Cour de révision, 24 mars 1998, M. c/ D.

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Abstract🔗

Exequatur

Décision d'une juridiction répressive française prononçant une condamnation à des dommages-intérêts - Convention franco-monégasque d'aide mutuelle judiciaire applicable - Atteinte à l'ordre public monégasque : non

Résumé🔗

Il convient d'examiner le mérite de la demande d'exequatur portant sur les dispositions civiles d'une décision rendue par une juridiction pénale française - dont la cour d'appel a été saisie - sous le seul angle des dispositions de la convention du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance souveraine n° 106 du 2 décembre 1949 applicable à toutes les décisions de nature civile, furent-elles prononcées par une juridiction répressive, et plus particulièrement du point 5° de son article 18 ainsi rédigé : « les jugements et sentences arbitrales exécutoires dans l'un des deux pays seront déclarés exécutoires dans l'autre par le Tribunal de première instance du lieu où l'exécution doit être poursuivie. Le Tribunal vérifiera seulement... 5° si les dispositions dont l'exécution est poursuivie n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où l'exequatur est requis ».

L'ordre public et les principes de droit public monégasque ne sauraient être atteints par la réparation d'un fait dommageable judiciairement prononcée, alors que la législation de la Principauté prévoit elle-même qu'une victime peut recourir à des semblables règles de droit.

Dès lors il convient de faire droit à la demande d'exequatur et de déclarer applicable à Monaco la condamnation à des dommages-intérêts prononcée contre le condamné au bénéfice des parties civiles.


Motifs🔗

La Cour de révision,

Attendu que par jugement du Tribunal correctionnel de Lille du 7 décembre 1992, F. L. D. a été condamné à payer aux époux M.-D., parties civiles, la somme de 1 500 000 francs à titre de dommages-intérêts, outre les intérêts légaux ;

Que par jugement du 22 février 1996, le Tribunal de première instance de Monaco a rejeté la demande d'exequatur des dispositions civiles de la décision de la juridiction française présentée par les époux M.-D. ;

Que par arrêt du 28 janvier 1997, la Cour d'appel a confirmé ledit jugement ; que cet arrêt ayant été cassé par arrêt du 6 octobre 1997, les époux M. ont, par conclusions du 9 décembre 1997, repris leur demande initiale ; que par écritures du 31 décembre 1997, F. L. D. conclut au débouté des appelants ;

Attendu que les époux M. font valoir qu'en l'espèce, et contrairement à ce qui a été décidé par les premiers juges, la condamnation prononcée par le Tribunal correctionnel de Lille n'est pas intervenue en violation du principe de la spécialité de l'extradition au sens de l'article 11 alinéa 1er de la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 concernant l'extradition des malfaiteurs dès lors que les faits jugés sont les mêmes que ceux pour lesquels l'extradition avait été accordée, la requalification intervenue étant sans portée sur l'application de la convention ;

Attendu que l'intimé pose en principe que les dispositions civiles du jugement correctionnel n'ont d'existence et de soutien que dans la mesure où ses décisions pénales ne sont pas contraires à l'ordre public monégasque ; qu'il rappelle que l'extradition a été accordée aux autorités françaises pour « recel de sommes d'argent obtenues par abus de confiance » ; qu'en requalifiant en escroquerie l'infraction reprochée à F. L. D. au détriment des époux M.-D., le jugement correctionnel de Lille a violé la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 relative à l'extradition des malfaiteurs et plus particulièrement son article 11 ; qu'il n'est en effet justifié ni du consentement exprès et volontaire du prévenu, ni d'une demande d'extension de l'extradition présentée par les autorités judiciaires françaises à l'État monégasque ;

Que F. L. D. fait en outre valoir que cette interprétation de la loi prend tout son sens alors que la nouvelle Convention franco-monégasque du 11 mai 1992, applicable à compter du 1er octobre 1993 et donc sans portée sur la présente cause a remplacé le terme « infraction » par l'expression « fait quelconque antérieur à la remise » ;

Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges ont soumis le règlement du litige à l'article 18 de la Convention du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance souveraine n° 106 du 2 décembre 1949 ; que cette convention s'applique en effet à toutes les décisions de nature civile, furent-elles prononcées par une juridiction répressive ;

Qu'en conséquence il convient d'examiner le mérite de la demande d'exequatur dont la Cour d'appel est saisie sous le seul angle des dispositions de ladite convention et plus particulièrement du point 5° de son article 18 ainsi rédigé : « les jugements et sentences arbitrales exécutoires dans l'un des deux pays seront déclarés exécutoires dans l'autre par le Tribunal de première instance du lieu où l'exécution doit être poursuivie. Le Tribunal vérifiera seulement... 5° si les dispositions dont l'exécution est poursuivie n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où l'exequatur est requis » ;

Attendu que l'ordre public et les principes de droit public monégasques ne sauraient être atteints par la réparation d'un fait dommageable judiciairement prononcée alors que la législation de la Principauté prévoit elle-même qu'une victime peut recourir à de semblables règles de droit ;

Que dès lors il convient de faire droit à la demande d'exequatur et de déclarer applicable à Monaco la condamnation à des dommages-intérêts prononcée contre F. L. D. au bénéfice des époux M.-D. ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

  • Déclare recevable et bien fondé l'appel des époux M.-D. ;

  • Infirme en toutes ses dispositions les concernant, le jugement du Tribunal de première instance de Monaco du 22 février 1996 ;

  • Déclare exécutoire dans la Principauté de Monaco le jugement du Tribunal correctionnel de Lille du 7 décembre 1992 ayant condamné F. D. à payer à titre de dommages-intérêts aux époux M.-D. la somme de 1 500 000 francs avec intérêts légaux à compter dudit jugement ;

Composition🔗

MM. Monégier du Sorbier, prem. prés. ; Cochard, vice-prés. ; Jouhaud, cons. : Malibert cons. rap. ; Carrasco, proc. gén. ; Montecucco, gref. en chef ; Mes Sbarrato, Blot, av. déf. ; Talandier, av. bar. de Paris ; Cohen, av. bar. de Nice.

Note🔗

La Cour de révision avait cassé par un précédent arrêt du 6 octobre 1997, l'arrêt confirmatif de la Cour d'appel du 28 janvier 1997. La Cour d'appel avait estimé que la juridiction française, en requalifiant (escroquerie) les faits reprochés au requis, par rapport à l'infraction (recel d'abus de confiance) pour laquelle son extradition avait été demandée, sans consentement expresse et volontaire du prévenu, ni demande d'extension de l'extradition, avait dans ces conditions rendu une décision contraire à l'ordre public monégasque, laquelle ne pouvait constituer un support à la condamnation à des dommages-intérêts envers les parties civiles.

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