Cour d'appel, 13 décembre 2022, SCP A. c/ Madame a. C. née D., Madame Bettina RAGAZZONI et Monsieur Christian BOISSON

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Abstract🔗

Procédure collective - Désignation d'un syndic ad hoc - Recevabilité - Intérêt à agir - Obligations du Juge commissaire

Résumé🔗

L'article 424 du Code de commerce ne précise pas les conditions de saisine du juge commissaire en vue de la désignation d'un syndic ad hoc, si bien qu'elle suppose que le demandeur dispose d'un intérêt à cette désignation.

Les articles 417 et 430 du Code de commerce n'imposent pas au juge commissaire de consulter les créanciers ou les contrôleurs, dans le cadre d'une procédure collective, sur l'opportunité ou le caractère sérieux d'une action à exercer en justice par le syndic ou un syndic ad hoc spécialement désigné à cet effet.

Le juge commissaire doit s'assurer que l'action judiciaire envisagée n'était pas manifestement irrecevable ou dénuée de tout fondement. Si le premier juge disposait de peu d'éléments au moment où il a statué, sa décision est bien intervenue pour préserver les droits éventuels du débiteur et assurer son plein accès au juge, tout en permettant, le cas échéant, à la masse des créanciers de disposer d'une créance d'indemnisation dans l'hypothèse où l'action aboutirait. En tout état de cause, la Cour, saisie de l'appel de l'ordonnance du juge commissaire, ne saurait se substituer à la juridiction du fond qui aurait à se prononcer, et constate, en l'état du débat contradictoire qui s'est instauré en appel, que l'action judiciaire n'est pas manifestement irrecevable ou dénuée de tout fondement.


COUR D'APPEL

ARRÊT DU 13 DÉCEMBRE 2022

En la cause de :

  • La SCP A. société civile immatriculée au Répertoire Spécial des Sociétés Civiles sous le n° YYYY dont le siège social se trouve X1 à Monaco, représentée par son gérant en exercice, B. demeurant « X2 », X2 à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • 1/Madame a. C. née D., demeurant et domiciliée X3 à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

  • 2/ Madame Bettina RAGAZZONI, ès qualités de syndic à la liquidation des biens de la SARL E., demeurant 2 rue de la Lüjerneta à Monaco, désignée par jugement du Tribunal de première instance du 30 novembre 2017 ;

Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° 483-BAJ-21, par décision du Bureau du 13 avril 2021

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Clyde BILLAUD, avocat en cette même Cour ;

  • 3/ Monsieur Christian BOISSON, ès qualités d'administrateur ad hoc à la liquidation des biens de la SARL E., demeurant 13 avenue des Castelans à Monaco, désigné par ordonnance du juge commissaire du 26 février 2021 ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉS,

En présence du :

Procureur Général près la Cour d'appel de Monaco, demeurant en son Parquet, Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;

d'autre part,

Visa🔗

LA COUR,

Vu l'ordonnance rendue le 26 février 2021 par Monsieur le Juge Commissaire de la liquidation des biens de la SARL E. publiée au Journal de Monaco du 5 mars 2021 ;

Vu l'appel interjeté au Greffe général le 12 mars 2021 par la SCP A. (enrolé sous le n° 2021/000105) ;

Vu l'arrêt de mesure d'administration judiciaire en date du 6 avril 2021 ;

Vu les conclusions déposées le 25 novembre 2021 par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de Madame a. C. née D. ;

Vu les conclusions déposées les 13 décembre 2021 et 13 juin 2022 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de Madame Bettina RAGAZZONI, ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la SARL E. ;

Vu les conclusions déposées le 23 décembre 2021 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur Christian BOISSON, ès qualités d'administrateur ad hoc ;

Vu les conclusions déposées le 4 avril 2022 par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SCP A. ;

Vu les conclusions déposées le 20 juin 2022 par le Ministère public ;

À l'audience du 28 juin 2022, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties, le ministère public entendu ;

Motifs🔗

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la SCP A. à l'encontre d'une ordonnance rendue par le Juge Commissaire le 26 février 2021.

Considérant les faits suivants :

Suivant contrat de gérance libre du 9 janvier 2013, enregistré, la société civile particulière SCP A. a donné en location à la SARL E. en cours de constitution, un fonds de commerce qu'elle possède au X1à Monaco pour une durée de deux années commençant à courir à compter du 1er février 2013, moyennant paiement d'une redevance annuelle, du remboursement des loyers et des charges locatives, ledit contrat étant renouvelable uniquement sur demande du preneur et acceptation du bailleur, sans possibilité d'indemnité en cas de refus de renouvellement par le bailleur.

Le 12 novembre 2014, la SCP A. a fait délivrer à la SARL E. un commandement de payer le loyer et la redevance du mois de novembre 2014 en rappelant la clause résolutoire prévue à l'article 11.1.1 du contrat de gérance.

Le 19 décembre 2014, la SARL E. a fait assigner la SCP A. devant le Tribunal de première instance en nullité du contrat de gérance libre et en paiement d'une indemnité.

Suite à une assignation du 5 février 2015, le juge des référés a, selon ordonnance du 1er juillet 2015, ordonné la restitution des locaux en rejetant la demande relative à la constatation du jeu de la clause résolutoire mais en constatant que le contrat de gérance libre a pris fin le 31 janvier 2015 et n'a pas été renouvelé. Cette décision a été confirmée par arrêt de la Cour d'appel du 12 janvier 2016 et le pourvoi rejeté par la Cour de Révision le 20 octobre 2016.

Par jugement du 3 mars 2016, le Tribunal de première instance a débouté la SARL E.de sa demande de nullité du contrat de gérance libre dont s'agit, de sa demande d'indemnité et de dommages et intérêts et a condamné la SARL E. à payer à la SCP A. diverses sommes au titre des frais, redevances, loyers, charges et indemnités d'occupation dus ainsi que la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts. Cette décision a été confirmée par arrêt de la Cour d'appel du 24 janvier 2017 en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la demande de la SCP A.de remboursement de frais d'établissement du contrat du 9 janvier 2013. Le pourvoi a été rejeté par la Cour de Révision le 16 octobre 2017.

Selon jugement du 30 novembre 2017, le Tribunal de première instance a constaté, avec toutes conséquences de droit, sur la déclaration faite par a. C. en sa qualité de gérante, la cessation des paiements de la SARL E. en fixant provisoirement sa date au 24 janvier 2017 et prononcé la liquidation des biens de cette société, en désignant Bettina RAGAZZONI en qualité de syndic.

Suivant ordonnance du 16 janvier 2019, le juge commissaire à la liquidation des biens a arrêté l'état des créances de la SARL E. à la somme de 993.098,30 euros comprenant notamment une créance de la SCP A. admise à titre chirographaire à hauteur de 972.961,71 euros.

Par ordonnance du 31 janvier 2019, le même juge commissaire a nommé la SCP A. en qualité de contrôleur à la liquidation des biens de la SARL E. avec la mission définie à l'article 430 du Code de commerce.

Selon ordonnance du 24 juin 2019, le juge commissaire a désigné, à la requête de la SCP A. Christian BOISSON en qualité de syndic ad hoc dans le cadre de cette procédure collective, afin d'apprécier l'implication d b. C. et F. dans le fonctionnement de la SARL E.et d'évaluer si cette implication était susceptible de caractériser l'existence d'actes de gestion et de direction pouvant entrer dans le cadre de l'article 560 du Code de commerce relatif à l'action en comblement de passif pour insuffisance d'actif.

Suivant exploit du 17 octobre 2019 en comblement de passif, Bettina RAGAZZONI, ès qualités de syndic à la liquidation des biens de la SARL E. admise à l'assistance judiciaire pour ce faire, a fait assigner a. C. en paiement de l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la SARL E. évaluée à la somme de 993.098,30 euros.

Par ordonnance du 28 janvier 2020, le juge commissaire a désigné Christian BOISSON en qualité de syndic ad hoc dans le cadre de la procédure collective de la SARL E. afin d'introduire, sur le fondement de l'article 560, une action en insuffisance d'actif à l'encontre de F.et b. C. puis l'a autorisé, par ordonnance du 25 février 2020, à demander l'assistance judiciaire à l'effet d'introduire une telle action. L'assignation a été délivrée le 2 décembre 2020.

Selon jugement du 22 juin 2021, le Tribunal correctionnel a notamment relaxé a. D. épouse C. b. C.et F. des faits de banqueroute simple pour paiement de créanciers au préjudice de la masse, les a reconnus coupables des faits de banqueroute simple pour non-déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 15 jours, uniquement à compter du 24 janvier 2017 et non du 12 novembre 2014, en prononçant à leur encontre une amende de 5.000 euros assortie du sursis et en rejetant les demandes indemnitaires formées par Bettina RAGAZZONI et la SCP A.

Selon ordonnance du 26 février 2021, le juge commissaire a, sur la requête du 10 février 2021 fondée sur l'article 417 alinéa 3 du Code de commerce formulée en urgence par a. C. désigné Christian BOISSON en qualité de syndic ad hoc dans le cadre de la procédure collective de la SARL E. avec pour mission de mettre en œuvre une action judiciaire visant à obtenir la requalification en bail commercial du lien contractuel établi entre la SARL E.et la SCP A. lors de la conclusion du contrat de gérance libre du 9 janvier 2013.

Le premier juge a relevé pour l'essentiel que :

  • selon la requérante, l'exploitation de son commerce par la SARL E.de manière indépendante de février 2013 jusqu'au mois de mars 2016 conduit à considérer qu'une action en requalification du titre d'occupation en bail commercial est fondée et ne serait prescrite qu'à compter du 16 mars 2021,

  • le dépôt tardif de cette requête à un peu plus d'un mois de la date de prescription présentée comme applicable à l'action envisagée n'est pas compatible avec la faculté que donne l'article 417 alinéa 3 du Code de commerce au juge commissaire de convoquer les créanciers en assemblée afin de connaître leur opinion,

  • le syndic sollicité a émis un avis le 25 février 2021 aux termes duquel l'action ne parait pas opportune selon son conseil, notamment en ce que le fonds de commerce exploité par la SARL E. n'est pas sa propriété mais appartenait à la SCP A. une trésorerie suffisante n'est pas disponible pour faire face à une telle demande mais la désignation sollicitée permettra, en considération du caractère contentieux de la procédure collective, de ne pas priver la SARL E.de la possibilité de faire reconnaître ses droits,

  • en l'état des éléments produits, si l'opportunité d'engager l'action sollicitée par a. C. est incertaine, la préservation des droits éventuels que la SARL E. pourrait tirer de l'action dont a. C. souhaite l'engagement implique de faire droit à la requête,

  • l'échéance liée à la prescription ne permet pas de procéder à une appréciation plus détaillée du bien-fondé de l'action, bien que l'engagement de celle-ci apparaisse comme l'unique moyen de ne pas mettre en péril les droits, même éventuels de la SARL E.

  • les pièces versées par a. C. sont trop succinctes pour apprécier la pertinence des prétentions,

  • toutefois, en la matière, le juge commissaire ne doit exercer qu'un contrôle restreint, le rejet d'une requête ne pouvant s'envisager que lorsque l'action sollicitée est manifestement vouée à l'échec.

Par courrier du 12 mars 2021, le conseil de la SCP A. a adressé une déclaration d'appel motivée entre les mains du Greffier en Chef à l'encontre de ladite ordonnance.

Suivant arrêt du 6 avril 2021, la Cour a déclaré l'appel recevable et fixé un calendrier en vue de l'échange d'écritures judiciaires.

Aux termes de conclusions du 22 novembre 2021, a. C. a sollicité la confirmation de la décision entreprise et la condamnation de la SCP A. aux dépens, avec distraction au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Elle précise que :

  • la SCP A. est une société civile qui a été constituée par un apport de fonds de commerce appartenant à G. ce dernier détenant la majorité des parts sociales et la gérance ayant été confiée à B. expert-comptable, qui détenait une part,

  • à l'issue du contentieux en référé, l'expulsion de la SARL E. a été mise en œuvre au mois de mars 2016 sous la responsabilité de la SCP A.

  • la SARL E. avait pour projet de créer une boutique LACOSTE et non de louer le fonds de commerce existant mais dans la mesure où la SCP A. avait terminé sa relation avec une société exploitant sous l'enseigne « ARGUMENTS », elle a imposé à travers son gérant, B. d'emprunter la forme de la gérance libre, donnant une apparence de légalité pour mettre en place une location précaire dans le but d'éluder les dispositions d'ordre public de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 relatives au statut des baux commerciaux,

  • il est intéressant de noter que ce contrat ne décrit aucun fonds de commerce existant, ni n'évoque un chiffre d'affaires, une clientèle ou encore ne vise aucun matériel, salarié ou stock, à savoir, rien de ce qui constitue un fonds de commerce ou une activité donnée en gérance,

  • en réalité, cette convention avait pour vocation de donner à bail des locaux nus, lesquels ont d'ailleurs subi une restructuration complète au prix de travaux importants qui seront suivis par la SCP A. par l'intermédiaire de son gérant de fait, G. lequel s'est comporté comme le véritable propriétaire des murs,

  • il est indéniable que l'activité était nouvelle puisqu'elle consistait à ouvrir pour la première fois un magasin LACOSTE en Principauté, avec l'accord de fourniture de la maison LACOSTE, et a conduit à l'embauche de personnel,

  • l'objet du contrat de gérance libre ne concernait donc dans la réalité que des murs libres et non le fonds de commerce qui suppose un droit de bail, des immobilisations et une clientèle,

  • à l'issue de la période biennale prévue au contrat, la SARL E. a tenté d'expliquer à la SCP A. que le statut de gérance libre n'était pas conforme à la réalité juridique et a adressé un courrier en ce sens à compter d'une réunion qui s'est tenue dans les locaux de l'expert-comptable de la SARL E.

  • cette correspondance a croisé le commandement de payer, alors que la SARL E. était à jour de ses loyers et la SCP A. initiait une procédure afin de tenter par tous moyens de l'expulser des lieux,

  • il n'en demeure pas moins qu'elle a exercé une activité de manière nouvelle et indépendante pendant plus de trois ans, en sorte qu'elle doit bénéficier des dispositions de la loi n° 490, le contrat initial devant être requalifié en ce sens,

  • G. paraît rompu aux pratiques des affaires, et aux montages juridiques et financiers pour le moins osés, ainsi qu'il ressort d'un article du quotidien Libération du 20 décembre 1994, lequel rappelle la mise en redressement judiciaire du groupe OLD RIVER, dans le cadre d'un montage révélant comment ce dernier avait impliqué son propre expert-comptable lors de la reprise de son groupe commercial,

  • la SARL E. s'est retrouvée victime du montage juridique imposé par Monsieur G. par l'intermédiaire de la SCP A.

  • lors du procès devant le Tribunal correctionnel, la SCP A. a évoqué le fait qu'elle aurait décidé de renoncer à son droit au bail au profit du propriétaire des lieux, une société panaméenne dénommée H.CORP, et a communiqué diverses pièces ayant permis de découvrir qu'une nouvelle SARL dénommée I. gérée par J. collaborateur de B. exploite un fonds de commerce de vente de vêtements sous l'enseigne EDWARDS au X1

  • or, 49.999 parts sur les 50.000 du capital social de la SARL I. appartiennent à G.

  • la société H.CORP a consenti à la SARL I. un bail commercial à des conditions préférentielles permettant de révéler les relations particulières existant entre les deux structures,

  • il convient de préciser qu'elle avait préalablement pris le soin d'inviter le syndic à prendre position sur la mise en œuvre de l'action litigieuse, et ce, dès le 11 janvier 2021, en attirant son attention sur le caractère urgent, et en le relançant dès le 22 janvier 2021,

  • un contrôle approfondi du juge commissaire reviendrait à préjuger le fond, alors que ce magistrat a estimé en l'espèce à juste titre que l'engagement de la procédure était le seul moyen de préserver les droits de la SARL E. rejoignant ainsi l'appréciation du syndic lequel sera en mesure d'obtenir l'assistance judiciaire en l'état de l'insuffisance de trésorerie.

Suivant conclusions du 23 décembre 2021, Christian BOISSON s'en rapporte à la décision de la Cour en précisant que l'assignation a été délivrée le 15 mars 2021, en exécution de la décision querellée.

Aux termes de conclusions récapitulatives du 4 avril 2022, la SCP A. demande :

À titre principal,

Sur l'absence de qualité et d'intérêt pour agir de Madame a. C.

Vu l'article 278-1 du Code de procédure civile,

  • dire et juger que a. C. n'a pas de qualité à agir,

  • dire et juger qu'elle ne démontre pas son intérêt pour agir,

Sur l'autorité de la chose jugée,

Vu l'article 1198 du Code civil,

  • constater et tirer toutes les conséquences de l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions visant à faire constater la nullité du contrat de location-gérance dans l'ensemble des décisions rendues par les Tribunaux monégasques entre la SARL E.et la SCP A.

Sur la théorie de l'estoppel,

Vu la jurisprudence citée,

  • dire et juger que la SARL E. par la voix de Madame C. se contredit aux détriments de la SCP A.

  • En conséquence des trois moyens d'irrecevabilité qui précèdent,

  • dire et juger que l'action de Madame C. est irrecevable,

  • infirmer l'ordonnance du juge commissaire à la liquidation de la SARL E. en date du 26 février 2021,

  • Et faisant ce que le juge commissaire aurait dû faire,

  • rejeter les demandes de Madame C.

  • débouter non seulement Madame C. mais également tout autre concluant, de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SCP A.

À titre subsidiaire,

Sur l'impossible requalification du contrat de location-gérance en un bail commercial,

Vu la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les baux commerciaux, et plus particulièrement son article 31,

Vu la jurisprudence citée,

  • dire et juger que l'action tendant à la requalification du contrat de location-gérance en un bail commercial est prescrite,

Vu l'article 989 du Code civil,

Vu la jurisprudence,

  • dire et juger que les stipulations du contrat de location gérance sont claires et précises et se heurtent à une quelconque requalification,

Vu la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les baux commerciaux,

Vu la jurisprudence,

  • constater que la SCP A. n'est pas propriétaire des murs dans lesquels le fonds de commerce existant était loué,

  • dire et juger que les conditions d'un bail commercial font défaut,

Sur le conflit d'intérêts

Constater la situation de conflit d'intérêt de Christian BOISSON,

En conséquence,

  • dire et juger que la désignation de l'administrateur ad hoc est irrégulière,

  • Sur l'irrégularité de la désignation

Vu les articles 417 alinéa 3 et 4 et 430 du Code de commerce,

  • constater que la SCP A. créancier contrôleur, n'a pas été appelée à donner son avis sur la procédure envisagée par Madame C.

En conséquence,

  • dire et juger que Madame C. était mal fondée en sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour initier une instance en requalification de contrat de location gérance en bail commercial,

  • infirmer l'ordonnance du juge commissaire en date du 26 février 2021 en toutes ses dispositions,

Et faisant ce que le juge commissaire aurait dû faire,

  • rejeter les demandes de Madame C.

  • débouter non seulement Madame C. mais également tout autre concluant, de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SCP A.

En tout état de cause,

  • constater que l'ordonnance querellée est rendue sur pied de requête présentée par Madame C. seule demanderesse,

En conséquence,

  • débouter non seulement Madame C. mais également, tout autre concluant de ses demandes à l'encontre de la SCP A.

  • condamner Madame C. à payer à la SCP A. une somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile,

  • condamner Madame C. aux dépens de la présente instance dont distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation de droit.

Elle fait valoir en substance que :

  • a.C.ne donne aucune explication sur sa qualité, ni son intérêt à agir et n'en fait à aucun moment la preuve,

  • celle-ci n'est plus la représentante légale de la SARL E.et ne peut dès lors plus parler en son nom dès lors que l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire lui a retiré tout mandat social depuis le 30 novembre 2017,

  • à supposer qu'elle puisse initier subitement une telle action en requalification d'une situation juridique née il y a plus de 7 années, elle ne communique que trois pièces et ne donne aucune justification sur l'intérêt que présenterait sa demande pour la SARL E. ni quel bénéfice cette dernière serait susceptible d'en tirer,

  • à supposer que Madame C. puisse initier personnellement une telle action pour son propre compte, elle ne justifie pas quel serait l'intérêt que présenterait pour elle le succès d'une telle action, ni quel bénéfice elle serait susceptible d'en tirer à titre personnel,

  • le juge commissaire a lui-même relevé que les pièces sur lesquelles la requérante se fonde sont en l'état trop succinctes pour apprécier la pertinence de ses prétentions, sans pour autant tirer les conséquences légales de ses constatations,

  • l'initiative de Madame C. se heurte à l'autorité de la chose jugée,

  • en effet, celle-ci a intenté de nombreux recours qui ont fait l'objet de décisions aujourd'hui passées en force de chose jugée que la présente action, si elle était autorisée, aurait vocation à remettre en cause,

  • la SARL E. a évolué dans le cadre contractuel de la gérance libre et au fil du temps, a nécessairement posé des actes négateurs de la nouvelle théorie que son ancienne gérante a échafaudée selon laquelle elle se trouverait dans une situation l'autorisant désormais à revendiquer le bénéfice de la loi n°490 sur les baux commerciaux,

  • l'ensemble des juridictions saisies ont eu l'occasion de se pencher sur l'examen du contrat de gérance libre et ont confirmé d'une part, sa validité formelle et d'autre part, l'existence d'un fonds de commerce appartenant à la SCP A.

  • le statut des baux commerciaux n'a pas vocation à s'appliquer lorsqu'il est démontré que la clientèle revendiquée par le locataire, élément essentiel du fonds, existait avant le début de l'exploitation de la gérance (CR, GE c/ Commune de Monaco, 31 octobre 2013), alors que c'est au preneur qu'il appartient de justifier de l'existence d'une clientèle autonome,

  • elle a déjà perdu beaucoup d'argent et a même dû transiger avec le propriétaire des murs après l'expulsion de la SARL E.

  • a. C. était dès lors irrecevable à présenter requête au juge commissaire,

  • la SARL E. a pris, par la voix de sa gérante de droit, Madame C. des positions juridiques qui sont contredites par sa nouvelle initiative,

  • le principe de l'estoppel selon lequel nul ne peut se contredire aux dépens d'autrui dans le cadre d'une procédure (CA, 8 juin 2016) interdit de se prévaloir d'une position contraire à celle prise antérieurement, bien qu'il soit admis de modifier de bonne foi ses moyens et arguments au cours d'une longue période et en tenant compte de l'évolution de celle-ci, dans les limites de la loi,

  • en l'espèce, la SARL E. après avoir soutenu que le contrat de gérance était nul, n'hésite pas à affirmer aujourd'hui que cette même convention constituerait en réalité un bail commercial, étant souligné que ses moyens et argumentations ont déjà été considérés comme un recours abusif devant être sanctionné comme tel,

  • l'ordonnance attaquée doit être infirmée en ce qu'elle se heurte à une fin de non-recevoir tirée de l'application du principe de l'estoppel et de l'obligation générale de loyauté dans laquelle doit s'inscrire le procès civil,

  • par ailleurs, l'action est manifestement infondée puisqu'elle est bien locataire des murs auprès de la société H.CORPORATION (Panama) dans lesquels est exploité le fonds de commerce, dont elle est propriétaire,

  • le fonds de commerce n'est pas une fiction et a été apporté en décembre 2000 par G.(et créé antérieurement en décembre 1987), ce dernier étant un commerçant hautement expérimenté dans le secteur du prêt à porter masculin qui avait développé et exploité la marque OLD RIVER ainsi que de nombreux autres commerces tout au long de sa carrière,

  • entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2012, ce fonds de commerce a été exploité par la SCS K.& Cie selon 9 contrats successifs de location gérance n'ayant donné lieu à aucun contentieux,

  • l'action judiciaire envisagée est manifestement prescrite depuis le 10 janvier 2018 puisque le point de départ se situe à la date de conclusion du contrat (CA 4 juin 1991 S c/ SAM PATRICIA),

  • les juges du fond ne peuvent dénaturer les obligations qui résultent des termes clairs et précis des conventions, ni modifier les stipulations qu'ils renferment,

  • à aucun moment, les dispositions du contrat de gérance libre ne peuvent être assimilées à celles caractérisant un bail commercial, alors que les redevances ont été payées et que la nature du contrat n'a jamais été remise en cause avant février 2021,

  • aucune requalification n'est juridiquement envisageable puisque le propriétaire de l'immeuble, qui n'est pas la SCP A. n'est pas partie au contrat, et est resté totalement étranger à l'affaire,

  • le bail commercial actuellement en vigueur avec la société I. a bien été consenti, comme le précédent avec A. par la société H.CORP qui n'aura pas de difficultés à produire la preuve de sa propriété,

  • les conditions d'application de la jurisprudence relative au droit à la propriété commerciale et donc au renouvellement du bail ne sont pas réunies puisque celui qui l'invoque doit à la fois être commerçant, propriétaire d'un fonds de commerce et locataire depuis trois années au moins,

  • or, la SARL E. n'a jamais possédé le fonds de commerce exploité et n'est pas davantage locataire des locaux qui y sont situés mais seulement locataire du fonds de commerce,

  • en tout état de cause, la requalification du contrat n'est pas opportune du fait des retombées du caractère synallagmatique du contrat de bail,

  • la SARL E. a réglé en janvier 2015 les redevances de gérance de novembre, décembre 2014 et janvier 2015, en excluant expressément les loyers considérés comme n'étant pas en cause,

  • en l'état du conflit d'intérêts opposant la SCP A. à a. C. gérante de droit, et les deux gérants de fait, l'administrateur ad hoc désigné, qui l'a également été pour l'action en comblement de passif, ne peut suivre pour le compte de deux parties strictement opposées d'intérêts les procédures judiciaires en cause qui préjudicient les intérêts de ses deux mandants,

  • elle n'a pas été informée de la requête de a. C. et n'a pas été mise à même de formuler un avis sur cette demande, ni en sa qualité de contrôleur, ni de créancier,

  • le contrôleur donne en effet, aux termes de l'article 430 du Code de commerce, son avis sur toute action,

  • elle a été sciemment écartée par le juge commissaire lequel n'a ainsi pas pu bénéficier de son point de vue contradictoire qui aurait pu l'éclairer sur les circonstances, les motivations ainsi que les conséquences de l'ordonnance sollicitée et notamment sur l'existence d'un litige pénal pendant devant le Tribunal correctionnel qui révèle l'existence d'une situation préoccupante de conflit d'intérêts entre la SARL E.et a. C.

  • le juge commissaire visant pourtant les dispositions de l'article 417 alinéa 3 du Code de commerce a décidé de s'affranchir de son avis au motif d'urgence puisque l'action serait sur le point d'être prescrite, alors qu'il lui était loisible de rejeter la requête,

  • la circonstance que le juge commissaire ait pris l'avis du syndic et se soit dispensé du sien renforce encore davantage l'atteinte au contradictoire,

  • aucun créancier n'a été appelé pour se prononcer sur cette procédure farfelue et coûteuse qui a pour objectif de remettre en cause une situation acquise depuis 7 années et déjà appréciée à plusieurs reprises par la Cour de Révision,

  • la SARL E. ne dispose d'aucun fonds pour financer une telle action sur laquelle le juge commissaire s'est prononcé avec une rapidité sans précédent,

  • à la lecture de l'assignation, il apparaît que le syndic ad hoc n'est pas bénéficiaire de l'assistance judiciaire et qu'in fine son conseil sollicite la distraction des dépens à son profit.

Par des écritures récapitulatives du 13 juin 2022, Bettina RAGAZZONI, ès qualités de syndic à la liquidation des biens, bénéficiaire de l'assistance judiciaire, a demandé la confirmation de l'ordonnance querellée ainsi que la condamnation de la SCP A. aux dépens, avec distraction au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, sous sa due affirmation. Elle relève que :

  • l'article 530 du Code de commerce ne fait pas obstacle à ce que le débiteur dessaisi puisse, par l'intermédiaire de son représentant légal, solliciter la désignation d'un syndic ad hoc par le juge commissaire,

  • ce n'est qu'après s'être rapprochée du syndic qui lui a fait part de sa position divergente quant à l'opportunité de diligenter la procédure envisagée que Madame C. qui est la gérante de la SARL E. a sollicité la désignation d'un administrateur ad hoc, si bien qu'elle est parfaitement recevable à cet égard,

  • il n'appartenait pas au juge commissaire de se prononcer sur la pertinence des prétentions de Madame C. quant à la procédure envisagée mais uniquement sur la demande de désignation d'un administrateur ad hoc,

  • ce magistrat a parfaitement retenu qu'il convenait de préserver les droits que la SARL E. pourrait tirer d'une telle action, ce qui était d'ailleurs la position du syndic,

  • l'argumentation de la SCP A. est celle qui devra être présentée devant le Tribunal de première instance dans le cadre de l'instance initiée par l'assignation du 15 mars 2021,

  • en dehors de Monsieur BOISSON, les experts-comptables exerçant les fonctions de syndic en Principauté, à savoir Messieurs GARINO (qui fait partie du même cabinet que le syndic) et SAMBA (ancien expert-comptable de la SARL E. ne peuvent intervenir dans le présent dossier,

  • s'agissant de l'absence d'avis sollicité auprès de la SCP A. il est évident qu'il existe un conflit d'intérêt quant au fait de l'interroger sur la désignation d'un administrateur ad hoc aux fins d'engager une procédure contre elle, alors que les contrôleurs donnent leur avis au syndic et non pas au juge commissaire sur les actions à exercer ou à suivre.

Suivant conclusions du 17 juin 2022, le Ministère public a sollicité l'infirmation de l'ordonnance du juge commissaire du 26 février 2021 en ce qu'elle vise à intenter « mettre en œuvre » une action judiciaire, au surplus, sur la base de prétentions « trop succinctes », et sans qu'il ne soit demandé ni même possible à l'administrateur ad hoc, en situation de compétence liée, avant d'engager ladite action, de se prononcer préalablement, pour évacuer tout risque de recherche de responsabilité ou mesurer l'impact d'une demande indemnitaire reconventionnelle, sur les mérites, l'absence de témérité et les chances de succès de l'action judiciaire prescrite par le juge commissaire, notamment par l'assistance d'un avocat-défenseur.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande de a. C.

Attendu que l'article 424 du Code de commerce prévoit que : « Lorsqu'il estime utile de procéder à l'adjonction, au remplacement ou à la révocation d'un syndic, le juge-commissaire en réfère au tribunal qui décide.

Il désigne lui-même tout syndic ad hoc. (...) » ;

Que ce texte ne précise pas les conditions de saisine du juge commissaire en vue de la désignation d'un syndic ad hoc, si bien qu'elle suppose que le demandeur dispose d'un intérêt à cette désignation ;

Qu'en l'espèce, a. C. même si elle ne s'en explique pas plus précisément, dispose d'un intérêt à solliciter la désignation d'un syndic ad hoc en vue de la mise en œuvre de l'action en justice litigieuse - que la SARL E. ne peut plus intenter elle-même au regard du dessaisissement résultant de l'article 530 du Code de commerce ;

Que l'action réclamée permettrait, le cas échéant, au syndic à la liquidation d'obtenir une créance d'indemnisation, de payer un ou des créanciers et/ou de réduire le montant de la créance de la SCP A. (principal créancier de la SARL E., grâce à une éventuelle condamnation de cette dernière au paiement d'une indemnité d'éviction à la suite de l'application du statut des baux commerciaux à la location des locaux situés au X1 à Monaco ;

Qu'une action en comblement du passif a été introduite à l'encontre de a. C. par le syndic à la liquidation, Bettina RAGAZZONI, de sorte que la diminution du passif de la SARL E. rendue possible par l'octroi judiciaire d'une indemnité d'éviction est nécessairement de son intérêt personnel dans l'hypothèse où elle serait condamnée à le combler ; qu'en outre, en sa qualité de gérante de droit de la SARL E. dessaisie, a. C. conserve un intérêt à solliciter la désignation d'un syndic ad hoc lorsque le syndic à la liquidation n'adopte pas la même position que la sienne concernant l'opportunité de mener une action en justice et son caractère sérieux ;

Que la question de l'autorité de la chose jugée au sens de l'article 1198 du Code civil, qui suppose notamment une identité de parties, n'a pas lieu de se poser à l'égard de la requête de a. C. en vue de la désignation d'un syndic ad hoc mais seulement à l'égard de l'action dont l'introduction est sollicitée ; qu'il en est de même s'agissant de l'application du principe de l'estoppel ; que ces deux questions seront examinées ci-dessous sous l'angle de la décision prise par le juge commissaire ;

Que a. C. était dès lors parfaitement recevable à formuler sa requête du 10 février 2021 ;

Sur la procédure antérieure à la décision du juge commissaire et le respect du principe du contradictoire

Attendu que l'article 417 du Code de commerce dispose que : « Le juge-commissaire est chargé de suivre la procédure, d'éviter tout retard dans son déroulement, de contrôler les opérations et les actes du syndic.

Il recueille tous les éléments d'information utiles ; notamment, il peut prendre l'avis de personnes qualifiées sur la situation présente et les perspectives de redressement de l'entreprise.

Lorsqu'il lui apparaît opportun de connaître leur opinion, il convoque les créanciers en assemblée, sur l'ordre du jour qu'il détermine.

Il statue, par voie de référé, sur toutes les questions contentieuses qui requièrent une solution urgente » ;

Attendu qu'aux termes de l'article 430 du même code, « Les contrôleurs assistent le juge-commissaire dans sa mission de surveillance des opérations du syndic.

Ils peuvent demander compte à celui-ci des sommes perçues et des versements faits et se renseigner sur le déroulement de la procédure.

Ils peuvent lui donner leur avis sur toute action à exercer ou à suivre et sur les créances produites » ;

Attendu que ces textes n'imposent pas au juge commissaire de consulter les créanciers ou les contrôleurs, dans le cadre d'une procédure collective, sur l'opportunité ou le caractère sérieux d'une action à exercer en justice par le syndic ou un syndic ad hoc spécialement désigné à cet effet ;

Qu'en l'espèce, l'urgence à traiter la situation, au regard de l'échéance potentielle d'un délai de prescription, a justifié que le juge commissaire se prononce sur la désignation sollicitée en prenant l'avis du seul syndic, et ce d'autant que l'action dont la mise en œuvre était réclamée visait à assigner le contrôleur, à savoir la SCP A. qui avait pour sa part tout intérêt à s'y opposer ; que l'assignation a d'ailleurs été délivrée par Christian BOISSON le 15 mars 2021, assurant ainsi la préservation des droits de la SARL E. dans l'attente de la décision de la Cour, saisie du présent appel ;

Que la décision du premier juge commissaire n'apparaît pas « irrégulière » à cet égard, celui-ci ayant justement relevé qu'il n'utilisait pas la simple faculté donnée par l'article 417 alinéa 3 précité au regard du calendrier du dépôt de la requête ;

Que les droits de la SCP A. ont par ailleurs été préservés dès lors qu'elle a pu former appel de l'ordonnance du juge commissaire prise dans des délais contraints et que le principe du contradictoire a été respecté, puisqu'un débat a ainsi pu s'instaurer entre le contrôleur, la requérante initiale, le syndic et le syndic ad hoc sur l'action dont le premier juge a été saisi ;

Que l'existence d'un procès pénal parallèle est indifférente, le juge commissaire s'étant avant tout et légitimement référé aux intérêts de la SARL E. et par là même de la masse des créanciers, même s'ils concordent avec ceux de a. C. du fait de l'action en comblement de passif ;

Sur la désignation de Christian BOISSON en qualité de syndic ad hoc

Attendu que le juge commissaire doit s'assurer que l'action judiciaire envisagée n'était pas manifestement irrecevable ou dénuée de tout fondement ;

Que si le premier juge disposait de peu d'éléments au moment où il a statué, sa décision est bien intervenue pour préserver les droits éventuels du débiteur et assurer son plein accès au juge, tout en permettant, le cas échéant, à la masse des créanciers de disposer d'une créance d'indemnisation dans l'hypothèse où l'action aboutirait ;

Qu'en tout état de cause, la Cour, saisie de l'appel de l'ordonnance du juge commissaire, ne saurait se substituer à la juridiction du fond qui aurait à se prononcer, et constate, en l'état du débat contradictoire qui s'est instauré en appel, que l'action judiciaire n'est pas manifestement irrecevable ou dénuée de tout fondement ;

Que d'une part, les questions concernant l'autorité de la chose jugée, le principe de l'estoppel ou de la prescription soulèvent de multiples problématiques juridiques qui méritent une discussion poussée que le Tribunal de première instance, désormais saisi sur le fond, devra trancher préalablement sous l'angle de la recevabilité des demandes formées ; qu'il n'est en effet pas manifeste :

  • qu'il existe une identité de demande et de cause malgré une identité de parties ; les juridictions monégasques ont définitivement rejeté la demande de nullité du contrat de gérance libre aux motifs qu'une société civile (la SCP A. peut louer un fonds de commerce qu'elle n'exploite pas elle-même et qui a été apporté à son capital par l'un de ses associés, tandis qu'il est désormais soutenu qu'un nouveau fonds de commerce (et non pas celui loué aux termes du contrat de gérance libre) a été créé et développé par la SARL E. pendant trois années consécutives au sein des locaux loués,

  • que les arguments relatifs à la nullité du contrat de gérance libre et au paiement de dommages et intérêts pour la plus-value apportée au fonds de commerce ou les actes réalisés par la SARL E. (paiement de redevances en plus des loyers et des charges, demande de renouvellement du contrat de gérance libre) soient en contradiction avec ceux visant notamment à voir reconnaître, au-delà de l'apparence donnée par les parties à travers le contrat écrit signé de gérance libre, la réalité d'un nouveau fonds de commerce et d'obtenir le bénéfice du statut des baux commerciaux ainsi que le paiement d'une indemnité d'éviction,

  • que le point de départ de la prescription se situerait à la date de la conclusion du contrat de gérance libre puisque c'est l'occupation des locaux pendant plus de trois années et la création d'un nouveau fonds de commerce qui permettraient, selon la requérante, de revendiquer le statut des baux commerciaux, la jurisprudence invoquée par la SCP A. à cet égard concernant au demeurant la seule prescription de l'action en nullité d'une clause d'un bail commercial pour sa contrariété aux dispositions d'ordre public de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 ;

Que d'autre part, s'agissant du fond de l'action (apparence/requalification), la circonstance que la SCP A.ne soit pas propriétaire des locaux pourra conduire, sur nouvelle autorisation du juge commissaire et en fonction de l'évolution du litige devant le Tribunal de première instance, à attraire la société de droit panaméen H. CORPORATION mais ne constitue pas un obstacle manifeste à la mise en œuvre de l'action, étant relevé que :

  • la société H. INVEST CORP, dont l'identité des associés et/ou bénéficiaires économiques est ignorée, propriétaire des locaux litigieux depuis une date ignorée, a conclu, pour les locaux commerciaux en cause, un bail, en la forme notariée, le 20 décembre 2004 (durée de six années, renouvelable par période de trois années sauf refus du bailleur impliquant l'indemnisation du préjudice causé au preneur ; loyer annuel de 67.800 euros avec indexation), un bail à loyer commercial, par acte sous seing privé des 9 décembre 2005 (durée de cinq années, renouvelable par période de trois années sauf refus du bailleur impliquant l'indemnisation du préjudice causé au preneur ; loyer annuel de 50.100 euros avec indexation) et 15 octobre 2013 (durée de trois, six ou neuf années, renouvelable par période de trois années sauf refus du bailleur impliquant l'indemnisation du préjudice causé au preneur ; loyer annuel de 162.000 euros avec indexation) avec la SCP A.- dont les parts sont détenues à 99% par G.(statuts du 23 décembre 2000) - avec une possibilité de mise en gérance libre ou sous-location pour un commerce de même nature que celui visé au contrat (vente au détail de tous articles vestimentaires et d'habillement pour l'homme, la femme et l'enfant ainsi que tous accessoires s'y rattachant), pendant une durée qui ne pourra excéder 24 mois (sauf dérogation écrite donnée par le bailleur), étant précisé que « Toute mise en gérance libre ou sous-location devra avoir lieu par acte sous seing privé ou notarié, enregistré, auquel le bailleur sera appelé »,

  • il n'est pas établi que la société H. INVEST CORP ait été appelée lors de la signature du contrat de gérance libre du 9 janvier 2013 (redevance annuelle de 108.000 euros la première année et de 114.000 euros la deuxième, outre remboursement des loyers, qui étaient à titre indicatif de 147.783,12 euros en 2012, et des charges, qui étaient à titre indicatif de 2.728,91 euros en 2011),

  • il n'est pas justifié du contenu des contrats de gérance libre conclus par la SCP A. avec la SCS K.& Cie pour déterminer dans quels termes ils auraient été rédigés,

  • un bail commercial (durée de trois, six ou neuf années ; sans possibilité de gérance libre ou sous-location sans l'accord écrit du bailleur ; loyer annuel de 90.000 euros sur la première période triennale, 114.000 euros sur la seconde, 150.000 euros sur la dernière) a été conclu le 14 septembre 2017 entre la société H. INVEST CORP et la SARL I. dont les parts sont également détenues à 99% par G. ;

Que les juges doivent restituer aux actes leur exacte qualification sans s'arrêter à la dénomination donnée par les parties, ce qui diffère de l'interprétation des conventions claires, en sorte que la requalification d'une convention écrite ou d'une relation contractuelle en fonction de son évolution est possible lorsqu'elle est sollicitée ;

Que la demande de requalification vise à obtenir une indemnité d'éviction, sans remise en cause du montant des loyers, charges et redevances dus qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive ;

Que la désignation d'un syndic ad hoc dans les termes fixés par le juge commissaire apparaît dès lors justifiée ;

Que le conflit d'intérêts invoqué entre la SCP A. d'une part, et la gérante de droit et les deux gérants de fait d'autre part, n'a pas d'incidence à l'égard de Christian BOISSON, lequel n'a été désigné que pour se prononcer sur l'opportunité et intenter l'action en comblement de passif pour insuffisance d'actif à l'égard des deux gérants de fait, la gérante de droit, a. C. requérante initiale, faisant l'objet d'une action distincte introduite par Bettina RAGAZZONI, ès qualités de syndic ; qu'en outre, ni la SCP A. ni a.C.ne sont « mandantes » respectivement à l'action en comblement de passif et à l'action litigieuse, ces deux instances étant menées par le syndic ad hoc dans l'intérêt de la SARL E.et de la masse des créanciers, même si elles ont été sollicitées initialement par ces deux parties ;

Que le bénéfice de l'assistance judiciaire pourra être ultérieurement réclamé par Christian BOISSON, ès qualités, le juge commissaire lui ayant précédemment donné, tout comme au syndic, l'autorisation de la solliciter pour les actions en comblement de passif, en sorte que l'absence de trésorerie suffisante à ce jour ne constitue pas un moyen pertinent pour faire obstacle à la désignation en cause ;

Que la position du Ministère Public tendant à l'infirmation de l'ordonnance querellée en ce que le juge commissaire n'a pas préalablement demandé, malgré des « prétentions trop succinctes », au syndic ad hoc de se prononcer, notamment avec l'assistance d'un avocat-défenseur, sur les « mérites, l'absence de témérité et les chances de succès de l'action » n'est pas compatible avec la nécessité qu'avait le premier juge d'autoriser la saisine du Tribunal de première instance pour éviter une prescription de l'action dans l'intérêt de la société dessaisie et de la masse des créanciers ; qu'en tout état de cause, aucune modification de la mission du syndic ad hoc n'est sollicitée par le Procureur Général ou toute autre partie, alors que les questions essentiellement juridiques à trancher, dans le cadre d'une action qui n'est pas manifestement irrecevable ou infondée, justifient un accès au juge sans entremise préalable d'un avocat-défenseur ;

Qu'il appartiendra, le cas échéant, à la SCP A. de tirer toutes conséquences juridiques et judiciaires de la faute qu'elle pourrait reprocher à a. C. dans l'initiative prise pour la mise en œuvre de l'action en cause ;

Que l'ordonnance du juge commissaire doit dès lors être confirmée en toutes ses dispositions et les dépens du présent arrêt supportés par la SCP A. laquelle ne peut dès lors réclamer aucune somme sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ; que la distraction sera ordonnée au profit de l'Administration qui en poursuivra la recouvrement comme en matière d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011, et de Maître Thomas GIACCARDI et Maître Sarah FILIPPI, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation, chacun pour ce qui le concerne ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du 26 février 2021 du juge commissaire à la liquidation des biens de la SARL E. ayant désigné Christian BOISSON en qualité de syndic ad hoc dans le cadre de la procédure collective de la SARL E. avec pour mission de mettre en œuvre une action judiciaire visant à obtenir la requalification en bail commercial du lien contractuel établi entre la SARL E.et la SCP A. lors de la conclusion du contrat de gérance libre du 9 janvier 2013 ;

Condamne la SCP A. aux dépens du présent arrêt, avec distraction au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011, et de Maître Thomas GIACCARDI et Maître Sarah FILIPPI, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation, chacun pour ce qui le concerne ;

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Composition🔗

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 13 DECEMBRE 2022, par Madame Claire GHERA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, Madame Magali GHENASSIA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Morgan RAYMOND, Procureur général adjoint.

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