Cour d'appel, 14 juillet 2023, La SARL A. i. c/ Monsieur B.
Abstract🔗
Contrat de travail – Exécution loyale – Licenciement – Motif valable (non) – Licenciement abusif (oui)
Résumé🔗
En vertu de l'article 989 du Code civil, les conventions légalement formées doivent être exécutées de bonne foi. Contrairement à la position des premiers juges, cette obligation, qui s'impose à tout employeur, n'implique pas, nécessairement, une alerte préalable faite par le salarié concerné - qui subirait de mauvaises conditions de travail - auprès de sa hiérarchie, en particulier lorsque cette hiérarchie est elle-même à l'origine ou la cause de telles conditions de travail et ne pouvait les ignorer. Si comme l'ont relevé les premiers juges, la démonstration de faits précis de type harcèlement moral de la part de la hiérarchie ou du « management » (E., Directeur Général et s. O., associé principal) n'est pas réalisée à travers les éléments de preuve précédemment évoqués, les attestations précitées d'anciens employés, franchisés ou fournisseurs de A., confortées par d'autres éléments de preuve, sur des faits objectifs, non sérieusement contestés par l'employeur, établissent que la société A., prise en la personne de ses dirigeant et actionnaire, a imposé une importante charge de travail à l'ensemble de ses salariés pendant plusieurs années, alors que dans le même temps, elle a procédé à une réduction importante de ses effectifs sans provoquer le remplacement des personnes congédiées, entraînant une répartition du travail à réaliser entre le personnel restant. Dans ce contexte de surcharge de travail décrit de manière particulièrement concordante par des personnes intervenant au sein et en dehors de l'entreprise, B., qui subissait déjà ces contraintes, s'est vu adjoindre en 2018-2019 de nouvelles tâches, nombreuses et chronophages (potager à Saint-Tropez, c. O. à Saint-Tropez, P.), lesquelles ont conduit à une situation de surmenage, un épisode dépressif sévère par épuisement aussi appelé « BURN OUT », comme d'autres employés avant ou après lui dans l'entreprise. Cette situation professionnelle est à l'origine des arrêts de travail renouvelés prescrits à l'intéressé ainsi que d'une prise en charge médicale et médicamenteuse au moins entre mai 2019 et février 2021. L'ensemble de ces éléments caractérisent une méconnaissance par l'employeur de son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail, dont il ne pouvait ignorer la réalité, en l'état des conditions de travail qu'il a imposées et qui étaient objectivement sans commune mesure avec celles initialement négociées avec B. Le préjudice moral, en lien direct avec ce manquement contractuel, subi par le salarié, en dehors de la question du licenciement qui sera traité ci-après, justifie l'allocation de la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, compte tenu de l'investissement professionnel renouvelé d'B. et de l'absence de prise en considération concrète de la situation objective des capacités de son employé pour la réalisation de ses tâches, et ce, malgré les alertes liées à d'autres membres du personnel.
Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture. En application de l'article 16 de la loi n° 729, le contrat de travail est suspendu pendant une durée limitée à six mois en cas d'empêchement du travailleur dû à une maladie ou à un accident, médicalement constatés. L'employeur qui entend, à l'expiration de la période légale de suspension, procéder au licenciement d'un salarié, doit démontrer que cette mesure est justifiée par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée de l'intéressé entraînant la nécessité pour l'employeur de pourvoir à son remplacement définitif. Ces deux conditions sont cumulatives, alors que la preuve de la nécessité de pourvoir à un remplacement définitif impose de justifier des démarches mises en œuvre en vue d'un recrutement définitif et effectif ou de la réalité du recrutement opéré par l'employeur pour pourvoir au remplacement du salarié congédié. En l'espèce, si des pièces nouvelles sont produites en cause d'appel pour justifier de la perturbation du fonctionnement de l'entreprise qui a impliqué l'intervention d'E. et G., qui « n'avaient pas les compétences requises », force est de constater qu'il est clairement établi et même soutenu par l'appelante elle-même que F., embauché à compter du 1er octobre 2019 pour des fonctions de Directeur des L., a remplacé B. à son départ de l'entreprise, en récupérant les attributions de ce dernier et en devenant « Directeur L. et H. ». En conséquence, il n'a pas été procédé au remplacement définitif et effectif du salarié puisque ce remplacement a été assuré par un autre employé de l'entreprise lequel a cumulé les deux missions qui sont bien décrites aux termes des documents contractuels de manière distincte. La période de confinement (postérieure à la notification de la rupture) liée à la crise sanitaire COVID apparaît ici indifférente puisque l'employeur ne justifie pas, ni même n'allègue que le recrutement d'un remplaçant aurait été réalisé ou envisagé après cette période exceptionnelle. Il s'ensuit que le motif du licenciement a été justement considéré par les premiers juges comme non valable.
Il incombe au salarié de rapporter la preuve de l'abus commis par l'employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de rupture. Si l'absence de démonstration, dans l'hypothèse d'un licenciement pour absence prolongée, d'un dysfonctionnement au sein de l'entreprise ne peut suffire à caractériser l'existence d'un motif fallacieux, ni à déterminer que l'état de santé du salarié serait la cause de la rupture, il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce, le licenciement doit être qualifié d'abusif dans la mesure où :
• le licenciement est la conséquence de l'absence prolongée d'B. qui trouve son origine dans la surcharge de travail imposée par l'employeur au salarié et précédemment décrite,
• la rupture procède de la volonté de ne pas remplacer définitivement le salarié, malgré le motif invoqué, et ce dans un souci d'économie,
le tout révélant une malveillance et intention de nuire de la SARL A., laquelle a mené son salarié à l'épuisement, en abusant de son investissement professionnel, pour ensuite le congédier au profit d'un autre de ses employés, dans un contexte de réduction de ses effectifs et de malaise au travail de certains membres de son personnel, étant souligné que la crise financière ultérieure liée à la pandémie COVID, qui a pu impacter l'entreprise, n'était pas d'actualité au moment de la notification du licenciement. B. ne démontre aucunement le préjudice matériel qui résulterait de la rupture abusive de son contrat, même s'il recherchait encore un emploi au début de l'année 2021. Il subit toutefois un préjudice moral, distinct de celui précédemment indemnisé, tenant aux conditions dans lesquelles la rupture est intervenue. En effet, lorsque l'employeur l'interroge au bout de huit mois le 16 janvier 2020 sur la possibilité d'une reprise de travail, le conseil du salarié répond clairement que « l'arrêt de travail fait suite à une surcharge de travail cumulée, sur les deux années précédentes, assortie d'une diminution des moyens humains pour réaliser les tâches de plus en plus nombreuses confiées » et fournit diverses explications en ce sens. La réponse du 5 février 2020 de l'employeur sera la notification du licenciement sans qu'aucune référence ne soit faite aux conditions de travail évoquées ou que soit recherchée une solution en vue d'une reprise du travail avec une réduction éventuelle de la charge de travail, le contact pris par la SARL A. avec le médecin traitant de l'intéressé ne pouvant être que vain en l'état du secret professionnel le liant. B., qui n'a pas ménagé ses efforts pour le compte de la SARL A. i., laquelle l'a employé depuis le 24 juillet 2013 avec une reprise d'ancienneté au 15 octobre 2012, est fondé à solliciter la réparation du préjudice moral lié à l'absence de prise en compte de ses griefs après huit mois d'arrêt de travail et la perte définitive de son emploi qui est totalement imputable aux agissements de son employeur, et ce, par l'octroi de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 14 JUILLET 2023
En la cause de :
La SARL A. i., société à responsabilité de droit monégasque, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le numéro xxx, dont le siège social est sis x1 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, demeurant et domicilié ès-qualités audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Clyde BILLAUD, avocat en cette même Cour;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
Monsieur B., demeurant et domicilié x2 à Nice (06200) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Julien PRANDI, avocat au barreau de Nice;
INTIMÉ,
d'autre part,
Visa🔗
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 17 juin 2022 ;
Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 10 août 2022 (enrôlé sous le numéro 2023/000016) ;
Vu les conclusions déposées le 22 novembre 2022 par Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, au nom de Monsieur B.;
Vu les conclusions déposées le 24 janvier 2023 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la SARL A. i.;
Vu l'ordonnance de clôture du 14 mars 2023 ;
À l'audience du 21 mars 2023, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Motifs🔗
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel parte in qua relevé par la SARL A. i. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 17 juin 2022.
Considérant les faits suivants:
B., d'abord salarié de la société de droit américain A. e., suivant contrat du 15 octobre 2012, en qualité de Directeur Senior de la chaîne d'approvisionnement i. e, a fait l'objet d'une mutation intra-groupe, si bien qu'il a ensuite été employé suivant contrat à durée indéterminée du 24 juillet 2013 par la SARL A. i. avec reprise d'ancienneté pour exercer les mêmes fonctions.
Il s'est vu notifier son licenciement, par courrier recommandé avec accusé de réception du 5 février 2020, dans les termes suivants :
« Vous êtes absent depuis le 15 mai 2019 pour raison médicale. Depuis cette date, votre arrêt de travail est régulièrement renouvelé, sans interruption.
Nous vous avons récemment interrogé, par courrier du 16 janvier dernier, sur un retour éventuel et prévisible à votre poste à la suite duquel vous avez souhaité nous répondre par la voie de votre conseil, Maître Julien PRANDI, lequel, nous a indiqué, par e-mail du 24 janvier 2020, qu'il était difficile d'envisager un retour dans l'entreprise.
J'ai également interrogé votre médecin traitant qui vous délivre régulièrement les prolongations de vos arrêts de travail lequel ne m'a pas davantage renseigné sur la durée prévisible de votre arrêt de travail.
Je comprends donc dans ces conditions, qu'aucun retour à votre poste ne peut être envisagé ou prévu à ce jour. Cela fait donc désormais près de 9 mois que nous essayons de pallier votre absence pour l'exécution de vos tâches.
La durée de votre absence, sans qu'il soit possible d'y pallier plus avant, cause des perturbations dans le bon fonctionnement de notre entreprise et nous sommes aujourd'hui contraints de procéder à votre remplacement définitif.
Nous regrettons dès lors de vous notifier par la présente votre licenciement. Votre contrat de travail prendra fin à l'expiration d'une période de préavis de deux mois (... ) ».
Par jugement du 17 juin 2022, le Tribunal du travail a :
rejeté la demande de paiement de congés payés sur préavis d'B.,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 14.352,80 euros à titre d'indemnisation de la perte d'indemnité de prévoyance, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation, et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du retard dans la déclaration prévoyance, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
rejeté la demande d'B. au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 6.883,69 euros à titre de reliquat d'indemnité de congédiement, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation,
dit que le licenciement ne repose pas sur un motif valable,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 19.226,15 euros à titre d'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
• dit que le licenciement est abusif,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 84.996 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
ordonné à la SARL A. i. de régulariser la documentation sociale d'B. et les déclarations auprès des organismes, dans le délai de deux mois à compter du prononcé du présent jugement,
rejeté le surplus des demandes d'B.,
condamné la SARL A. i. aux entiers dépens,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 3.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens,
• dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont estimé en substance que :
B. ne produit pas la moindre pièce relative à un commencement d'information de son employeur sur la surcharge de travail dénoncée,
les quelques messages produits par B., dont la lecture permet de comprendre qu'ils ont été envoyés tard le soir ou dans la nuit, ne correspondent pas à une surcharge anormale de travail compte tenu de leur nombre, de la période limitée dans le temps mais surtout du fait que leur envoi tardif est lié au décalage horaire et que seuls deux d'entre eux ont amené une réponse du salarié en dehors de ses horaires de travail,
il n'y a pas lieu d'apprécier la réalité de la surcharge invoquée à défaut pour le salarié, sur lequel la charge de la preuve incombe, de démontrer que l'employeur en avait connaissance et a violé son obligation de garantir de bonnes conditions de travail à ses employés,
B. déplore également avoir subi une pression permanente de sa hiérarchie,
si les attestations de ses anciens collègues qui évoquent cette pression sont concordantes, elles ne sont pas circonstanciées, ne détaillant aucun évènement particulier si ce n'est un ressenti des équipes,
de même, l'attestation de C. ne relate, ni ne décrit rien pour caractériser le management qu'il qualifie de brutal et agressif, tout comme D. qui mentionne en termes génériques un management destructeur sans préciser un quelconque fait qui aurait été infligé au salarié,
la demande fondée sur les mauvaises conditions de travail doit être rejetée,
bien que le critère de l'absence de visibilité sur la durée soit bien rempli, l'employeur doit démontrer que l'absence prolongée engendrait des difficultés insurmontables et nécessitait le remplacement définitif,
si B. n'a pas été remplacé du fait de la survenance de la crise sanitaire, il n'en demeure pas moins qu'au moment du licenciement début février 2020, l'employeur n'a pas lancé de procédure de recrutement,
pour établir les graves perturbations de l'entreprise, l'employeur produit un seul email du mois de mai 2019 aux termes duquel E., supérieur d'B., est contacté pour être son remplaçant pendant son absence,
aucun élément ne démontre un quelconque dysfonctionnement, ni aucune mesure prise pour pallier l'absence,
sans qu'il soit besoin de déterminer à ce stade si le recrutement de F., pendant la période de protection d'B., était destiné à le remplacer, il n'est démontré aucun dysfonctionnement, aucune conséquence sur la société, ni aucune mesure de suppléance du salarié, si bien que le motif n'est pas valable,
la prise en compte du bonus de 25.000 euros conduit à retenir un reliquat d'indemnité de congédiement de 6.883,69 euros, alors que l'indemnité de licenciement calculée sur la base du dernier mois de salaire et du nombre de mois d'ancienneté se chiffre à 19.226,15 euros, sous déduction de l'indemnité de congédiement,
l'employeur n'a pas fait une mauvaise appréciation de la situation, aucun dysfonctionnement n'ayant eu lieu, et a ainsi fondé sa décision de licenciement uniquement sur l'état de santé de son salarié, ce qui est constitutif d'un motif fallacieux prohibé, la réparation du préjudice subi pouvant être équitablement évalué à un an de salaire.
Selon exploit en date du 10 août 2022, la SARL A. i. a formé appel parte in qua à l'encontre dudit jugement, sollicitant sa confirmation en ce qu'il a :
rejeté la demande de paiement de congés payés sur préavis d'B.,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 14.352,80 euros bruts à titre d'indemnisation de la perte d'indemnité de prévoyance, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation, et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du retard dans la déclaration prévoyance, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
rejeté la demande d'B. au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,
rejeté le surplus des demandes d'B.,
mais sa réformation en ce qu'il a :
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 6.883,69 euros à titre de reliquat d'indemnité de congédiement, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation,
dit que le licenciement ne repose pas sur un motif valable,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 19.226,15 euros à titre d'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
• dit que le licenciement est abusif,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 84.996 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
ordonné à la SARL A. i. de régulariser la documentation sociale d'B. et les déclarations auprès des organismes, dans le délai de deux mois à compter du prononcé du présent jugement,
condamné la SARL A. i. aux entiers dépens,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 3.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens,
et demande à la Cour, statuant à nouveau, de :
dire et juger que le licenciement d'B. repose sur un motif valable et n'est pas abusif,
En conséquence,
débouter B. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en le condamnant aux entiers dépens.
Par des conclusions récapitulatives du 24 janvier 2023, la SARL A. i. a maintenu ses prétentions, y ajoutant une demande en paiement de 10.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ainsi qu'une demande de condamnation aux dépens d'appel.
Elle soutient pour l'essentiel que :
les caractéristiques du poste avaient été clairement énoncées dans la convention de mutation du 24 juin 2013, outre qu'un délai de réflexion avait été accordé à l'intéressé,
le contrat de travail du 24 juillet 2013 comportait en annexe 1 une fiche de poste détaillée, laquelle mentionnait qu'il avait pour mission de « contribuer activement à la phase d'expansion et de développement i. de la société », mais également pour tâche « d'assurer le développement des capacités de production des fournisseurs, de négocier et de mettre en œuvre des accords d'approvisionnement au niveau i. en maîtrisant les coûts et en assurant en permanence un niveau de compétitivité stratégique »,
du fait de son titre et ses fonctions, le salarié occupait une place de premier rang au sein de l'entreprise,
depuis son embauche au sein du groupe, la relation de travail s'était toujours très bien déroulée sans que l'intéressé n'émette la moindre réserve quant à ses conditions de travail,
elle a dû s'organiser pendant les huit mois d'arrêt de travail pour faire face à la perturbation manifeste engendrée par l'arrêt maladie de longue durée d'B.,
face à cette absence prolongée et sans indication particulière quant à la date éventuelle de retour, elle a pris le soin d'adresser un courrier recommandé le 16 janvier 2020 afin d'interroger son employé sur la durée prévisible de son absence et s'il était envisagé une reprise du travail,
en réponse, le conseil d'B. indiquait par courriel du 24 janvier 2020 que la reprise du travail n'était pas envisageable et faisait état, pour la première fois, d'un certain nombre de griefs,
le Tribunal du Travail a considéré à tort que l'absence prolongée de son Directeur de la chaîne d'approvisionnements n'engendrait pas de fortes perturbations dans l'entreprise puisque ce dernier occupait un poste clé à hautes responsabilités au sein de la SARL A. i.,
compte-tenu de la nature et de la spécificité de ses fonctions, ainsi que des tâches qui lui étaient attribuées, il était impossible d'avoir recours à des contrats à durée déterminée ou à de la sous-traitance durant la maladie de longue durée du salarié,
en effet, B. exerçait des fonctions très spécifiques qui impliquaient de disposer de compétences particulières et techniques ainsi que d'une expérience dans le domaine du développement des chaînes d'approvisionnement dans le secteur de la restauration rapide, ainsi que dans le domaine de la gestion import-export, la gestion des réseaux de distribution et la livraison au niveau national,
le poste et les fonctions occupés nécessitaient d'avoir une personne dédiée sur ce poste à temps plein et de manière durable,
en son absence, l'accomplissement des tâches qui lui incombaient habituellement a été assuré principalement par E. (T. avec un parcours opérationnel sans rapport avec l'approvisionnement) et G. (profil junior) à titre subsidiaire, même si ces derniers n'avaient pas les compétences requises,
F. n'a pas été engagé aux mêmes fonctions que celles occupées par B. puisque celui-ci a été embauché à compter du 1er octobre 2019 dans des conditions d'emploi différentes, de directeur des L., son contrat de travail le démontrant et précisant qu'il exerçait ses fonctions sous l'autorité du T. et en collaboration avec B., Directeur de la « H. »,
ce n'est qu'après plusieurs mois que F. s'est vu attribuer de nouvelles responsabilités dans ce domaine, en sus de celles dont il était déjà en charge en matière d'achats et de négociation de marchés,
les profils LinkedIn de Monsieur F. démontrent que les mentions ont évolué en fonction de leur date d'impression et que celle de « H. » a été rajoutée suite au licenciement et non depuis octobre 2019,
l'attestation de I. (de la société U. France, fournisseur de A.) est particulièrement étonnante dès lors que si cette dernière a pu échanger électroniquement avec Monsieur F., celui-ci ne s'est jamais présenté en tant que nouveau contrat « H. », sa signature électronique mentionnant uniquement qu'il était directeur des L.,
il convient de rappeler que I. avait indiqué dans un courriel produit par ses soins en première instance que Monsieur E. avait pris en charge les fonctions d'B. durant son absence,
en cause d'appel, elle verse aux débats de nombreux courriels reçus par Monsieur E., lequel a suppléé le salarié, démontrant la perturbation de la société,
la désorganisation s'est traduit notamment par des délais de traitements plus longs que ce soit vis-à-vis des clients ou du groupe, ce qui a entraîné une dégradation des relations avec certains fournisseurs (mails du 23 mai 2019, du 5 juillet 2019 et 25 juillet 2019, Monsieur E. ayant d'ailleurs commis diverses erreurs qui ont eu pour conséquences des pertes financières (29 novembre 2019, 3 décembre 2019, 9, 15 et 17 janvier 2020, 10 février 2020, 2 mars 2020, 11 mars et 31 mars 2021),
une telle situation ne pouvait pas durer plus longtemps même si la société s'était déjà efforcée pendant près de neuf mois de tenter de pallier avec difficulté son absence, espérant un retour éventuel,
elle n'a pas lancé de procédure de recrutement suite au licenciement dans la mesure où la crise sanitaire est intervenue juste après le licenciement et a conduit à la fermeture des bars et restaurants dès le mois de mars 2020, ce qui a été à l'origine d'une perte de 75 % du chiffre d'affaires, lequel était principalement basé sur les redevances versées par les restaurants franchisés,
en outre, le Gouvernement Princier a attribué aux sociétés des aides et plus particulièrement le chômage total temporaire renforcé (CTTR), expressément subordonné à l'absence de nouvelles embauches,
compte tenu de la fermeture de la vingtaine de restaurants gérés par la SARL A. i., occasionnant la perte de tous les royalties, les salariés ont été placés en CTTR et ont ainsi pu bénéficier des allocations servies par le Gouvernement Princier, si bien qu'il ne peut lui être reproché l'absence de recherches actives relatives au remplacement d'B.,
une fois la crise passée, elle a été en mesure de procéder à une réorganisation totale de ses effectifs, Monsieur F. ayant pu, dans l'intervalle, se former sur la partie « H. » et Monsieur G. prendre de nouvelles responsabilités, en sorte que la réformation s'impose de ce chef,
aucune intention de nuire ne saurait lui être reprochée en l'état des interrogations qu'elle a adressées au salarié et à son médecin traitant,
au regard de la réponse du conseil d'B. ainsi que de sa désorganisation, elle ne pouvait que procéder au licenciement,
elle a montré un certain égard à son salarié après un arrêt maladie de neuf mois, ce qui établit bien qu'elle n'a pas agi avec précipitation ou brutalité dans la mise en oeuvre de la rupture,
la décision des premiers juges est exempte de toute critique s'agissant des conditions de travail, tandis qu'aucune pièce n'est versée en cause d'appel pour établir que l'employeur aurait été informé d'une surcharge de travail,
l'appel incident a été formé sans le moindre élément nouveau en sorte que la demande adverse fondée sur l'article 238-1 du Code de procédure civile sera rejetée, alors que la réformation imposera qu'il lui soit octroyé la somme de 10.000 euros au titre des frais exposés en première instance et en appel.
Par des conclusions du 22 novembre 2022, B. demande à la Cour d'infirmer la décision de première instance en ce qu'elle a rejeté sa demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail uniquement, et statuant à nouveau, de condamner l'appelante principale à lui payer la somme de 141.660 euros nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ainsi que la somme de 5.000 euros nets au titre des frais de justice en cause d'appel au visa de l'article 238-1 du Code de procédure civile mais également de dire qu'en cas de recours à l'exécution forcée, les frais d'huissier seront supportés par le débiteur.
Il fait valoir en substance que :
au-delà de la contestation de la mesure de licenciement, il a été contraint de saisir la justice pour le simple respect de la législation du travail (maintien du salaire, complément maladie K.), si bien qu'il lui a fallu attendre trois années pour être rempli de ses droits en matière de complément maladie, ce qui en dit long sur les compétences en matière de droit social de l'employeur,
deux conditions cumulatives sont édictées pour justifier le licenciement dont il a fait l'objet,
concernant la production des pièces nouvelles en cause d'appel qui constituent quelques mails complémentaires pour tenter de démontrer une perturbation, elles ne convaincront pas la Cour de quelques dysfonctionnements aux conséquences fâcheuses,
elles évoquent au demeurant des questions qui ne relevaient pas de ses attributions, alors que la pièce n° 39 établit que les services A. étaient en tension et sous-dimensionnés,
ces mails, qui concernent une période de deux mois suivant le début de son arrêt de travail, ne démontrent aucune désorganisation des suites de son absence mais mettent en lumière un service comptable débordé, ce qui apparaît sans rapport avec sa responsabilité de Directeur des achats,
aucun élément sur les prétendues pertes financières n'est apporté, de sorte que la décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a considéré le motif non valable,
il apparaît qu'il a été remplacé définitivement dans ses fonctions par F., embauché suivant contrat à durée indéterminée, avant même l'expiration de la période légale de protection, et ce, aux mêmes fonctions que celles qu'il occupait,
d'ailleurs, ce dernier se présente sur LinkedIn en mai 2020 comme le numéro 2 de A. avec le poste de Directeur L. à temps plein depuis octobre 2019 et en mai 2022 comme le Directeur L. et H. à temps plein depuis octobre 2019,
Monsieur F. est effectivement l'interlocuteur Achat France et Europe, depuis octobre 2019, ainsi qu'en attestent M. et I., ou le démontre sa désignation comme gérant de la SARL N. à sa place à compter du 26 mars 2020, confirmant le caractère pérenne du recrutement et la reprise de ses fonctions antérieures,
l'embauche est donc intervenue avant l'expiration du délai de six mois,
les affirmations adverses sont mensongères puisque Monsieur F. rapporte directement à E. et non au H. (simple collaboration), alors qu'il devrait par définition être sous sa hiérarchie,
aucune fiche de poste n'est attachée au contrat de Monsieur F., les attributions évoquées dans la convention se référant à la partie principale des responsabilités notées dans sa propre fiche de poste,
la Cour comparera en toute objectivité sa fiche de poste et les attributions de Monsieur F. pour conclure que ce dernier l'a bien remplacé sur un emploi en CDI à 85.000 euros bruts par an,
de plus, l'employeur ne justifie d'aucune recherche active de remplaçant et n'a diffusé aucune offre d'emploi, - la crise sanitaire n'en est pas la cause mais bien son remplacement depuis le mois d'octobre 2019,
il s'ensuit que les motifs invoqués à l'appui de la décision de rupture sont fallacieux en l'état de son remplacement préalable au licenciement et à l'absence de désorganisation,
de plus, le licenciement a été mis en oeuvre avec précipitation, sans entretien préalable, sans considération au regard de la cause de l'arrêt maladie, de son ancienneté de sept années et demi, de son investissement personnel pour le groupe A., de ses fonctions antérieures, et sans reconnaissance du travail au développement du groupe O.,
l'attitude humiliante de l'employeur vis-à-vis d'un cadre, sans discussion préalable, lui a causé un préjudice certain justifiant l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de six mois de salaire, que la Cour confirmera,
la surcharge de travail s'explique par l'évolution de ses missions au fil des années liée à l'amoindrissement des effectifs au niveau des services de gestion des ressources humaines, l'adjonction de la gestion en direct de divers magasins non franchisés (A. à Ibiza et Cannes, brasserie O. à Saint-Tropez dès l'automne 2016, responsabilité totale au printemps 2018) et la gestion d'une société de droit italien d'eaux naturelles (P. appartenant à Monsieur O.), alors qu'il lui a également été demandé d'assurer la gestion de la SARL Q. (potager à Saint-Tropez, impliquant dès juin 2018 un investissement réel en temps de travail sur l'évolution de la société, la stratégie commerciale, le réaménagement du site), lui imposant de passer en moyenne 2 jours par semaine à Saint-Tropez entre mars 2018 et mai 2019,
cette surcharge est établie par ses pièces 23, 30 et 31 (aspect interne) et 15, 24 et 25 (aspect externe),
le Tribunal du Travail n'a pas statué sur la surcharge de travail par suite de deux facteurs cumulés: l'augmentation des missions confiées et la réduction des effectifs,
l'employeur ne peut contester ces deux circonstances cumulées objectives et factuelles,
la juridiction de première instance reproche au salarié de ne pas avoir fait état de ce surcroît de travail à sa hiérarchie qui aurait ainsi ignoré les difficultés rencontrées,
il ne peut concrètement lui être reproché de ne pas avoir alerté son employeur, alors que son responsable hiérarchique était Monsieur E., lequel était à l'origine de la pression et l'humiliation permanente qui lui était infligée, ou que l'associé majoritaire en la personne de Monsieur O. multipliait les demandes pour la gestion de la brasserie à Saint-Tropez, du potager à Saint-Tropez ou de sa société eaux minérales,
par définition, un salarié victime de pression de la part de son supérieur direct ne peut se plaindre auprès de ce dernier, tandis que d'autres employés ont « craqué » selon l'attestation de Monsieur J.,
il a été démontré qu'il n'y avait aucun service juridique ou un service de ressources du personnel (incompétence totale sur la gestion des arrêts de travail et complémentaire santé) et encore moins de délégués du personnel ou de syndicat, alors que sa position de n° 2 lui interdisait de se plaindre ou d'être entendu en ses demandes,
la Cour appréciera les témoignages exhaustifs, complets et précis établis tant par des cadres que des franchisés en ligne directe avec lui ou des fournisseurs, tous relevant le manque de personnel (réduction des effectifs de 25 à 5 salariés), l'augmentation des missions confiées et la pression du management inadapté de Monsieur E.,
son état de santé s'est avéré si préoccupant que la durée de l'arrêt de travail s'est prolongée, tandis que l'employeur ne lui a pas donné loyalement les moyens d'effectuer son travail, en sorte que sa demande correspondant à 10 mois de salaire pour exécution déloyale du contrat de travail apparaît justifiée,
il a été en arrêt maladie, suivi par le docteur R. pendant 2 ans, son état de santé ayant eu un retentissement dans ses activités quotidiennes qui entrave sa recherche d'emploi,
les démissions en cascade et les départs non remplacés étaient bien connus de l'employeur qui n'a initié aucune démarche pour éviter que le surplus de travail ne se reporte sur les salariés demeurés en place,
les organigrammes versés aux débats par la partie adverse en première instance comportent de nombreuses erreurs mais démontrent la réduction des effectifs avec forcément des tâches réparties entre les effectifs restants qui accentuent leur charge de travail,
Monsieur G. avait une double casquette: informatique et assistance sur la logistique au jour le jour du département H., même s'il ne lui était pas pleinement rattaché et qu'il a dû le former initialement.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les appels principal et incident respectivement formés par la SARL A. i. et B., dans les conditions de forme et de délai prévues par la loi, apparaissent recevables ;
Attendu que les dispositions du jugement du Tribunal du Travail du 17 juin 2022 qui ont :
rejeté la demande de paiement de congés payés sur préavis d'B.,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 14.352,80 euros à titre d'indemnisation de la perte d'indemnité de prévoyance, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation, et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du retard dans la déclaration prévoyance, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
ne sont pas l'objet des appels principal et incident parte in qua, en sorte qu'elles apparaissent définitives ;
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
Attendu qu'en vertu de l'article 989 du Code civil, les conventions légalement formées doivent être exécutées de bonne foi;
Que contrairement à la position des premiers juges, cette obligation, qui s'impose à tout employeur, n'implique pas, nécessairement, une alerte préalable faite par le salarié concerné -qui subirait de mauvaises conditions de travail-auprès de sa hiérarchie, en particulier lorsque cette hiérarchie est elle-même à l'origine ou la cause de telles conditions de travail et ne pouvait les ignorer ;
Que le poste de Directeur de la chaîne d'approvisionnement i. est décrit, aux termes de la fiche de poste annexée au contrat de travail d'B., de la manière suivante « Le Directeur de la Chaîne d'approvisionnements i. aura principalement pour tâches d'assurer le développement des capacités de production des fournisseurs, de négocier, de mettre en œuvre des accords d'approvisionnements au niveau i. en maîtrisant les coûts et en assurant en permanence un niveau de compétence stratégique » ;
Qu'il résulte des pièces versées aux débats par B., auquel incombe la charge de la preuve des conditions de travail qu'il dénonce et des répercussions éventuelles sur son état de santé, que :
R., employé comme Director H. Europe, à compter du mois d'avril 2015 et au contact direct d'B., a démissionné de ses fonctions dix mois plus tard, évoquant « La stratégie de développement de A., avec l'expansion accélérée dans deux ou trois pays simultanés, des franchisés avec des équipes locales très limitées, ainsi qu'un contrôle exhaustif des relations entre fournisseurs et équipes entraîne une conséquente charge de travail pour les employés avec un évident manque de ressources et moyens humains et une très forte pression de la part de la direction de la société. Quant à moi, j'ai ressenti une pression extrême et l'impression d'être en permanence débordé par une surcharge de travail. C'est pour ça qu'après dix mois en poste j'ai présenté ma démission » (pièce n°25 du salarié),
il ressort d'un mail du 11 octobre 2017 (pièce n° 23 du salarié) adressé, avec son arrêt de travail, par S., du service design, à T., responsable des ressources humaines, qui était encore en poste à cette époque, que l'intéressée a dénoncé la pression subie dans le cadre de journées de travail très longues et l'envoi d'emails ou les appels tardifs en soirée, la nuit ou les week-end l'empêchant de concilier vie personnelle et professionnelle,
les effectifs de la société sont passés de 21 à 7 personnes entre avril 2018 et janvier 2020, selon l'attestation de J., ancien Vice-président Design et Construction de A. (pièce n° 30 du salarié), qui précise qu'au cours de cette période, « La responsable des ressources humaines, T., a été licenciée et jamais remplacée. De même, pour le responsable informatique licencié en plein milieu d'un projet de réorganisation des caisses (...). Pour pallier aux personnes licenciées et non remplacées, il y avait une redistribution de la charge et des mentions (sic) vacantes sur l'effectif restant (...) Les mentions (sic) liées à l'informatique ont été par exemple transférées à un jeune membre du restaurant de Cannes Centre, G., qui avait déjà des tâches et responsabilités dans la gestion des caisses mais qui aidait aussi le département Achats/Approvisionnements guidé par B.. Ce dernier a vu son effectif perdre l'adjoint aux achats dans un moment où la société lui demandait de prendre en charge d'autres tâches nouvelles (...) Le volume de travail à traiter n'a fait qu'augmenter car les objectifs et la façon de challenger l'équipe de Monaco, restaient les mêmes, voire en progression par rapport aux effectifs. (...) La dégradation du climat entre collègues a vu progressivement des cas d'écroulement, des BURN OUT apparaître. Le cas de burn out d'B. survenu en 2019 n'est pas le seul. En automne 2019, sur moi-même, sont apparus des symptômes similaires décelés durant une visite médicale. La personne qui s'occupait du marketing depuis un an s'est écroulée en décembre 2019 avec un autre BURN OUT (... ) »,
D. (pièce n° 31 du salarié), franchisé de A. à Vannes ayant travaillé de près avec B., mentionne qu'« Entre mes premiers contacts avec l'enseigne et mai 2019, la structure mise à disposition du projet par le franchiseur s'est considérablement amoindrie, avec paradoxalement un réseau quant à lui en pleine expansion... Ceci était une problématique inquiétante pour l'ensemble de la communauté des franchisés, sachant que la charge de travail nécessaire à la bonne gestion de l'enseigne n'était pas en adéquation avec la réduction drastique des effectifs du siège. Par exemple, après le licenciement de Monsieur S., responsable informatique de l'enseigne en plein développement, seul Monsieur G. (ex employé polyvalent de restaurant) s'est retrouvé à gérer à mi-temps : mise en place, gestion, formation, suivi des systèmes de caisses ainsi que soutien informatique sur l'ensemble du réseau. L'autre moitié de son temps de travail devant être consacré au soutien d'B. sur la partie gestion des achats et logistiques. (...) Personnellement, dans le cadre d'un protocole de rupture de contrat de franchise, j'ai choisi de quitter l'enseigne (. . . ) »,
B. s'est vu confier de nouvelles attributions en 2018-2019, concernant le c. O. à Saint-Tropez, la gérance du potager de s. O. à Saint-Tropez ainsi que la commercialisation des P. (pièces n° 20, 21, 26 et 26 bis, 30, 31 du salarié), impliquant un fort investissement et des déplacements multiples sur Saint-Tropez (pièces n° 32 à 35 du salarié), sans qu'il ait été déchargé, dans le même temps, de ses missions initiales nombreuses énoncées par son contrat de travail,
M., responsable compte clés chez T., en charge de l'approvisionnement principal des matières premières dans les restaurants A. (pièce n°15 et 15 bis du salarié), qui a travaillé avec B. depuis 2012, souligne « J'ai toujours été étonné que Monsieur B. ait à gérer seul l'ensemble des problématiques des commandes restaurants ces dernières années. Nous nous retrouvions systématiquement à gérer les urgences, réparer les défaillances opérationnelles en matière de commandes restaurants. Nous étions en contact permanent incluant les soirs, jours fériés et nos congés respectifs car tout était urgent et la rupture était inenvisageable. Parmi les 40 clients que je gérais, seul A. fonctionnait de la sorte. B. manquait clairement de soutien humain pour gérer l'approvisionnement français mais aussi internationaux comme l'Angleterre, l'Espagne, le Portugal, l'Italie. J'ai été surpris que l'on confie à B., qui était déjà en sous-effectif la gestion opérationnelle de O. c.. Le contexte et le manque d'effectifs au siège engendrait de nombreuses tensions avec le réseau des franchisés qui mettait une pression supplémentaire à B. »,
C. (pièce n° 24b du salarié), ayant côtoyé B. en qualité de fournisseur pendant plusieurs années, déclare « J'atteste avoir constaté une charge de travail très importante pour un homme seul, sans aucune assistance. Avec de très nombreux déplacements internationaux, et une disponibilité permanente compte tenu de l'implantation américaine de la hiérarchie et exigeant des réunions téléphoniques en horaires complètement décalés »,
le Docteur R., psychiatre, a établi deux certificats médicaux des 5 novembre 2020 et 16 février 2021 (pièces n° 28 et 29 du salarié), aux termes desquels il relève en dernier lieu suivre régulièrement B. depuis le 30 mai 2019 en psychothérapie et pour son traitement médicamenteux en raison d'un « épisode dépressif caractérisé sévère par mécanisme d'épuisement, cet état médical est invalidant sur le plan professionnel et personnel. Il existe actuellement des troubles anxieux, des troubles du sommeil quotidiens limitant la réalisation des activités de vie quotidienne. Les symptômes actuels entravent encore partiellement la recherche d'emploi à ce jour. (...) Le retentissement dans les activités de vie quotidienne est encore présent, cependant un retour des capacités fonctionnelles est en cours même s'il prendra encore plusieurs mois. L'apathie a presque disparu, des réviviscences de scènes de travail existent. Le seul facteur de stress retrouvé est l'activité professionnelle qui a entraîné le burn out. Les mécanismes anxieux entravent actuellement sa capacité à travailler car les réviviscences anxieuses sont quotidiennes » ;
Que si comme l'ont relevé les premiers juges, la démonstration de faits précis de type harcèlement moral de la part de la hiérarchie ou du « management » (E., Directeur Général et s. O., associé principal) n'est pas réalisée à travers les éléments de preuve précédemment évoqués, les attestations précitées d'anciens employés, franchisés ou fournisseurs de A., confortées par d'autres éléments de preuve, sur des faits objectifs, non sérieusement contestés par l'employeur, établissent que la société A., prise en la personne de ses dirigeant et actionnaire, a imposé une importante charge de travail à l'ensemble de ses salariés pendant plusieurs années, alors que dans le même temps, elle a procédé à une réduction importante de ses effectifs sans provoquer le remplacement des personnes congédiées, entraînant une répartition du travail à réaliser entre le personnel restant ;
Que dans ce contexte de surcharge de travail décrit de manière particulièrement concordante par des personnes intervenant au sein et en dehors de l'entreprise, B., qui subissait déjà ces contraintes, s'est vu adjoindre en 2018-2019 de nouvelles tâches, nombreuses et chronophages (potager à Saint-Tropez, c. O. à Saint-Tropez, P.), lesquelles ont conduit à une situation de surmenage, un épisode dépressif sévère par épuisement aussi appelé « BURN OUT », comme d'autres employés avant ou après lui dans l'entreprise ; que cette situation professionnelle est à l'origine des arrêts de travail renouvelés prescrits à l'intéressé ainsi que d'une prise en charge médicale et médicamenteuse au moins entre mai 2019 et février 2021 ;
Que l'ensemble de ces éléments caractérisent une méconnaissance par l'employeur de son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail, dont il ne pouvait ignorer la réalité, en l'état des conditions de travail qu'il a imposées et qui étaient objectivement sans commune mesure avec celles initialement négociées avec B. ; que le préjudice moral, en lien direct avec ce manquement contractuel, subi par le salarié, en dehors de la question du licenciement qui sera traité ci-après, justifie l'allocation de la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, compte tenu de l'investissement professionnel renouvelé d'B. et de l'absence de prise en considération concrète de la situation objective des capacités de son employé pour la réalisation de ses tâches, et ce, malgré les alertes liées à d'autres membres du personnel ;
Que la décision de première instance sera dès lors infirmée sur ce point et la SARL A. i. condamnée à régler la somme précitée, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Sur le licenciement
Attendu qu'il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture ;
Attendu qu'en application de l'article 16 de la loi n° 729, le contrat de travail est suspendu pendant une durée limitée à six mois en cas d'empêchement du travailleur dû à une maladie ou à un accident, médicalement constatés ;
Attendu que l'employeur qui entend, à l'expiration de la période légale de suspension, procéder au licenciement d'un salarié, doit démontrer que cette mesure est justifiée par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée de l'intéressé entraînant la nécessité pour l'employeur de pourvoir à son remplacement définitif; que ces deux conditions sont cumulatives, alors que la preuve de la nécessité de pourvoir à un remplacement définitif impose de justifier des démarches mises en oeuvre en vue d'un recrutement définitif et effectif ou de la réalité du recrutement opéré par l'employeur pour pourvoir au remplacement du salarié congédié ;
Qu'en l'espèce, si des pièces nouvelles sont produites en cause d'appel pour justifier de la perturbation du fonctionnement de l'entreprise qui a impliqué l'intervention d'E. et G., qui « n'avaient pas les compétences requises », force est de constater qu'il est clairement établi et même soutenu par l'appelante elle-même que F., embauché à compter du 1er octobre 2019 pour des fonctions de Directeur des L., a remplacé B. à son départ de l'entreprise, en récupérant les attributions de ce dernier et en devenant « Directeur L. et H. » ; qu'en conséquence, il n'a pas été procédé au remplacement définitif et effectif du salarié puisque ce remplacement a été assuré par un autre employé de l'entreprise lequel a cumulé les deux missions qui sont bien décrites aux termes des documents contractuels de manière distincte ; que la période de confinement (postérieure à la notification de la rupture) liée à la crise sanitaire COVID apparaît ici indifférente puisque l'employeur ne justifie pas, ni même n'allègue que le recrutement d'un remplaçant aurait été réalisé ou envisagé après cette période exceptionnelle ;
Qu'il s'ensuit que le motif du licenciement a été justement considéré par les premiers juges comme non valable ;
Attendu que par ailleurs, le Tribunal du travail a, à bon droit, intégré dans le salaire annuel servant de base au calcul de l'indemnité de congédiement le bonus de 25.000 euros versé au cours de la période précédant l'arrêt maladie, bien que l'appelante n'ait pas critiqué spécialement la somme retenue ;
Attendu que les parties n'ont pas davantage critiqué le montant de l'indemnité de licenciement octroyé et en particulier, le salarié n'a pas sollicité une somme supérieure à celle octroyée en première instance (malgré la non-prise en compte dudit bonus), en sorte que la décision de première instance sera confirmée pour les condamnations prononcées au titre de l'indemnité de congédiement et de licenciement ;
Attendu qu'il incombe au salarié de rapporter la preuve de l'abus commis par l'employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de rupture ;
Attendu que si l'absence de démonstration, dans l'hypothèse d'un licenciement pour absence prolongée, d'un dysfonctionnement au sein de l'entreprise ne peut suffire à caractériser l'existence d'un motif fallacieux, ni à déterminer que l'état de santé du salarié serait la cause de la rupture, il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce, le licenciement doit être qualifié d'abusif dans la mesure où :
le licenciement est la conséquence de l'absence prolongée d'B. qui trouve son origine dans la surcharge de travail imposée par l'employeur au salarié et précédemment décrite,
la rupture procède de la volonté de ne pas remplacer définitivement le salarié, malgré le motif invoqué, et ce dans un souci d'économie,
le tout révélant une malveillance et intention de nuire de la SARL A., laquelle a mené son salarié à l'épuisement, en abusant de son investissement professionnel, pour ensuite le congédier au profit d'un autre de ses employés, dans un contexte de réduction de ses effectifs et de malaise au travail de certains membres de son personnel, étant souligné que la crise financière ultérieure liée à la pandémie COVID, qui a pu impacter l'entreprise, n'était pas d'actualité au moment de la notification du licenciement ;
Attendu qu'B. ne démontre aucunement le préjudice matériel qui résulterait de la rupture abusive de son contrat, même s'il recherchait encore un emploi au début de l'année 2021 ;
Qu'il subit toutefois un préjudice moral, distinct de celui précédemment indemnisé, tenant aux conditions dans lesquelles la rupture est intervenue ; qu'en effet, lorsque l'employeur l'interroge au bout de huit mois le 16 janvier 2020 sur la possibilité d'une reprise de travail, le conseil du salarié répond clairement que « l'arrêt de travail fait suite à une surcharge de travail cumulée, sur les deux années précédentes, assortie d'une diminution des moyens humains pour réaliser les tâches de plus en plus nombreuses confiées » et fournit diverses explications en ce sens ; que la réponse du 5 février 2020 de l'employeur sera la notification du licenciement sans qu'aucune référence ne soit faite aux conditions de travail évoquées ou que soit recherchée une solution en vue d'une reprise du travail avec une réduction éventuelle de la charge de travail, le contact pris par la SARL A. avec le médecin traitant de l'intéressé ne pouvant être que vain en l'état du secret professionnel le liant ; qu'B., qui n'a pas ménagé ses efforts pour le compte de la SARL A. i., laquelle l'a employé depuis le 24 juillet 2013 avec une reprise d'ancienneté au 15 octobre 2012, est fondé à solliciter la réparation du préjudice moral lié à l'absence de prise en compte de ses griefs après huit mois d'arrêt de travail et la perte définitive de son emploi qui est totalement imputable aux agissements de son employeur, et ce, par l'octroi de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que la décision de première instance sera dès lors infirmée et la condamnation ramenée à la somme de 50.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance du 17 juin 2022 ;
Attendu que la disposition de la décision du Tribunal du Travail ayant ordonné la régularisation de la documentation sociale d'B. et les déclarations auprès des organismes sociaux, dans un délai de deux mois à compter du 17 juin 2022, sera confirmée en ce qu'elle apparaît nécessaire au respect des droits du salarié, étant souligné qu'elle n'a pas été utilement contestée par l'appelante principale ;
Attendu que le jugement doit également être confirmé sur la condamnation de la SARL A. aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile qui a été équitablement appréciée par les premiers juges ;
Attendu enfin, que l'appelante principale, qui succombe en cause d'appel, doit être condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 4.000 euros au titre des frais d'appel non compris dans les dépens ; qu'aucune disposition légale ne permet de dire « qu'en cas de recours à l'exécution forcée, les frais d'huissier seront supportés par le débiteur », en sorte que cette prétention d'B. ne peut prospérer ; qu'enfin, la demande fondée sur l'article 238-1 du Code de procédure civile formée par la SARL A. sera rejetée en l'état de sa succombance aux dépens d'appel ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
par mise à disposition au greffe,
Déclare recevables les appels principal et incident formés respectivement par la SARL A. i. et B.,
Constate que sont définitives les dispositions du jugement du Tribunal du travail du 17 juin 2022 ayant :
rejeté la demande de paiement de congés payés sur préavis d'B.,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 14.352,80 euros à titre d'indemnisation de la perte d'indemnité de prévoyance, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation, et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du retard dans la déclaration prévoyance, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé dudit jugement,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
Confirme le jugement du Tribunal du travail du 17 juin 2022, en ses dispositions appelées, sauf en ce qu'il a :
rejeté la demande d'B. au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,
condamné la SARL A. i. à verser à B. la somme de 84.996 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
et l'infirme de ces chefs,
Statuant à nouveau sur ces chefs infirmés,
Condamne la SARL A. i. à payer à B. la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la SARL A. i. à payer à B. la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 17 juin 2022,
Y ajoutant,
Condamne la SARL A. i. à payer à B. la somme de 4.000 euros au titre des frais d'appel non compris dans les dépens,
Rejette le surplus des demandes des parties,
Condamne la SARL A. i. aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,
Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 14 JUILLET 2023, par Madame Claire GHERA, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Conseiller, Madame Magali GHENASSIA, Conseiller, assistés de Madame Nathalie SALMASSI, Greffier, en présence de Monsieur Morgan RAYMOND, Procureur général adjoint.
Arrêt signé par Madame Magali GHENASSIA, Conseiller, en l'état de l'empêchement de Madame Claire GHERA, Conseiller (articles 60 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires).