Cour d'appel, 20 avril 2021, Madame p. m. H. veuve S. c/ Madame f. m. s. g. S. et Madame n. m. S. épouse R.

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Abstract🔗

Succession - Détermination de la loi applicable - Recevabilité (non) - Autorité de la chose jugée - Loi nouvelle d'application immédiate - Absence d'incidence - Non rétroactivité de la loi nouvelle

Résumé🔗

Par testament authentique établi à Monaco, l'appelante a reçu de son époux, d'une part, l'usufruit des biens immobiliers sis à Monaco et, d'autre part, l'intégralité de ses biens meubles conformément à sa loi nationale sud-africaine à laquelle il entendait se soumettre. S'agissant de la loi applicable à la succession, la veuve soutient que la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, entrée en vigueur le 8 juillet 2017 et d'application immédiate, validerait rétroactivement la professio juris exprimée par feu son époux en faveur du droit sud-africain dans son testament authentique. Cependant, les premiers juges ont justement considéré que la question de la possibilité pour le défunt de choisir la loi sud-africaine pour régler sa succession, et ainsi de mettre en échec la loi monégasque, a été définitivement tranchée par des décisions de justice ayant autorité de la chose jugée au sens des dispositions de l'article 1198 du Code civil, quand bien même une loi nouvelle d'application immédiate est intervenue postérieurement. En effet, ces nouvelles dispositions ne sauraient remettre en cause une situation acquise à cette date en vertu du principe garant de la sécurité juridique de non-rétroactivité des lois énoncés par l'article 2 du Code civil. La veuve est donc irrecevable à soumettre à nouveau à ses juges la même contestation eu égard à l'autorité de la chose précédemment jugée.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 20 AVRIL 2021

En la cause de :

  • - Madame p. m. H. veuve S., née le 21 mai 1952 à Ankadifotsy (Madagascar), demeurant X1 à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • 1/Madame f. m. s. g. S., née le 23 février 1952 à Johannesburg (Afrique du Sud), de nationalité belge, exerçant la profession de comptable, domiciliée X2 South California - 29928 (États-Unis-d'Amérique) ;

  • 2/Madame n. m. S.épouse R., née le 1er octobre 1956 à Johannesburg (Afrique du Sud), de nationalité américaine, exerçant la profession d'agent immobilier, domiciliée X3 South California - 29928 (États-Unis-d'Amérique) ;

Ayant toutes deux élu domicile en l'Étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉES,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 23 janvier 2020 (R. 2243) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 30 mars 2020 (enrôlé sous le numéro 2020/000108) ;

Vu les conclusions déposées les 28 avril 2020 et 12 juin 2020 par Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de Madame f. m. s. g. S. et de Madame n. m. S.épouse R.;

Vu les conclusions déposées le 14 octobre 2020 par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de Madame p. m. H. veuve S.;

À l'audience du 26 janvier 2021, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Madame p. m. H. veuve S. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 23 janvier 2020.

Considérant les faits suivants :

Le 7 mai 1998 en Afrique du Sud, p. S. né le 12 janvier 1926 à GOSSELIES (Belgique) a épousé en secondes noces p. H. née le 21 mai 1952 à ANKADIFOTSY (Madagascar), sous le régime de la séparation de biens de droit sud-africain, suivant contrat préalable passé le 20 avril 1998.

Aux termes d'un testament authentique établi à Monaco le 3 août 2010, p. S. a légué à son épouse, p. H.:

  • - l'usufruit des biens immobiliers, sis X4 à Monaco, ses deux filles issues d'une précédente union, f. S. et n. S. épouse R. recueillant chacune la moitié en nue-propriété desdits biens,

  • - l'intégralité de ses biens meubles, en ce compris les actifs bancaires où qu'ils soient situés et ce, conformément à sa loi nationale sud-africaine à laquelle il entend se soumettre.

p. S. est décédé le 6 juin 2011 à Monaco, lieu de son dernier domicile.

Soutenant qu'au regard des principes directeurs du droit international privé monégasque, feu p. S. n'avait pas la possibilité de choisir par testament la loi applicable à sa succession mobilière et qu'il a, ce faisant, délibérément commis une fraude à la loi aux fins de les priver de leur part d'héritage réservataire en privilégiant dans le même temps sa seconde épouse, f. S. et n. S. épouse R. ont fait assigner p. H. veuve S. devant le Tribunal de première instance par exploit d'huissier délivré le 22 décembre 2011, aux fins de contestation du testament et de désignation d'un expert.

Par jugement mixte du 11 juillet 2013, le Tribunal de première instance a :

  • - constaté qu'il n'est pas discuté que l'immeuble X4 à Monaco, dépendant de la succession de p. S. relève du droit monégasque,

  • - dit que p. S. n'avait pas la possibilité de choisir la loi sud-africaine pour la seule partie mobilière de sa succession et que celle-ci se trouve soumise à la loi monégasque,

  • - débouté f. S. et n. S. épouse R. de leur demande d'annulation du testament de leur père en date du 3 août 2010,

  • - ordonné avant-dire-droit une mesure d'expertise confiée à g. L. aux frais avancés des requérantes,

  • - sursis à statuer sur les demandes de dommages-intérêts,

  • - dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

  • - réservé les dépens en fin de cause.

p. H. veuve S. a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 17 juin 2014, la Cour d'appel a :

  • - réformé le jugement entrepris en ce qu'il a constaté qu'il n'était pas discuté que l'immeuble X4 à Monaco, dépendant de la succession de p. S. relevait du droit monégasque,

  • - confirmé le jugement en ce que la succession de p. S. se trouve soumise à la loi monégasque et en ce qu'il a ordonné une expertise, sauf à préciser que cette expertise ne porte que sur des biens mobiliers, et en ce qu'il a réservé les demandes de dommages-intérêts et les dépens,

  • - rejeté en tant que de besoin, comme inutiles ou mal fondées, toutes conclusions et demandes plus amples ou contraires des parties,

  • - condamné p. H. veuve S. aux dépens.

p. H. veuve S. a formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt, lequel a été rejeté par la Cour de Révision suivant arrêt rendu le 14 octobre 2015.

Les opérations d'expertise ont débuté le 4 décembre 2015 et l'expert g. L. a déposé son rapport le 9 février 2019.

Par jugement rendu le 23 janvier 2020, le Tribunal de première instance a :

  • - constaté que les juridictions monégasques ont définitivement jugé que feu p. S. n'avait pas la possibilité de soumettre sa succession au droit sud-africain dans son testament authentique en date du 3 août 2010 et que celle-ci se trouve soumise à la loi monégasque,

  • - déclaré en conséquence irrecevable la demande de p. H. veuve S. de voir appliquer le droit sud-africain à la succession de son défunt époux, p. S.

  • - homologué les conclusions de l'expert g. L. déposées le 8 février 2019 avec toutes conséquences de droit,

  • - condamné p. H. veuve S. à rapporter à la succession de p. S. la somme de 2.473.877 euros, augmentée des intérêts de retard au taux légal depuis le 6 juin 2011,

  • - débouté f. S. et n. S. épouse R. de leur demande aux fins de prononcé d'un recel successoral,

  • - dit n'y avoir lieu à liquider l'astreinte ordonnée par ordonnance du Juge en charge du contrôle des expertises en date du 23 février 2018,

  • - liquidé à la somme de 144.750 euros le montant de l'astreinte prononcée par le Juge en charge du contrôle des expertises selon ordonnance en date du 27 juin 2018, pour la période du 30 juillet 2018 au 8 février 2019,

  • - condamné en conséquence p. H. veuve S. à payer à f. S. et n. S. épouse R. la somme de 144.750 euros au titre de cette astreinte,

  • - condamné en conséquence p. H. veuve S. à payer à f. S. et n. S. épouse R. la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts, tous chefs de préjudices confondus,

  • - débouté les parties du surplus de leurs demandes,

  • - ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

  • - condamné p. H. veuve S. aux entiers dépens, en ce compris les dépens du jugement du Tribunal de première instance du 11 juillet 2013 et les frais d'expertise taxés à 37.387, 91 euros, avec distraction au profit de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu en substance que :

S'agissant de l'autorité de la chose jugée et de la loi applicable,

  • - au constat que l'autorité de la chose jugée est limitée au dispositif des jugements et arrêts, que le Tribunal de première instance, la Cour d'appel et la Cour de révision ont chacune consacré dans le dispositif de leurs décisions respectivement rendues les 11 juillet 2013, 17 juin 2014 et 14 octobre 2015, l'application de la loi monégasque et que la question juridique sur laquelle il a été préalablement statué a l'autorité de la chose jugée au sens de l'article 1198 du Code civil dès lors que la chose demandée est la même et que la cause de la demande, portée par les mêmes parties prises en la même qualité, est identique, la question de la loi applicable à la succession a été définitivement tranchée, quand bien même une loi nouvelle d'application immédiate est intervenue postérieurement,

S'agissant des droits des parties,

  • - au regard des conclusions du rapport d'expertise l'actif net à partager s'élève à 11.609.551 euros,

  • - les deux filles du défunt ont droit aux deux-tiers de cette somme en application de l'article 780 du Code civil, représentant la somme de 7.739.700 euros et sa veuve à l'usufruit du tiers, représentant la somme de 3.864.851 euros,

  • - si p. H. veuve S. critique l'évaluation des donations reçues par les filles du de cujus, celle-ci a été réalisée par l'expert après un examen complet des éléments de preuve dont il disposait, étant relevé qu'il n'a pu remplir intégralement sa mission en raison du refus systématique de la défenderesse de communiquer l'ensemble des documents sollicités,

  • - p. H. veuve S. ne verse aux débats aucun élément de nature à remettre en cause l'analyse et les estimations de l'expert judiciaire,

  • - les conclusions de l'expert doivent donc être homologuées avec toutes conséquences de droit,

  • - au regard de la masse successorale reconstituée en vertu de l'article 789 du Code civil et du montant des donations dont p. H. veuve S. a bénéficié, celle-ci doit rapporter à la succession un trop-perçu de 2.473.877 euros, assorti des fruits perçus par cette somme depuis la date du décès (6 juin 2011) par application des dispositions de l'article 795 du Code précité,

S'agissant du recel successoral,

  • - il ne ressort pas des constatations de l'expert que la somme de 974.443 euros, correspondant à la différence entre le prix de vente de l'immeuble X4 et les fonds virés à la société D, a été dissimulée par p. H. veuve S. après le décès de son époux, même si elle a fait preuve d'un comportement peu coopératif et déloyal pendant toute la procédure,

  • - dès lors qu'il ne peut être rapporté à l'égard de cette somme un comportement clandestin de la défenderesse, l'élément matériel du recel n'est pas caractérisé de sorte que le recel successoral ne peut lui être reproché,

S'agissant de la liquidation des astreintes,

  • - contrairement aux déclarations de la défenderesse, l'expert n'a pu obtenir l'intégralité des documents qu'il avait sollicités, sans que cette dernière ne fasse état d'aucun obstacle, ni de la moindre difficulté susceptible de justifier le retard apporté à l'exécution des décisions la condamnant à communiquer les documents bancaires,

  • - le point de départ de l'astreinte prononcée par ordonnance du 27 juin 2018 doit être fixé au 30 juillet 2018 et celle-ci a couru jusqu'au jour du dépôt du rapport définitif d'expertise, soit le 8 février 2019, soit pendant 193 jours,

  • - l'astreinte de 1.000 euros par jour de retard sera ramenée à 750 euros, compte tenu de l'exécution partielle de l'ordonnance du 27 juin 2018 et liquidée par voie de conséquence à la somme de 144.750 euros,

S'agissant de la demande en dommages-intérêts formée par f. S. et n. S. épouse R.

  • - la résistance abusive de la défenderesse est établie depuis juillet 2013 (jugement du Tribunal de première instance) alors que d'une part, si le principe des frais irrépétibles est inconnu en droit monégasque, une partie peut réclamer des dommages-intérêts si le comportement de son adversaire l'a contrainte à engager des frais et que d'autre part, si le droit d'exercer un recours constitue un droit reconnu à toute partie, ce droit peut dégénérer en abus dès lors qu'il est exercé de mauvaise foi et dans l'intention de nuire,

S'agissant de la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive formée par p. H. veuve S. celle-ci mérite d'en être déboutée compte tenu des éléments qui précèdent,

S'agissant de l'exécution provisoire, l'analyse juridique au fond qui précède et la longueur de la procédure commencée en décembre 2011 justifie de la voir ordonnée, alors qu'elle n'apparaît pas de nature à créer des effets irréparables au sens de l'article 202 du Code de procédure civile.

Par exploit en date du 30 mars 2020, p. H. veuve S. a interjeté appel à l'encontre du jugement rendu le 23 janvier 2020 par le Tribunal de première instance.

Aux termes de son assignation et de conclusions récapitulatives déposées le 14 octobre 2020, l'appelante demande à la Cour de :

  • - la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondée,

  • - confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté f. S. et n. S. épouse R. de leur demande aux fins de prononcé d'un recel successoral et dit n'y avoir lieu à liquider l'astreinte ordonnée par décision du Juge chargé du contrôle des expertises en date du 23 février 2018,

  • - l'infirmer en toutes ses autres dispositions,

Et statuant à nouveau,

  • - dire et juger que la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé est d'application immédiate,

  • - dire et juger que la succession de feu p. S. sera dévolue en application de la loi monégasque en vigueur et ce, avec toutes conséquences de droit,

  • - dire et juger que feu p. S. avait la nationalité sud-africaine au moment de son décès,

  • - constater que la loi sud-africaine ne connait pas le régime de la réserve héréditaire,

  • - constater que feu p. S. a pris des dispositions testamentaires selon acte authentique enregistré le 3 août 2010,

  • - constater que les dispositions testamentaires de feu p. S. sont valables selon sa loi nationale,

  • - dire et juger que la succession de feu p. S. sera dévolue conformément à son droit national, en application de la loi monégasque en vigueur,

En conséquence,

  • - constater que les conclusions de l'expert g. L. en ce qu'elles reconstituent la masse successorale et déterminent le montant de la réserve et de la quotité disponible, sont inutiles à la solution du litige,

En tout état de cause,

  • - dire n'y avoir lieu à homologation du rapport d'expertise déposé le 9 février 2019,

  • - dire n'y avoir lieu à la liquidation de l'astreinte ordonnée par le Juge en charge du contrôle des expertises selon ordonnance en date du 27 juin 2018,

  • - dire et juger que le recours par elle exercé n'est pas abusif,

  • - débouter f. S. et n. S. épouse R. de leurs demandes, fins et conclusions,

  • - condamner in solidum f. S. et n. S. épouse R. à lui payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts,

  • - les condamner in solidum aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Sarah FILIPPI, ès-qualités d'administrateur ad hoc de Maître Jean-Pierre LICARI, s'agissant du jugement du 11 juillet 2013, de l'arrêt du 17 juin 2014 et de l'arrêt de la Cour de révision du 14 octobre 2015 et de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation, s'agissant du jugement du 23 janvier 2020 et de l'arrêt à intervenir.

Au soutien de ses prétentions s'agissant de l'application de la loi monégasque, elle reproche aux premiers juges de ne pas avoir tiré les conclusions de leurs propres constatations et omis de trancher la véritable question de droit soumise à leur appréciation.

Sans contester l'autorité de la chose jugée attachée au dispositif du jugement critiqué qui a exactement constaté que les trois juridictions précédemment saisies ont consacré l'application de la loi monégasque pour la dévolution et la liquidation de la succession de feu p. S. elle fait valoir qu'il ne peut lui être attribuée une portée qu'il n'a pas dès lors que ces décisions n'ont résolu que le conflit de loi soumis aux juridictions monégasques, précisément limité au seul droit de la procédure.

Elle souligne que la Cour d'appel a choisi de ne pas statuer quant à l'institution de la « professio juris » et pas davantage quant à « la possibilité (pour p. S. de choisir la loi applicable à sa succession », considérant des demandes plus amples que celles dont elle avait à connaitre, « malfondées », de sorte que les premiers juges ont à tort considéré ne pas avoir « à se prononcer à nouveau sur la loi monégasque applicable en l'espèce, au regard de l'autorité de la chose jugée » et déclaré sa demande irrecevable en dénaturant la question de droit qu'elle leur avait soumise.

Elle relève que la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, entrée en vigueur le 8 juillet 2017, a consacré en son article 57 la « professio juris » et que l'article 63 alinéa 2 a entériné la volonté du législateur de donner son plein effet à la loi nationale du de cujus, notamment concernant l'articulation d'un droit qui connait une réserve avec un autre qui n'en prévoit pas, de sorte qu'en l'espèce, la volonté exprimée par le défunt doit être considérée et que le régime de la réserve ne peut pas être appliqué.

Elle précise que sa demande ne tendait pas à voir appliquer le droit sud-africain à la succession de son défunt époux mais à lui voir appliquer le droit monégasque en vigueur, avec toutes conséquences, en solutionnant la problématique née de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ce qui n'a jamais été fait ni débattu par les parties dans le cadre de la procédure avant-dire-droit.

Elle ajoute que les dispositions nouvelles étant entrées en vigueur après que les décisions avant-dire-droit aient été rendues, ces problématiques n'ont a fortiori jamais été tranchées avant que ne soit rendu le jugement critiqué et se prévaut de l'application immédiate de la loi en l'absence de dispositions transitoires.

Se prévalant des dispositions de l'article 8 de la loi abrogeant toutes dispositions contraires, elle soutient que la dévolution et la liquidation de la succession de son défunt mari devront être réalisées en application de la loi monégasque en vigueur, laquelle exclue que soit appliquée la réserve à la succession d'une personne dont le droit de l'Etat dont elle a la nationalité au moment de son décès ne connaît pas le régime.

Elle prétend encore que si p. S. bénéficiait d'une double nationalité sud-africaine et belge, seule la première a lieu d'être retenue pour déterminer le droit applicable dès lors qu'il avait les liens les plus étroits avec ce pays et a expressément choisi de soumettre sa succession à son droit national.

Précisant que le droit sud-africain ne connait pas l'institution de la réserve héréditaire, elle en déduit que l'application du droit monégasque en vigueur conduit à lui attribuer l'intégralité des biens de la succession.

Elle souligne que le rapport d'expertise, au-delà d'être inutile, est lacunaire, voire partial, en ce qu'il a exclu sans motifs ni justificatifs les capitaux des trusts « Y » et « Z » considérant qu'ils étaient propres aux intimées.

Elle expose avoir transmis par dire du 30 mars 2018 les pièces sollicitées par l'expert de sorte que les termes de l'ordonnance du 23 février 2018, lui intimant de procéder à cette communication avant cette date et sous peine d'astreinte au-delà, ont été parfaitement respectés.

Elle considère que sa condamnation sur liquidation de l'astreinte découlant de la seconde ordonnance du Juge chargé du contrôle des expertises n'est pas fondée ou à tout le moins insuffisamment motivée, dès lors qu'elle a satisfait, dans la mesure du possible, les demandes de l'expert, que la proportion de la diminution de l'astreinte n'est pas explicitée et que les demanderesses ne justifient, ni même n'allèguent aucun préjudice.

Elle conteste sa condamnation à des dommages-intérêts en soutenant que la durée et la complexité de la procédure ne sont liées qu'à l'acharnement des filles S. à contester la volonté de leur père pourtant clairement exprimée aux termes de dispositions testamentaires, pour accaparer les actifs de la succession, en usant de leur mauvaise foi.

Elle précise que les intimées n'apportent aucune pièce nouvelle de nature à fonder leur demande relative au recel successoral, susceptible de remettre en cause la décision des premiers juges.

Enfin, elle s'oppose aux demandes pécuniaires formées à son encontre à titre incident, en relevant qu'elle pouvait ne pas se résoudre à considérer que le jugement critiqué faisait indiscutablement autorité, compte tenu du peu de jurisprudence relative à la loi nouvelle n° 1.448 et de l'enjeu du litige.

Par écritures portant appel incident et responsives déposées le 12 juin 2020, f. S. et n. S. épouse R. demandent à la Cour de :

  • - déclarer recevable leur appel incident,

  • - réformer parte in qua le jugement du 23 janvier 2020 en ce qu'il a :

    • débouté f. S. et n. S.épouse R. de leur demande aux fins de prononcé d'un recel successoral,

    • dit n'y avoir lieu à liquider l'astreinte ordonnée par ordonnance du Juge en charge du contrôle des expertises en date du 23 février 2018,

    • condamné l'appelante à leur payer la seule somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts tous chefs de préjudices confondus,

Statuant à nouveau,

  • - dire et juger que p. H. veuve S. a commis un recel successoral et qu'elle ne pourra prétendre à aucune part sur cette somme de 974.443 euros,

  • - dire et juger y avoir lieu à liquider l'astreinte ordonnée par ordonnance du Juge en charge du contrôle des expertises en date du 23 février 2018,

  • - condamner l'appelante à leur payer la somme de 500.000 euros à titre de dommages-intérêts, tous chefs de préjudices confondus,

  • - confirmer en toutes ses autres dispositions le jugement du 23 janvier 2020,

En tout état de cause,

  • - débouter p. H. veuve S. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

  • - dire et juger que l'appel formé par p. H. veuve S. est abusif,

  • - condamner p. H. veuve S. à leur payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages intérêts pour appel abusif,

  • - condamner p. H. veuve S. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

aux motifs essentiellement que :

Sur droit applicable à la succession :

  • - la demande formée par l'appelante de voir appliquer le droit sud-africain se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée aux précédentes décisions qui ont définitivement tranché la question,

  • - le fait que la loi nouvelle de droit international privé s'applique à toutes les instances qui n'étaient pas clôturées par un jugement définitif au jour de son entrée en vigueur ne signifie pas qu'une partie à un procès puisse reformuler une demande sur laquelle il a été définitivement statué,

  • - au regard de l'article 2 du Code civil qui pose le principe de non rétroactivité des lois, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que l'article 57 de la loi, qui reconnaît partiellement la professio juris en droit monégasque, puisse s'appliquer à la succession du de cujus ouverte 6 ans auparavant, en 2011,

  • - la « jurisprudence constante » évoquée par l'appelante est aussi inexistante qu'inopérante, se référant à une espèce venant résoudre une question de procédure, à savoir le choix entre une requête ex-parte ou la voie ordinaire dans le cadre de la reconnaissance d'une sentence arbitrale étrangère à Monaco,

  • - la loi applicable à la succession de leur défunt père s'est cristallisée au jour de son décès en vertu du respect des situations acquises et de non-rétroactivité des lois, qui opère sur le plan matériel, faute de quoi aucune sécurité juridique ne serait plus assurée pour quiconque,

  • - le fait que la loi nouvelle s'applique à la procédure en cours au jour de son entrée en vigueur ne signifie pas qu'elle s'applique à la succession ouverte en 2011, ni qu'elle puisse valider rétroactivement la professio juris formulée dans le testament du 3 août 2010,

  • - à titre infiniment subsidiaire, si la Cour déclarait recevable la demande de l'appelante sur ce point et retenir l'application du Code de droit international privé, force est de constater que celui-ci ne résout pas la question de la double nationalité, de sorte que la règle la plus protectrice pour l'héritier réservataire, soit le droit belge, doit trouver application au vu des termes de l'article 63 dudit Code,

  • - le choix dans son testament de la loi sud-africaine au détriment de la loi belge par leur défunt père avait pour finalité de les priver de leur réserve héréditaire, ce qui porterait atteinte à l'ordre public monégasque,

Sur la liquidation des droits des parties :

  • - l'appelante ne peut élever de critiques à l'égard du rapport d'expertise dont elles reprennent les conclusions à leur compte, soutenant notamment qu'elles ont fourni des preuves solides concernant le financement des trusts par des fonds propres,

  • - leur demande de restitution à la succession des fruits de la somme réclamée (2.473.877 euros) est fondée au regard de l'article 795 du Code civil, dès lors qu'elles ont formé leur demande de réduction dans l'année du décès,

  • - p. H. veuve S. a fait preuve d'une obstruction systématique au cours des opérations d'expertise, laissant en suspens de multiples incertitudes et qu'elle n'a jamais voulu s'expliquer sur la destination et l'emploi de la somme de 974.443 euros provenant de la vente des actifs immobiliers du de cujus quelques mois avant son décès.

Sur le recel successoral,

  • - le refus de la partie adverse de répondre à l'expert judiciaire à cet égard la rend coupable de dissimulation de la somme précitée caractérisant un recel successoral l'empêchant de prétendre à toute part sur cette somme.

Sur les liquidations d'astreintes,

  • - les motifs énoncés dans les deux ordonnances de difficultés rendues par le Juge chargé du contrôle des expertises, pointant la rétention d'information par l'appelante, fondent leur demande de confirmation de la liquidation de l'astreinte ordonnée le 27 juin 2018,

  • - les premiers juges n'ont pas tiré les conséquences de leurs propres constatations en ne procédant pas à la liquidation de l'astreinte ordonnée le 23 février 2018, alors que le juge chargé du contrôle des expertises avait relevé que p. H. veuve S. a tout fait pour retarder la communication des pièces demandées, allant même jusqu'à refuser de répondre aux questions de l'expert.

Sur la demande adverse de dommages-intérêts,

  • - l'appelante se livre à une inversion des rôles, alors qu'elle s'acharne à poursuivre l'application du droit sud-africain en dépit des décisions précédemment rendues pour faire obstacle à l'homologation du rapport d'expertise.

Sur leur propre demande de dommages-intérêts,

  • - celle-ci est justifiée au regard du préjudice moral et financier qu'elles subissent depuis plus de 7 ans, du fait de la stratégie d'opposition, de rétention d'information et de résistance systématique déployée par p. H. veuve S. pour faire échec à leurs légitimes demandes.

Elles invoquent enfin le caractère abusif de l'appel infondé, téméraire et malveillant formé par l'appelante, relevant qu'elle n'a soumis à la Cour aucun élément de fait ou pièces nouvelles de nature à influer sur la solution du litige et n'a pas exécuté le jugement pourtant assorti de l'exécution provisoire, prolongeant inutilement la procédure et leur imposant des frais supplémentaires.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

  • Sur la recevabilité des appels

Attendu que les appels tant principal qu'incident respectant les règles de forme et de délai édictées par le Code de procédure civile doivent être déclarés recevables ;

  • Sur la loi applicable à la succession

Attendu qu'en l'espèce, p. H. veuve S. soutient que la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, entrée en vigueur le 8 juillet 2017 et d'application immédiate, validerait rétroactivement la professio juris exprimée par feu p. S. en faveur du droit sud-africain, dans son testament authentique du 3 août 2010 ;

Que pour voir à l'inverse appliquer la loi monégasque, f. S. et n. S. épouse R. lui opposent à titre principal l'autorité de la chose jugée, à titre subsidiaire le principe de non-rétroactivité des lois, et à titre infiniment subsidiaire l'atteinte à l'ordre public monégasque qu'induirait l'application du droit sud-africain à la présente succession ;

Qu'en tout état de cause, l'autorité de la chose jugée constituant une fin de non-recevoir, l'examen de son éventuelle incidence prime sur l'appréciation du bien-fondé du moyen de défense tiré de l'application immédiate de la loi nouvelle de droit international privé et des conséquences qui en découlent quant à la loi applicable ;

Que par ailleurs, si l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui est tranché par le dispositif, il n'est pas interdit d'éclairer la portée de celui-ci par les motifs de la décision ;

Attendu qu'en procédant au rappel exhaustif des décisions précédemment rendues et de leur motivation respective, les premiers juges ont exactement retenu que ces trois juridictions ont consacré l'application de la loi monégasque ;

Que bien plus, la lecture des précédentes décisions démontre, contrairement aux allégations de l'appelante, que les questions précédemment tranchées ne concernent pas le droit de la procédure mais bien le droit matériel relatif au règlement au fond de la succession de feu p. S.;

Qu'ainsi, statuant sur la demande qui lui était présentée, le Tribunal a, dans son jugement rendu le 11 juillet 2013 « dit que feu M. p. S. n'avait pas la possibilité de choisir la loi sud-africaine pour la seule partie mobilière de sa succession et que celle-ci se trouve soumise à la loi monégasque » ;

Qu'il ressort des motifs de cette décision qu'en vertu des principes généraux de droit international privé monégasque dégagés par une jurisprudence constante, les successions mobilières relèvent de la loi nationale du défunt, sauf renvoi de celle-ci à une autre loi ;

Que la loi personnelle du défunt qui a acquis la nationalité sud-africaine renvoie à la loi de son dernier domicile pour le règlement de la partie mobilière de sa succession, en l'occurrence le droit monégasque ;

Que toutefois dans le même temps, sa manifestation de volonté édictée dans le testament de soumettre la partie mobilière de sa succession à sa loi personnelle sud-africaine, ne répondant pas aux objectifs d'unicité poursuivis par la professio juris ne saurait être admise, de sorte que « la loi sud-africaine choisie (...) doit être écartée et la loi monégasque appliquée à la succession mobilière en vertu de la règle de conflit » ;

Que pour sa part la Cour d'appel, dans son arrêt du 17 juin 2014, a confirmé en son dispositif le jugement rendu « en ce que la succession de Monsieur p. S. se trouve soumise à la loi monégasque », relevant dans ses motifs :

« Qu'en tout état de cause, si la place laissée à l'autonomie de la volonté, peu compatible avec la prévisibilité et la sécurité juridiques qui intéressent ici tout autant le droit de la famille et le droit de propriété ne peut être considérée par principe comme heurtant le droit international privé monégasque, s'agissant de laisser se produire à Monaco les effets de droit régulièrement acquis d'une loi étrangère, il ne saurait en résulter un contournement des règles impératives de la loi successorale monégasque naturellement compétente par l'effet du renvoi de la loi nationale à la loi du domicile, et donc une atteinte aux principes fondamentaux édictés par notre ordre juridique ;

Qu'il doit à cet égard être observé que le de cujus, également de nationalité belge, en se soustrayant à la loi monégasque qui connait de la réserve héréditaire, comme d'ailleurs la loi belge, a fait le choix pour la dévolution de l'ensemble de son patrimoine d'une législation de common law qui ignore la réserve, laquelle de l'ordre public monégasque ;

Qu'il apparait dans ces conditions, sans que l'élément intentionnel d'une fraude entachant de nullité le testament soit prouvée par les pièces du dossier, que feu p. S. ne pouvait mettre en échec la loi monégasque naturellement compétente et choisir la loi sud-africaine, ainsi qu'il a été jugé en première instance » ;

Que dans son arrêt du 14 octobre 2015, la Cour de révision a quant à elle relevé, pour rejeter le pourvoi formé par l'appelante, « ... qu'il est suffisamment démontré que la loi personnelle de p. S. renvoie à la loi de son dernier domicile pour le règlement de la partie mobilière de sa succession, en l'occurrence le droit monégasque, que répondant ainsi aux conclusions prétendument délaissées, la Cour d'appel, qui a également retenu que M. p. S. ne pouvait mettre en échec la loi monégasque, ne s'est pas contredite » ;

Qu'il s'évince clairement de la motivation de ces décisions que l'enjeu du débat nourri par les parties résidait dans l'application ou l'éviction à la cause de la réserve héréditaire, dont l'appelante ne peut raisonnablement soutenir qu'elle se rapporte au droit de la procédure ;

Que la question tranchée concerne précisément la loi applicable au fond du litige pour assurer le règlement de la succession, sans que les règles de procédures, au premier rang desquelles figurent la compétence des juridictions monégasques et la procédure à suivre devant elles, n'ait donné lieu à la moindre contestation des parties ;

Que la nécessaire application des règles de conflit pour parvenir à déterminer la loi de fond applicable ne doit pas occulter la portée de ces décisions ;

Que ce faisant, les premiers juges ont pu considérer, par des motifs pertinents que la Cour adopte, que la question de la possibilité pour le défunt de choisir la loi sud-africaine pour régler sa succession, et ainsi de mettre en échec la loi monégasque, a été définitivement tranchée par des décisions de justice ayant autorité de la chose jugée au sens des dispositions de l'article 1198 du Code civil, quand bien même une loi nouvelle d'application immédiate est intervenue postérieurement ;

Qu'en effet, ces nouvelles dispositions entrées en vigueur le 8 juillet 2017, ne sauraient remettre en cause une situation acquise à cette date, en vertu du principe de non rétroactivité des lois énoncés par l'article 2 du Code civil, garant de la sécurité juridique ;

Qu'il s'ensuit que le moyen tiré de l'application immédiate du dispositif normatif de droit international privé est inopérant à mettre en échec la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée relativement à la loi applicable au règlement au fond de la présente succession ;

Que p. H. veuve S. est donc irrecevable à soumettre à nouveau à ses juges la même contestation, eu égard à l'autorité de la chose précédemment jugée ;

Que le jugement déféré mérite confirmation de ce chef ;

  • Sur la liquidation des droits des parties

Attendu que la mission d'expertise confiée à g. L. n'a porté que sur les biens mobiliers dépendant de la succession au regard de la loi monégasque, au constat que p. S. a procédé à la vente de ses biens immobiliers situés à Monaco quelques mois avant son décès ;

Que le technicien mandaté a déposé son rapport le 8 février 2019 au terme de longues investigations contrariées par la résistance de l'appelante à déférer à ses demandes de pièces, de nature à l'éclairer et orienter l'exécution de sa mission ;

Qu'en tout état de cause, se fondant sur les conclusions claires et suffisamment circonstanciées du rapport qui leur était soumis, les premiers juges ont fait une exacte évaluation de la masse active de la succession, comprenant en particulier les avoirs bancaires, les meubles, les donations aux sœurs S. les donations à p. H. veuve S. les actifs en Belgique et chiffré l'actif net à partager à la somme de 11.609.551 euros en application de l'article 789 du Code civil ;

Que pareillement, les droits que les parties tiennent de l'article 780 du Code précité, lequel détermine la portion de biens disponibles en présence de réservataires, ont été correctement fixés aux deux tiers de la masse successorale au profit des deux filles du de cujus, soit à la somme de 7.739.700 euros et à l'usufruit du tiers s'agissant de sa veuve, représentant celle de 3.869.851 euros ;

Que l'appelante est malvenue à critiquer le travail réalisé par l'expert, qu'elle qualifie de lacunaire voire de partial, alors que le juge chargé du contrôle des expertises a été saisi à deux reprises de difficultés rencontrées par ce technicien pour mener à bien sa mission, du fait de l'absence de coopération loyale de cette dernière à la mesure d'investigation instaurée ;

Que les premiers juges ont néanmoins pris soin de relever que l'expert à lui-même précisé avoir procédé à ces évaluations au regard des éléments de preuve dont il disposait, démontrant tout à la fois qu'il s'est appuyé sur des pièces concrètes et probantes et qu'il s'est livré à un examen minutieux des documents produits ;

Que la Cour observe en tout état de cause que les contestations élevées par p. H. veuve S. ne se trouvent, pas plus qu'en première instance, étayées par des pièces nouvelles, susceptibles de remettre en cause l'analyse et les estimations de l'expert ;

Que pour le surplus, se livrant à une exacte application des règles en la matière, les premiers juges ont justement considéré que p. H. veuve S. doit rapporter à la succession la somme de 2.473.877 euros, correspondant à un trop perçu à titre de donations, outre les fruits produits par cette somme depuis le décès de p. S. soit le 6 juin 2011, par application des dispositions de l'article 795 du Code civil ;

Que la décision entreprise sera intégralement confirmée à cet égard ;

  • Sur le recel successoral

Attendu qu'aux termes de l'article 673 du Code civil, l'héritier qui se rend coupable de recel successoral ne peut prétendre à aucune part dans les objets divertis ou recelés ;

Que le recel successoral, qui consiste pour un successible à dissimuler ou détourner les effets d'une succession au détriment des autres cohéritiers, suppose la réunion d'un élément matériel et d'un élément intentionnel ;

Qu'au cas d'espèce, il est constant que, suivant actes notariés dressés les 25 janvier 2011 et 7 avril 2011 soit quelques mois seulement avant son décès survenu le 6 juin 2011, p. S. a vendu les biens immobiliers qu'il possédait en propres à Monaco et qu'à ce titre le notaire lui a adressé deux chèques d'un montant respectif de 178.970 euros et 3.295.758 euros, tandis que l'acquéreur a procédé au virement direct à son profit d'une somme de 1.700.000 euros,

représentant ensemble un total de 5.174.728 euros ;

Qu'il doit être souligné dans les suites du Tribunal, que l'expert relève que les trois sommes déclarées par le notaire n'ont jamais été créditées sur les comptes bancaires ouverts en Principauté, soit la société A, la société B et la société C;

Que dans le même temps, l'analyse des relevés de comptes bancaires notamment celui de la société D lui a permis de découvrir, malgré le manque de coopération avéré de l'appelante, que :

  • - il manquait la somme de 974.443 euros entre le prix de vente (5.174.728 euros) et les fonds virés à la société D (4.200.285,50 euros),

  • - il manquait la documentation d'un compte bancaire de feu p. S. concernant le virement de 3.000.000 euros,

  • - il y avait un compte non divulgué pour les montants de 3.000.000 euros et de 1.700.000 euros ;

Que l'appelante s'abstient de fournir toute explication ou pièce justificative relativement à ces constatations ;

Qu'interrogée par l'expert sur l'existence d'autres comptes à Monaco, elle s'autorise à lui répondre qu'elle « ignore si Monsieur p. S. disposait d'un autre compte non révélé dans le cadre de l'expertise, et ne peut apporter aucun élément de réponse » ;

Que pourtant l'expert souligne pertinemment que son défunt mari a perçu les trois sommes susvisées qui n'apparaissent pour aucune d'entre elles dans la documentation bancaire qui lui a été remise, alors que dans le même temps p. H. veuve S. a bénéficié le 23 février 2011 d'un virement S d'un montant de 3.000.000 euros sur son compte XX ouvert dans les livres de la société D, en provenance de p. S. sans se préoccuper de sa provenance ;

Que les demandes d'explications adressées à l'appelante, relativement au compte bancaire correspondant à l'IBAN XXX n'ont pas permis de le localiser, le courrier de la société A transmis par celle-ci justifiant seulement de ce qu'il n'est pas domicilié dans cet établissement ;

Que si l'expert affirme que p. H. veuve S. possède ou a possédé un autre compte bancaire dans la Principauté avec lequel elle faisait des opérations et qu'elle utilise la somme manquante de 974.443 euros sur d'autres comptes bancaires selon ses besoins, force est de constater que ces suppositions, si elles revêtent un haut degré de probabilité, ne sont étayées par aucun élément objectif, le de cujus ayant également pu librement disposer de cette somme, notamment par voie de donation au profit de tiers ;

Que ces fortes présomptions étant insuffisantes à caractériser l'élément matériel du détournement, le recel poursuivi ne peut être valablement démontré ;

Qu'il s'ensuit que la décision déférée sera également confirmée sur ce point ;

  • Sur la liquidation des astreintes

Attendu qu'il est de jurisprudence établie que l'astreinte provisoire constitue une mesure de contrainte destinée à vaincre la résistance d'une partie dans l'exécution d'une obligation ;

Que le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée, de sa bonne ou mauvaise foi dans son exécution et des difficultés qu'il a pu rencontrer à cette occasion ;

Qu'au cas présent, il est constant que deux ordonnances de difficultés ont été rendues les 23 février 2018 et 27 juin 2018 par le juge en charge du contrôle des expertises, en raison de la non communication de pièces nécessaires à l'expert mandaté, par p. H. veuve S.;

Que la première décision comportait une astreinte de 300 euros par jour de retard passé le 30 mars 2018 ;

Qu'à cet égard, l'appelante fait valoir, sans être démentie par les parties adverses, qu'elle a précisément transmis par dire du 30 mars 2018, les pièces sollicitées par l'expert, s'agissant notamment d'une attestation de la société A, de sorte que les termes de l'ordonnance ont été parfaitement respectés ;

Qu'il s'ensuit que l'exécution volontaire des termes de cette décision, fût-elle particulièrement tardive, a privé d'effet l'astreinte provisoire dont elle se trouvait assortie ;

Que la décision critiquée sera donc confirmée de ce chef ;

Que la seconde décision rendue comportait quant à elle une astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé le délai du 29 juillet 2018 ;

Que prenant connaissance de la pièce à lui transmise le 30 mars 2018, l'expert a sollicité de nouveaux documents que p. H. veuve S. soutient lui avoir communiqué le 1er août 2018, faute d'avoir pu les obtenir de la société D dans le délai imparti ;

Que cependant, nonobstant cette communication partielle, les premiers juges ont retenu à juste titre que l'expert n'a pas obtenu la communication de l'intégralité des documents réclamés, alors qu'elle a versé aux débats le certificat de mariage établi le 7 mai 1998 dans un dire daté du jour du dépôt du rapport ;

Que la carence de p. H. veuve S. touche notamment les éléments bancaires relatifs au compte XXX et au compte bancaire intitulé « Mrs p. M. S. » dont elle refuse de produire les justificatifs ainsi que la prestation compensatoire versée par son premier époux, Monsieur S. sans qu'elle ne justifie, ni même n'allègue de difficultés pouvant être à l'origine du retard apporté à l'exécution et même à l'inexécution de la décision la condamnant à communiquer les documents précités, essentiels à la mission de l'expert ;

Qu'il s'évince de ces éléments que l'appelante n'a pas satisfait à l'ensemble des injonctions de communiquer découlant de la seconde ordonnance de difficultés intervenue, sans pour autant faire état d'aucun obstacle extérieur l'en empêchant ;

Que si l'obligation faite au juge de tenir compte du comportement du débiteur a pour effet de le contraindre à motiver sa décision de façon circonstanciée, la fixation du montant de l'astreinte ressort de son pouvoir souverain ;

Que ce faisant, les premiers juges ont à bon droit retenu :

  • - d'une part, que la liquidation de l'astreinte doit suivre la période du 30 juillet 2018 au 8 février 2019, date de dépôt du rapport d'expertise, soit une période de 193 jours,

  • - d'autre part, que le taux nominal journalier de l'astreinte doit être modéré, nonobstant le comportement récalcitrant de l'appelante, pour tenir compte de l'exécution partielle de l'ordonnance dont s'agit, et réduit en conséquence à 750 euros ;

Qu'enfin, l'astreinte, n'ayant pas vocation à réparer un préjudice mais à assurer l'exécution d'une décision de justice, le moyen opposé à ce titre par l'appelante est sans emport ;

Qu'il s'ensuit que le jugement critiqué sera confirmé s'agissant de la liquidation de cette seconde astreinte provisoire à la somme de 144.750 euros ;

  • Sur les demandes de dommages-intérêts

Attendu que l'exercice des voies de recours est un droit fondamental ;

Que si ce droit n'est pas absolu, il ne peut être sanctionné qu'en cas d'abus, lequel est caractérisé lorsque la procédure ne repose sur aucun élément précis et qu'elle est particulièrement infondée, téméraire ou malveillante ;

Que si le principe des frais irrépétibles est inconnu en droit monégasque, une partie peut néanmoins réclamer des dommages-intérêts si le comportement de son adversaire l'a contrainte à engager des frais ;

Que pour soutenir leur demande à hauteur de 500.000 euros, f. S. et n. S. épouse R. invoquent le préjudice moral et financier qu'elles subissent depuis plusieurs années du fait de la stratégie d'opposition, de rétention d'information et de résistance systématique déployée par p. H. veuve S. pour faire échec à leurs légitimes demandes ;

Qu'il est constant que les intimées ont introduit leur demande suivant exploit d'assignation délivré le 22 décembre 2011, soit depuis plus de 9 ans ;

Qu'après avoir exercé tous les recours qui lui étaient offerts à l'égard du jugement mixte rendu le 11 juillet 2013, ce qui ne peut lui être reproché de manière fautive au regard des enjeux financiers, elle a par contre fait preuve d'une résistance obstinée à la mesure d'expertise ordonnée, refusant de manière persistante de coopérer en toute transparence à la quête documentaire du technicien désigné, justifiant l'intervention à deux reprises du juge chargé du contrôle des expertises et le prononcé d'ordonnances de difficultés auxquelles elle n'a déféré que de manière aussi tardive qu'incomplète, malgré les astreintes prononcées, pour finalement critiquer le travail réalisé par l'expert auquel elle n'a pas loyalement contribué ;

Que cette résistance abusive a nécessairement prolongé les opérations du technicien commis, et par là même la procédure, induisant un préjudice matériel et moral que les premiers juges ont correctement évalué à la somme de 100.000 euros ;

Que la décision sera confirmée sur ce point ;

Attendu que p. H. veuve S. qui succombe en ses prétentions, n'est pas fondée à réclamer l'allocation de dommages-intérêts pour procédure abusive et a été justement déboutée de sa demande par les premiers juges ;

  • Sur la demande de dommages-intérêts pour appel abusif

Attendu que la faculté offerte à tout plaideur d'interjeter appel représente l'exercice d'un droit qui ne dégénère en abus ouvrant droit à réparation que s'il est poursuivi de manière téméraire, malveillante ou dans l'intention de nuire ;

Que l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'un abus ;

Qu'au cas présent, f. S. et n. S.épouse R. invoquent le caractère abusif de l'appel infondé, téméraire et malveillant formé par la partie adverse, relevant qu'elle n'a soumis à la Cour aucun autre élément de fait ou pièces nouvelles de nature à influer sur la solution du litige et n'a pas exécuté le jugement pourtant assorti de l'exécution provisoire, prolongeant inutilement la procédure et leur imposant des frais supplémentaires ;

Que si l'obstination procédurale de p. H. veuve S. est avérée, il n'est pas pour autant démontré qu'elle ait agi dans l'intention de nuire aux intimées en poursuivant en cause d'appel la défense de ses intérêts financiers ;

Que la demande présentée à ce titre ne peut prospérer ;

  • Sur l'exécution provisoire

Attendu que le prononcé de l'exécution provisoire qui n'a fait l'objet d'aucune critique de la part des parties, sera confirmé ;

  • Sur les dépens

Attendu que p. H. veuve S. qui succombe en ses prétentions supportera la charge des dépens d'appel, distraits au profit de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevables les appels principal et incident formés à l'encontre du jugement rendu le 23 janvier 2020 par le Tribunal de première instance,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute f. S. et n. S. épouse R. de leur demande de dommages-intérêts pour appel abusif,

Condamne p. H. veuve S. aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Claire GHERA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 20 AVRIL 202 1, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur général adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

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