Cour de révision, 8 mai 1976, B.F.I. c/ sieur J. R.
Abstract🔗
Arbitrage
Sentence arbitrale - 1°) Renonciation aux voies de recours : Nullité pour violation des règles d'ordre public - Recevabilité (oui) - 2°) Arbitre : Mission - Interprétation d'actes - Pouvoir souverain d'appréciation
Résumé🔗
Aucun texte ne restreint la compétence du juge d'appel en matière de sentences arbitrales. Si les parties ont valablement renoncé aux voies de recours telles que l'appel aux fins de réformation, cette renonciation est sans effet lorsque sont invoquées des violations de règles d'ordre public ou des droits de la défense aux fins de nullité de la sentence. (1).
Dès lors qu'aucune règle d'ordre public n'a été violée et que les droits de la défense n'ont pas été méconnus, l'interprétation des actes soumis à l'arbitre statuant en dernier ressort relève de son pouvoir souverain d'appréciation (2).
Motifs🔗
La Cour de Révision
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu :
1° le pourvoi en révision formé le 17 mars 1975 par le sieur J. R., ayant Maître Marquet pour avocat-défenseur, à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de Première Instance, en date du 13 décembre 1974,
Vu l'arrêt rendu par la Cour de Révision en date du 23 octobre 1975 cassant et annulant le jugement du 13 décembre 1974, mais seulement en ce qu'il statue sur l'appel des sentences arbitrales, et renvoyant la cause et les parties pour être, après débats et plaidoiries, statué à nouveau ;
Statuant sur renvoi, après cassation partielle du 23 octobre 1975, d'un jugement rendu par le Tribunal de Première Instance, le 13 décembre 1974, qui, sur appel de la Banque de Financement Industriel (B.F.I.) avait annulé les deux sentences arbitrales des 27 juin 1973 et 10 mai 1974, rendues par l'arbitre L., condamnant la B.F.I. à verser à R., d'une part, sur la base de son contrat de travail 287 153 francs 90, pour rémunérations échues et non payées, d'autre part, une indemnité de 1 639 974 francs 02 en réparation du préjudice résultant de la rupture de ce contrat ;
Attendu que par convention du 24 novembre 1959, la B.F.I. engageait pour une durée de trente années R. comme Directeur commercial ; qu'il était stipulé que :
« tous différends découlant du présent contrat seront tranchés définitivement suivant le règlement de conciliation et d'arbitrage de la chambre de commerce internationale par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce règlement » ;
Attendu que par lettre du 7 septembre 1971, le Conseil d'administration de la B.F.I. informait R. de sa révocation, datée de ce jour, d'Administrateur délégué, et également de la fin de ses fonctions de Directeur commercial, au motif que les deux fonctions se confondaient ; qu'une lettre du 1er octobre suivant énumérait une série de griefs à l'encontre de R., réserve étant faite de la validité du contrat de travail ;
Attendu que le 16 septembre 1971, R. saisissait la Chambre de commerce internationale (C.C.I.) d'une demande d'arbitrage réclamant :
1° / 2 120 800 francs de salaires dus ; 2° / 706 033 francs au titre d'avantages sociaux ; 3° / 1 000 000 de francs pour préjudice moral, la B.F.I. demandant reconventionnellement une somme provisoire de 3 000 000 pour préjudice à elle causé ; que l'acte de mission en date du 12 mai 1972 établi, conformément à l'article 19 du règlement de conciliation et d'arbitrage de la C.C.I., signé des parties et de l'arbitre unique désigné, le Professeur L. M. de l'Université d'Études Sociales Pro Deo de Rome, donnait mandat à celui-ci de statuer sur les points suivants :
« ...1° Il s'agit, avant tout d'apprécier le fondement de la thèse de la nullité du contrat de travail présentée par la Banque et, si la nullité est établie, décider si la Banque pouvait s'en prévaloir ; puis, dans l'affirmative, de déterminer les conséquences de cette nullité ;
2° Il faut établir si des opérations et circonstances dont la Banque est légitimée à se prévaloir dans cet arbitrage émergent des fautes graves de M. R. ou d'autres justes motifs de résiliation du contrat ;
3° Si l'existence de fautes graves ou d'autres justes motifs est exclue, il faudra déterminer les droits de M. R. et vérifier, pour chacune des demandes d'indemnisation présentées par lui, si, et dans quelle mesure elle est fondée ;
4° Il faudra aussi apprécier si dans l'exécution du contrat M. R. a commis des fautes aptes à justifier l'allocation à la Banque de dommages et intérêts... » ;
Attendu que, par une première sentence dite partielle du 27 juin 1973, l'arbitre rejetait les conclusions de la B.F.I., invoquant la nullité du contrat de travail, au motif qu'il s'agissait d'un contrat fictif visant à éluder les règles d'ordre public de la révocabilité ad nutum du mandat d'administrateur délégué et alléguant subsidiairement des fautes graves à l'encontre de R. ; qu'il décidait, en conséquence, sur la base du contrat de travail valable, que R. avait droit au paiement de ses rémunérations échues avec intérêts moratoires légaux, et à la continuation de son contrat jusqu'à la date d'expiration de celui-ci et lui accordait un délai de deux mois pour le saisir à nouveau au cas où le contrat ne serait pas exécuté dans les trois mois de la notification de la sentence ; que cette sentence était rendue exécutoire par ordonnance du 26 juillet 1973 ;
Attendu que la B.F.I. par trois exploits successifs, assignait R. en rétractation de la sentence arbitrale, en appel de celle-ci aux fins d'annulation, en opposition à l'ordonnance d'exequatur et en nullité ;
Attendu que R. saisissait l'arbitre le 24 octobre 1973 et lui demandait de statuer définitivement sur son droit à résiliation du contrat, au motif que le travail n'avait pas repris et que la B.F.I. n'avait pas exécuté son obligation de paiement des salaires ;
Attendu que le 10 mai 1974, l'arbitre constatant la résiliation du contrat de travail aux torts et griefs de la B.F.I. rendait une sentence définitive condamnant celle-ci et mettant à sa charge les frais de procédure arbitrale, rejetant toutes autres demandes des parties ; que cette sentence a été rendue exécutoire par ordonnance du 11 juin 1974 ;
Attendu que la B.F.I. par exploit du 18 juin 1976, assignait R. en appel aux fins de nullité de la sentence définitive et par un autre exploit du même jour, en opposition à l'ordonnance d'exequatur et en annulation également de la sentence ;
Attendu que, statuant sur les appels, le jugement du Tribunal de Première Instance qui avait annulé les sentences arbitrales en invoquant d'office la nullité de la clause compromissoire insérée dans le contrat de travail, comme contraire à l'ordre public monégasque, a été cassé partiellement en ce qu'il avait statué sans répondre aux conclusions d'irrecevabilité de ces appels invoquées par R. ; que les procédures en opposition à exequatur et en rétractation ne sont plus en la cause en ce que le jugement les a rejetées et que la B.F.I. n'a pas exercé de recours en révision ;
Sur la recevabilité des appels :
Attendu que R. soutient que les appels sont irrecevables au double motif qu'en se soumettant au règlement de la C.I.C., les parties ont renoncé, en application de l'article 29 de celui-ci, à exercer des voies de recours, et ce conformément également à l'article 961 du Code de Procédure Civile ; que d'autre part, la B.F.I. n'aurait pas exercé l'appel prévu par l'article 959, du même Code, qui viserait seulement la réformation, mais un « appel-nullité », inconnu du droit monégasque, l'annulation n'étant prévue que dans les cas de rétractation visés par l'article 428 du Code de Procédure Civile, auquel renvoie l'article 963 ;
Attendu que l'appel de la B.F.I. en application de l'article 959 précité tend, en effet, non à la réformation, mais à la nullité de la sentence ;
Mais attendu qu'aucun texte monégasque ne restreint la compétence du juge d'appel en la matière et que l'argument tiré des cas de rétractation, qui sont ceux de la requête civile du droit français, est inopérant ;
Attendu, d'autre part, que si les parties ont valablement renoncé aux voies de recours telles que l'appel aux fins de réformation, conformément à l'article 29 du règlement d'arbitrage ci-dessus visé, qui dispose que « ...les parties peuvent renoncer à toutes voies de recours auxquelles elles peuvent renoncer », cette renonciation est sans effet, lorsque sont invoquées des violations de règles d'ordre public ou des droits de la défense aux fins de nullité de la sentence ;
Attendu que la B.F.I. appelante, invoquant en l'espèce de tels moyens, le recours est recevable ;
Sur la nullité des sentences arbitrales :
Attendu que la B.F.I. demande la nullité des sentences arbitrales, au motif que celles-ci auraient été rendues en violation des règles d'ordre public ;
1° qu'elle soutient d'abord que le litige relevant de la compétence exclusive d'ordre public du Tribunal du Travail institué par la loi du 16 mai 1946, la clause compromissoire du contrat serait nulle ;
2° qu'elle prétend ensuite qu'aucun compromis n'aurait été conclu par les parties à la suite du litige ; que l'acte de mission, rédigé en exécution de la clause compromissoire dont R. admettrait la nullité « ... se situe avant la reprise du lien contractuel, intervenu après que l'arbitre L. ait rendu sa première sentence, lequel s'est borné à annexer à la seconde sentence une copie de l'ancien acte de mission qu'il a été seul à signer et qui n'est pas daté... » ;
3° qu'aussi l'interprétation et l'application par l'arbitre des lois des 16 mars 1963 et 27 juin 1968, relatives au contrat de travail, de l'article 997 du Code Civil, afférent à l'obligation de faire, violerait également l'ordre public monégasque, en ce que notamment l'indemnité de licenciement ne peut excéder six mois de salaires (art. 2 de la loi du 27 juin 1968) ; et que le contrat, dont se prévalait R. se heurterait au principe de la révocabilité de son mandat d'administrateur (art. 10 ordonnance du 5 mars 1895) ; que l'article 997 du Code Civil ne permettait pas d'ordonner la reprise du travail (sentence partielle) ;
4° qu'enfin les droits de la défense ont été méconnus par l'arbitre, qui a écarté, sans y répondre, les conclusions pertinentes de la B.F.I. relatives aux fautes graves commises par R., se refusant notamment à examiner les activités de R. dans des Sociétés annexes ;
Attendu que l'intimé, contestant les moyens de nullité invoqués, conclut au rejet de l'appel et à la condamnation aux dépens de la B.F.I. ;
Attendu que si la clause compromissoire, insérée dans un contrat de travail et par laquelle les parties, employeurs et salariés renoncent d'avance à saisir le Tribunal du Travail de leur différend pour être soumis à un arbitre est contraire à l'ordre public et nulle en conséquence ; par contre, lorsque le litige est né et déterminé, les parties peuvent valablement conclure un compromis ou établir un acte de mission donnant compétence à un arbitre pour connaître de leur différend relatif à l'exécution du contrat de travail ;
Attendu que la Cour constate que l'acte de mission, établi conformément à l'article 19 du règlement de conciliation et d'arbitrage de la C.C.I. et approuvé par celle-ci a été signé le 12 mai 1972 par les représentants de la B.F.I. et le 23 mai suivant par R. et l'arbitre désigné ; que la B.F.I. s'est présentée devant l'arbitre et a déposé mémoires et répliques, formulant une demande reconventionnelle et reconnaissant la compétence de la juridiction arbitrale pour « ...connaître de la validité du contrat et rechercher s'il a été ou non résilié à tort... » (3°, mémoire page 61) ; qu'il en résulte l'existence entre les parties d'un compromis dénommé « acte de mission », dont la validité n'a pas été contestée par R. ;
Attendu que l'interprétation des actes soumis à l'arbitre statuant en dernier ressort relève de son pouvoir souverain d'appréciation, qu'en retenant l'existence d'un contrat de travail à durée déterminée, indépendant du mandat d'administrateur délégué et en décidant d'une indemnité autre que celle de six mois de salaire, au motif que le texte invoqué par B.F.I. ne s'appliquait qu'aux contrats à durée indéterminée, les sentences arbitrales n'ont violé aucune des règles d'ordre public alléguées ;
Attendu que les griefs en ce qu'ils visent en même temps la valeur des motifs de la sentence arbitrale et tendent à sa réformation sont irrecevables ;
Attendu, enfin, que l'arbitre n'a nullement méconnu les droits de la défense, répondant minutieusement dans ses deux sentences aux mémoires de la B.F.I., qu'il retient que celle-ci n'a apporté aucune preuve à l'appui des fautes alléguées à l'encontre de R. ; qu'il relève notamment en ce qui concerne la situation « catastrophique » des Sociétés civiles immobilières financées par la B.F.I., que R. a donné « l'alarme » « ... sur le caractère douteux des crédits envers les Sociétés Stella Mare et Regina, propriétés de certains des administrateurs... » qu'enfin l'arbitre a examiné les différentes activités de R., estimant que celles-ci avaient eu l'accord de la B.F.I. ; qu'en statuant ainsi, l'arbitre n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'appréciation.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Reçoit la B.F.I. en son appel, l'en déboute ;
Rejette toutes autres demandes, fins et conclusions ;
Dit en conséquence, que les deux sentences arbitrales en date des 27 juin 1973 et 10 mai 1974 recevront leur plein et entier effet ;
Composition🔗
MM. Combaldieu prem. pr., Marion rapp., Default prem. subst. gén., Marquet, Clerissi av. déf., Ryzinger av. aux Conseils et Léandri (du barreau de Nice) av.