Cour de révision, 7 octobre 1994, Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers (SBM) c/ M.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Qualification - Pourvoir souverain du juge (1) - Contrat à durée indéterminée - Caractères - Ignorance du terme par l'employeur - Emploi occupé sans discontinuité pendant une longue durée (2) - Rupture abusive - Licenciement brusque et sans motif (3)

Résumé🔗

Quelles que soient les énonciations du contrat de travail et ses références à une convention collective, le juge ne saurait être privé de son pouvoir de rechercher la volonté commune des parties et par suite de qualifier ou de requalifier les conventions intervenues entre elles (1).

Ayant constaté que la société de jeux ignorait la durée pendant laquelle elle emploierait le salarié et que celui-ci avait été occupé, sans solution de continuité pendant une longue durée, à un emploi de même nature, le tribunal de première instance, statuant comme juridiction d'appel du tribunal du travail, a pu décider sans dénaturation, que les parties étaient liées par un contrat à durée indéterminée (2).

En relevant que l'employeur avait mis brusquement un terme au contrat de travail à durée indéterminée, sans donner de motifs au salarié et sans lui verser les indemnités légales auxquelles il était en droit de prétendre, le tribunal a décidé à bon droit que la rupture avait un caractère abusif (3).


Motifs🔗

La Cour de révision,

Attendu que Monsieur L. M. était employé au Casino « SBM Loews », par contrats successifs, à durée déterminée par la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers (SBM) ;

Que par lettre du 4 mai 1991, l'employeur a fait connaître au salarié, qu'à l'échéance du contrat en cours il n'entendait pas établir un nouveau contrat ; que le jugement attaqué a dit que le contrat ayant uni les parties constituait un contrat à durée indéterminée et a alloué à Monsieur L. M. des indemnités de licenciement, de préavis, et des dommages-intérêts pour rupture abusive ;

Sur les trois premières branches du moyen unique :

Attendu que la SBM fait grief au jugement d'avoir décidé que le contrat de travail ayant uni les parties constituait un contrat à durée indéterminée alors, selon le moyen, en premier lieu que les articles 2 et 12 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, le chapitre I de l'avenant à la Convention collective générale pour le personnel de la salle de jeux exploitée par la SBM et l'article 2 ter de l'avenant n° 6 à l'avenant du 23 janvier 1976, n'autorisent pas la requalification du contrat de travail ;

Que le Tribunal de première instance de Monaco a violé ces textes, en se déterminant par le fait que l'article 2 ter de l'avenant susvisé, ne prévoyait qu'une seule reconduction, et ne permettait pas la conclusion de contrats à durée déterminée ;

Alors, en deuxième lieu, qu'en se croyant en droit de déceler dans le renouvellement des contrats à durée déterminée, la volonté de l'employeur de s'attacher les services du salarié pour un temps dont il ignorait l'issue, et en recherchant la volonté réelle de l'employeur, qui avait adopté un comportement exclusif de toute fraude, le tribunal a violé les textes susvisés, lesquels autorisent la reconduction du contrat à durée déterminée et n'interdisent pas à l'employeur de conclure un contrat dont le terme est certain, encore que la date de sa survenance ne le soit pas ;

Alors en troisième lieu, que chacun des contrats se référant expressément aux avenants du 23 janvier 1976 et du 22 janvier 1979, le tribunal ne pouvait sans dénaturer les conventions formées, et sans violer l'article 989 du Code civil, affirmer que le salarié avait été induit en erreur, sur l'automaticité des reconductions de son contrat de travail ;

Mais attendu d'abord, que les textes invoqués ne privent pas le juge de son pouvoir de rechercher la volonté commune des parties et par suite de qualifier ou de requalifier les conventions intervenues entre elles ;

Attendu, ensuite, qu'ayant constaté que la société ignorait la durée pendant laquelle elle emploierait le salarié et que celui-ci avait été occupé, sans solution de continuité pendant une longue durée, à un emploi de même nature, le tribunal de première instance a pu décider sans dénaturation, que les parties étaient liées par un contrat à durée indéterminée ;

Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé en ses trois premières branches ;

Sur les deux dernières branches du moyen :

Attendu que la SBM fait grief au jugement d'avoir alloué au salarié des indemnités de licenciement, de préavis et des dommages-intérêts pour rupture abusive, alors selon le moyen, en premier lieu, que le tribunal a violé l'article 2 de la loi n° 8445 du 27 juin 1968 et l'article 1229 du Code civil, en refusant d'examiner l'argumentation de la SBM, selon laquelle la décision de rompre la relation de travail, avait pour cause tant la volonté du comité intersyndical, que la « directive » du Conseil national, du 25 octobre 1990 relative aux nominations aux postes d'encadrement ;

Alors, en second lieu, que le tribunal a violé l'article 989 du Code civil en ignorant la convention passée le 21 mars 1991 avec la société Loews Hotel Monaco, aux termes de laquelle la SBM, conformément à l'engagement pris le 23 novembre 1990 auprès des représentants du comité intersyndicats, acceptait de résilier à leurs échéances les contrats des cadres non issus de « la masse des employés de jeux » ;

Mais attendu d'abord, que répondant aux conclusions de l'employeur, le tribunal a retenu que les faits invoqués par celui-ci ne constituaient pas un motif légalement valable de rupture d'un contrat à durée indéterminée ;

Attendu, ensuite, qu'en relevant que la société avait mis brusquement un terme au contrat de travail, sans donner de motifs au salarié et sans lui verser les indemnités légales auxquelles il était en droit de prétendre, le tribunal a décidé à bon droit que la rupture avait un caractère abusif ;

Que les deux dernières branches du moyen unique ne sont pas davantage fondées que les trois premières ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Rejette le pourvoi ;

Composition🔗

MM. Charliac prem. prés. ; Monégier du Sorbier v. prés. ; Cochard cons, rap. ; Jouhaud cons. ; Vécchiérini gref. en chef.

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