Cour européenne des droits de l'Homme, 5 septembre 2017, L.P. c/ Monaco

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Abstract🔗

Cour européenne des droits de l'homme - Articles 6 § 1 et 6 § 3 c) CEDH - Droit à un procès équitable - Enquête et instruction pénale - Règlement amiable - Déclaration unilatérale - Concessions et indemnisation conformes à la Convention (oui) - Radiation de l'affaire du rôle

Résumé🔗

Le litige oppose la principauté de Monaco à un ressortissant italien résidant à Monaco. Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, le requérant se plaignait de l'absence de notification de son droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ainsi que de la privation de son droit à l'assistance d'un avocat, durant son audition par la police et lors de sa première comparution devant le juge d'instruction.

Après l'échec des tentatives d'un règlement amiable, le Gouvernement a informé la Cour qu'il envisageait de formuler une déclaration unilatérale afin de résoudre le litige soulevé par la requête. Les termes de cette déclaration n'ont toutefois pas satisfait le requérant qui l'a notifié à la Cour. Se fondant sur sa jurisprudence, la Cour rappelle qu'il lui est possible, sur le fondement de l'article 37 § 1 c) de la Convention, de rayer une requête du rôle sur la base d'une déclaration unilatérale du Gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive. La Cour observe alors que la nature des concessions contenues dans la déclaration ainsi que le montant de l'indemnisation proposée sont conformes au respect des droits de l'homme tels que garantis par la Convention et ses protocoles. En outre, elle précise que dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, la requête pourrait être réinscrite au rôle. En conséquence, et après avoir pris acte de la déclaration unilatérale du gouvernement, la Cour convient de rayer l'affaire du rôle.


DÉCISION

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant le 5 septembre 2017 en un comité composé de :

          Nebojša Vučinić, président,

          Valeriu Griţco,

          Georges Ravarani, juges,

et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 27 mai 2014,

Vu la déclaration déposée par le gouvernement défendeur le 11 janvier 2016 et invitant la Cour à rayer la requête du rôle, ainsi que la réponse de la partie requérante à cette déclaration ;

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

Faits et procédure🔗

Le requérant, M. L.P., est un ressortissant italien né en 1974 et résidant à Monaco. Il a été représenté devant la Cour par Me J.‑J. Forrer et L. Tassone, avocats au barreau de Strasbourg, ainsi que par Me R. Gras, avocat au barreau de Draguignan.

Le gouvernement monégasque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Monsieur Jean-Laurent Ravera.

Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, le requérant se plaignait de l'absence de notification de son droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ainsi que de la privation de son droit à l'assistance d'un avocat, durant son audition par la police et lors de sa première comparution devant le juge d'instruction.

La requête avait été communiquée au Gouvernement.

En droit🔗

Après l'échec des tentatives de règlement amiable, par une lettre du 11 janvier 2016, le Gouvernement a informé la Cour qu'il envisageait de formuler une déclaration unilatérale afin de résoudre la question soulevée par la requête. Il a en outre invité la Cour à rayer celle-ci du rôle en application de l'article 37 de la Convention.

La déclaration telle que révisée le 27 mars 2017 était ainsi libellée :

«  Je soussigné, Monsieur Jean-Laurent RAVERA, Agent du Gouvernement monégasque, déclare que le Gouvernement monégasque offre de verser à L.P. la somme globale de 17 500 euros (dix-sept mille cinq cents) au titre de la requête enregistrée sous le no 40482/14.

Cette somme ne sera soumise à aucun impôt et sera versée sur le compte bancaire indiqué par le requérant dans les trois mois à compter de la date de la décision de radiation rendue par la Cour sur le fondement de l'article 37 § 1 c) de la Convention. Le paiement vaudra règlement définitif de la cause.

Le Gouvernement reconnaît que le droit, pour toute personne gardée à vue, d'être assistée par un avocat tout au long de la mesure, y compris pendant les interrogatoires, de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination a été consacré, d'abord à titre transitoire, par une note du Procureur général en date du 30 mai 2011, puis par l'adoption de la loi no 1.399 portant réforme du Code de procédure pénale en matière de garde à vue, adoptée le 25 juin 2013.

Le Gouvernement reconnaît ainsi, qu'en l'espèce, le requérant, dont la garde à vue était antérieure, n'a pu bénéficier ni des mesures transitoires instituées par la note du 30 mai 2011 ni des nouvelles dispositions législatives. Partant, l'absence de notification de son droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ainsi que la privation de son droit à l'assistance d'un avocat, durant son audition par la police et lors de sa première comparution devant le juge d'instruction, ont porté atteinte au droit du requérant à un procès équitable, au sens de l'article 6 §§  1 et 3 c. »

Par une lettre du 16 février 2016, la partie requérante a indiqué qu'elle n'était pas satisfaite des termes de la déclaration unilatérale.

La Cour rappelle qu'en vertu de l'article 37 de la Convention, à tout moment de la procédure, elle peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances l'amènent à l'une des conclusions énoncées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 de cet article. L'article 37 § 1 c) lui permet en particulier de rayer une affaire du rôle si : «  pour tout autre motif dont la Cour constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête ».

La Cour rappelle aussi que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) sur la base d'une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive.

À cette fin, la Cour a examiné de près la déclaration à la lumière des principes que consacre sa jurisprudence, en particulier l'arrêt Tahsin Acar (Tahsin Acar c. Turquie (question préliminaire) [GC], no 26307/95, §§ 75‑77, CEDH 2003‑VI, WAZA Spółka z o.o. c. Pologne (déc.), no 11602/02, 26 juin 2007, et Sulwińska c. Pologne (déc.), no 28953/03, 18 septembre 2007).

La Cour a établi dans un certain nombre d'affaires, dont celle dirigée contre Monaco, sa pratique en ce qui concerne les griefs tirés de la violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention concernant le défaut d'assistance d'un avocat pendant la garde à vue et l'absence de notification du droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination (voir, parmi beaucoup d'autres, Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, CEDH 2008, Navone et autres c. Monaco, nos 62880/11, 62892/11 et 62899/11, 24 octobre 2013, A.T. c. Luxembourg, no 30460/13, 9 avril 2015 et, en dernier lieu, Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, 12 mai 2017).

Eu égard à la nature des concessions que renferme la déclaration du Gouvernement, ainsi qu'au montant de l'indemnisation proposée – qui est à tout le moins conforme aux montants alloués dans des affaires similaires –, la Cour estime qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête (article 37 § 1 c)).

En outre, à la lumière des considérations qui précèdent, et eu égard en particulier à sa jurisprudence claire et abondante à ce sujet, la Cour estime que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses Protocoles n'exige pas qu'elle poursuive l'examen de la requête (article 37 § 1 in fine).

Enfin, la Cour souligne que, dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, la requête pourrait être réinscrite au rôle en vertu de l'article 37 § 2 de la Convention (Josipović c. Serbie (déc.), nº 18369/07, 4 mars 2008).

En conséquence, il convient de rayer l'affaire du rôle.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,🔗

Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur concernant l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements ainsi pris ;

Décide de rayer la requête du rôle en application de l'article 37 § 1 c) de la Convention.

Fait en français puis communiqué par écrit le 28 septembre 2017.

Hasan Bakırcı

Greffier adjoint

Nebojša Vučinić

Président

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