Cour d'appel, 6 juin 2023, La société G. c/ Madame i. B.

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Abstract🔗

Contrat de travail - Transfert du contrat de travail - Indemnité de départ à la retraite - Accord d'entreprise - Engagement unilatéral d'entreprise - Résistance abusive de l'employeur (non) - Dommages et intérêts (non)

Résumé🔗

La salariée, exerçant les fonctions de responsable d'une agence de voyage, a fait valoir ses droits à la retraite le 30 juin 2020 et bénéficié à cette occasion d'une indemnité d'un montant de 20 906,78 euros, calculée en application des dispositions de l'article 22 de la Convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages. Or, l'intéressée se prévaut des dispositions plus favorables d'un accord d'entreprise conclu le 24 novembre 1988, qui n'a pas été dénoncé par le nouvel employeur ayant repris son contrat de travail et qui lui est donc opposable de plein droit. La cour relève que cet accord plus favorable n'a pas été dénoncé et qu'aucun nouvel accord d'entreprise n'a été négocié. Cet accord prévoit expressément le maintien pour les salariés présents dans l'entreprise au 31 décembre 1988, des « avantages sociaux et conventionnels acquis à titre individuel », parmi lesquels figurent les indemnités et conditions de fin de carrière. L'employeur a ainsi manifesté une volonté claire et non équivoque de considérer comme un avantage individuel acquis les indemnités et conditions de fin de carrière dont bénéficiaient les salariés avant le changement de Convention collective. L'indemnité litigieuse devait ainsi être calculée selon la formule de l'accord d'entreprise du 24 novembre 1988, renvoyant à la Convention Collective générale du Travail des Cadres, Techniciens, Agents de Maîtrise et Employés, à savoir : 33% des 14/12ème du salaire mensuel perçu au moment du préavis pour la période d'ancienneté comprise entre 1 et 10 années et par année de présence, 50% des 14/12ème du salaire mensuel perçu au moment du préavis pour la période d'ancienneté au-delà de dix ans et par année d'ancienneté, sans dépasser vingt mois d'appointements.

Le salaire de base de calcul est celui perçu au moment du préavis, soit un montant de 5 187,98 euros (salaire de base + prime d'ancienneté + indemnité 13ème mois). Le montant plafond de 20 mois d'appointements s'établit ainsi à 103 759,60. La salariée ayant perçu la somme de 20 906,78 euros, l'employeur demeure redevable d'un montant de 82 852,82 euros.

En application de l'article 1008 du Code civil, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal. L'intéressée est donc mal fondée à solliciter le versement de dommages et intérêts sur ce fondement.

À défaut d'accord entre les parties, il appartenait à la justice de trancher le litige, de sorte que la résistance abusive de l'employeur n'est pas caractérisée. La cour rejette en conséquence la demande indemnitaire présentée par la salariée au titre de la résistance abusive de l'employeur.


COUR D'APPEL

ARRÊT DU 6 JUIN 2023

En la cause de :

  • La société G., société à responsabilité limitée exerçant sous l'enseigne H., immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le numéro xxx dont le siège social est sis « x1, Monaco (98000), prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant et domicilié es-qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître m.A, avocat au barreau de Paris, substituant Maître Jacques TONQUEDEC, avocat en ce même barreau ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • Madame i.B, née le jma à Monaco, de nationalité française, demeurant x2, P. ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître m.C, avocat au barreau de Nice ;

INTIMÉE,

d'autre part,

Visa🔗

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail, le 17 juin 2022 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 27 juillet 2022 (enrôlé sous le numéro 2023/000006) ;

Vu les conclusions déposées les 6 décembre 2022 et 14 février 2023 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame i. B ;

Vu les conclusions déposées le 17 janvier 2023 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la société G. ;

Vu l'ordonnance de clôture du 21 février 2023 ;

À l'audience du 28 février 2023, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société G. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 17 juin 2022.

Considérant les faits suivants :

i.B a été embauchée le 6 novembre 1978, en dernier lieu en qualité de responsable d'agence, par la société anonyme monégasque H., rachetée par la société I.puis par la société à responsabilité limitée J. exerçant sous l'enseigne H.. Elle a fait valoir ses droits à la retraite le 30 juin 2020 et a perçu la somme de 20.906,78 euros bruts d'indemnité de départ à la retraite dans le cadre de son solde de tout compte qu'elle a contesté le 9 juillet 2020.

Par requête reçue le 26 octobre 2021, i.B a saisi le Tribunal du travail aux fins d'obtenir :

  • • 82.852,82 euros bruts de rappel sur indemnité de fin de carrière,

  • • 5.000 euros de dommages-intérêts,

  • le tout avec intérêts au taux légal capitalisés et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Par jugement du 17 juin 2022, cette juridiction a :

  • • condamné la société à responsabilité limitée J. exerçant sous l'enseigne H. à verser à i.B la somme de 82.852,82 euros à titre de complément d'indemnité de départ à la retraite, et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation ;

  • • condamné la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. à verser à i.B la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision ;

  • • rejeté la demande de dommages-intérêts de la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. ;

  • • condamné la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. aux entiers dépens ;

  • • dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Pour statuer ainsi le Tribunal du travail a considéré en substance que :

  • si l'accord d'entreprise du 28 novembre 1988 aux termes duquel la société H. a décidé que les collaborateurs présents dans l'effectif de la société au 31 décembre 1988 conservent jusqu'à la fin de leur carrière au sein de la société H. les avantages dont ils bénéficient et auraient pu bénéficier avant le changement de Convention collective, notamment les avantages relatifs aux indemnités et conditions de fin de carrière, n'était pas un élément du contrat de travail d'i.B, il n'en demeure pas moins qu'en cas de transfert d'entreprise les engagements unilatéraux de l'ancien employeur sont opposables de plein droit à son successeur et continuent à produire tous leurs effets postérieurement à la date du transfert, lorsque le contrat de travail était en cours d'exécution à la date d'effet du transfert et que cet accord n'a pas été dénoncé régulièrement, ce qui est le cas en l'espèce,

  • à défaut pour la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. d'avoir dénoncé un accord d'entreprise qui lui avait été transféré de plein droit lors du transfert d'entreprise, elle se devait de l'appliquer en toutes ses dispositions et le calcul de l'indemnité de départ à la retraite de la requérante devait en conséquence se faire selon la formule de l'accord d'entreprise de 1988, renvoyant à la Convention collective générale du travail des cadres, techniciens, agents de maîtrise et employés,

  • en refusant de faire application de l'accord d'entreprise qu'elle n'a jamais dénoncé, la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. a fait preuve de résistance abusive et a causé un préjudice à i.B qui a dû saisir la juridiction et patienter deux ans avant d'être remplie de ses droits,

  • l'indemnité de départ à la retraite n'étant pas un salaire ou accessoire du salaire, la décision n'est pas exécutoire de droit et le caractère nécessaire n'est pas démontré,

  • les demandes d'i.B étant parfaitement fondées, la demande de dommages-intérêts de la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. doit être rejetée.

Par exploit d'huissier délivré à i.B le 27 juillet 2022, la société G. exerçant sous l'enseigne H. a déclaré interjeter appel du jugement rendu le 17 juin 2022 par le Tribunal du travail.

Aux termes de ses écritures déposées le 17 janvier 2023, la société appelante demande à la Cour de :

  • la recevoir en son appel comme régulier en la forme et le déclarer fondé,

  • réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

  • constater que les dispositions de l'article 22 de la Convention collective des agences de voyages et de K.étaient applicables à la relation contractuelle liant la société et Madame B., notamment concernant le calcul de son indemnité de départ à la retraite,

  • constater que la société a fait une exacte application des dispositions de l'article 22 de la Convention collective des agences de voyages et de K.en ce qui concerne le calcul de l'indemnité de départ à la retraite de Madame B.,

  • constater que les dispositions de la Convention collective générale du travail des cadres, techniciens, agents de maîtrise et employés applicables à l'a.F et de l'accord d'entreprise du 24 novembre 1988 sont inopposables à la société,

En conséquence,

  • débouter Madame B. de sa demande au titre de son indemnité de départ à la retraite,

  • débouter Madame B. de sa demande au titre des dommages et intérêts et, à titre subsidiaire :

    • • constater que la société G. n'a pas fait preuve de résistance abusive,

    • • constater que Madame B. ne démontre l'existence d'aucun préjudice,

    • • débouter Madame B. de sa demande au titre des dommages et intérêts,

En tout état de cause,

  • débouter Madame B. de sa demande au titre des frais irrépétibles, en application de l'article 238-1 du Code de procédure civile, et la condamner au paiement de la somme de 2.000 euros à la société à ce titre,

  • débouter Madame B. de sa demande au titre des frais et dépens de première instance et d'appel, et la condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'huissier, de traductions éventuelles et autres, dont distraction au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur sous sa due affirmation.

La société appelante fait grief à la décision querellée d'avoir inversé la charge de la preuve en considérant qu'il appartenait au nouvel employeur de démontrer qu'il avait dénoncé l'accord litigieux, alors même qu'il revenait à la requérante de démontrer que cet accord avait bien été transféré à la société J. exploitant sous l'enseigne H.. Elle expose qu'elle ne fait pas partie du g.E et n'a aucun lien avec la société H. ni avec le g.E et qu'i.B ne s'explique pas sur les raisons qui conduiraient à l'application d'un accord collectif propre à la société H. à son nouvel employeur, alors même que l'accord dont se prévaut l'intimée précise qu'il s'applique aux collaborateurs présents sur les effectifs d'H. le 31 décembre 1988 qui conserveront les avantages dont ils bénéficiaient ou auraient pu bénéficier, jusqu'à la fin de leur carrière au sein de cette société, signataire de l'accord. Or, i.B n'était plus salariée de H. depuis le transfert de son contrat de travail à la société I..

Selon la société J. exploitant sous l'enseigne H., le Tribunal du travail a considéré à tort que l'accord d'entreprise dont i.B se prévaut constitue un engagement unilatéral de la société H., opposable au nouvel employeur, alors que cet accord, signé par la société H. etL., soit par deux parties, constitue un accord collectif. Or, les dispositions d'ordre public prévues à l'article 15 de la loi n°729 du 16 mars 1963 qui précisent qu'en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel entrepreneur et le personnel de l'entreprise, ne s'appliquent qu'aux dispositions du contrat de travail des salariés concernés et ne prévoient nullement de règles similaires concernant les accords d'entreprise, qui sont dès lors inopposables à la nouvelle entreprise non signataire en application de l'effet relatif des contrats qui demeure le principe. L'appelante précise que si le changement juridique de l'employeur s'accompagne en principe d'un maintien des éléments essentiels du contrat de travail, l'intimée ne démontre pas que le calcul de l'indemnité de départ à la retraite qu'elle revendique, en fait partie.

La société J. exploitant sous l'enseigne H. fait valoir qu'i.B prétend, avec opportunisme et pour la première fois en appel, que l'indemnité de départ à la retraite constituerait une prime présentant des critères de généralité, de constance et de fixité et devrait donc être qualifiée d'usage alors qu'il n'en est rien puisque d'une part, il ne s'agit pas d'une prime mais d'une indemnité, que d'autre part il n'est pas démontré que cet avantage répond aux trois critères énoncés, et qu'en tout état de cause, aucune disposition légale ne prévoit qu'un usage, qui résulte d'une volonté non équivoque de l'employeur de s'engager envers ses salariés et de leur octroyer ainsi un avantage financier, est transféré d'un employeur à un autre. De même, selon l'appelante, l'argument selon lequel cette indemnité de départ à la retraite constituerait un avantage individuel est inopérant dès lors qu'un avantage individuel acquis suppose que cet avantage trouve sa source dans une norme Conventionnelle qui a été dénoncée de sorte qu'i.B reconnait implicitement que l'accord d'entreprise du 24 novembre 1988 a été dénoncé, et qu'une indemnité liée à la perte d'emploi ne constitue pas un avantage individuel acquis puisqu'elle suppose que le salarié terminera sa carrière dans la même société et a donc un caractère aléatoire.

La société appelante soutient que la Convention Collective Nationale de Travail du Personnel des Agences de Voyages et de K.du 12 mars 1993 modifiée par avenant du 10 décembre 2013, régissant la relation de travail d'i.B tant avec la société I.à laquelle le contrat de travail a été transféré dans un premier temps, qu'avec la société J. exploitant sous l'enseigne H. est mentionnée sur les bulletins de la salariée, et que l'erreur commise par la société I., tant s'agissant du calcul de l'indemnité de départ à la retraite de certains salariés, que lors de la simulation proposée à i.B, n'est pas créatrice de droit.

S'agissant des demandes indemnitaires de l'intimée, la société appelante soutient qu'i.B a été remplie de ses droits et ne démontre pas de préjudice à l'appui de sa demande de dommages et intérêts et affirme qu'elle n'a pas fait preuve de résistance abusive qui supposerait qu'elle ait refusé volontairement d'exécuter une obligation qu'elle savait certaine, ce qui n'est pas le cas puisqu'elle conteste l'application de l'accord litigieux.

Enfin, s'agissant des frais irrépétibles, la société J. exploitant sous l'enseigne H. demande à la Cour de faire application des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile issu de la loi n°1.511 du 2 décembre 2021, applicable à compter du 17 février 2022.

Par ses dernières écritures déposées le 14 février 2023 i.B, intimée, demande à la Cour de :

  • confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 juin 2022 par le Tribunal du travail,

  • débouter la société G. de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

  • condamner la société G. au paiement de la somme de 3.500 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile,

  • condamner la société G. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.

i.B fait valoir que la situation juridique de l'employeur ne remet en cause ni l'existence, ni l'application de l'usage en vigueur avant l'opération juridique et qu'en cas de changement d'employeur, l'usage suit donc le régime du contrat de travail et est ainsi transféré au nouvel employeur. L'intimée soutient que contrairement aux allégations de l'appelante, elle a effectué l'ensemble de sa carrière au sein de la même entreprise, sans interruption de carrière, puisque ce n'est que par l'effet de rachats de son employeur que son contrat de travail a été transféré à de nouvelles entités juridiques, par l'objet d'absorption. i.B précise qu'au demeurant, la Convention Collective Générale du Travail des Cadres, Techniciens, Agents de Maîtrise et Employés applicable à l'a.F a été appliquée à d'autres salariés par la société I.et a été prise en compte par cette société lorsqu'elle-même a sollicité une simulation de droits à la retraite, ce qui démontre que l'accord collectif de 1988 n'a pas été dénoncé.

Selon l'intimée, le quantum de l'indemnité de départ à la retraite doit être calculé en application de l'article 27 de cette Convention, tel qu'apprécié par le Tribunal du travail de sorte qu'il lui reste dû une somme de 82.852,82 euros.

S'agissant des dommages et intérêts, i.B fait valoir qu'elle a informé son employeur des dispositions applicables dès le 22 avril 2020 en sorte que la résistance abusive est caractérisée, ajoutant que l'absence de versement de l'intégralité de l'indemnité de départ lui a causé un préjudice.

Enfin, s'agissant des frais irrépétibles, i.B demande à la Cour de faire application des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile issu de la loi n°1.511 du 2 décembre 2021, applicable à compter du 17 février 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel régulièrement formé dans les conditions de fond et de forme prévues par le Code de procédure civile, doit être déclaré recevable ;

Attendu qu'en application des dispositions de l'article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, lorsque la situation juridique de l'employeur se trouve modifiée, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise dans les conditions mêmes où ils se trouvaient exécutés au moment de la modification ;

Attendu qu'il est constant qu'i.B a été embauchée le 6 novembre 1978 par la société SAM H. ; que cette société dépendant du groupe a.F, la Convention collective générale du travail des cadres, techniciens, agents de maîtrise et employés en date du 1er janvier 1982 et mise à jour le 1er octobre 1984, conclue entre le Président Directeur Général du Conseil d'administration de l'a.F et les représentants syndicaux, trouvait à s'appliquer ; que conformément aux dispositions de l'article 27 de ladite Convention, l'employé qui met un terme à sa carrière dans le cadre d'un départ à la retraite à droit, entre 1 et 10 ans d'ancienneté à 33% et au-delà de 10 ans d'ancienneté à 50% des 14/12ème du salaire perçu au moment du préavis, sans que l'indemnité globale puisse dépasser 20 mois d'appointements ; que les commissions, intéressements et participations entrent dans le calcul de l'indemnité, sur la base d'une moyenne des trois dernières années ;

Attendu que suite à un changement de Convention collective, l'employeur s'est engagé à consentir des avantages aux salariés de l'entreprise H. ; que cet engagement a été formalisé en préambule d'un document intitulé « accord d'entreprise du 24 novembre 1988 », « annexe n°3 concernant les collaborateurs figurant sur les effectifs d'H. », signé à Levallois (France), par le Président du Directoire de H. et le Délégué mandaté pour le Syndicat L. ; qu'aux termes du préambule de cet accord il est indiqué : « Avantages sociaux et Conventionnels acquis à titre individuel : les collaborateurs présents sur les effectifs d'H. le 31 décembre 1988 conserveront jusqu'à la fin de leur carrière au sein d'H., les avantages dont ils bénéficiaient ou auraient pu bénéficier éventuellement, avant le changement de Convention collective.

Ces avantages concernent :

  • les régimes de prévoyance et de retraite, ainsi que ceux concernant la maladie ;

  • les primes conventionnelles et congés accordés à l'occasion d'évènements exceptionnels (mariage, naissance, scolarité, primes et congés de longue activité, congés sans solde à l'occasion de la maladie du conjoint, prime de garde) ;

  • les périodes et les conditions d'indemnisation ainsi que les facilités accordées aux collaboratrices en état de grossesse ;

  • les mises en disponibilité ;

  • les indemnités et conditions de fin de carrière et de licenciement ;

  • le versement en cas de décès, avant l'âge normal de départ à la retraite, de l'indemnité prévue. » ;

Attendu que l'a.F K.a été par la suite rachetée par la société I.; qu'en raison de la faillite de cette entreprise, l'agence de voyage a été rachetée par H. sous la raison sociale G. ; que le contrat de travail d'i.B, exerçant les fonctions de responsable d'agence, a été transféré de plein droit à cette société le 1er décembre 2019, en application des dispositions de l'article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 précité ;

Attendu que le 30 juin 2020, i.B a fait valoir ses droits à la retraite ; que l'employeur a fait application, pour le calcul de l'indemnité de départ à la retraite, de la Convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages et de K.du 12 mars 1993 modifiée par avenant du 10 décembre 2013, et a versé à la salariée, conformément aux dispositions de l'article 22 de cette Convention, une indemnité de départ à la retraite égale à 15% de sa rémunération, soit la somme de 20.906,78 euros brut ;

Attendu qu'i.B se prévaut des dispositions de l'accord d'entreprise conclu le 24 novembre 1988, qui lui procure une indemnité de départ à la retraite plus avantageuse, en ce que cet accord, à défaut d'avoir été dénoncé, serait opposable de plein droit au nouvel employeur ; que le Tribunal du travail a fait sienne cette argumentation, considérant qu'en cas de transfert d'entreprise, les engagements unilatéraux de l'ancien employeur qui n'ont pas été dénoncés, continuent à produire leurs effets ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que le contrat de travail d'i.B, employée sans discontinuer depuis le 6 novembre 1978, était en cours au jour du rachat de l'entreprise par H. sous la raison sociale G. ; que l'intimée a effectué toute sa carrière au sein de la même agence de voyage ; que le changement d'employeur, imposé à la salariée, n'a pas modifié l'identité et l'activité de la société ;

Attendu que l'accord collectif du 24 novembre 1988 prévoyait expressément le bénéfice des avantages dont les salariés bénéficiaient ou auraient pu bénéficier éventuellement, avant le changement de Convention collective, s'agissant notamment des indemnités de fin de carrière ; qu'en cas de modification de la situation juridique de l'entreprise, entrainant un changement légal d'employeur, celui-ci peut dénoncer les accords collectifs et doit dès lors proposer aux salariés transférés, un nouvel accord portant le même objet ; qu'à défaut de dénonciation, l'accord collectif continue à produire ses effets à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour de la cession ;

Attendu qu'en l'espèce, l'entreprise H. sous la raison sociale G. n'a pas dénoncé l'accord d'entreprise dont se prévaut i.B, pas plus que la société I.en son temps, puisqu'il ressort des documents communiqués par l'intimée, que plusieurs salariés ayant fait valoir leurs droits à la retraite alors qu'ils étaient employés par cette société suite au rachat de la SAM H., ont bénéficié d'indemnités conformes à ce qui a été prévu par l'accord collectif du 24 novembre 1988 ;

Attendu que le nouvel employeur n'a pas non plus négocié avec les salariés dont le contrat de travail a fait l'objet d'un transfert, un accord d'entreprise portant le même objet ; que l'argument tiré de ce que la Convention collective générale du travail des cadres, techniciens, agents de maîtrise et employés du g.E n'est pas applicable à la société H. sous la raison sociale G., qui ne fait pas partie de ce groupe, est sans apport au présent litige, dès lors qu'i.B entend bénéficier d'avantages résultant d'un accord collectif d'entreprise ;

Attendu qu'en toute hypothèse, l'accord collectif du 24 novembre 1988, prévoit expressément le maintien pour les salariés présents dans l'entreprise au 31 décembre 1988, des « avantages sociaux et conventionnels acquis à titre individuel », qu'au nombre de ces avantages figurent les indemnités et conditions de fin de carrière ; que l'employeur a dès lors manifesté une volonté claire et non équivoque, de considérer comme un avantage individuel acquis, les indemnités et conditions de fin de carrière dont bénéficiaient les salariés avant le changement de Convention collective ;

Attendu qu'il s'ensuit que la décision querellée doit être confirmée en ce qu'elle a considéré que le calcul de l'indemnité de départ à la retraite d'i.B devait se faire selon la formule de l'accord d'entreprise du 24 novembre 1988, renvoyant à la Convention Collective générale du Travail des Cadres, Techniciens, Agents de Maîtrise et Employés, à savoir :

  • 33% des 14/12ème du salaire mensuel perçu au moment du préavis pour la période d'ancienneté comprise entre 1 et 10 années et par année de présence,

  • 50% des 14/12ème du salaire mensuel perçu au moment du préavis pour la période d'ancienneté au-delà de dix ans et par année d'ancienneté,

  • sans dépasser vingt mois d'appointements ;

Le salaire de base de calcul est celui perçu au moment du préavis, soit le salaire du mois de juin 2020, soit un salaire de 5.187,98 euros (salaire de base + prime d'ancienneté + indemnité 13ème mois) ;

Attendu que l'indemnité ne pouvant dépasser vingt mois d'appointements, elle doit être limitée à la somme de 103.759,60 euros ;

Attendu que la société J. exerçant sous l'enseigne H. ayant d'ores et déjà versé à i.B, une somme de 20.906,78 euros, elle doit être condamnée au paiement d'une somme de 82.852,82 euros avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation ;

Attendu qu'i.B sollicite la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 5.000 euros de dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1002 du Code civil ; que l'intimée argue d'un préjudice résultant de la résistance abusive de l'employeur puisqu'elle l'a informé dès le 22 avril 2020 des dispositions applicables ;

Attendu que l'article 1002 du Code civil énonce que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement des dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ;

Attendu qu'au cas d'espèce, il est constant que la société appelante n'a pas honoré le paiement de la totalité de l'indemnité de départ à la retraite qui était due à l'intimée, sans que l'existence d'une cause étrangère ne pouvant lui être imputée ne soit établie ; que cependant, en application de l'article 1008 du Code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce de cautionnement ; que dès lors, i.B est mal fondée à solliciter le versement de dommages et intérêts sur ce fondement ;

Attendu que de même, la société J. exerçant sous l'enseigne H., a fait savoir à i.B le 20 avril 2021, en réponse au courrier de son avocat reçu le 23 mars 2021, qu'elle contestait le bienfondé de sa demande ; qu'à défaut d'accord entre les parties, il appartenait à la justice de trancher le litige les opposant ; que la résistance abusive de l'employeur n'est dès lors pas caractérisée ; que la décision du Tribunal du travail, qui a condamné la société J. exerçant sous l'enseigne H., au paiement de 5.000 euros de dommages et intérêts, sera infirmée sur ce point ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge d'i.B les frais de justice qu'elle a été contrainte d'exposer pour assurer sa représentation en justice ; que la société J. exerçant sous l'enseigne H. sera condamnée au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Attendu que la société J. exerçant sous l'enseigne H. qui succombe en son appel, sera condamnée au paiement des dépens d'appel ;

Attendu que la société J. exerçant sous l'enseigne H. condamnée aux entiers dépens, sera déboutée de sa demande formulée sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile, sur les frais exposés et non compris dans les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Déclare l'appel recevable,

Infirme le jugement du Tribunal du travail rendu le 17 juin 2022, en ce qu'il a condamné la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. à verser à i.B la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision,

Statuant à nouveau sur ce point :

Déboute i.B de sa demande de dommages et intérêts,

Confirme le jugement du Tribunal du travail rendu le 17 juin 2022 en toutes ses autres dispositions,

Y ajoutant :

Condamne la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. au paiement d'une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,

Condamne la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. au paiement des dépens d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Déboute la SARL J. exerçant sous l'enseigne H. de sa demande formulée sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 6 JUIN 2023, par Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Conseiller, Madame Marie-Hélène PAVON-CABANNES, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Morgan RAYMOND, Procureur général adjoint.

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