce chef de demande et de l'en débouter ;

Sur l'attribution du domicile conjugal :

Attendu qu'il suffit de constater ici que P. occupe le domicile conjugal situé [adresse] ;

Que sans s'arrêter aux considérations des parties quant à la propriété de ce logement, lesquelles entrent dans le cadre de la liquidation au régime matrimonial, il convient de faire droit à titre provisoire à la demande présentée sur ce point ;

Sur la demande reconventionnelle :

Attendu que par décision définitive le divorce des époux A.-P. a été prononcé aux torts exclusifs du mari ; que dès lors ce dernier ne saurait prétendre à la réparation d'un quelconque préjudice matériel ou moral que lui aurait causé la dissolution du lien matrimonial étant observé, au demeurant qu'il ne fonde sa demande sur aucune disposition légale ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Condamne A. à payer à P. une pension alimentaire de 60 000 francs par mois, payable le premier de chaque mois et d'avance ;

Dit que cette pension sera révisable annuellement en fonction des variations de l'indice mensuel des prix à la consommation des ménages urbains (série France Entière) publié par l'INSEE et pour la première fois le 1er janvier 1999, le cours de l'indice du mois du présent arrêt étant pris pour référence ;

Dit que P. continuera à bénéficier du domicile conjugal sis [adresse] et du mobilier qui le garnit jusqu'à liquidation du régime matrimonial ;

Dit les parties mal fondées dans le surplus de leurs demandes, fins et conclusions, les en déboute ;

Composition🔗

MM. Monégier du Sorbier, prem. prés. ; Cochard, vice-prés. ; Jouhaud, cons. ; Malibert, cons. rap. ; Carrasco, proc. gén. ; Montecucco, gref. en chef ; Mes Blot, Escaut, av. déf. ; Varver, av. bar. de Draguignan ; Raffi, av. bar. de Nice.

Note🔗

L'arrêt de la Cour de révision qui avait cassé et annulé certaines dispositions de l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 25 juin 1996, statue ainsi après renvoi prononcé le 2 octobre 1997, sur le fond.

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