Cour européenne des droits de l'Homme, 16 juillet 2009, Prencipe c/ Monaco
Abstract🔗
Procédure pénale – détention préventive – durée – détenue atteint de troubles mentaux - CEDH
Cour européenne des droits de l'homme - violation de l'article 5 § 3 (oui) - droit à la liberté et à la sûreté - délai raisonnable de jugement - durée excessive de détention - motifs suffisants - motifs pertinents - diligence particulière de la part des États - gravité des faits - trouble à l'ordre public - culpabilité présumée - risque de fuite - concertation frauduleuse - pression - co-inculpés
Cour européenne des droits de l'homme - violation de l'article 3 (non) - interdiction des traitements inhumains et dégradants - seuil de gravité - état de santé.
Résumé🔗
Le litige oppose la Principauté de Monaco à une requérante accusée d'abus de confiance. Pour se défendre la requérante avança qu'elle avait été manipulée. En effet, selon ses dires, elle aurait réalisé ces détournements sous les instructions téléphoniques d'un individu qu'elle ne connaissait pas et que les versements d'argent étaient également destinés à des personnes dont elle n'avait pas connaissance. Un expert médecin psychiatre analysa le profil de la requérante et conclut que sa responsabilité pouvait modérément être atténuée du fait d'anomalies mentales. La requérante fut tout de même inculpée pour faux et usage de faux. Plusieurs demandes de libertés furent introduites par son avocat, demandes qui furent toutes rejetées. Dans le présent litige la requérante invoque la violation de l'article 5 § 3 et de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour conclut à la violation de l'article 5 § 3 de la Convention et à l'absence de violation de l'article 3.
Concernant la violation de l'article 5 § 3, la Cour détermine d'abord la durée durant laquelle la requérante a été détenue. La Cour indique ainsi que cette détention a duré près de quatre ans et rappelle qu'il incombe aux autorités nationales de s'assurer que la durée de détention provisoire d'un accusé soit raisonnable et non excessive. La culpabilité présumée d'un accusé n'est, au bout d'un certain temps, plus suffisante pour maintenir celui-ci en détention. À ce titre la Cour estime que les autorités nationales ont mis en avant divers motifs en faveur du maintien de la requérante en détention, tels que la difficulté de l'affaire et les nombreuses investigations devant être réalisées. La Cour va ainsi analyser particulièrement trois motifs afin de déterminer si l'article 5 § 3 a été violé.
Tout d'abord, la Cour se concentre sur la gravité avancée des faits litigieux et le trouble à l'ordre public qu'ils génèrent. La Cour estime que ce motif n'a pas été assez étayé par les autorités monégasques. En effet, elles n'ont pas apporté suffisamment d'éléments probants, puisqu'elles se sont contentées de mettre en avant des éléments abstraits et non concrets et actuels de l'atteinte à l'ordre public et de la nécessité de maintenir la requérante en détention.
La Cour s'intéresse ensuite au motif tiré de la nécessité de maintenir la requérante à disposition des autorités judiciaires. Or ce motif n'a pas constamment été soulevé par les autorités monégasques. En outre, les juridictions monégasques n'ont à aucun moment étudier la possibilité de placer la requérante en liberté provisoire assortie d'un contrôle judiciaire. Par ailleurs, le risque de fuite de la requérante n'a pas été assez démontré.
Enfin, la Cour se concentre sur le motif tiré du risque de concertation frauduleuse ou de pression avec les autres inculpés de l'affaire. Ce motif n'a pas été dument démontré par les juridictions nationales. Par conséquent, au regard des éléments susmentionnés, la Cour conclut à la violation de l'article 5 § 3 de la Convention, les juridictions nationales n'ayant pas apporté d'éléments suffisamment probants.
Concernant la violation de l'article 3 de la Convention, et sur la recevabilité, la Cour estime que le moyen tiré du non épuisement des voies de recours internes ne peut aboutir. En effet, la requérante a dû s'acquitter d'une amende du fait du rejet de son recours devant la Cour d'appel. Le fait de condamner à une amende les requérants dont le pourvoi est rejeté est contraire à la Convention. Sur la saisine dans le délai de six mois à compter de la décision interne définitive, la Cour avance que ce délai a bien été respecté. Le recours sur le fondement de l'article 3 de la Convention est donc bien recevable.
Concernant le fond, la Cour met en avant le fait que les rapports d'expertise réalisés par les médecins ont indiqué que l'état de santé de la requérante était compatible avec sa détention. En outre, la requérante a pu bénéficier de plus de 220 consultations et autres examens médicaux. Les autorités monégasques ont dès lors rempli leur devoir et le seuil de gravité pour conclure à l'application de l'article 3 de la Convention n'est pas atteint.
ARRÊT
STRASBOURG
16 juillet 2009
DÉFINITIF
16 octobre 2009
En l'affaire Prencipe c. Monaco,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Rait Maruste,
Karel Jungwiert,
Renate Jaeger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
Procédure🔗
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 43376/06) dirigée contre la Principauté de Monaco et dont la Cour a été saisie le 6 octobre 2006 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »), par une ressortissante française, Mme Josette Prencipe (« la requérante »).
2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représentée par Me Lajoux, avocat-défenseur à Monaco. Le gouvernement monégasque (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jean-François Renucci.
3. La requérante alléguait la violation des articles 3 et 5 § 3 de la Convention.
4. Le 4 octobre 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
5. Par une lettre du 5 octobre 2007, le gouvernement français a été invité, en vertu de l'article 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement de la Cour, à intervenir dans la procédure. Le 2 janvier 2008, ce dernier a indiqué qu'il n'entendait pas se prévaloir de son droit d'intervention.
6. La requérante soulève l'irrecevabilité des observations écrites du Gouvernement en raison de leur tardiveté. La Cour constate, d'une part, que le 5 octobre 2007, le gouvernement monégasque a été invité par le greffe à soumettre ses observations par courrier « au plus tard le 7 janvier 2008 » et, d'autre part, que celles-ci ont été transmises le 7 janvier 2008, comme l'attestent les documents fournis par la partie défenderesse. Partant, elle considère que les observations écrites du Gouvernement sont recevables et qu'elles doivent être versées au dossier de la procédure.
En fait🔗
I. Les circonstance de l'espèce🔗
7. La requérante, Mme Josette Prencipe, est née le 16 mars 1940 à Monaco. Elle est actuellement domiciliée à Nice, en France.
1. La genèse de l'affaire🔗
8. Le 6 janvier 2004, Jean-Dominique L., directeur de l'inspection et des contrôles du siège parisien de la banque Monte Paschi, déposa plainte auprès de la Sûreté publique de la Principauté de Monaco du chef d'abus de confiance à l'encontre de la requérante, employée à l'agence de Monaco depuis près de 30 ans : il exposa qu'un contrôle interne avait permis de constater que plusieurs virements qui devaient débiter les comptes de plusieurs clients de la banque avaient été effectués en faveur d'un numéro de compte identique mais pour des bénéficiaires dont le nom était différent ; à titre d'exemple, il fit valoir que Marie-Christine C., cliente de la banque, contestait diverses opérations débitrices pour un montant de 1 545 000 euros.
9. La requérante, présente lors du dépôt de plainte au côté de Jean-Dominique L., fut entendue par les services de police. Elle reconnut immédiatement avoir commis des détournements au préjudice de Marie-Christine C. et d'autres clients dont elle gérait les comptes, en expliquant qu'elle avait agi sur les instructions téléphoniques données par des voix inconnues, sans avoir profité personnellement des détournements, ni eu connaissance de la destination de l'argent détourné.
10. Le 7 janvier 2004, une information judiciaire fut ouverte à l'encontre de la requérante du chef d'abus de confiance aggravés en ce qu'ils avaient été commis par un employé ou un préposé à qui des fonds sont habituellement remis en raison de ses fonctions, crime prévu et réprimé par l'article 337 du Code pénal. Inculpée le même jour, elle fut interrogée par un juge d'instruction du tribunal de première instance de Monaco. Lors de cette première comparution, elle confirma ses déclarations faites à la police en précisant qu'elle ne connaissait ni les personnes qui lui avaient donné les instructions téléphoniques, ni celles qui avaient bénéficié des versements. Elle se dit victime d'une manipulation, et soutenait que les « voix des esprits » se faisaient quelques fois menaçantes contre son fils, ses amis et elle-même. Elle se dit également incapable d'évaluer le montant total des détournements effectués. À l'issue de la comparution, elle fut placée sous mandat d'arrêt.
2. Le déroulement de l'instruction🔗
11. Le 7 janvier 2004, le domicile de la requérante fut perquisitionné. Les investigations menées permirent d'identifier dans un premier temps les bénéficiaires des vingt virements frauduleux sur le compte de Marie-Christine C. vers des comptes bancaires de Paris et d'Aix-en-Provence.
12. Le 15 janvier 2004, le juge d'instruction commit en qualité d'expert un médecin psychiatre, lequel indiqua dans son rapport que la requérante était « atteinte d'anomalies mentales psychiques à type de personnalité névrotique en relation partielle avec son comportement et l'infraction reprochée, lesdits troubles étant de nature à atténuer sa responsabilité dans une proportion modérée. »
13. Le 2 février 2004, le juge d'instruction interrogea la requérante. Celle-ci indiqua qu'en 1986 ou 1988, elle avait fait la connaissance de la famille O., domiciliée à Aix-en-Provence, à laquelle elle avait apporté une aide financière substantielle, en lui remettant toute sa fortune, soit environ 1,5 million de francs français, par virements ou mandats expédiés au cours de ces années et jusqu'en 1993 ou 1994. Elle expliqua que Marie-Josèphe O., avec qui elle partageait les mêmes convictions spirituelles, la voyance, les médiums et la communication avec les morts, lui avait présenté un homme, médium possédé par le « Shir » (qui signifie « esprit bienveillant » en langue arabe), qui lui avait proposé de modifier son « karma », lequel subissait des influences négatives. Elle affirma n'avoir jamais rencontré l'homme qui lui téléphonait régulièrement à partir de 1988 ou 1989 et lui conseillait de verser de l'argent à la famille O., qui devait faire face, aux dires de cet homme, aux difficultés financières de sa société d'import-export, « OAMJ ».
14. Le 30 janvier 2004, le procureur général prit des réquisitions supplétives à l'encontre de la requérante pour faux en écritures de banque, usage de faux et complicité de faux, et à l'encontre de Béatrice L. M., secrétaire de la société OAMJ, pour faux en écritures de banque et usage. Le 15 juillet 2004, la requérante fut inculpée de ces chefs d'accusation. Elle reconnut les faits en expliquant avoir fabriqué de faux ordres de virement par l'imitation de la signature de ses clients.
15. Le 23 septembre 2004, la requérante confirma ses déclarations précédentes, et déclara reconnaître tous les faits qui lui étaient reprochés.
16. Le 15 octobre 2004, le magistrat instructeur délivra cinq mandats d'arrêt internationaux à l'encontre des membres de la famille O. – les époux Abdelhamid et Marie-Josèphe O., ainsi que leurs filles Amel O., Salima O., Shéhérazade O. et Catherine D. – pour « complicité d'abus de confiance commis par un employé ou un préposé à qui les fonds sont habituellement remis en raison de ses fonctions et recel, crime commis à Monaco courant 1994 à 2003. » Il indiqua dans ces mandats que l'instruction avait permis à ce jour d'établir, d'une part, que les sept comptes ouverts à la banque HSBC de Monaco, exclusivement crédités par des fonds détournés pour un montant supérieur à 7 600 000 euros, avaient pour titulaires Marie-Josèphe O., Catherine D., Shéhérazade O., Amel O. et la SCI « Les Amandiers » dont les associés étaient ces trois dernières, d'autre part, que ces comptes avaient permis d'acheter une villa à Aix-en-Provence et d'effectuer de nombreuses dépenses de luxe.
17. Le 17 novembre 2004, la requérante fut de nouveau interrogée. Le 25 novembre 2004, Béatrice L. M. fut inculpée puis placée sous mandat d'arrêt. Interrogée le 11 janvier 2005, elle reconnut avoir fabriqué de faux relevés de comptes bancaires à divers noms.
18. Le 13 janvier 2005, le juge d'instruction procéda à un nouvel interrogatoire de la requérante.
19. Le 18 janvier 2005, Amel, Salima, Shéhérazade et Marie-Josèphe O. furent inculpées des infractions visées dans les mandats d'arrêt susmentionnés et placées en détention par le juge d'instruction. Marie-Josèphe O., directrice commerciale de la société OAMJ à Marseille, nia être l'instigatrice des détournements et même avoir eu connaissance de ceux-ci. Amel et Shéhérazade O. affirmaient également tout ignorer de l'origine frauduleuse des fonds dont elles avaient disposé.
20. À ce stade de l'instruction, le magistrat en charge du dossier évalua à plus de 21 millions d'euros le montant des détournements.
21. Courant mars 2005, la requérante, à la suite d'un accident cardio-vasculaire, fut hospitalisée au centre hospitalier Princesse Grace de Monaco. Dans un rapport déposé le 28 juin 2005, l'expert médical estima que « sous réserve de la poursuite du traitement de prévention secondaire de AVC », l'état neurologique de la requérante était stabilisé et compatible avec une détention en milieu carcéral.
22. Le 8 mars 2005, Catherine D. se présenta spontanément devant le juge d'instruction, qui l'inculpa de complicité d'abus de confiance et recel, et la plaça sous mandat d'arrêt. Interrogée le 22 mars 2005, elle déclara que sa mère connaissait l'origine des fonds utilisés par sa famille et qu'elle était la seule à utiliser la somme de 5 000 000 euros accumulée sur le compte ouvert au nom de celle-ci.
23. Le 24 mars 2005, Amel et Shéhérazade O., furent remises en liberté après une confrontation avec leur sœur. Catherine D. fut remise en liberté le 11 juillet 2005 pour motifs médicaux, puis placée sous contrôle judiciaire le 23 août 2005. Les obligations qui lui étaient imposées n'ayant pas été respectées (versement d'une caution et remise de son passeport), un mandat d'arrêt international fut décerné à son encontre le 17 octobre 2005, mandat que les autorités françaises se refusèrent à mettre à exécution au motif que la République française n'extrade pas ses nationaux.
24. Entre-temps, d'avril à mai 2005, le requérante fut de nouveau interrogée à plusieurs reprises.
25. Le 17 mai 2005, Abdelhamid O., interpelé à Marseille le 17 décembre 2004 puis extradé à Monaco, comparut devant le juge d'instruction. Il fut inculpé de complicité d'abus de confiance aggravés et recel, avant d'être placé en détention.
26. En juillet 2005, la requérante fit l'objet de plusieurs interrogatoires portant sur l'historique des détournements, leurs motifs et leur ampleur, ainsi que sur ses relations avec la famille O. et Catherine D. Au cours de l'une de ces auditions, elle se plaignit de subir des pressions de la part de ses co-détenues pour orienter ses déclarations.
27. Le 6 octobre 2005, le juge d'instruction délivra une commission rogatoire internationale aux autorités algériennes aux fins notamment d'enquêter sur la moralité, les moyens d'existence et les relations de la famille O., sur l'activité de la société OAMJ, ainsi que sur les opérations effectuées sur le compte bancaire d'Abdelhamid O. ouvert en Algérie.
28. Le 14 octobre 2005, le procureur général prit des réquisitions supplétives contre Jean-Luc F., gérant d'un restaurant à Saint-Tropez et compagnon de Catherine D. depuis 2003, du chef de recel d'abus de confiance aggravés, en se fondant notamment sur un signalement de la cellule de renseignement financier française TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), transmis par les autorités françaises le 3 août 2005.
29. Le 3 novembre 2005, le juge d'instruction délivra un mandat d'arrêt international contre Jean-Luc F.
30. Le 19 décembre 2005, il délivra une commission rogatoire internationale aux autorités judiciaires françaises en vue notamment d'effectuer une perquisition au siège du restaurant tropézien et de vérifier sa comptabilité. Le magistrat mandant remerciait les autorités requises de leur diligence à l'exécution de la mission, « eu égard à la nature criminelle des faits et à l'état de détention de quatre inculpés, dont l'une incarcérée depuis 21 mois. »
31. Le 20 février 2006, le juge d'instruction procéda à une confrontation entre la requérante et Béatrice L. M.
32. Le 12 mai 2006, il procéda à une nouvelle audition de la requérante, suite à la découverte d'autres comptes affectés de mouvements irréguliers.
33. En juillet 2006, le magistrat instructeur se rendit en Algérie en compagnie de policiers monégasques pour assister à l'exécution de sa commission rogatoire internationale du 6 octobre 2005.
34. Le 18 octobre 2006, il rendit une ordonnance par laquelle il débloqua les comptes bancaires de la requérante, faisant droit à une demande qu'elle avait formulée le 15 mai 2006, précisant que l'inculpée n'avait déposé ou fait transiter aucune des sommes litigieuses sur ses comptes personnels, qu'elle n'avait tiré quasiment aucun profit de l'infraction, et que les fonds détenus sur ses comptes n'étaient pas d'origine frauduleuse.
35. Le 31 octobre 2006, la requérante fut de nouveau interrogée, et maintint ses déclarations antérieures.
36. Le 24 avril 2007, le juge d'instruction rendit une ordonnance, longuement motivée, aux fins de transmission partielle des éléments de la procédure au premier président de la cour d'appel. Après avoir relevé que la requérante, qui n'avait tiré personnellement aucun profit des détournements opérés, avait été manipulée dès 1988 par la famille O., s'étant notamment démunie de toute sa fortune personnelle en leur faveur, le magistrat instructeur dit n'y avoir lieu à poursuivre l'information à son encontre du chef d'abus de confiance aggravé concernant les opérations litigieuses sur un compte bancaire ouvert au nom de M. A. En revanche, il estima qu'il résultait de l'information des charges suffisantes contre la requérante et ses co-inculpés d'avoir commis les autres faits reprochés.
37. Le 5 juin 2007, le conseil de la requérante déposa un mémoire devant la cour d'appel de Monaco, dans lequel il sollicita la requalification délictuelle des faits en abus de confiance, ainsi qu'une mise en liberté provisoire. Dénonçant sur ce point « la prolongation injustifiée de la détention préventive de l'inculpée en dépit du mauvais état de santé qu'elle présente », il souligna que « la santé physique et mentale [de la requérante avait] bien été affectée par la prolongation de la détention », et invoqua une violation des articles 9 § 3 et 7 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques, ce dernier article disposant notamment que nul ne pouvait être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il allégua également une violation de l'article 5 § 3 de la Convention en considérant, d'une part, que le délai de détention préventive de quarante mois était totalement déraisonnable et, d'autre part, que la requérante ne serait « certainement pas jugée avant plusieurs mois, ce qui signifie que sa détention préventive dépasserait les quatre années (soit quasiment cinq ans de prison avec les remises de peines), et qui équivaudrait d'ores et déjà au maximum de la peine encourue en cas de renvoi devant le tribunal correctionnel, ou en tout état de cause à la moitié de la peine encourue dans l'hypothèse d'un renvoi devant le tribunal criminel », pour en déduire qu'il s'agissait d'une « présomption de culpabilité ».
38. Une audience devant la chambre du conseil de la cour d'appel, fixée au 14 juin 2007, fut reportée au 26 juin 2007.
39. Le 12 octobre 2007, la chambre du conseil de la cour d'appel rendit un arrêt, longuement motivé, de mise en accusation à l'égard de l'ensemble des co-inculpés et ordonna leur renvoi devant le tribunal criminel. Elle rejeta la demande de requalification des faits présentée par la requérante, estimant que ceux-ci revêtaient une qualification criminelle. Elle rejeta également sa demande de mise en liberté, aux motifs qu'eu égard aux faits d'une particulière gravité, à la complexité de l'information et au nombre d'inculpés, la durée de la détention préventive ne pouvait être tenue pour excessive, et considéra que ni l'état de santé de la requérante, ni son âge ne justifiaient une mise en liberté provisoire.
40. Saisie d'un pourvoi en cassation formé le 8 novembre 2007 par l'un des co-inculpés, Jean-Luc F., la Cour de révision, par un arrêt du 7 février 2008, cassa et annula, uniquement en ce qui le concernait, l'arrêt de mise en accusation du 12 octobre 2007, au motif que l'article 6 § 3 a) de la Convention avait été violé, faute pour l'inculpé d'avoir pu prendre connaissance des pièces de la procédure malgré de nombreuses demandes adressées en ce sens au magistrat instructeur. Elle renvoya l'affaire à la première session de la Cour de révision, statuant en tant que juridiction d'instruction. Par un arrêt du 26 mai 2008, celle-ci ordonna la poursuite de l'instruction à l'égard de Jean-Luc F. afin de faire procéder, sur commission rogatoire internationale, à sa première comparution et à tous les actes qui s'avèreraient nécessaires.
3. Les autres demandes de mise en liberté formulées par la requérante🔗
41. En juillet et septembre 2004, ainsi qu'en janvier, septembre et novembre 2005, la requérante déposa plusieurs demandes de mise en liberté, qui furent toutes rejetées par le juge d'instruction (ordonnances de rejet des 22 juillet 2004, 19 janvier, 9 septembre et 21 novembre 2005), puis par la chambre du conseil de la cour d'appel de Monaco (arrêts des 2 août 2004, 26 janvier, 21 septembre et 2 décembre 2005).
a) La demande présentée le 3 juillet 2006🔗
42. Le 3 juillet 2006, la requérante déposa une nouvelle demande de mise en liberté. Au visa de l'article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et de l'article 5 § 3 de la Convention, elle soutint que la durée de sa détention préventive était manifestement excessive.
43. Par une ordonnance du 10 juillet 2006, le juge d'instruction rejeta la demande, aux motifs que les faits reprochés à l'inculpée étaient d'une particulière gravité, s'agissant de détournements de fonds très importants effectués depuis plusieurs années au préjudice de nombreux clients de la banque, que diverses investigations nécessaires à la manifestation de la vérité étaient en cours, et qu'il y avait lieu de garantir sa représentation en justice. Il considéra, en conséquence, qu'il était nécessaire de maintenir la requérante à la disposition de la justice.
44. Par un arrêt du 20 juillet 2006, la chambre du conseil de la cour d'appel confirma l'ordonnance déférée. Après avoir considéré que les faits, de nature criminelle, étaient d'une particulière gravité et qu'ils causaient un trouble certain et toujours actuel à l'ordre public, la cour d'appel estima que la durée de l'instruction était justifiée par la complexité de l'affaire, dans laquelle plusieurs autres protagonistes étaient mis en cause, et par les difficultés rencontrées par le magistrat instructeur dans la recherche de la vérité, des investigations apparaissant encore nécessaires pour connaître les destinations finales d'une partie importante des fonds détournés. Elle en déduisit la détention préventive de la requérante n'était pas déraisonnable, et conclut que son maintien en détention était l'unique moyen d'éviter tout risque de fuite vers l'étranger, compte tenu de l'importance de la peine encourue, ainsi que toute concertation frauduleuse ou pression entre co-inculpés.
45. La requérante, invoquant l'article 5 § 3 de la Convention, forma une requête en révision contre cet arrêt. Par un arrêt du 6 septembre 2006, la Cour de révision rejeta la requête, motifs pris de ce que « [c'était] dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la chambre du conseil [avait] décidé, par une décision motivée, se référant aux circonstances de la cause, que la durée de la détention préventive de la requérante n'excédait pas un délai raisonnable ». Elle condamna la requérante au paiement d'une amende ainsi qu'aux dépens.
b) La demande présentée le 27 novembre 2006🔗
46. Le 15 novembre 2006, le docteur M., du service médical de la maison d'arrêt de Monaco, déclara que l'état de santé de la requérante n'était plus compatible avec sa détention.
47. Le 27 novembre suivant, la requérante forma une demande de mise en liberté eu égard à son état de santé auprès du juge d'instruction. Par une ordonnance du 1er décembre 2006, celui-ci rejeta la demande. Il souligna que les faits étaient d'une particulière gravité, que les ultimes auditions nécessaires à la manifestation de la vérité étaient en cours, et que le dossier d'information étant en voie d'achèvement, il y avait lieu de garantir la représentation de la requérante en justice. S'agissant de son état de santé, il indiqua que des expertises médicales étaient en attente d'être réceptionnées pour décider des suites à donner à la demande de la requérante.
48. Le 4 décembre 2006, un rapport d'expertise médico-psychiatrique fut déposé au cabinet du magistrat instructeur. Il indiquait que la requérante, âgée de 66 ans, présentait des éléments cliniques évoquant un tableau neurologique « catastrophique », avec notamment des chutes brutales précédées de perte de connaissance incontrôlables, et concluait que son état nécessitait une hospitalisation en milieu spécialisé afin de pouvoir poursuivre et compléter le bilan déjà entrepris, sur le plan clinique. Les experts considérèrent qu'il était difficile de se prononcer définitivement sur l'état de l'inculpée, ce qui ne pouvait être fait qu'après une période d'hospitalisation.
49. Dans son mémoire en appel, la requérante fit valoir que le rapport des experts désignés « contrastait singulièrement » avec le certificat médical du 15 novembre 2006, qu'en tout état de cause l'ensemble des médecins avaient reconnu la réalité de sa maladie, que son placement en milieu hospitalier spécialisé, préconisé par les experts, révélait « un acharnement judiciaire incompréhensible » et que la durée de sa détention était manifestement excessive au sens de la Convention européenne des droits de l'homme.
50. Par un arrêt du 15 décembre 2006, la chambre du conseil de la cour d'appel confirma l'ordonnance déférée, aux motifs que les faits étaient d'une particulière gravité de nature à causer un trouble certain et toujours actuel à l'ordre public, eu égard à leur gravité et au montant du préjudice, que la durée de l'instruction n'était pas excessive au regard de la complexité de l'affaire et de la mise en cause d'autres personnes. S'agissant de l'état de santé de l'inculpée, la cour considéra que les deux experts désignés par le juge d'instruction avec mission de dire si cet état de santé était compatible avec une détention ou nécessitait l'élargissement de la maison d'arrêt, n'avaient pas conclu à la nécessité d'un tel élargissement mais avaient préconisé une hospitalisation en milieu spécialisé pour des examens complémentaires. Dans ces conditions, elle estima qu'il y avait lieu de la maintenir en détention pour éviter tout risque de fuite à l'étranger, au vu de l'importance de la peine encourue.
c) La demande présentée le 3 décembre 2007🔗
51. Le 3 décembre 2007, la requérante présenta à la cour d'appel une demande de mise en liberté provisoire. Elle fit d'abord valoir que, compte tenu du pourvoi formé par Jean-Luc F. le 8 novembre 2007 contre l'arrêt de mise en accusation du 12 octobre 2007, son jugement n'interviendrait pas avant plusieurs mois, de sorte que sa détention préventive dépasserait les quatre années (soit cinq ans de prison avec les remises de peine), ce qui correspondrait à la moitié de la peine maximale encourue devant le tribunal criminel. Invoquant en outre le caractère manifestement excessif de sa détention au regard de l'article 5 § 3 de la Convention, elle souligna qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir exercé des voies de recours, présenté des demandes d'investigations particulières, ou adopté une attitude dilatoire.
52. La chambre du conseil de la cour d'appel rendit son arrêt le 13 décembre 2007. Considérant que l'instruction avait été menée « avec minutie et diligence », elle souligna que le juge d'instruction avait dû effectuer de multiples investigations justifiées par les déclarations insuffisamment détaillées de l'accusée au début de l'information sur le modus operandi, par l'identité des victimes et le montant des détournements. Elle releva que le magistrat instructeur avait conduit ses investigations au-delà des frontières de la Principauté, en délivrant de « nombreuses commissions rogatoires internationales à l'encontre des co-auteurs et complices de la requérante ». Elle estima que le maintien en détention était alors indispensable pour permettre leur confrontation, compte tenu de la nature des déclarations de l'accusée, de son rôle primordial dans cette affaire et des déclarations divergentes des divers protagonistes, Catherine D. ayant en outre pris la fuite après avoir été remise en liberté pour des motifs médicaux, ce qui rendait encore plus difficile la recherche de la vérité. Selon la chambre du conseil, la complexité particulière de l'affaire résultant des circonstances des détournements, de leur montant considérable, du nombre des victimes et des personnes mises en cause, ainsi que de la destination des fonds détournés et la dissipation d'une grande partie de ceux-ci, rendaient indispensable la comparution de la requérante devant le tribunal criminel. Eu égard, d'une part, à sa nationalité française et à l'exiguïté du territoire de la Principauté, et, d'autre part, à l'importance de la peine encourue, soit dix années de réclusion, l'accusée n'avait offert jusqu'à présent aucune garantie suffisante de représentation en justice. Toutefois, au visa de l'article 5 § 3 de la Convention, la cour d'appel considéra que l'absence de fixation d'une date d'audience devant le tribunal criminel, et l'existence d'un pourvoi en révision formé par Jean-Luc F. à l'encontre de l'arrêt du 12 octobre 2007 justifiaient la remise en liberté la requérante « afin de répondre aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme, quant au délai raisonnable de la détention préventive ». La requérante fut libérée le jour même.
II. Le droit interne pertinent🔗
53. Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale, applicables à l'époque des faits, se lisent comme suit :
Article 187🔗
« Le juge d'instruction peut, par ordonnance motivée et susceptible d'appel, astreindre l'inculpé laissé en liberté provisoire à se soumettre à toute mesure de contrôle propre à garantir sa représentation en justice. »
Article 188🔗
« En toute matière, au cours de l'information, le juge d'instruction peut, après avis du procureur général, ordonner, d'office, la mise en liberté provisoire de l'inculpé, à charge pour celui-ci de prendre l'engagement de se présenter à tous les actes de la procédure, ainsi que, s'il y a lieu, pour l'exécution de la sentence dès qu'il en sera requis.
Il pourra même être astreint sur le territoire de la Principauté et à observer toute autre condition qui serait jugée nécessaire. (...) »
Article 190🔗
« Il est statué sur les demandes de mise en liberté provisoire par le juge d'instruction et, après dessaisissement de ce magistrat, par la juridiction d'instruction ou de jugement saisie de l'affaire.
En cas de pourvoi en révision, notamment lorsque la demande est formé en application de l'article 465 du présent code, le droit de statuer appartient à la chambre du conseil de la cour d'appel.
D'une façon générale, ladite chambre du conseil sera compétente pour statuer sur une demande de mise en liberté provisoire lorsque, par suite des circonstances, aucune autre juridiction ne pourra en connaître. »
Article 460🔗
« Le procureur général et l'accusé pourront attaquer l'arrêt de mise en accusation et, le cas échéant, relever dans le pourvoi les nullités de la procédure antérieure à condition, hormis le cas d'une nullité substantielle, qu'elles aient déjà été invoquées devant la chambre du conseil.
À défaut de pourvoi, toutes les nullités sont couvertes par l'arrêt de mise en accusation. »
Article 480🔗
« La partie qui se pourvoit en révision est tenue de déposer à la Caisse des dépôts et consignations le montant de la somme fixée par l'article 502, à moins qu'elle ne soit dispensée de l'amende prévue par cet article ou de sa consignation. La quittance de la somme déposée est remise au greffe général, avant l'expiration du délai fixé par l'article 479, à peine de déchéance. Elle est annexée aux pièces de la procédure. »
Article 481🔗
« Sont dispensés de la consignation de l'amende :
1o Les individus en état de détention ;
2o Les parties qui justifient de l'impossibilité d'opérer le versement prescrit sans entamer les ressources indispensables à leur subsistance ou à l'entretien de leur famille. Cette justification doit avoir lieu au moyen d'un certificat délivré par le Maire de Monaco ou, si les parties sont étrangères, par le Ministre d'État, et déposé au greffe dans le délai fixé pour la remise de la quittance. »
Article 502🔗
« Sont dispensés de la consignation de l'amende :
1o Les individus en état de détention ;
2o Les parties qui justifient de l'impossibilité d'opérer le versement prescrit sans entamer les ressources indispensables à leur subsistance ou à l'entretien de leur famille. Cette justification doit avoir lieu au moyen d'un certificat délivré par le Maire de Monaco ou, si les parties sont étrangères, par le Ministre d'État, et déposé au greffe dans le délai fixé pour la remise de la quittance. »
En droit🔗
I. Sur la violation alléguée de l'article 5 § 3 de la Convention🔗
54. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de la durée de sa détention provisoire qu'elle juge excessive.
La Cour estime que le grief doit être examiné sous l'angle de l'article 5 § 3 de la Convention, seul pertinent en l'espèce, qui se lit comme suit :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
A. Sur la demande du Gouvernement de rayer l'affaire du rôle🔗
55. Par une lettre datée du 18 août 2008 et envoyée le 15 septembre 2008, à laquelle était jointe une déclaration, le Gouvernement a demandé à la Cour de rayer l'affaire du rôle pour autant qu'elle porte sur ce grief, en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention et de l'article 43 § 1 du Règlement de la Cour. La déclaration se lit comme suit :
« Le Gouvernement Princier reconnaît qu'une détention provisoire dépassant une certaine durée peut poser problème vis-à-vis des droits garantis par la Convention, même si des détentions provisoires plus longues que celle de l'affaire Prencipe ont pu être jugées raisonnables au sens de l'article 5 de la Convention (voir notamment l'affaire Chraidi du 26 octobre 2006, ou encore l'affaire Pêcheur du 11 décembre 2007).
Le Gouvernement Princier tient à informer la Cour que, conscientes de ces risques, les autorités monégasques ont, d'une part créé un poste supplémentaire de juge d'instruction (...) et, d'autre part, modifié la législation interne en réglementant, de façon encore plus restrictive, la durée des détentions avant jugement (...). [Le Gouvernement cite alors les dispositions de l'article 194 nouveau du Code de procédure pénale issu de la loi no 1.343 du 26 décembre 2007].
Ces initiatives ont été prises dans un souci de respecter encore plus fortement les standards européens dans le sens d'une meilleure protection des droits fondamentaux, même si la durée des procédures judiciaires à Monaco n'est pas un problème structurel vu la célérité avec laquelle est habituellement traité de type de contentieux (...).
(...) dans un souci de conciliation, le Gouvernement Princier souhaite explorer toutes les pistes permettant d'apporter une solution rapide et équitable à cette affaire, compte tenu de la réalité des faits, de la jurisprudence de la Cour et de la situation personnelle de la requérante.
Le Gouvernement Princier est prêt à verser, ex gratia, à la requérante, une indemnité pour préjudice d'un montant de 15 000 €, somme qu'il considère appropriée à la lumière de la jurisprudence de la Cour. Cette somme couvrira tout préjudice matériel et moral, ainsi que les frais et dépens, et vaudra règlement définitif de la cause (...). »
56. Par une lettre du 20 octobre 2008, la requérante a fait savoir qu'elle entendait maintenir sa requête et qu'elle s'opposait fermement à la demande de radiation formulée par le Gouvernement.
57. La Cour observe d'emblée que les parties ne sont pas parvenues à s'entendre sur les termes d'un règlement amiable de l'affaire. Elle rappelle qu'en vertu de l'article 38 § 2 de la Convention, les négociations menées dans le cadre de règlements amiables sont confidentielles. L'article 62 § 2 du règlement dispose en outre à cet égard qu'aucune communication orale ou écrite, ni aucune offre ou concession intervenues dans le cadre des ces négociations ne peuvent être mentionnées ou invoquées dans la procédure contentieuse.
58. La Cour partira donc de la déclaration faite le 18 août 2008 par le Gouvernement en dehors du cadre des négociations menées en vue de parvenir à un règlement amiable.
59. La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 37 de la Convention, elle peut à tout moment de la procédure décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conduire à l'une des conclusions exposées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 de cette disposition. L'article 37 § 1 c) permet en particulier à la Cour de rayer une requête du rôle si :
« pour tout autre motif dont la Cour constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête ».
L'article 37 § 1 in fine dispose :
« Toutefois, la Cour poursuit l'examen de la requête si le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses Protocoles l'exige. »
60. La Cour rappelle que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une affaire du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d'une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur, même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive.
61. La Cour souligne cependant qu'une telle procédure ne vise pas, en soi, à contourner l'opposition de la partie requérante à un règlement amiable. Ce seront en effet les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention n'exige pas qu'elle poursuive l'examen de l'affaire.
62. Parmi les facteurs à prendre en compte à cet égard figurent la nature des griefs formulés, le point de savoir si les questions soulevées sont analogues à celles déjà tranchées par la Cour dans des affaires précédentes, la nature et la portée des mesures éventuellement prises par le Gouvernement défendeur dans le cadre de l'exécution des arrêts rendus par la Cour dans ces affaires, et l'incidence de ces mesures sur l'affaire à l'examen.
D'autres éléments ont leur importance. La déclaration unilatérale du gouvernement défendeur doit notamment renfermer, selon les griefs soulevés, un aveu de responsabilité en ce qui concerne les allégations de violations de la Convention ou, à tout le moins, une concession en ce sens. Dans cette hypothèse, il faut alors déterminer quelle est l'ampleur de ces concessions et les modalités du redressement qu'il entend fournir au requérant (voir, entre autres, Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, §§ 76-82, CEDH 2003-VI). En outre, il faut avoir égard au montant proposé à titre de réparation.
63. En l'espèce, la Cour estime que la déclaration du Gouvernement monégasque ne contient aucune forme de reconnaissance de ce que la durée de la détention provisoire subie par la requérante emporte, dans les circonstances de la cause, violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
Dans ces conditions, la Cour considère que la présente déclaration unilatérale ne constitue pas une base suffisante pour conclure que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention n'exige pas la poursuite de l'examen de ce grief (voir Succession de Nitschke c. Suède, no 6301/05, § 39, 27 septembre 2007).
À titre surabondant, bien que la somme proposée apparaisse satisfaisante, la Cour observe qu'elle est offerte par le Gouvernement ex gratia.
64. Partant, la Cour conclut au rejet de la demande du Gouvernement de rayer l'affaire du rôle au visa de l'article 37 § 1 in fine de la Convention, et estime nécessaire de poursuivre l'examen de la recevabilité et du fond du grief tiré de la violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
B. Sur la recevabilité🔗
65. La Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
C. Sur le fond🔗
1. Thèse des parties🔗
a) Le Gouvernement🔗
66. Le Gouvernement souligne, en premier lieu, la gravité et la complexité des faits. Rappelant la nature criminelle de ceux-ci, il indique que cette affaire est la plus grave sur le plan financier jugée à Monaco, et que c'est d'ailleurs la première fois qu'une détention aussi longue peut être observée en Principauté. La complexité particulière du dossier résulte des circonstances des détournements (555 opérations frauduleuses portant sur une cinquantaine de comptes bancaires sur une durée d'environ huit ans), de leur montant considérable (22 millions d'euros détournés), du nombre de victimes, de la qualité des personnes mises en cause qui ne sont ni ressortissantes monégasques ni même résidentes, et de l'absence de garanties suffisantes de représentation de la requérante. Le juge d'instruction fut donc amené à conduire de multiples investigations, au-delà même des frontières de la Principauté en délivrant de nombreuses commissions rogatoires internationales.
67. En deuxième lieu, le Gouvernement estime que les autorités judiciaires ont toujours agi avec la promptitude nécessaire à la poursuite de la procédure, comme le montre la chronologie des actes de procédure. Il fait valoir que l'étude minutieuse d'un tel dossier, composé de 25 volumes, requiert de ne pas aller trop vite afin de rendre une bonne justice. S'agissant de la période de latence observée du 24 avril 2007 (date de l'ordonnance du juge d'instruction de transmission de la procédure) au 12 octobre 2007 (date de l'arrêt de mise en accusation), le Gouvernement expose qu'en cette période de l'année l'activité judiciaire est ralentie en raison des nombreux jours fériés du mois de mai et des vacances judiciaires (du 1er juillet au 30 septembre), et qu'à cette époque la cour d'appel était également saisie d'une autre affaire hors normes – l'affaire F. – avec un dossier volumineux et 297 parties civiles. Il ajoute que les autorités nationales ont subi des retards découlant de l'attitude des autorités étrangères requises, le juge d'instruction n'ayant d'ailleurs pas hésité à se rendre à l'étranger (en Algérie) dans un souci d'efficacité et de célérité. Par ailleurs, il estime que les motifs invoqués par les juridictions internes pour maintenir la requérante en détention étaient pertinents et suffisants, tout en observant que la prolongation de sa privation de liberté était soumise à un contrôle régulier.
68. En dernier lieu, le Gouvernement considère que la mauvaise volonté de l'ensemble des personnes en cause a conduit mécaniquement à ralentir le déroulement de la procédure. Il estime que le comportement de la requérante, dans une certaine mesure, a été responsable de la durée de sa détention, dès lors que la nature de ses déclarations étaient significatives d'une attitude non coopérative, ne pouvant qu'entrainer de nouvelles investigations.
b) La partie requérante🔗
69. La requérante estime que l'importance des motifs ayant conduit à son placement et à son maintien en détention n'a jamais été mis en exergue par les juridictions internes. Elle souligne qu'elle a toujours vécu et travaillé en Principauté, comme son fils et ses deux sœurs, que ses ressources auraient parfaitement pu lui permettre de continuer à vivre à Monaco, que son casier judiciaire monégasque était vierge et que le risque de fuite allégué, dans ces conditions, n'était pas caractérisé eu égard notamment à ses liens familiaux. Quant au motif tiré de la nécessité de préserver l'ordre public, la requérante soutient que le trouble public ne subsistait plus depuis fort longtemps, l'ensemble des clients de la banque Monte Paschi ayant été indemnisé par l'établissement bancaire après seulement quelques mois.
70. Concernant le caractère raisonnable de la durée de sa détention préventive, la requérante considère que la pluralité d'auteurs, la difficulté technique de certaines investigations et l'aspect international de l'affaire n'ont pas ralenti la procédure d'instruction. S'agissant de son comportement, elle estime qu'il ne peut sérieusement être perçu comme abusif ou dilatoire, puisqu'elle a immédiatement reconnu les faits et collaboré activement avec la justice monégasque. Le fait d'avoir expliqué au magistrat instructeur que les instructions téléphoniques qu'elle recevait provenaient de voix de personnes non identifiées a non seulement été corroboré par l'instruction, mais il ne peut être considéré comme révélateur d'une mauvaise volonté afin de ralentir la procédure. En revanche, la requérante dénonce le manque de diligence des autorités judiciaires, soulignant, d'une part, le délai de six mois s'étant écoulé entre le 24 avril 2007 et le 12 octobre 2007, date de l'arrêt de mise en accusation et, d'autre part, « de nombreux trous » dans le calendrier de la procédure, sans plus de détails.
2. Appréciation de la Cour🔗
1. Période à prendre en considération🔗
71. Les parties ne se prononcent pas sur la période à prendre en considération.
72. La Cour constate que la durée de la détention provisoire dont a fait l'objet la requérante a débuté le 7 janvier 2004, date de son inculpation et de son placement en détention, pour s'achever le 13 décembre 2007, date de sa remise en liberté. Elle a donc duré au total presque quatre ans. La période antérieure au 30 novembre 2005, date de l'entrée en vigueur de la Convention à l'égard de Monaco, ne relève pas de la compétence ratione temporis de la Cour. Par conséquent, celle-ci doit limiter son examen à la période de deux ans et treize jours qui s'est écoulée du 30 novembre 2005 au 13 décembre 2007. Toutefois, la Cour doit tenir compte du fait qu'à cette date, la requérante, incarcérée le 7 janvier 2004, était déjà en détention depuis presque deux ans (Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 111, CEDH 2002‑VI).
2. Le caractère raisonnable de la durée de la détention🔗
73. Selon la jurisprudence constante de la Cour, il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d'un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. À cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l'existence d'une exigence d'intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d'innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d'élargissement. C'est essentiellement sur la base des motifs figurant dans ces décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l'intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
74. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d'un certain temps elle ne suffit plus ; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », la Cour cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, notamment, les arrêts Letellier c. France du 26 juin 1991, § 35, I.A. c. France du 23 septembre 1998, § 102, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 152, CEDH-2000, Bouchet c. France, no 33591/96, § 40, 20 mars 2001 et Zannouti c. France, no 42211/98, § 43, 31 juillet 2001).
75. En l'espèce, la Cour relève que les juridictions internes ont avancé plusieurs raisons justifiant selon elles le maintien en détention de la requérante et la durée de l'instruction diligentée, tenant à la complexité de l'affaire, à la multiplicité des mesures d'investigation nécessaires à la manifestation de la vérité et au comportement de la requérante et de ses co-inculpés.
76. Pour ce qui est des motifs adoptés légitimant la privation de liberté de la requérante, la Cour estime tout d'abord qu'il est établi que des soupçons pesaient sur elle, tant au moment de son placement en détention qu'au fil de l'avancement de l'instruction, l'intéressée ayant reconnu, dès le début de la procédure puis de manière constante, avoir commis les faits qui lui étaient reprochés.
77. Elle note ensuite que les juridictions d'instruction invoquèrent la particulière gravité des faits, le trouble certain et actuel causé à l'ordre public, l'absence de garantie de représentation en justice, le risque de fuite et de concertation frauduleuse ou de pression entre co-inculpés.
i. La particulière gravité des faits reprochés et le trouble certain et toujours actuel causé à l'ordre public🔗
78. La Cour observe que le motif tiré de la gravité des faits figure dans l'ensemble des décisions examinées – les ordonnances de rejet du juge d'instruction du 10 juillet et 1er décembre 2006, et les arrêts de la cour d'appel des 20 juillet 2006, 15 décembre 2006 et du 12 octobre 2007 – à l'exception de l'arrêt rendu le 13 décembre 2007. S'agissant du motif relatif au trouble causé à l'ordre public, il n'apparaît que dans les arrêts de la chambre du conseil de la cour d'appel des 20 juillet et 15 décembre 2006, où il est visé en rapport tantôt avec la gravité des infractions et du montant du préjudice (arrêt du 15 décembre 2006), tantôt avec le nombre de victimes (arrêt du 20 juillet 2006).
79. La Cour reconnaît que, par leur gravité particulière et par la réaction du public à leur accomplissement, certaines infractions peuvent susciter un trouble social de nature à justifier une détention provisoire, au moins pendant un temps. Dans des circonstances exceptionnelles, cet élément peut donc entrer en ligne de compte au regard de la Convention, en tout cas dans la mesure où le droit interne reconnaît la notion de trouble à l'ordre public provoqué par une infraction. Cependant, on ne saurait l'estimer pertinent et suffisant que s'il repose sur des faits de nature à montrer que l'élargissement du détenu troublerait l'ordre public. En outre, la détention ne demeure légitime que si l'ordre public reste effectivement menacé ; sa continuation ne saurait servir à anticiper sur une peine privative de liberté (I.A. c. France, précité, § 104).
80. Ces conditions ne se trouvent pas remplies en l'espèce. La Cour considère que ledit risque n'a pas été suffisamment démontré par les autorités pour constituer, au fil du temps, une motivation substantielle de la détention de la requérante.
81. La Cour relève que les juridictions nationales se sont bornées à faire abstraitement référence à la gravité des faits reprochés et au trouble à l'ordre public, sans étayer le caractère certain et actuel de l'atteinte à l'ordre public et sans préciser en quoi l'élargissement de la requérante, en tant que tel, aurait eu pour effet de le troubler. En tout état de cause, la gravité des faits et le trouble à l'ordre public ne peuvent justifier à eux seuls une aussi longue détention provisoire (Gérard Bernard c. France, no 27678/02, § 46, 26 septembre 2006).
ii. La nécessité de garantir le maintien de la requérante à la disposition de la justice🔗
82. Comme précédemment, la Cour observe que ce motif n'a pas été retenu avec constance, les décisions internes examinées l'ayant repris à l'exception, notable, de l'arrêt de la chambre du conseil de la cour d'appel du 12 octobre 2007. La Cour note que les juridictions monégasques ont estimé qu'il y avait un risque que la requérante s'enfuie en cas de mise en liberté, du fait de l'importance de la peine criminelle encourue (arrêts confirmatifs de la cour d'appel du 20 juillet et 15 décembre 2006), ou en raison de sa nationalité française et de l'exigüité du territoire de la Principauté (arrêt de la cour d'appel du 13 décembre 2007).
83. Si la Cour conçoit que ces éléments peuvent être susceptibles de caractériser un danger de fuite, elle rappelle qu'un tel risque ne peut s'apprécier sur la seule base de la gravité de la peine (voir Tomasi c. France, arrêt du 27 août 1992, série A no 241-A, p. 37, § 98), et qu'il décroît nécessairement avec le temps (voir, parmi tant d'autres, Ercüment Yıldız c. Turquie, no 46048/06, § 38, 10 juin 2008).
84. En l'espèce, la Cour constate que la plupart des décisions rendues ne sont nullement motivées sur ce point, les juridictions s'étant contentées d'indiquer « qu'il y a[vait] lieu de garantir la représentation de la requérante », sans plus de détails (voir les ordonnances du magistrat instructeur des 10 juillet et 1er décembre 2006), sans spécifier en quoi il y avait lieu de considérer que, dans les circonstances de la cause, un risque de fuite persistait après presque quatre années de détention.
85. En outre, s'agissant des garanties de représentation, la Cour rappelle qu'il faut tenir compte des relations personnelles que possède l'intéressé avec l'État en cause (voir Gombert et Gochgarian c. France, nos 39779/98 et 39781/98, § 48, 13 février 2001). Sur ce point, elle note que des éléments pouvant apparaître comme réduisant le danger de fuite – l'absence d'antécédent judiciaire et les fortes attaches personnelles, sociales et familiales qu'entretenait la requérante, née à Monaco, avec la Principauté – n'ont jamais été pris en considération par les juridictions nationales. Force est d'observer, à cet égard, que les décisions litigieuses ne font aucune référence à la possibilité de laisser la requérante en « liberté provisoire », au sens du droit monégasque (conformément aux articles 187 et suivants du Code de procédure pénale), et de la soumettre à des mesures de contrôles propres à garantir sa représentation. La Cour estime en conséquence que la question de savoir si l'intéressée était susceptible de fournir des garanties adéquates de représentation en cas d'élargissement n'a pas été dûment examinée.
iii. Les besoins de l'instruction résultant du risque de concertation frauduleuse ou de pression entre co-inculpés🔗
86. La Cour relève que ce motif ne fut invoqué qu'une seule fois, par la chambre du conseil de la cour d'appel dans son arrêt du 20 juillet 2006. Elle constate en outre que cette juridiction n'a jamais étayé ce motif, se bornant à s'y référer sans viser les circonstances précises de la cause, et sans caractériser, par conséquent, un risque sérieux de concertation frauduleuse ou de pression de nature à entraver le bon déroulement de l'information. Dès lors, la nécessité d'éviter un tel risque ne pouvait servir de fondement à la détention provisoire de la requérante.
Au surplus, la Cour note qu'à la date de l'arrêt du 20 juillet 2006, la quasi-totalité des personnes mises en cause étaient incarcérées, de sorte que le risque de collusion apparaissait, à tout le moins, fortement réduit.
3. Conclusion🔗
87. De l'avis de la Cour, la longueur de la privation de liberté subie par la requérante ne repose pas sur des motifs sinon pertinents du moins suffisants dans les circonstances de l'espèce. Bien que la Cour ait limité son examen à la période commençant le 30 novembre 2005, en tenant dûment compte du fait que la requérante était déjà détenue depuis le 7 janvier 2004 (voir § 72), il ressort de ce qui précède que la pertinence initiale des motifs retenus par les juridictions d'instruction pour maintenir l'intéressée en détention ne résiste pas à l'épreuve du temps.
88. Partant, par sa durée excessive, la détention litigieuse de la requérante a violé l'article 5 § 3 de la Convention.
II. Sur la violation alléguée de l'article 3 de la Convention🔗
89. Dans une lettre du 26 juillet 2007 adressée au Greffe de la Cour, la requérante, évoquant de nouveau l'article 6 § 1 de la Convention, dénonce l'incompatibilité de son état de santé avec son maintien en détention. Elle expose qu'en raison de la prolongation injustifiée de sa détention, sa santé physique et mentale a bien été affectée.
90. Compte tenu de la substance du grief soulevé par la requérante, la Cour estime qu'il convient de l'examiner sous l'angle de l'article 3 de la Convention qui dispose :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité🔗
1. Thèses des parties🔗
91. Le Gouvernement soulève deux exceptions d'irrecevabilité de cette partie de la requête. Il fait valoir, tout d'abord, que la requérante n'a pas épuisé les voies de recours internes, conformément à l'article 35 § 1 de la Convention, dans la mesure où elle n'a pas exercé de recours contre les arrêts de la chambre du conseil de la cour d'appel du 15 décembre 2006 et du 12 octobre 2007, alors que le pourvoi devant la Cour de révision est un recours utile, efficace et accessible au sens de la jurisprudence de la Cour. Il relève à cet égard que la partie requérante n'a pas hésité à exercer ce recours sur le terrain de l'article 5 § 3 dans le cadre de sa demande de mise en liberté. Il fait valoir que la Convention fait partie de l'ordre juridique interne monégasque et que le non-respect de l'une de ses dispositions emporte violation de la loi, ce qui constitue un moyen de cassation qui peut être soulevé devant la Cour de révision. Il soutient ensuite que le grief est tardif : à supposer que la dernière décision interne définitive soit l'arrêt du 15 décembre 2006, la Cour n'a été saisie du grief que par une lettre du 26 juillet 2007, soit hors le délai de six mois prévu par l'article 35 § 1 de la Convention.
92. La requérante, dans ses observations écrites du 28 janvier 2008, estime que le recours en cassation contre l'arrêt du 12 octobre 2007 n'était pas un recours utile à épuiser, la Cour de révision judiciaire de Monaco, à l'instar de la Cour de cassation française, ne jugeant qu'en droit et non en fait. De plus, n'ayant soulevé aucune nullité de la procédure d'instruction devant la chambre du conseil de la cour d'appel, son éventuel pourvoi ne pouvait être que purement et simplement déclaré irrecevable, en application de l'article 460 du Code de procédure pénale. Enfin, elle estime qu'elle aurait certainement été condamnée au paiement d'une amende ainsi qu'aux dépens, comme suite à l'arrêt de la Cour de révision du 6 septembre 2006.
2. Appréciation de la Cour🔗
a) Le non-épuisement des voies de recours internes🔗
93. La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes qui sont à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Elle rappelle également qu'il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible, était susceptible d'offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, notamment, les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, § 27, série A no 198, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 76, CEDH 1999‑V). Une fois cela démontré, c'est au requérant qu'il revient d'établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n'était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (arrêt Akdivar et autres précité, § 68).
94. En l'espèce, la Cour constate que la requérante n'a pas formé de pourvoi devant la Cour de révision judiciaire contre les arrêts de la cour d'appel du 15 décembre 2006 et du 12 octobre 2007 rejetant ses demandes de mise en liberté, alors que le pourvoi en cassation devrait être, en principe, une voie de recours à épuiser (voir, mutatis mutandis, Civet c. France [GC], no 29340/95, CEDH 1999‑VI).
95. La Cour note cependant qu'en vertu des dispositions de l'article 502 du Code de procédure pénale monégasque, la partie qui succombe dans son pourvoi en révision est automatiquement condamnée à une amende, dont le montant varie selon la matière pénale concernée. Elle relève également que seules les personnes admises au bénéfice de l'article 481 § 2 du même code peuvent en être dispensées, ce qui ne fut pas le cas de la requérante (voir paragraphe 45 ci-dessus).
96. La Cour estime que l'amende prévue à l'article 502 précité ne s'accorde pas avec les exigences qui découlent de l'article 35 § 1 de la Convention. En infligeant systématiquement une amende, distincte des dépens, au demandeur en cas de rejet de son pourvoi, les dispositions internes litigieuses sanctionnent, de fait, même indirectement, l'exercice du pourvoi en révision. Le fait d'infliger une amende en fonction du résultat d'un recours, dont il n'est pas soutenu qu'il aurait été fautif ou abusif, est de nature à vider celui-ci de sa substance. De l'avis de la Cour, un tel constat s'impose d'autant plus que le pourvoi en révision devait porter sur des moyens relatifs à des allégations de mauvais traitements au sens de l'article 3 de la Convention.
97. En conséquence, la Cour estime que le pourvoi en révision que la requérante aurait pu former contre les arrêts de la cour d'appel du 15 décembre 2006 et du 12 octobre 2007 ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 35 de la Convention. Partant, l'exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
b) Le non-respect du délai de six mois🔗
98. Pour ce qui est de l'exception d'irrecevabilité tiré du non-respect du délai de six mois, prévu à l'article 35 § 1 de la Convention, la Cour rappelle qu'aux termes de cette disposition, elle « ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes (...) et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ».
99. En l'espèce, la Cour constate que la requérante, dans sa lettre du 26 juillet 2007 puis dans ses observations du 28 janvier 2008, se plaint du rejet, par la cour d'appel le 15 décembre 2006 et le 12 octobre 2007, de ses demandes de mise en liberté fondées sur l'incompatibilité de son état de santé avec son maintien en détention. Considérant que la dernière décision interne définitive est l'arrêt de la cour d'appel du 12 octobre 2007, il résulte que le délai de six mois de l'article 35 § 1 de la Convention a été respecté. Partant, il y a lieu de rejeter l'exception soulevée à cet égard par le Gouvernement.
100. La Cour relève par ailleurs que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond🔗
1. Thèses des parties🔗
101. Le Gouvernement considère que la requérante a bénéficié, pendant sa détention, d'un traitement adapté et de soins réguliers. Il relève sur ce point que la qualité des traitements médicaux et du suivi des détenus ainsi que la gestion efficace du service médical de la maison d'arrêt de Monaco ont été souligné dans le rapport du comité européen pour la prévention de la torture adressé le 31 mai 2007 aux autorités monégasques, lequel a conclu que le principe d'équivalence des soins qui doit prévaloir avec la situation de la population en milieu libre était assuré. Il précise que le médecin généraliste, présent trois fois par semaine, et l'infirmier de permanence, sont au fait des pathologies particulières liées à la détention, que le taux d'occupation de la maison d'arrêt n'a jamais dépassé 50 %, que les installations à disposition des équipes médicales sont appropriées et les équipements aux normes, que l'accès au service médical n'est pas filtré par le personnel pénitentiaire et qu'un suivi psychologique et psychiatrique est tout à fait possible en détention.
S'agissant des soins administrés à la requérante, le Gouvernement joint à ses observations un tableau récapitulatif des consultations médicales dont elle a bénéficié du 9 janvier 2004 au 12 décembre 2007, ainsi qu'un récapitulatif de ses extractions pour motif médical : ceux-ci font apparaître plus de deux cent vingt consultations effectuées à la maison d'arrêt et trente quatre transferts pour des consultations extérieures, dont la plupart par des médecins spécialistes (gynécologue, endocrinologue, ophtalmologue, neurologue, cardiologue, rhumatologue, etc.), ainsi que plusieurs examens d'imagerie médicale (imagerie par résonnance magnétique et scanner) et de radiologie. En outre, il fait observer que suite à une chute en promenade, le docteur M., qui avait établi le 15 novembre 2006 un certificat médical favorable à la requérante (voir, supra, paragraphe 46), demanda une expertise à trois spécialistes qui conclurent, le 10 février 2007, que l'état de santé de la requérante était compatible avec sa détention et qu'elle devait bénéficier d'un suivi régulier, ce qui fut fait, la plaignante ayant reçu quarante cinq consultations médicales et neuf consultations avec un psychiatre ou un psychologue. Dans ces conditions, si la requérante a nécessairement subi une certaine détresse lors de sa détention, le seuil de gravité exigé pour constater une violation de l'article 3 de la Convention n'a certainement pas été atteint en l'espèce.
102. La requérante se plaint du rejet, par les juridictions nationales, de ses demandes de remise en liberté pour motifs médicaux. Elle se reporte au certificat médical établi par le médecin de la maison d'arrêt du 15 novembre 2006 qui indiquait que son état de santé n'était plus compatible avec sa détention. Elle soutient que le fait de prolonger son incarcération a sans doute participé à l'aggravation de cet état et est constitutif d'un traitement inhumain et dégradant. Par ailleurs, dans une lettre du 20 octobre 2008, la requérante produit deux certificats médicaux, établis les 13 et 14 octobre 2008 par un médecin généraliste homéopathe et un neurologue installés à Nice, indiquant que l'intéressée présente, à la suite de son accident vasculaire cérébral survenu en mars 2005, des troubles neurologiques et un syndrome parkinsonien d'origine vasculaire ou dégénérative responsable de difficultés importantes et constantes à la marche.
103. En réponse à la lettre de la requérante du 20 octobre 2008, le Gouvernement indique que le responsable médical de la maison d'arrêt a sollicité l'avis du docteur A., neurologue, qui considère que le syndrome parkinsonien dont semble souffrir l'intéressée « ne peut pas être secondaire à sa détention, que les troubles subis ne peuvent pas être en relation avec la détention et que de toute évidence la durée de son incarcération n'a pas pu retentir sur son état neurologique ».
2. Appréciation de la Cour🔗
104. La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de cet article, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d'exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (arrêt Assenov et autres c. Bulgarie du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3288 § 94).
105. On ne peut déduire de l'article 3 de la Convention une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le transférer dans un hôpital civil, même s'il souffre d'une maladie particulièrement difficile à soigner (voir Mouisel c. France, no 67263/01, §§ 40-42, ECHR 2002-IX). Toutefois, cet article impose en tout cas à l'État de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l'administration des soins médicaux requis (arrêt Kudla c. Pologne, [GC], no 30210/96, § 94, ECHR 2000-XI).
106. En l'espèce, la Cour relève que la requérante, se fondant sur un certificat médical daté du 15 novembre 2006, ainsi que sur deux autres certificats médicaux établis après sa libération les 13 et 14 octobre 2008 par deux médecins installés à Nice, prétend que son état de santé était incompatible avec son maintien en détention et qu'il s'est « sans doute » détérioré du fait de la prolongation de son incarcération. Toutefois, la Cour constate que les différents rapports médicaux établis au plan interne et produits devant elle ne mentionnent aucune incompatibilité de ce type, ni une dégradation de l'état de santé de la requérante du fait de sa détention, ni encore le caractère inadapté de la prison pour y faire face. Si le 15 novembre 2006, le docteur M., du service médical de la maison d'arrêt de Monaco, déclara que l'état de santé de l'intéressée n'était plus compatible avec sa détention, force est d'observer que le rapport d'expertise médico-psychiatrique déposé le 4 décembre 2006 au cabinet du juge d'instruction ne conclut pas à l'élargissement de la requérante. De même, le Gouvernement fait observer, sans être contredit, qu'une mesure d'expertise, sollicitée par le Docteur M, suite à une chute en promenade de la requérante, conclut le 10 février 2007 que son état de santé était compatible avec sa détention tout en préconisant un suivi régulier, ce dont elle bénéficia. Enfin, la Cour relève que les certificats médicaux des 13 et 14 octobre 2008 produits par la requérante se bornent à constater la survenance d'un syndrome parkinsonien, sans indiquer aucune relation de cet état neurologique avec la prolongation de son maintien en détention.
107. Au surplus, la Cour constate avec le Gouvernement que depuis le début de son incarcération à la maison d'arrêt de Monaco, la requérante a bénéficié de plus de deux cent vingt consultations effectuées sur place, d'une trentaine de transferts pour des consultations extérieures dont la plupart par des médecins spécialistes, notamment en cardiologie et en neurologie, ainsi que plusieurs radiographies, scanners et imageries par résonnance magnétique. Dans ces conditions, la Cour constate que les autorités pénitentiaires, qui ont suivi de près et à intervalle régulier l'état de santé de la requérante, n'ont pas manqué à leur devoir de prendre les mesures requises qui s'imposaient.
108. Après s'être livrée à une appréciation globale des faits pertinents sur la base des preuves produites devant elle, la Cour n'estime pas établi que la requérante ait été soumise à des traitements atteignant un niveau de gravité suffisant pour entrer dans le champ d'application de l'article 3 de la Convention (Gelfmann c. France, no 25875/03, § 59, 14 décembre 2004, et Matencio c. France, no 58749/00, § 89, 15 janvier 2004).
109. Partant, elle conclut à la non-violation de l'article 3 de la Convention.
III. Sur l'application de l'article 41 de la Convention🔗
110. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage🔗
111. La requérante réclame une somme de 300 000 euros (EUR) « en réparation des préjudices subis », sans plus de détails.
112. Le Gouvernement estime ce montant disproportionné par rapport à la moyenne des dédommagements dans des affaires de ce type. Il ne se prononce pas sur ce qui constituerait une satisfaction équitable en cas de constat de violation de la Convention.
113. La Cour estime que la requérante a subi un tort moral certain du fait de la durée déraisonnable de sa détention provisoire, ce que ne compense pas suffisamment le constat de violation de l'article 5 § 3 (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 165, CEDH 2000‑XI). Statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, elle considère qu'il y a lieu de lui allouer 6 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Intérêts moratoires🔗
114. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,🔗
1. Rejette la demande du Gouvernement de rayer l'affaire du rôle en ce qui concerne le grief relatif à l'article 5 § 3 de la Convention ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;
4. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention ;
5. Dit,
a) que l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek
Greffière
Peer Lorenzen
Président