Cour européenne des droits de l'Homme, 22 mai 2025, Mme Irina Maltceva c/ Monaco

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Abstract🔗

Assurances - CEDH - Accident de la circulation - Nullité du contrat d'assurance du responsable soumis au droit français - Non application du principe français de non opposabilité de la nullité aux tiers victimes - Violation de l'article 6 § 1 (non) - Atteinte à son droit à un procès équitable (non) - Violation de l'article 14 (non) - Discrimination (non)

Résumé🔗

L'époux de la requérante est décédé en 2017 des suites d'un accident de la circulation survenu en 2016. Le tribunal correctionnel monégasque reconnait la responsabilité du conducteur du véhicule à l'origine de l'accident. Mais parallèlement la compagnie d'assurance de celui-ci engage une procédure en nullité du contrat d'assurance compte tenu des déclarations mensongères de l'assuré lors de sa souscription. Les juridictions civiles monégasques prononcent la nullité du contrat sur le fondement du Code des assurances français (applicable au contrat) pour fausse déclaration mais refusent d'appliquer le principe jurisprudentiel d'inopposabilité aux tiers victimes dégagé par la Cour de cassation française à la lumière du droit et de la jurisprudence de l'Union européenne.

La Cour de révision monégasque en dernière instance confirme la non application de ce principe, relevant qu'il n'était pas transposable à l'État monégasque, non membre de l'Union Européenne et par suite tenu ni par son droit ni par la jurisprudence de la CJUE. Elle approuve également l'arrêt d'appel qui avait constaté que la Principauté de Monaco ne s'était engagée, aux termes de la Convention franco-monégasque du 18 mai 1963 à n'adopter que les seules dispositions législatives et réglementaires en vigueur et à venir en France en droit des assurances, lesquels ne comportaient pas lors de l'accident, la règle de l'inopposabilité (règle introduite dans le Code des assurances français en 2019).

Sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint d'une atteinte à son droit à un procès équitable et de l'imprévisibilité du refus des juridictions monégasques d'appliquer la règle jurisprudentielle française de l'inopposabilité à son égard.

Examinant ce premier grief, la Cour rappelle qu'elle n'a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l'angle de l'article 6 § 1, l'appréciation et la qualification juridique retenues par les juridictions nationales, pourvu qu'elles reposent sur une analyse raisonnable du dossier et que leurs conclusions ne soient pas arbitraires. Ainsi, eu égard au caractère subsidiaire du système de la Convention, il n'appartient pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si elle pourrait avoir porté atteintes aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. En l'espèce, la requérante, assistée de ses avocats, a été mise à même d'exercer effectivement ses droits à toutes les étapes de la procédure, au cours de laquelle elle a pu faire valoir ses arguments. Ceux-ci ont été expressément pris en considération par la cour d'appel qui y a répondu dans un arrêt longuement motivé, dont les analyses ont été reprises par la Cour de révision.

La Cour, dans les limites de l'étendue de son contrôle, et sans porter une appréciation sur le fond de l'affaire, constate que les juridictions nationales ont considéré que si contrat était certes soumis au droit français des assurances, cela n'impliquait en rien une transposition de l'interprétation de la Cour de cassation française de ce droit, à la lumière du droit de l'Union européenne. Il a ainsi été jugé que l'application, de plein droit, du droit français en vertu d'une convention bilatérale se limitait au texte de la loi et n'incluait pas son interprétation par des juridictions étrangères ou européennes à la juridiction desquelles l'État défendeur n'était pas soumis. Le premier grief est rejeté.

Le second grief de la requérante soulevé sous l'angle de l'article 14 de la Convention est également rejeté. La solution des juridictions internes n'emporte aucune discrimination à son encontre.


CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête n° 48017/22

Irina MALTCEVA contre Monaco

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 22 mai 2025 en un comité composé de :

  •  María Elósegui, présidente,

  •  Stéphanie Mourou-Vikström,

  •  Diana Sârcu, juges,

  • et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

  • la requête n° 48017/22 dirigée contre la Principauté de Monaco et dont une ressortissante russe, Mme Irina Maltceva (« la requérante ») née en 1979 et résidant à Castello d'Empuries, représentée par Me J.-J. Gatineau, avocat à Paris, a saisi la Cour le 7 octobre 2022 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la Convention »),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

Objet de l'affaire🔗

1.  La requête concerne la procédure civile relative aux demandes de la requérante qui souhaitait obtenir, d'une part, que soit déclarée inopposable à son égard la nullité du contrat d'assurance du conducteur d'un véhicule responsable d'un accident de la circulation, à l'occasion duquel son mari avait été gravement blessé avant de décéder des suites de ses blessures et, d'autre part, que la compagnie d'assurance de ce conducteur soit condamnée à supporter les conséquences financières de cet accident.

2.  Le 28 mai 2016, l'époux de la requérante fut victime d'un accident de la circulation. Le 27 mai 2017, il décéda des suites de ses blessures.

3.  Le 4 octobre 2016, le tribunal correctionnel de Monaco déclara le conducteur du véhicule à l'origine de l'accident coupable d'avoir commis des blessures involontaires sur la victime et de s'être abstenu de lui porter secours. Sur l'action civile, il le déclara responsable de l'accident à hauteur de deux tiers et tenu de réparer dans cette proportion les conséquences dommageables pour la victime, la requérante et leurs deux enfants mineurs. Il leur alloua une provision à valoir sur l'ensemble de leurs préjudices et renvoya l'affaire sur les intérêts civils. Le 27 mars 2017, la cour d'appel confirma ce jugement. Par une décision du 18 octobre 2019, le tribunal correctionnel, statuant définitivement sur les intérêts civils, condamna le conducteur à payer à la requérante la somme de 13 840 572 euros (EUR) au titre de ses préjudices personnels, ainsi que la somme de 4 000 EUR au titre des frais engagés pour la défense de ses droits.

4.  Parallèlement, le conducteur du véhicule fut assigné par sa compagnie d'assurance, X., en nullité de son contrat d'assurance automobile pour fausse déclaration. La requérante intervint volontairement à cette autre procédure.

5.  Par un jugement du 31 janvier 2019, le tribunal de première instance de Monaco prononça la mise hors de cause du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, organisme de solidarité nationale français, au motif que le véhicule avait son stationnement habituel à Monaco. Par ailleurs, après avoir constaté que les conditions générales du contrat d'assurance stipulaient que celui-ci était soumis au droit français, le tribunal prononça sa nullité sur le fondement de l'article L. 113-8 du Code des assurances français, compte tenu des déclarations mensongères faites par le conducteur du véhicule lors de sa souscription.

6.  La requérante interjeta appel de ce jugement. Elle déposa des conclusions tendant à faire juger que le contrat d'assurance souscrit par le conducteur était valable, compte tenu notamment de plusieurs manquements imputables à la compagnie d'assurance X., qu'il devait produire un plein effet pour garantir les conséquences de l'accident et que X. devait donc être condamnée à l'indemniser. À titre subsidiaire, en cas de confirmation de la nullité du contrat, elle demanda que celle-ci soit jugée inopposable à son égard.

7.  Le 30 septembre 2021, la cour d'appel confirma le jugement et débouta la requérante de ses demandes. Elle considéra que cette dernière ne rapportait pas la preuve de ses allégations, qu'aucun manquement de la compagnie d'assurance X. à ses obligations professionnelles n'était établi, et que la nullité du contrat d'assurance souscrit par le conducteur du véhicule était opposable à la requérante. S'agissant plus spécialement de l'application du droit européen et français consacrant le principe de non-opposabilité aux tiers victimes de la nullité d'un contrat d'assurance pour fausses déclarations de l'assuré, la cour d'appel rappela tout d'abord les dispositions pertinentes du code des assurances, dont il résultait que la nullité était bien opposable à la victime. Elle jugea ensuite notamment que si, par un arrêt du 29 août 2019 (pourvoi n° 18-14768), la Cour de cassation française avait consacré un principe d'inopposabilité de la nullité du contrat d'assurance à la lumière de directives européennes et d'un arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) du 20 juillet 2017 (C 287-16), qui s'imposaient au juge français, ce principe d'interprétation n'était pas transposable à l'État monégasque. Par ailleurs, la cour d'appel ajouta que l'accident de la circulation litigieux étant antérieur à l'entrée en vigueur, le 24 mai 2019, de l'article L. 211-7-1 du Code des assurances français introduit par la loi du 22 mai 2019 pour consacrer un principe d'inopposabilité aux victimes d'accidents de la circulation de la nullité des contrats d'assurance, la requérante n'était pas fondée à s'en prévaloir et la débouta de ses demandes.

8.  Par un arrêt du 13 juin 2022, la Cour de révision rejeta le pourvoi de la requérante. En particulier, elle confirma la décision de la cour d'appel de ne pas appliquer le principe d'inopposabilité de la nullité du contrat d'assurance dégagé par la Cour de cassation française dans son arrêt du 29 août 2019, dès lors qu'un tel principe n'était pas transposable à l'État monégasque qui, n'étant pas membre de l'Union Européenne, n'était tenu ni par les directives européennes ni par les décisions de la CJUE. Elle approuva également l'arrêt d'appel en ce qu'il avait constaté que la Principauté de Monaco ne s'était engagée, aux termes de la Convention du 18 mai 1963 relative à la réglementation des assurances, qu'à adopter les dispositions contenues dans les seuls textes législatifs et réglementaires en vigueur et à intervenir en France en droit des assurances, lesquels ne comportaient pas, à l'époque de l'accident, la règle de l'inopposabilité.

9.  Sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint d'une atteinte à son droit à un procès équitable et de l'imprévisibilité du refus des juridictions internes monégasques d'appliquer la règle jurisprudentielle française de l'inopposabilité de la nullité du contrat d'assurance à son égard.

10.  Sous l'angle de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 6 § 1, elle soutient que la solution retenue par les juridictions internes emporte une discrimination à son encontre.

Appréciation de la Cour🔗

11.  En premier lieu, la Cour rappelle que l'article 6 § 1 de la Convention ne réglemente pas l'admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n'a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l'angle de l'article 6 § 1, l'appréciation et la qualification juridique retenues par les juridictions nationales, pourvu qu'elles reposent sur une analyse raisonnable des éléments du dossier et que leurs conclusions ne soient pas arbitraires (voir, parmi beaucoup d'autres, Zubac c. Croatie [GC], n° 40160/12, § 79, 5 avril 2018, ainsi que les références qui y figurent, Moreira Ferreira c. Portugal (n° 2) [GC], n° 19867/12, § 83, 11 juillet 2017, et Rohlena c. République tchèque [GC], n° 59552/08, § 51, CEDH 2015). Eu égard au caractère subsidiaire du système de la Convention, il n'appartient pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si, et dans la mesure où elle pourrait avoir porté atteintes aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (Vasiliauskas c. Lituanie [GC], n° 35343/05, § 160, CEDH 2015, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96 et 2 autres, § 49, CEDH 2001-II, et Jorgic c. Allemagne, n° 74613/01, § 102, CEDH 2007-III).

12.  Or, il convient de relever qu'à toutes les étapes de la procédure, la requérante, assistée de ses avocats, a été mise à même d'exercer effectivement ses droits. Elle a ainsi pu présenter ses demandes, faire valoir ses arguments et produire les éléments y afférents. En outre, la cour d'appel les a expressément pris en considération et y a répondu dans un arrêt longuement motivé, dont les analyses ont été reprises par la Cour de révision. Enfin, il n'apparaît pas que les juges internes aient tiré des conclusions arbitraires des faits qui leur étaient soumis ou auraient dépassé les limites d'une interprétation raisonnable des pièces de la procédure, ainsi que des textes applicables en droit monégasque dans les circonstances de l'espèce. La Cour, dans les limites de l'étendue de son contrôle, et sans porter une appréciation sur le fond de l'affaire, constate que les juridictions nationales ont considéré que si le contrat était certes soumis au code des assurances français, cela n'impliquait en rien une transposition de l'interprétation faite par la Cour de cassation française du code des assurances, à la lumière de directives européennes et d'un arrêt de la CJUE. Il a ainsi été jugé, en l'espèce, que l'application, de plein droit, du droit français en vertu d'une convention bilatérale se limitait au texte de la loi et n'incluait pas son interprétation par des juridictions étrangères ou européennes à la juridiction desquelles l'État défendeur n'était pas soumis.

13.  Dans ces conditions, la Cour ne décèle, au regard de la procédure considérée dans son ensemble, aucune atteinte au droit de la requérante à un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

14.  En second lieu, s'agissant du grief soulevé sous l'angle de l'article 14 de la Convention, la Cour constate, au vu de l'ensemble des éléments en sa possession, et pour autant que les faits litigieux relèvent de sa compétence, qu'il ne fait apparaître aucune apparence de violation des droits et libertés consacrés par la Convention ou ses protocoles.

15.  Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité🔗

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 5 juin 2025.

Martina Keller 

Greffière adjointe 

María Elósegui

Présidente

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