Cour d'appel, 31 janvier 2023, Madame m. e. A. c/ Société Anonyme B.

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Abstract🔗

Accident du travail - Imputabilité - Présomption légale

Résumé🔗

En vertu des dispositions de l'article 2 de la loi n°636 du 11 janvier 1958, toute lésion se produisant dans un accident survenu par le fait, ou à l'occasion du travail, doit être considéré, sauf preuve contraire, comme résultant d'un accident du travail. Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail. La présomption légale d'imputabilité peut être renversée s'il est prouvé que la lésion invoquée résulte exclusivement de l'état antérieur et que le travail n'a joué aucun rôle, aussi minime soit-il, dans son apparition.

L'article 20 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 ne prévoit aucune obligation d'organiser une autopsie en matière d'accident du travail, mais en offre la simple possibilité.

Les développements de l'intimée tendant à démontrer que les symptômes présentés par l'intéressé ressemblent fortement à ceux d'une embolie pulmonaire, laquelle a pu être favorisée par ses antécédents pathologiques d'hypertension et d'hyper cholestérolémie, fondés sur des extraits d'articles issus de sites de police scientifique et de santé/beauté recueillis sur Internet, ne sont pas de nature à remettre en cause l'analyse de l'expert judiciaire quant à la cause probable du décès.

Les premiers juges se sont par contre mépris sur la teneur des conditions nécessaires pour renverser la présomption d'imputabilité en retenant que les deux propositions (en l'occurrence le fait que la lésion doit être exclusivement imputable à un état antérieur et le fait que le travail n'a joué aucun rôle, aussi minime soit-il, dans son apparition) étaient alternatives et non cumulatives. En effet, les deux hypothèses soumises à l'expert ne constituent pas « l'une et l'autre un cas susceptible de renverser la présomption d'imputabilité », mais les deux branches d'une seule et même proposition qui tend à prouver que la lésion et ses conséquences ne résultent que d'un état antérieur préexistant à l'accident du travail, lequel n'aurait alors joué aucun rôle dans son apparition.


COUR D'APPEL

ARRÊT DU 31 JANVIER 2023

En la cause de :

  • Madame m. e. A., née le 25 juin 1977 à Azurém-Guimares (Portugal), de nationalité portugaise, employée de maison, domiciliée X1à Beausoleil (06240), agissant en qualité d'ayant-droit de Monsieur j. C., né le 11 février 1968 à Guimaraes (Portugal) et décédé le 29 septembre 2017 à Nice, époux de Madame e. A. ;

Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • La société anonyme de droit français dénommée B., dont le siège social est X2 à Paris (75009), immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro XX062 XZ prise en la personne du Président de son Conseil d'Administration en exercice domicilié en cette qualité audit siège et représentée en Principauté de Monaco par son Agent général, la SAM D. immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le numéro XXX00160, ayant son siège X3 à Monaco (98000), prise en la personne de son Administrateur délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège, société prise en sa qualité d'assureur-loi de Monsieur E. ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

Visa🔗

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 3 mars 2022 (R. 2633) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 30 mars 2022 (enrôlé sous le numéro 2022/000083) ;

Vu les conclusions déposées les 22 juin et 4 octobre 2022 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la GENERALIE VIE SA ;

Vu les conclusions déposées le 21 septembre 2022 par Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat-défenseur, au nom de Madame m. e. A. agissant en qualité d'ayant-droit de Monsieur j. C. ;

Vu l'ordonnance de clôture du 25 octobre 2022 ;

À l'audience du 8 novembre 2022, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Madame m. e. A. agissant en qualité d'ayant-droit de Monsieur j. C. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 3 mars 2022.

Considérant les faits suivants :

j. C. est décédé le 29 septembre 2017, au cours du trajet de retour de son travail, après avoir ressenti une forte douleur à la poitrine sur le lieu même de son travail.

Il travaillait en qualité d'aide coffreur pour le compte de r. E. exploitant sous l'enseigne « F. », dont l'assureur-loi est la compagnie B. (Cabinet G.).

Se prévalant d'un certificat médical faisant état d'une mort naturelle, la compagnie d'assurance a, par courrier du 16 novembre 2017, refusé de prendre en charge l'épisode dont s'agit.

La compagnie ayant maintenu le 14 décembre 2018 ne pas prendre en charge les frais relatifs à l'accident, le Juge chargé des accidents du travail a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de première instance suivant ordonnance de non-conciliation en date du 19 décembre 2018.

Suivant exploit en date du 8 octobre 2019, m. e A. agissant en sa qualité d'ayant droit de la victime (son épouse), a fait assigner r. E. employeur, et la SA B. assureur-loi, aux fins de voir dire et juger que le décès de j. C. constitue un accident du travail et ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Suivant jugement du 4 mars 2021, le Tribunal de première instance a pour l'essentiel :

  • mis hors de cause r. E. employeur,

  • ordonné une nouvelle expertise et commis pour y procéder le Docteur j-l. H. avec pour mission principale de déterminer la cause probable du décès de j.C.et de dire si ce décès est exclusivement imputable à un état pathologique antérieur ou si le travail a pu jouer un rôle, si minime soit-il, dans sa survenance.

Le rapport d'expertise daté du 18 mai 2021 a été déposé le 14 juin 2021.

Par jugement rendu le 3 mars 2022, le Tribunal de première instance a ;

  • constaté qu'il est prouvé que le travail n'a joué aucun rôle dans la survenance du décès de j. C.

  • dit que le décès de j.C.ne constitue pas un accident du travail au sens des dispositions légales,

  • débouté m. e A. de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu en substance qu'il résulte de l'expertise que j. C. a été victime d'un accident cardiaque de type infarctus du myocarde, sans lien avec le travail et qu'il n'y a aucune contradiction dans les conclusions de l'expert, de sorte que la preuve permettant de renverser la présomption légale se trouve rapportée.

Par exploit du 30 mars 2022, m. e A., a interjeté appel du jugement précité.

Aux termes de ses dernières conclusions, elle demande à la Cour de :

  • la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

  • infirmer en toutes ses disposions le jugement entrepris,

Statuant de nouveau,

  • la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

  • dire qu'il ne convient pas d'homologuer le rapport établi le 18 mai 2021 par le Docteur H.

  • à titre principal, dire et juger que le décès de j. C. constitue un accident du travail au sens de la loi n°636 du 11 janvier 1958, avec toutes conséquences de droit,

  • à titre subsidiaire, ordonner une nouvelle expertise confiée à tel expert qu'il appartiendra avec une mission identique à celle confiée à l'expert H.

  • renvoyer la cause et les parties devant le Juge chargé des accidents du travail afin qu'il soit statué sur les indemnités et rente,

  • condamner le succombant aux dépens, distraits comme en matière d'assistance judicaire.

Au soutien de ses prétentions, elle expose à titre liminaire que son époux, employé par la société RA. depuis le 1er novembre 2004 en qualité d'aide coffreur, a ressenti des douleurs à la poitrine deux heures après être arrivé sur le chantier, dans la matinée du 29 septembre 2017 et qu'il est décédé dans un véhicule de la société qui le raccompagnait à son domicile.

Elle affirme que le décès de j. C. constitue un accident du travail ouvrant droit à une prise en charge de ses conséquences par l'assureur-loi dans l'intérêt du conjoint survivant et de ses deux enfants.

Elle fait valoir pour l'essentiel les éléments suivants :

  • le décès est présumé être un accident du travail puisque le défunt se trouvait sur son lieu et pendant ses horaires de travail lorsque les premières douleurs se sont manifestées,

  • il n'est pas rapporté la preuve que le travail n'a pas joué un rôle causal dans la survenue du décès, ni que les antécédents pathologiques de j. C. en étaient la cause exclusive,

  • la mention « décédé de mort naturelle » portée sur le certificat médical du 29 septembre 2017 n'implique nullement que le travail n'a pas joué un rôle causal dans sa survenue, et s'oppose seulement à la notion de mort suspecte dont l'origine est possiblement criminelle,

  • aucune disposition légale n'impose d'expertise médico-légale à l'occasion d'un décès survenu dans un contexte de travail,

  • le fait que j. C. était assis sur un engin de chantier, en train de préparer du béton au moment où les douleurs sont apparues ne prouve pas davantage que le travail n'a joué aucun rôle causal, compte tenu des efforts fournis par le défunt le jour du décès,

  • son mari se plaignait habituellement de conditions de travail éprouvantes et appréhendait la reprise de son activité à l'issue des congés d'été 2017,

  • le poste d'aide coffreur dans le bâtiment est marqué d'une pénibilité certaine et subit une pression constante,

  • le défunt était polyvalent et assumait des taches exigeantes au plan physique recoupant les métiers de coffreur, aide-coffreur et aide-maçon,

  • il était présent sur le chantier depuis déjà deux heures au moment où les douleurs sont apparues et il a fourni des efforts physiques intenses dans le cadre des tâches accompagnant la préparation du béton,

  • il avait été déclaré apte à travailler dans le bâtiment par l'Office de la médecine du travail le 14 février 2012.

Elle ajoute que le rapport d'expertise, qui indique que le décès n'est pas exclusivement imputable à un état antérieur, contient une contradiction manifeste dès lors que cette affirmation implique qu'un autre élément a pu jouer un rôle aussi minime soit-il dans la survenance du décès, en l'occurrence le travail.

Elle prétend également que si l'infarctus du myocarde résulte d'un état physique propre, il n'en reste pas moins que l'effort physique et le stress au travail jouent le rôle d'amplificateurs.

Elle invoque également le caractère lacunaire du rapport d'expertise réalisé sur dossier, alors qu'elle n'a pu transmettre à l'expert qu'un certificat médical établi le 3 mai 2021 par le Docteur I. médecin traitant de son mari.

Par écritures récapitulatives en réponse, la SA B. a demandé à la Cour de :

  • débouter m. e A. des fins de son appel et l'y déclarer mal fondée,

En conséquence,

  • confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,

  • condamner l'appelante aux entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Elle objecte que m. e A. ne formule aucune critique sérieuse à l'égard du jugement entrepris, se limitant à reprendre son argumentation de première instance, sans communiquer aucune pièce nouvelle.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

  • la décision des premiers juges, qui ont conclu que la preuve permettant de renverser la présomption légale d'imputabilité est rapportée, se trouve parfaitement motivée, sans contradiction ni lacune,

  • l'appelante ne produit aucun avis médical confirmant un lien direct et certain entre le décès de son époux et son travail,

  • elle omet de mentionner que ce dernier était fumeur et toussait tous les jours,

  • ses conditions de travail étaient parfaitement convenables et en aucun cas épuisantes au moment du décès,

  • les douleurs sont intervenues en début de matinée alors qu'il ne fournissait aucun effort particulier, se trouvant assis dans un véhicule de chantier en train de préparer du béton,

  • l'appelante déforme la réalité en interprétant de façon erronée les témoignages pour les besoins de sa propre cause et affirme de mauvaise foi que son mari exerçait non seulement la profession d'aide-coffreur mais également celle d'aide-maçon,

  • dans tous les cas, les mêmes qualités physiques et compétences sont exigées pour ces deux postes,

  • le stress au travail dont se serait plaint son mari n'est pas médicalement documenté, alors surtout qu'il revenait de plus d'un mois de congés d'été,

  • il n'est pas non plus à exclure que son présumé stress provenait de problèmes personnels,

  • en sa qualité d'aide-coffreur, son rôle consistait à mélanger le béton et à le couler au moyen de la bétonnière de marque bobcat et j. C. n'était pas seul sur le chantier pour préparer du béton ce jour-là,

  • la température modérée relevée ne pouvait avoir aucune répercussion négative sur l'état de santé du salarié,

  • l'appelante passe sous silence les antécédents médicaux de son mari qui présentait une pathologie antérieure d'hypertension et d'hypercholestérolémie, médicalement traitée,

  • son malaise est consécutif à des prédispositions pathologiques qui ont évolué rapidement, en dehors de toute relation avec le travail,

  • la cause du décès est donc totalement étrangère au travail,

  • l'appelante n'a pas sollicité d'expertise médico-légale au moment du décès de son époux,

  • j. C. n'a pas eu de visite médicale entre 2012 et 2017 pour faire le point sur son état de santé et/ou détecter des pathologies liées à ses conditions de travail,

  • l'expert judiciaire a scrupuleusement rempli sa mission et établi ses conclusions sur la base des pièces qui lui ont été remises par les parties,

  • l'appelante ne démontre pas disposer des dossiers médicaux de son défunt mari,

  • tout autre médecin désigné se trouverait en possession des mêmes pièces que celles étudiées par le Docteur H.

  • l'expert judiciaire a considéré que le travail n'a joué aucun rôle causal dans la survenance du décès, sans émettre aucune réserve dans ses conclusions,

  • ses conclusions rejoignent celles du Docteur J. médecin-conseil de l'assureur-loi,

  • la présomption légale d'imputabilité se trouvant renversée, la charge de la preuve repose désormais sur l'appelante qui ne verse aux débats aucun élément susceptible de remettre en cause les conclusions de l'expert,

  • elle ne peut demander à la juridiction de dire que le décès de son époux constituerait un accident du travail, alors qu'aucun médecin n'a conclu en ce sens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2022.

SUR CE,

Attendu que l'appel régulièrement formé dans les conditions de fond et de forme prévues par le Code de procédure civile, doit être déclaré recevable ;

Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article 2 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, toute lésion se produisant dans un accident survenu par le fait, ou à l'occasion du travail, doit être considéré, sauf preuve contraire, comme résultant d'un accident du travail ;

Que les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail ;

Que la présomption légale d'imputabilité peut être renversée s'il est prouvé que la lésion invoquée résulte exclusivement de l'état antérieur et que le travail n'a joué aucun rôle, aussi minime soit-il, dans son apparition ;

Attendu qu'au cas d'espèce, il est constant et non contesté que j. C. a ressenti de vives douleurs à la poitrine sur son lieu et pendant ses horaires de travail, qui ont conduit à son décès alors qu'un employé de l'entreprise le raccompagnait à son domicile ;

Qu'il s'ensuit que le malaise à l'origine du décès a bien eu lieu au temps et au lieu du travail, justifiant dans ces circonstances de la mise en œuvre de la présomption légale d'imputabilité, ce que ne remet pas en cause l'assureur-loi ;

Qu'il appartient par voie de conséquence à celui-ci de rapporter la preuve que le décès résulte d'une cause entièrement étrangère à l'activité professionnelle de la victime ;

Qu'en préalable, la mention de « mort naturelle » portée sur le certificat médical de décès délivré par le médecin urgentiste du CHU de Nice, qui traduit seulement que la mort n'était pas violente ou suspecte est sans emport ;

Que le moyen opposé à ce titre sera rejeté ;

Qu'il ne peut davantage être tiré argument, pour exclure la qualification d'accident du travail, de ce que ce médecin n'a pas estimé nécessaire d'instaurer une expertise médicolégale, dès lors que l'article 20 de la loi n°636 du 11 janvier 1958 ne prévoit aucune obligation d'organiser une autopsie en matière d'accident du travail, mais en offre la simple possibilité, contrairement à l'affirmation inverse du médecin-conseil sur ce point ;

Que de ce fait, il ne saurait pas plus être reproché à l'appelante de ne pas avoir sollicité une telle expertise au moment du décès de son époux ;

Que ce moyen est donc également en voie de rejet ;

Que pour le surplus, l'assureur-loi se prévaut des prédispositions pathologiques de j. C. qui auraient évolué rapidement, pour leur propre compte, sans aucune relation avec le travail ;

Que s'agissant de ces antécédents médicaux, le Docteur I. médecin traitant de j.C.de 2008 à 2017 a délivré un certificat aux termes duquel il relate avoir suivi et soigné son patient durant cette période « pour une hypertension légère et une hyper cholestérolémie de faible grade, chacune de ces pathologies étant parfaitement équilibrées par une monothérapie, chez un patient très observant » ;

Qu'au regard de ces éléments le Docteur J. médecin-conseil de l'assureur-loi ne peut valablement affirmer dans son rapport du 17 octobre 2019 que « dans les antécédents médicaux, il est fait mention de troubles tensionnels ainsi que d'une hyper cholestérolémie importante » qui contribue selon elle à écarter la notion d'accident de travail ;

Que le Docteur H. expert-judiciaire, a mené sa mission sur dossier, étant rappelé que l'appelante n'a pu lui fournir les dossiers médicaux de son défunt mari auprès des laboratoires médicaux de Monte Carlo et Gallia et du Docteur K. notamment pour des raisons techniques (changements de systèmes informatiques en 2012 et 2018 des laboratoires), ce dont il ne peut être tenu rigueur à l'expert ;

Qu'en tout état de cause, après avoir pris connaissance du dossier médical de j. C. l'expert a retenu les éléments suivants :

  • l'intéressé présentait une hypertension découverte en 2008, traitée et surveillée annuellement,

  • il n'avait aucun trouble évocateur d'une hypertension artérielle, pas de maux de têtes permanent ou culminants le matin au réveil, de vertiges, de bourdonnement d'oreilles, de troubles de la vue, de palpitations cardiaques, d'essoufflement, de saignement du nez ni de diabète,

  • il ne présentait aucunes complications auxquelles sont exposées les personnes hypertendues, à savoir d'angine de poitrine, d'artériopathie des membres inférieurs, d'insuffisance rénale, de rétinopathie, de maladie neuro végétative,

  • il n'avait jamais été victime d'un accident vasculaire cérébral,

  • il avait une hyper cholestérolémie traitée par Crestor,

  • il présentait une toux le matin, sans qu'aucun diagnostic particulier n'ait été établi,

  • il avait arrêté de fumer en août 2017 (un paquet de cigarettes sur 3 jours auparavant),

  • il n'avait jamais bénéficié d'électrocardiogramme,

  • selon son épouse, il toussait tous les matins au réveil depuis 23 ans et cette toux n'avait pas augmenté avant le 29 septembre 2017 ;

Que selon l'expert, il « ne présentait apparemment aucun autre antécédent connu » ;

Qu'il s'évince de ces constatations que les pathologies dont souffrait l'intéressé faisaient l'objet d'un suivi régulier et d'un traitement médical approprié, sans présenter aucune complication associée ;

Qu'après avoir pris connaissance du dossier médical de j. C. de ses antécédents médicaux et de l'enquête du 6 décembre 2018, l'expert, auquel était demandé de « déterminer la cause probable du décès », a répondu dans les termes suivants :

« le diagnostic probable est un infarctus du myocarde chez un sujet hypertendu léger connu depuis 2008 avec hyper cholestérolémie de faible grade » ;

Qu'aucun élément probant ne permet de contredire le diagnostic posé ;

Que les développements de l'intimée tendant à démontrer que les symptômes présentés par l'intéressé ressemblent fortement à ceux d'une embolie pulmonaire, laquelle a pu être favorisée par ses antécédents pathologiques d'hypertension et d'hyper cholestérolémie, fondés sur des extraits d'articles issus de sites de police scientifique et de santé/beauté recueillis sur Internet, ne sont pas de nature à remettre en cause l'analyse de l'expert judiciaire quant à la cause probable du décès ;

Qu'en réponse au chef de mission tendant à « dire si le décès de j. C. est exclusivement imputable à un état antérieur » l'expert judiciaire a répondu par la négative à cette proposition, rappelant que l'état pathologique antérieur consistait en une « hypertension légère et une hyper cholestérolémie de faible grade, parfaitement équilibrée par une monothérapie, chez un patient très observant » ;

Qu'il est ainsi clairement établi que le décès n'est pas exclusivement imputable à un état antérieur qui aurait évolué rapidement, pour son propre compte ;

Que cette conclusion est exempte de toute critique au regard de l'analyse des éléments de la cause, non sérieusement contredite par les arguments et pièces produites par l'intimée ;

Que s'agissant du rôle causal du travail, la Cour relève, à l'instar des premiers juges, que la mention dans le rapport d'expertise de ce que le décès de j. C. n'est « pas exclusivement imputable » à un état antérieur ne signifie pas ipso facto que le travail ait joué un rôle dans la survenance du décès, mais seulement que cet évènement ne peut être rattaché de manière directe et exclusive à une pathologie préexistante ;

Que les premiers juges se sont par contre mépris sur la teneur des conditions nécessaires pour renverser la présomption d'imputabilité en retenant que les deux propositions (en l'occurrence le fait que la lésion doit être exclusivement imputable à un état antérieur et le fait que le travail n'a joué aucun rôle, aussi minime soit-il, dans son apparition) étaient alternatives et non cumulatives ;

Qu'en effet, les deux hypothèses soumises à l'expert ne constituent pas « l'une et l'autre un cas susceptible de renverser la présomption d'imputabilité », mais les deux branches d'une seule et même proposition qui tend à prouver que la lésion et ses conséquences ne résultent que d'un état antérieur préexistant à l'accident du travail, lequel n'aurait alors joué aucun rôle dans son apparition ;

Qu'au cas d'espèce, m. L. seul témoin direct du malaise de j. C. déclare dans son témoignage recueilli dans le cadre de l'enquête diligentée le 6 décembre 2018 par le Juge chargé des accidents du travail :

« Je travaillais depuis deux ans avec la victime, ce jour-là il toussait plus que d'habitude, il toussait tous les jours. C'est lui qui m'a accompagné au travail le matin vers 7 heures 30. Il m'a paru être dans son état habituel.

Vers 9 heures 30, alors qu'il était assis sur le bobcat, en train de préparer du béton, il toussait beaucoup, il m'a dit qu'il avait mal à la poitrine et que ça allait passer.

Je lui ai proposé de l'emmener à l'hôpital mais il a refusé en disant que ça irait mieux dans un moment. Quelques minutes plus tard comme le chauffeur du camion était venu, je lui ai proposé de le faire emmener à l'hôpital et il a fini par accepter d'être raccompagné chez lui. Il s'est changé et il est parti avec le chauffeur du camion » ;

Qu'il ne ressort pas avec certitude de ces seules déclarations que le travail n'aurait joué aucun rôle dans la survenance des douleurs, de la toux et du décès ultérieur, dès lors qu'il n'est pas démontré que j. C. n'aurait accompli aucun effort depuis son arrivée sur le chantier ou dans le laps de temps ayant précédé les premiers symptômes ;

Que sa présence statique sur un bobcat alors qu'il préparait du béton au moment des premières douleurs, comme les températures modérées relevées ce jour-là (17,7° à 23,2° selon le bulletin météorologique versé aux débats) sont également insuffisantes à établir que la cause du décès est totalement étrangère au travail ;

Que si j. C. qui était employé dans l'entreprise en qualité d'aide coffreur depuis le 1er novembre 2004, a été déclaré apte au poste de boiseur coffreur par l'Office médical du travail le 14 février 2012, il n'est pas justifié de visite périodique postérieure à cette date, permettant de connaître les éventuelles doléances de j. C. concernant ses conditions de travail ni son aptitude à les exercer sur le long cours, alors que les fiches de poste versées aux débats illustrent les qualités requises (excellente condition physique, goût pour le travail en plein air) pour une activité qui exige également de travailler debout pendant de longues périodes, de déployer fréquemment des efforts physiques, d'être réactif et minutieux (pièces 13, 14 de l'appelante) ;

Que d'ailleurs, suivant courrier adressé le 11 octobre 2017 au Cabinet G. son assureur-loi, r. E. exploitant sous l'enseigne « F. » a certifié que j. C. « travaillait sur un chantier en plein air avec des conditions de températures élevées et que son travail comme aide coffreur nécessitait des efforts importants et prolongés » ;

Que dans un tel contexte d'activité professionnelle, la Cour n'est pas convaincue par la réponse négative de l'expert à la question de savoir « si le travail a pu jouer un rôle, si minime soit-il, dans (la) survenance » du décès, quand bien même ce médecin a relevé qu'il n'a pas été noté de travaux anormaux le 29 septembre 2017, que le salarié accomplissait des gestes identiques depuis plusieurs années, en préparant du béton et que ce n'était pas un jour de grande canicule (maximum 23°), tout en prenant soin de préciser « cependant que les douleurs dans la poitrine, entrainant secondairement le décès, sont survenues sur le lieu de travail » ;

Que la concomitance immédiate entre des conditions inhabituelles de travail et la lésion en cause n'est pas le seul critère déterminant du rôle causal qu'a pu jouer ce dernier dans sa survenance ;

Que par ailleurs si la cause probable du décès réside dans un incident cardiaque, ce seul constat ne caractérise pas à lui seul l'absence de rôle causal du travail ;

Qu'enfin, ni le certificat médical de décès rédigé par le Docteur i. M. qui se contente de qualifier la mort de naturelle, ni le « rapport d'expertise médicale » établi sur pièces le 17 octobre 2019 par le Docteur J. médecin-conseil de l'assureur-loi, établi dans des termes aussi laconiques que péremptoires (voire erronés en visant le 29 juillet 2017 pour date des faits) ne permettent davantage d'exclure le rôle causal joué par le travail de j. C. ;

Qu'en tout état de cause, la présomption bénéficie à l'assuré en cas de doute ;

Que la preuve ne se trouvant pas rapportée de ce que la lésion invoquée résulte exclusivement de l'état antérieur et de ce que le travail n'a joué aucun rôle, aussi minime soit-il, dans son apparition, la SA B. échoue à renverser la présomption d'imputabilité dont bénéficie le salarié ;

Que la décision déférée sera infirmée en ce sens, sans qu'il y ait lieu de suivre les parties dans le détail surabondant de leur argumentaire ;

Que les conséquences pécuniaires devant être prises en charge par l'assureur-loi de l'employeur, la compagnie B. (Cabinet G.) tant avant son décès qu'envers ses ayants-droits, il convient de renvoyer l'affaire devant le Juge chargé des accidents du travail pour les suites à donner à la procédure, notamment l'application du régime indemnitaire instauré par les articles 4-1 et suivants de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 au profit du conjoint survivant d'un salarié victime d'un accident mortel du travail ;

Sur les dépens,

Attendu que la compagnie B. (Cabinet G.) qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ;

Qu'imputables à l'adversaire d'un assisté judiciaire, ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011, leur recouvrement sera régi par l'article 50 du Code de procédure civile.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare m. e A. agissant en sa qualité d'ayant droit de j. C. recevable en son appel,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Dit que le décès de j. C. constitue un accident du travail au sens de la loi n°636 du 11 janvier 1958,

Par voie de conséquence,

Renvoie l'affaire devant le Juge chargé des accidents du travail aux fins qu'il appartiendra,

Condamne la compagnie B. (Cabinet G.) aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Composition🔗

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 31 JANVIER 2023, par Madame Claire GHERA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, Madame Marie-Hélène PAVON-CABANNES, Conseiller, assistées de Madame Nathalie SALMASSI, Greffier, en présence de Monsieur Morgan RAYMOND, Procureur général adjoint.

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