Cour d'appel, 20 avril 2021, CHANNEL CROSSINGS LIMITED c/ Monsieur r. T.

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Abstract🔗

Contrat de cession - Clause attributive de juridiction figurant dans le contrat initial - Clause opposable (oui) - Sursis à statuer - Droit international - Clause attributive de juridiction - Opposabilité - Cessionnaire

Résumé🔗

Les règles de compétence judiciaire instaurées par le chapitre II de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, s'articulent de la manière suivante :

- la règle générale, posée par l'article 4, fondé sur la notion de domicile,

- les règles spéciales dérogatoires, prévues par l'article 6, indépendantes de la notion de domicile,

- les clauses conventionnelles de compétence, nationale ou étrangère, instaurées par les articles 8 et 9 suivants.

À cet égard, aucune disposition de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 ne permet à l'une des parties de renoncer au bénéfice de la compétence exclusive des juridictions qu'elle a choisi.

L'article 10 de la même loi prescrit que le Tribunal monégasque qui n'est pas saisi conformément aux règles du chapitre II de la ladite loi relève d'office son incompétence.

La prééminence d'une clause attributive de compétence au profit d'une juridiction étrangère s'induit de cet ensemble normatif et des principes qui le sous-tendent et s'impose par rapport aux autres critères légaux, dès lors que les conditions de son applicabilité se trouvent réunies. Le critère fondé sur le domicile devient de ce fait subsidiaire.

L'exposé des motifs du projet de la loi précitée confirme cette volonté du législateur en précisant que les principes qui en gouvernent l'économie générale sont :

« - le principe de proximité, selon lequel un rapport de droit doit être rattaché à l'ordre juridique avec lequel il présente les liens les plus étroits ; de même un litige doit être soumis aux tribunaux d'un État avec lequel il existe sinon le lien le plus étroit du moins un lien substantiel et enfin l'efficacité d'une décision est subordonnée à l'étroitesse des liens qui la rattachent à l'autorité qui l'a prise,

- l'autonomie de la volonté, qui permet aux parties à un rapport de droit de choisir, dans certaines limites, la loi applicable à ce rapport et le tribunal compétent » ;

Il est également indiqué qu'il « apparaît nécessaire pour l'attractivité du droit monégasque que celui-ci puisse donner pleinement effet aux clauses par lesquelles les parties à un contrat et plus généralement à un rapport de droit, auraient convenu de la juridiction compétente pour connaître de leurs litiges éventuels » ;

Il s'évince de l'ensemble des stipulations du contrat de cession qu'en acquérant la créance, la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED a également succédé aux droits et obligations du cédant, tels que définis au contrat initial. En effet, en sa qualité de cessionnaire, elle a, non seulement repris à son compte la somme d'argent litigieuse, mais également accepté le transfert à son profit des actions en justice déjà introduites par le cédant et recueilli le droit d'entreprendre de nouvelles actions en se substituant au créancier initial. L'appelante ne peut donc se retrancher derrière le principe de l'effet relatif des conventions, auquel les parties ont à l'évidence entendu déroger en faisant prévaloir l'autonomie de leur volonté. La société CHANNEL CROSSINGS LIMITED, qui se substitue ainsi au créancier initial dans ses droits et obligations selon les termes précédemment développés, se trouve liée par la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat de prêt. Si la Cour rejoint l'appelante sur le fait que la cession de créance ne s'accompagne pas de la transmission automatique des obligations nées du contrat de prêt principal, de sorte que le cessionnaire demeure tiers à la clause attributive de compétence qui s'y trouve spécifiée, force est de constater que telle n'a pas été l'intention des parties au cas d'espèce. La clause dont s'agit lui est donc opposable au sens de l'article 8 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017.

Par ailleurs, il n'est pas indifférent de relever, sans que cet élément ne soit à lui seul déterminant, que le contrat de cession de créance, auquel les emprunteurs ne sont pas partie mais qui leur a été notifié, prévoit en son article 10 que « le présent contrat sera régi par, interprété selon à et compris et exécuté conformément aux lois de Roumanie, et toute dispute résultant du ou en relation avec le présent contrat sera solutionné par les tribunaux roumains ». Ces dispositions, si elles ne concernent que les relations entre l'appelante et la banque cédante, confirment néanmoins la volonté des parties d'élaborer cette convention en cohérence avec les modalités convenues au contrat de prêt initial, les juridictions roumaines constituant à l'évidence la juridiction naturelle des parties, s'agissant d'une obligation souscrite en Roumanie auprès d'une banque roumaine par deux ressortissants roumains. Le principe de proximité avec ces juridictions est donc réel et justifié.

Le choix de ces juridictions ne révèle aucun déséquilibre significatif au détriment des consorts T., consommateurs, qui justifierait de déclarer la clause attributive de compétence abusive, alors qu'au demeurant seuls ces derniers pourraient s'en prévaloir.

Pour le surplus, la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED ne peut valablement se prévaloir des dispositions de l'article 9 de la loi n° 1 .448 du 28 juin 2017, en soutenant que la procédure étrangère se révèlerait impossible. Cette notion d'impossibilité doit s'apprécier au sens juridique du terme.

La clause attributive de compétence au profit des juridictions roumaines doit trouver application en l'espèce. La juridiction monégasque ayant été saisie en méconnaissance de cette clause attribuant compétence à une juridiction étrangère, il convient de surseoir à statuer tant que la juridiction désignée n'a pas été saisie ou, après avoir été saisie, n'a pas décliné sa compétence, par application des dispositions de l'article 9 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 20 AVRIL 2021

En la cause de :

- La société de droit chypriote CHANNEL CROSSINGS LIMITED, enregistrée sous le n° 119 416, dont le siège social est sis X1 4000 Limassol (Chypre), poursuites et diligences de ses Directors, Messieurs i. V. et n. N. demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- 1/ Monsieur r. T., né le 10 juillet 1970 à Bacau (Roumanie), de nationalité roumaine, sans profession, demeurant X2 à Monaco ;

2/ Et encore ledit sieur r. T., né le 10 juillet 1970 à Bacau (Roumanie), de nationalité roumaine, sans profession, demeurant à Snagov, X3(Roumanie) ;

DÉFAILLANT,

3/Madame I. i. O. épouse T., née le 23 juillet 1976 à Bucarest (Roumanie), de nationalité roumaine, sans profession, dont la dernière adresse connue est sise X4 06240 Beausoleil ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

4/Madame le Procureur Général près la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, étant en son Parquet, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;

COMPARAISSANT EN PERSONNE,

INTIMÉS,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 25 avril 2019 (R. 4401) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 25 juillet 2019 (enrôlé sous le numéro 2020/000012) ;

Vu l'attestation de réassignation en date du 8 octobre 2019 ;

Vu l'exploit de réassignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 15 octobre 2019 (enrôlé sous le numéro 2020/000044) ;

Vu l'arrêt avant dire droit en date du 29 septembre 2020 ;

Vu les conclusions déposées le 9 décembre 2020 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la société de droit chypriote CHANNEL CROSSINGS LIMITED ;

Vu les conclusions déposées le 11 janvier 2021 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de Madame I. i. O. épouse T.;

À l'audience du 23 février 2021, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties, le ministère public entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société de droit chypriote CHANNEL CROSSINGS LIMITED à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 25 avril 2019.

Considérant les faits suivants :

Par acte sous-seing privé en date du 27 août 2008, la société BRD-GROUPE SOCIÉTÉ GÉNÉRALE SA, société de droit roumain dont le siège social est à Bucarest (Roumanie), a consenti à r. T. et I. i. O. épouse T. un prêt à hauteur de 3.000.000 euros pour une durée de 36 mois, devant être intégralement remboursé à compter du 28 août 2011.

À titre de garantie, le crédit consenti bénéficiait d'une hypothèque prise sur deux terrains détenus par un garant hypothécaire et d'une garantie réelle mobilière sur des sommes d'argent.

Les emprunteurs n'ont procédé à aucun remboursement au titre des sommes dues.

Par acte en date du 15 octobre 2014, la société BRD-GROUPE SOCIÉTÉ GÉNÉRALE SA a cédé sa créance s'élevant à 3.444.408,67 euros, à la société de droit chypriote CHANNEL CROSSINGS LIMITED, détenue par une société offshore, ARVON TRADING LIMITED, localisée aux îles Caïmans.

Aux termes du contrat de cession, le cessionnaire est informé que le prêt consenti aux débiteurs est échu et impayé, que le cédant à entamé des procédures d'exécution contre l'actif des débiteurs à partir du mois d'avril 2012 et qu'ultérieurement le cessionnaire poursuivra les procédures de recouvrement.

L'article 10 de ce document prévoit que le contrat sera régi, interprété et exécuté conformément aux lois de Roumanie et que toute dispute résultant du, ou en relation avec le contrat, sera solutionnée par les tribunaux roumains.

Le 24 octobre 2014, la cession de créance a été notifiée par l'établissement bancaire à r. T. ainsi qu'à I. i. O.

r. T. a reconnu être débiteur à l'égard de la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED.

Les mesures d'exécution forcée poursuivies en Roumanie n'ont pas permis de recouvrer la créance, les immeubles identifiés sur place n'étant pas disponibles en raison de séquestres pénaux prononcés par le Parquet et par l'Agence nationale de l'Administration fiscale, pour de possibles préjudices et créances excédant la somme de 200.000.000 euros, dans le cadre de crédits frauduleux accordés par la BRD.

Dans le contexte d'une séparation entre les époux, le recouvrement de cette créance a fait l'objet de procédures initiées par I. i. O. devant les juridictions civiles roumaines, dont elle a été déboutée le 3 novembre 2014 et le 16 février 2016.

Parallèlement, dans le cadre d'une procédure criminelle diligentée en Roumanie concernant les crédits octroyés par la BRD, r. T. a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire tandis que son épouse également incriminée, a de son côté déposé plainte contre son mari et d'autres, dont la banque, pour fraude, détournement de fonds, abus de pouvoir et blanchiment.

Fin 2015, la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED a intenté une procédure d'ordonnance de paiement devant le Tribunal de Bucarest pour le recouvrement de sa créance, dont elle a été déboutée par jugement rendu le 18 janvier 2016, confirmé par arrêt du 12 décembre 2016, compte tenu des enquêtes pénales en cours.

La même année, la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED a engagé une procédure en référé-provision en France devant le Tribunal de grande instance de Basse-Terre, les époux ayant une résidence sur l'île de Saint Martin.

Par ordonnance rendue le 1er décembre 2015, le juge des référés du Tribunal de Grande instance de Basse Terre (France) a condamné les époux T. à l'exécution de leur obligation contractuelle, décision ensuite infirmée par arrêt de la Cour d'appel de Basse-Terre rendu le 19 juin 2017, en raison des contestations sérieuses liées à la procédure pénale en Roumanie.

Sur requête du 22 décembre 2017, le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Nanterre (France) a autorisé la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED à pratiquer une saisie conservatoire entre les mains de la société ALLIANZ, assureur de la villa des époux T. à Saint-Martin, victime d'un sinistre causé par la tempête Irma.

Par exploit délivré le 12 octobre 2015, la société de droit chypriote CHANNEL CROSSINGS LIMITED a assigné r. T. et I. i. O. épouse T. devant le Tribunal de première instance aux fins d'obtenir leur condamnation conjointe et solidaire au paiement des sommes suivantes :

  • 3.448.408,67 euros, assortie des intérêts au taux légal roumain de 6 % à compter du 24 octobre 2014 et jusqu'au paiement, au titre du remboursement de leur créance de prêt,

  • 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.

En l'état du défaut de comparution de r. T. le Tribunal a ordonné sa réassignation en application de l'article 210 du Code de procédure civile.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 23 février 2017, le Tribunal a constaté la nullité de l'exploit d'assignation délivré le 12 octobre 2015, tout en condamnant la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED aux dépens, distraits au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur.

Statuant sur l'appel interjeté par la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED, la Cour d'appel a, par arrêt rendu le 20 février 2018 :

  • infirmé le jugement rendu le 23 février 2017 par le Tribunal, Statuant à nouveau,

  • rejeté l'exception de nullité de l'exploit d'assignation du 12 octobre 2015 délivré par la société de droit chypriote CHANNEL CROSSINGS LIMITED à r. T. et I. i. O. épouse T.

  • renvoyé les parties devant le Tribunal de première instance,

  • condamné I. i. O. épouse T. aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur.

Par jugement rendu le 25 avril 2019, le Tribunal de première instance a :

  • rejeté des débats la pièce n° 4 produite par Madame T. pour absence de traduction en langue française,

  • déclaré nulles les pièces n° 1 et 2 produites par Madame T. pour non-respect des dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile et les a écartées des débats,

  • dit n'y avoir lieu de procéder à la réassignation de Monsieur T.

  • décliné sa compétence pour connaître du litige, avec toutes conséquences de droit,

  • renvoyé la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED à mieux se pourvoir,

  • débouté les parties pour le surplus,

  • condamné la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED aux dépens, distraits au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

  • ordonné que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Pour statuer ainsi le Tribunal a retenu en substance que :

  • s'agissant de la régularité des pièces, la pièce n° 4 produite par Madame T. n'est pas traduite en langue française, tandis que les pièces n° 1 et 2 ne respectent pas les dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile,

  • s'agissant de la demande de réassignation de r. T. :

  • la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED a démontré que l'exploit d'appel et assignation a été délivré à r. T. à Monaco, où l'acte a été remis en Mairie, mais également en Roumanie à l'adresse qu'il possède à Snagov, comme en témoigne un soit-transmis du 17 octobre 2017,

  • à la demande de la Cour, l'exploit de réassignation a été délivré à l'intéressé en Mairie à Monaco ainsi qu'en Roumanie,

  • la réassignation de r. T. à l'adresse de sa résidence à Snagov (Roumanie) n'est pas nécessaire dès lors qu'il a été valablement attrait en la cause, a eu la possibilité de constituer avocat et d'être présent aux débats,

  • s'agissant de l'exception d'incompétence territoriale du Tribunal de première instance de Monaco : l'ensemble des parties s'accorde sur la domiciliation d'I. i. O. en France, les éléments versés aux débats ne permettent pas de rattacher, tant sur le plan matériel qu'intentionnel, le principal établissement de r. T. à Monaco mais plus sûrement en Roumanie,

  • s'agissant de la demande de dommages-intérêts, la demande est sans objet compte tenu de la solution donnée au présent litige.

Ce jugement a été signifié à la société de droit chypriote CHANNEL CROSSINGS LIMITED le 25 juin 2019.

Par exploit délivré le 25 juillet 2019, la société de droit chypriote CHANNEL CROSSINGS LIMITED a interjeté appel à l'encontre du jugement rendu le 25 avril 2019 par le Tribunal de première instance.

En l'état du défaut de comparution de r. T. à l'audience du 8 octobre 2019, la Cour a ordonné sa réassignation pour l'audience du 26 novembre 2019, à laquelle il a été procédé, à Monaco et en Roumanie, par exploit délivré le 15 octobre 2019.

Aux termes de conclusions déposées le 5 mai 2020, la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED demande à la Cour de :

  • réformer la décision rendue en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a rejeté des débats les pièces adverses n° 1, 2 et 4 et dit n'y avoir lieu de procéder à la réassignation de r. T.

Statuant à nouveau,

  • dire et juger que le Tribunal de première instance de Monaco est territorialement compétent pour connaître du litige,

  • évoquer l'affaire par application de l'article 433 du Code de procédure civile,

  • renvoyer les parties à conclure sur le fond,

  • condamner solidairement r. T. et I. i. O. épouse T. aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :

À titre principal :

  • les premiers juges ont appliqué à tort de manière rétroactive les dispositions du nouveau Code de droit international privé issu de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, notamment ses articles 2 et 4, à l'instance engagée par l'acte introductif d'instance en date du 12 octobre 2015,

  • l'effet immédiat de la loi nouvelle doit être distingué de la rétroactivité, sous peine de porter atteinte au principe essentiel de sécurité juridique,

  • le fait d'appliquer les dispositions du Code de droit international privé entré en vigueur en 2017 à la domiciliation de r. T. lors de l'introduction de l'instance en 2015, revient à faire rétroagir la loi nouvelle,

  • la règle permettant de déterminer le domicile d'une partie ne peut être que celle applicable au jour de l'introduction de l'instance, soit les dispositions de l'article 2 du Code civil et la jurisprudence s'y rapportant,

À titre subsidiaire :

  • si par extraordinaire la Cour considérait les règles du Code de droit international privé comme étant applicables à la présente instance, les juridictions monégasques tirent leur compétence des dispositions de l'article 4 de ce Code,

  • la nécessaire justification par r. T. de son établissement matériel en Principauté pour l'obtention d'une carte de résident, comme la mention de sa domiciliation portée sur son passeport, l'indication portée par les services postaux sur le courrier recommandé non réclamé qui lui a été adressé pour lui transmettre la copie de l'acte introductif d'instance en 2015, ou encore l'acte de dénonciation de saisie qu'il a personnellement signé le 19 février 2018, démontrent à suffisance que ce dernier est domicilié à Monaco, de sorte que la présomption posée par l'article 2 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 doit recevoir pleine et entière application,

  • l'intention de r. T. d'établir son principal établissement en Principauté ressort de ses propres déclarations dans le cadre de la procédure pénale menée contre lui et de la procédure de renouvellement de son passeport, sans que la précision d'une résidence en Roumanie n'emporte le moindre effet.

Elle soutient enfin la nécessaire évocation de l'affaire par la Cour compte tenu de l'ancienneté du litige. Par écritures en réponse déposées le 21 janvier 2020, I. i. O. a demandé à la Cour, de :

À titre principal,

  • confirmer la jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a déclaré nulles les pièces n° 1 et 2 et les a écartées des débats,

  • débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

  • la renvoyer à mieux se pourvoir.

À titre subsidiaire, si la Cour devait par extraordinaire infirmer le jugement entrepris,

  • renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de première instance pour conclusions au fond,

En tout état de cause, condamner l'appelante aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur.

Elle soutient essentiellement que :

  • la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, si elle ne contient pas de dispositions transitoires, n'en demeure pas moins d'application immédiate aux instances en cours,

  • les lois de procédure, et plus précisément de compétence, en s'appliquant immédiatement dans le silence des textes, purgent l'incompétence d'un tribunal qui n'avait pas rendu de décision au fond avant la loi nouvelle et qui devient dès lors compétent,

  • le principe de non rétroactivité des lois ne fait pas obstacle à l'application immédiate aux instances en cours de toute loi nouvelle relative à la procédure,

  • à supposer la loi antérieure applicable, la simple obtention d'une carte de résident n'est pas de nature à démontrer la réalité d'un domicile en Principauté au regard de la jurisprudence constante fondée sur les dispositions des articles 78 du Code civil et 2 du Code de procédure civile,

  • la juridiction monégasque n'est pas compétente pour connaître du présent litige au regard des articles 3 à 5 du Code de droit international privé, aucun des défendeurs ne se trouvant domicilié sur le territoire de la Principauté au sens de ces disposions,

  • sa domiciliation en France n'est pas contestée, tandis que r. T. de nationalité roumaine, se trouvait quant à lui domicilié en Roumanie à la date de délivrance de l'assignation et de la réassignation, ce que l'appelante ne pouvait ignorer tenant les instances en cours dans ce pays,

  • la carte de résident dont il disposait à cette époque constitue une présomption simple de domiciliation en Principauté, la compétence de la juridiction s'appréciant au jour de l'introduction de l'instance, les changements survenus ultérieurement demeurent indifférents,

  • la compétence des juridictions monégasques ne peut davantage être fondée sur les dispositions de l'article 6 du Code de droit international privé eu égard à l'objet du litige, s'agissant de l'exécution d'une obligation née à l'étranger, au profit d'une société étrangère, à l'égard de deux personnes physiques de nationalité étrangère, sans aucun critère de rattachement avec Monaco,

  • le fait d'attraire les défendeurs devant les juridictions de céans ne présente aucun intérêt, alors que le litige est soumis à la loi roumaine, loi nationale des parties, et que la décision à intervenir ne pourrait être exécutée à l'encontre de ressortissants roumains qui n'ont ni leur domicile ni d'actifs susceptibles d'exécution forcée en Principauté,

  • l'appelante ne démontre ni l'élément matériel ni l'élément intentionnel permettant de caractériser l'existence d'un domicile de r. T. à Monaco au moment de l'introduction de l'instance.

Elle sollicite, en cas d'infirmation du jugement entrepris, le renvoi de l'affaire devant les premiers juges dans un souci de bonne administration de la justice, refusant d'être privée d'un double degré de juridiction.

Par écritures déposées le 29 juin 2020, le Ministère public a conclu en ces termes :

« Requiert de la Chambre du conseil qu'elle :

  • déclare l'appel de la société de droit chypriote CHANNEL CROSSINGS LIMITED recevable,

  • confirme le jugement rendu le 25 avril 2019 ».

Il considère d'une part que l'appel est recevable pour avoir été formé régulièrement dans les délais légaux, d'autre part que le Tribunal de première instance a fait une exacte application des dispositions de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 et une parfaite interprétation des éléments, sur le fondement desquels il a pu juger que la juridiction monégasque n'est pas compétente.

Par arrêt avant dire droit rendu le 29 septembre 2020, la Cour de céans a :

  • déclaré les appels recevables,

  • ordonné la réouverture des débats,

  • invité les parties à conclure sur l'incidence de la clause attributive de compétence sur la compétence territoriale des juridictions monégasques,

  • renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 13 octobre 2020 pour voir instaurer un calendrier de procédure,

  • réservé les droits des parties et les dépens.

Pour statuer ainsi, la Cour a retenu en substance que :

  • si la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé est entrée en vigueur le 8 juillet 2017, soit postérieurement à la délivrance de l'assignation le 12 octobre 2015, cette loi nouvelle qui est d'application immédiate en l'absence de dispositions transitoires, a vocation à s'appliquer aux instances en cours,

  • la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED fonde la compétence des juridictions monégasques sur la domiciliation de r. T. à Monaco au moment de l'introduction de l'instance, alors que le contrat de prêt souscrit le 27 août 2008 et le contrat de cession de créance établi le 15 octobre 2014 contiennent une clause attributive de compétence exclusive au profit des juridictions roumaines,

  • aucune disposition de la loi nouvelle ne permet à l'une des parties de renoncer au bénéfice de la compétence exclusive des juridictions qu'elle a choisi,

  • l'article 10 de la même loi prescrit que le Tribunal monégasque qui n'est pas régulièrement saisi doit relever d'office son incompétence,

  • les dispositions contractuelles précitées sont de nature à influer sur la compétence des juridictions monégasques.

Par écritures déposées le 9 décembre 2020, la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED demande à nouveau à la Cour de :

  • réformer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté des débats les pièces adverses n° 1, 2 et 4 et dit n'y avoir lieu de procéder à la réassignation de r. T.

Et statuant à nouveau,

  • dire et juger que les juridictions monégasques sont territorialement compétentes pour connaître du litige,

  • évoquer l'affaire par application des dispositions de l'article 433 du Code de procédure civile,

  • renvoyer les parties à conclure au fond,

  • condamner solidairement r. T. et I. i. O. épouse T. aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

  • il est démontré, tant sur le plan matériel qu'intentionnel, que r. T. est domicilié en Principauté de sorte que les tribunaux monégasques sont compétents pour connaître du présent litige sur le fondement de l'article 4 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017,

  • les clause attributives de compétence ne sauraient faire échec à la compétence des tribunaux monégasques par application du principe de l'effet relatif des contrats posé par l'article 1280 du Code civil roumain,

  • en l'absence de transmission automatique des obligations nées du contrat de prêt principal lors de la cession de la créance, le cessionnaire demeure tiers à la clause attributive de compétence qui s'y trouve spécifiée, à l'égard de laquelle il n'a pas expressément consenti et qui n'est pas considérée comme une obligation étroitement liée au droit transmis par la loi roumaine,

  • l'acte de cession de créance ne régit quant à lui que les relations entre la banque BRD et elle-même, laissant les époux T. tiers au contrat, même après que celui-ci leur a été notifié,

  • la clause attributive de juridiction insérée dans un contrat conclu entre un établissement de crédit et des emprunteurs particuliers revêt, selon la jurisprudence, un caractère abusif, l'empêchant en tout état de cause de trouver application,

  • elle ne saurait se voir opposer la clause attributive de juridiction au regard des dispositions de l'article 8 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017.

Si par extraordinaire la juridiction retenait malgré tout la clause attributive de compétence aux juridictions roumaines, elle soutient que les juridictions monégasques sont néanmoins compétentes pour connaître de la présente affaire par application de l'article 9 de la loi précitée, la procédure étrangère se révélant impossible.

Elle rappelle que son action a pour but d'obtenir la condamnation des époux T. au paiement du principal et des intérêts de retard découlant du contrat de prêt qu'ils ont souscrit en 2008 et prétend que l'acte de crédit bancaire constituant un titre exécutoire selon la loi roumaine, elle n'est pas recevable à saisir la justice de ce pays d'une demande de condamnation du débiteur à l'égard duquel elle dispose déjà d'un tel titre exécutoire.

Elle affirme que les mesures d'exécution forcée poursuivies sur les biens détenus par les consorts T. en Roumanie ne lui ont pas permis de recouvrer sa créance et que ceux-ci n'ont jamais procédé au moindre versement à l'égard de la banque BRD comme à son profit.

Elle précise que la procédure spéciale accélérée de référé-provision dont elle a été déboutée en Roumanie ne constitue pas une procédure au fond.

Elle ajoute enfin que le Tribunal ne se trouve pas nommément désigné dans la clause attributive de juridiction, rendant la procédure étrangère impossible au sens des dispositions de l'article 9 de la loi susvisée.

Par écritures en réponse en date du 11 janvier 2021, I. O. demande de nouveau à la Cour de :

À titre principal :

  • confirmer en toutes ses dispositions le jugement querellé, sauf en ce qu'il a déclaré nulles les pièces n° 1 et 2 et les a écartées des débats,

  • débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

  • la renvoyer à mieux se pourvoir,

À titre subsidiaire, si la Cour devait par extraordinaire infirmer le jugement entrepris,

  • renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de première instance pour conclusions au fond,

  • condamner l'appelante aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Patricia REY, avocat- défenseur, sous sa due affirmation.

S'agissant de la domiciliation, elle objecte que :

  • les articles 4 et 5 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 ne permettent pas de fonder la compétence du juge monégasque alors qu'à la date de l'assignation son domicile est fixé en France et celui de r. T. en Roumanie,

  • l'article 6 de la loi n'a pas lieu de s'appliquer dans la présente affaire s'agissant de l'exécution d'une obligation née à l'étranger (en Roumanie), au profit d'une société étrangère (chypriote), à l'égard de deux particuliers de nationalité étrangère (roumaine),

  • le domicile est le lieu où une personne a son principal établissement en vertu des dispositions de l'article 78 du Code civil,

  • la présomption simple de domiciliation liée à la détention d'un titre de séjour posée par l'article 2 de la loi précitée n'est ni déterminante ni significative dans la fixation du lieu du principal établissement de r. T. à Monaco, où il n'a aucun intérêt personnel ou professionnel.

Concernant la clause attributive de compétence, elle soutient que :

  • les stipulations contractuelles qui consacrent la compétence exclusive des juridictions roumaines font échec à la compétence des juridictions monégasques au regard des dispositions de l'article 9 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017,

  • l'effet relatif des accords prévu par l'article 1280 du Code civil roumain est inopérant dès lors que l'acte de cession de créance reprend à son compte l'ensemble des dispositions encadrant la relation contractuelle initiale et notamment le contrat de prêt,

  • la clause discutée constitue un accessoire de la créance cédée et le débiteur doit pouvoir opposer au cessionnaire tous les moyens de défense dont il disposait à l'égard du cédant, tel que prévu par l'article 1582 du Code civil roumain,

  • il appartient aux seules juridictions roumaines de se prononcer sur l'applicabilité de la clause attributive de compétence prévue dans le contrat de prêt et reprise dans le contrat de cession,

  • les conventions doivent être soumises à un régime juridique unique s'agissant d'un ensemble voulu par les parties comme indivisible et cohérent, quand bien même les conventions n'ont pas été conclues par les mêmes parties,

  • les dispositions contractuelles attributives de compétence au profit des juridictions roumaines, auxquelles les parties ont entendu se soumettre, imposent à tout le moins de surseoir à statuer, par application combinée des articles 9 et 10 de la loi du 28 juin 2017 susmentionnée,

  • la compétence dérogatoire de la juridiction monégasque induite par l'impossibilité de saisine du juge étranger n'est pas démontrée au cas présent alors que d'une part, l'appelante a introduit une procédure en Roumanie aux fins de paiement d'une provision par les défendeurs, que d'autre part le contrat de prêt qui constitue un titre exécutoire pour l'établissement bancaire n'a pas de caractère exécutoire au profit du cessionnaire, qu'enfin la créance détenue par l'appelante n'est pas exigible tant qu'elle n'a pas été constatée par un tribunal roumain,

  • l'influence de la procédure pénale pendante en Roumanie sur la présente instance justifie encore de sursoir à statuer dans l'intérêt manifeste d'une bonne administration de la justice.

En cas d'infirmation du jugement entrepris, elle soutient sa demande de renvoi de la cause devant les premiers juges, pour ne pas être privée d'un double degré de juridiction.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que poursuivant l'analyse à laquelle elle s'est livrée dans son arrêt avant dire droit, la Cour observe que les règles de compétence judiciaire instaurées par le chapitre II de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, s'articulent de la manière suivante :

  • la règle générale, posée par l'article 4, fondé sur la notion de domicile,

  • les règles spéciales dérogatoires, prévues par l'article 6, indépendantes de la notion de domicile,

  • les clauses conventionnelles de compétence, nationale ou étrangère, instaurées par les articles 8 et 9 suivants ;

Qu'à cet égard, aucune disposition de la loi nouvelle ne permet à l'une des parties de renoncer au bénéfice de la compétence exclusive des juridictions qu'elle a choisi ;

Que l'article 10 de la même loi prescrit que le Tribunal monégasque qui n'est pas saisi conformément aux règles du présent chapitre relève d'office son incompétence ;

Que la prééminence d'une clause attributive de compétence au profit d'une juridiction étrangère s'induit de cet ensemble normatif et des principes qui le sous-tendent et s'impose par rapport aux autres critères légaux, dès lors que les conditions de son applicabilité se trouvent réunies ;

Que le critère fondé sur le domicile devient de ce fait subsidiaire ;

Que l'exposé des motifs du projet de la loi précitée confirme cette volonté du législateur en précisant que les principes qui en gouvernent l'économie générale sont :

« - le principe de proximité, selon lequel un rapport de droit doit être rattaché à l'ordre juridique avec lequel il présente les liens les plus étroits ; de même un litige doit être soumis aux tribunaux d'un Etat avec lequel il existe sinon le lien le plus étroit du moins un lien substantiel et enfin l'efficacité d'une décision est subordonnée à l'étroitesse des liens qui la rattachent à l'autorité qui l'a prise,

  • l'autonomie de la volonté, qui permet aux parties à un rapport de droit de choisir, dans certaines limites, la loi applicable à ce rapport et le tribunal compétent » :

Qu'il est également indiqué qu'il « apparaît nécessaire pour l'attractivité du droit monégasque que celui-ci puisse donner pleinement effet aux clauses par lesquelles les parties à un contrat et plus généralement à un rapport de droit, auraient convenu de la juridiction compétente pour connaître de leurs litiges éventuels » ;

Attendu qu'en l'espèce, le contrat de prêt souscrit le 27 août 2008 entre la société BRD-GROUPE SOCIÉTÉ GÉNÉRALE SA, société de droit roumain dont le siège social est à Bucarest (Roumanie), d'une part, r. T. et I. i. O. épouse T. d'autre part, comporte, dans ses conditions particulières, les dispositions suivantes :

  • « 17.1 Le présent contrat est régi par la législation roumaine (...) »,

  • « 17.2 Les litiges concernant l'interprétation et l'exécution du présent contrat, ainsi que les demandes ayant pour objet son revêtement de la formule exécutoire, sont solutionnées par le tribunal compétent dans la région où le siège du groupe de la banque est situé, comme indiqué dans le présent contrat » ;

Que si la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED n'est pas partie à ce premier contrat, il ressort toutefois du contrat de cession de créance établi le 15 octobre 2014 à Bucarest (Roumanie) entre elle-même et la société BRD-GROUPE SOCIÉTÉ GÉNÉRALE SA que la cession ne porte pas seulement sur la somme d'argent qui en est l'objet ;

Qu'en effet, les parties ont convenu à titre liminaire de la définition et de l'interprétation à donner aux différents termes de leur contrat, aux termes duquel elles ont défini le périmètre de la « créance », qu'elles ont formellement distingué de la « somme impayée » ;

Qu'à cet égard, selon la traduction produite aux débats, la Créance « signifie la somme impayées et tous droits, titres, avantages, revenu, garantie et garanties réelles mobilières afférents, présents et futurs (y compris l'hypothèque mobilière constituée en vertu du Contrat d'Hypothèque et le Contrat de Garantie Réelle Immobilière) résultant du Contrat Relevant et relatif au Cédant, incluant aussi : toutes les prétentions, actions en justice causes d'actions, et tout autre droit du Cédant, soit connu ou inconnu contre les Débiteurs ou l'un de ses agents ou représentants, y compris toutes les prétentions (contractuelles ou délictuelles) résultant de ou en relation avec le Contrat Relevant, dans la mesure où celles-ci peuvent être ou sont autorisées à être cédées » ;

Que la notion de « Contrat Relevant » se réfère au contrat de prêt initial ;

Qu'il est également spécifié au point (a) de la page 5 du contrat que « toute référence à une partie ou à une personne va inclure les successeurs, les Cessionnaires approuvés ou les bénéficiaires d'un transfert de la partie ou la personne en cause » ;

Qu'il est encore mentionné en page 6, au point 2.3 (b) que « le Cessionnaire devient propriétaire de la Créance et le créancier/la garantie sur le Contrat Relevant, ayant le droit d'» entreprendre toute action juridique que celui-ci considère adéquate en vue de récupérer toute somme due par le Débiteurs en relation avec la Créance (y compris de remplacer le Cédant dans les procédures d'exécution en cours) « ;

Qu'il est d'ailleurs indiqué en page 9 aux points (c) et (d) que le cessionnaire est pleinement informé des mesures d'exécution entreprises par le Cédant contre les actifs des débiteurs, qu'il va remplacer dans les procédures en cours à partir de la date de cession ;

Qu'il s'évince de l'ensemble de ces dispositions qu'en acquérant la créance, la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED a également succédé aux droits et obligations du cédant, tels que définis au contrat initial ;

Qu'en effet, en sa qualité de cessionnaire, elle a, non seulement repris à son compte la somme d'argent litigieuse, mais également accepté le transfert à son profit des actions en justice déjà introduites par le cédant et recueilli le droit d'entreprendre de nouvelles actions en se substituant au créancier initial ;

Que l'exercice de ces actions, présentes et à venir, implique naturellement le respect des modalités prévues par le contrat de prêt relativement à la loi applicable et à la juridiction compétente pour en connaître, dont l'appelante avait parfaitement connaissance ;

Que celle-ci ne peut donc se retrancher derrière le principe de l'effet relatif des conventions, auquel les parties ont à l'évidence entendu déroger en faisant prévaloir l'autonomie de leur volonté ;

Que la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED, qui se substitue ainsi au créancier initial dans ses droits et obligations selon les termes précédemment développés, se trouve liée par la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat de prêt ;

Que si la Cour rejoint l'appelante sur le fait que la cession de créance ne s'accompagne pas de la transmission automatique des obligations nées du contrat de prêt principal, de sorte que le cessionnaire demeure tiers à la clause attributive de compétence qui s'y trouve spécifiée, force est de constater que telle n'a pas été l'intention des parties au cas d'espèce ;

Que la clause dont s'agit lui est donc opposable au sens de l'article 8 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 ;

Que certes, cette analyse diffère de l'avis de droit exprimé le 9 mai 2018 par Maître Letitia SILAGHI, avocate roumaine à la demande de l'appelante ;

Que toutefois, la Cour relève que cette étude porte de manière théorique » sur l'applicabilité en droit roumain d'une clause attributive de compétence stipulée dans un contrat de crédit conclu avec une institution bancaire, dans l'hypothèse d'une cession de créance à un tiers «, sans révéler l'examen in concreto des contrats liant les parties ;

Que par ailleurs, il n'est pas indifférent de relever, sans que cet élément ne soit à lui seul déterminant, que le contrat de cession de créance, auquel les emprunteurs ne sont pas parties mais qui leur a été notifié, prévoit en son article 10 que » le présent contrat sera régi par, interprété selon à et compris et exécuté conformément aux lois de Roumanie, et toute dispute résultant du ou en relation avec le présent contrat sera solutionné par les tribunaux roumains « ;

Que ces dispositions, si elles ne concernent que les relations entre l'appelante et la banque cédante, confirment néanmoins la volonté des parties d'élaborer cette convention en cohérence avec les modalités convenues au contrat de prêt initial, les juridictions roumaines constituant à l'évidence la juridiction naturelle des parties, s'agissant d'une obligation souscrite en Roumanie auprès d'une banque roumaine par deux ressortissants roumains ;

Que le principe de proximité avec ces juridictions est donc réel et justifié ;

Que par ailleurs, le choix de ces juridictions ne révèle aucun déséquilibre significatif au détriment des consorts T. consommateurs, qui justifierait de déclarer la clause attributive de compétence abusive, alors qu'au demeurant seuls ces derniers pourraient s'en prévaloir ;

Que pour le surplus, la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED ne peut valablement se prévaloir des dispositions de l'article 9 de la loi n° 1 .448 du 28 juin 2017, en soutenant que la procédure étrangère se révèlerait impossible ;

Que cette notion d'impossibilité doit s'apprécier au sens juridique du terme ;

Que la procédure étrangère s'entend au cas d'espèce de la procédure susceptible d'être suivie en Roumanie ;

Qu'à cet égard, quand bien même l'appelante soutient qu'elle serait » en principe irrecevable à saisir les juridictions roumaines du fond du litige « sous prétexte que l'acte de prêt bancaire constitue un titre exécutoire selon le droit roumain, cette situation ne caractériserait pas pour autant une impossibilité, mais une inutilité, d'engager une telle procédure ;

Qu'en effet, il ressort de la motivation de l'arrêt civil rendu le 16 février 2016 par le Tribunal d'Ilfov que » dans l'opinion du tribunal, le contrat de crédit a préservé son caractère exécutoire également après la cession de créance, compte tenu du fait qu'elle est prise par le cessionnaire avec toutes ses garanties et accessoires « ;

Que sur ce point, la Cour relève que l'analyse retenue par la juridiction vient contredire formellement l'avis de droit énoncé le 14 octobre 2015 par le Cabinet d'avocats SCA HASOTTI MÎNERAN NISTOR et les ASSOCIES à la demande de I. i. O. ;

Que l'appelante reconnaît d'ailleurs avoir tenté » en vertu de son titre « des mesures d'exécution forcée sur les biens détenus par les époux T. en Roumanie ;

Que ces tentatives demeurées infructueuses ne démontrent pas davantage l'impossibilité de suivre une procédure à l'étranger, au sens juridique du terme ;

Que bien plus, la nécessité dont elle fait état dans sa requête en injonction de payer suivie devant la juridiction roumaine, de » présenter un titre exécutoire – une décision judiciaire – étant donné que le contrat de crédit représente un titre exécutoire seulement en Roumanie « pour poursuivre les débiteurs »  devant d'autres juridictions «, implique qu'elle présente une demande en ce sens dans ce pays ;

Qu'elle ne justifie pourtant d'aucune démarche en ce sens ni de l'impossibilité d'y procéder au regard du corpus législatif roumain ;

Qu' au regard de cette abstention, il n'est pas indifférent de relever que la demande de provision présentée par l'appelante a été rejetée le 18 janvier 2016 par le Tribunal de Bucarest au motif que » le caractère certain, liquide et exigible de la créance du créditeur est douteux «, dans un contexte d'enquête pénale suivie notamment contre r. T. concernant les modalités d'octroi du crédit et la conclusion du contrat de cession de créance entre la BRD et la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED, dont I. i. O. suspecte qu'elle constitue un simple écran destiné à cacher les agissements de son ex-mari ;

Que d'ailleurs, suivant ordonnance rendue le 18 mars 2015, le » Procureur au Parquet près la Haute cour de cassation et de justice « de Roumanie a ordonné la remise par la banque BRD de la copie certifiée conforme à l'original du contrat de cession dans son intégralité et des documents y afférents ;

Que si la demande de paiement provisionnel soumise au Tribunal de Bucarest a été rejetée comme infondée, la juridiction a relevé dans le même temps que » le rapport juridique litigieux entre les parties ne peut pas être solutionné par cette procédure « ;

Qu'il ressort encore des écritures adressées le 24 mai 2017 par l'avocat roumain de I. i. O. à la Cour d'appel de BASSE-TERRE dans le cadre du litige opposant les parties devant cette juridiction, que » selon l'article 1021 paragraphe 3 (du Nouveau Code de procédure civile roumain), en cas de rejet définitif de l'ordonnance en paiement, le demandeur peut agir sur le fondement d'une action de droit commun « ;

Que nonobstant le caractère définitif, non contesté par les parties, de l'ordonnance de paiement rendue le 18 janvier 2016 par le Tribunal de Bucarest, la société CHANNEL CROSSINGS LIMITED ne justifie pas avoir introduit de nouvelle procédure depuis cette date en Roumanie, qui aurait été déclarée irrecevable ;

Que le moyen opposé à ce titre se révèle donc inopérant ;

Que pour le surplus, la désignation de la juridiction compétente est suffisamment explicite, s'agissant » du Tribunal compétent dans la région où le siège du groupe de la banque est situé, comme indiqué dans le présent contrat «, soit la section civile du Tribunal de Bucarest, devant lequel l'appelante a d'ailleurs engagé dès 2016 la procédure spéciale accélérée s'apparentant à une procédure de » référé-provision " ci-dessus évoquée ;

Qu'il s'évince de l'ensemble de ces éléments que la clause attributive de compétence au profit des juridictions roumaines doit trouver application en l'espèce ;

Que la juridiction monégasque ayant été saisie en méconnaissance de cette clause attribuant compétence à une juridiction étrangère, il convient de surseoir à statuer tant que la juridiction désignée n'a pas été saisie ou, après avoir été saisie, n'a pas décliné sa compétence, par application des dispositions de l'article 9 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 ;

Que la décision entreprise sera réformée en ce sens, étant encore relevé que les premiers juges ne pouvaient valablement se prononcer sur la validité des pièces critiquées avant même de se prononcer sur la compétence de la juridiction pour connaître du litige ;

Qu'en l'état de la mesure de sursis prononcée, il sera réservé à statuer sur l'ensemble des demandes présentées en ce compris les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire,

Infirme le jugement rendu le 25 avril 2019 en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau,

Dit que la clause attributive de compétence au profit des juridictions roumaines doit recevoir application,

Prononce le sursis à statuer tant que la juridiction désignée n'a pas été saisie ou, après avoir été saisie, n'a pas décliné sa compétence,

Réserve dans cette attente les droits des parties et les dépens.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Claire GHERA, Conseiller, Madame Catherine LEVY, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 20 AVRIL 202 1, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice- Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur général adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

Bien vouloir cocher, Merci

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