Cour d'appel, 20 avril 2021, Madame c. B. c/ Monsieur j. K et l'établissement public de droit monégasque A

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Abstract🔗

Responsabilité médicale - Hystérectomie - Complications urologiques - Responsabilité du médecin - Lien avec l'intervention chirurgicale (oui) - Accident médical non fautif - Manquement à l'obligation d'information - Nature du préjudice - Perte de chance - Preuve rapportée (non) 

Résumé🔗

L'appelante a subi une hystérectomie réalisée par l'intimé. Souffrant de douleurs physiques et de troubles psychologiques, elle invoque sa responsabilité médicale. S'agissant d'un praticien exerçant au sein de l'établissement public de droit monégasque A, conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi n° 983 du 26 mai 1976, en qualité d'agent public, sa responsabilité personnelle ne peut être engagée envers les tiers ou l'administration qu'en raison de sa faute personnelle. Cette faute est définie par l'article 3 de la même loi comme celle dépourvue de tout lien avec le service ou celle qui, non dépourvue de tout lien avec le service, se détache de celui-ci en raison de son anormale gravité, de l'intention de nuire ou de l'intérêt personnel dont elle procède. Or, en l'espèce, si les experts judiciaires ont retenu que les complications urologiques dont la patiente a été victime sont directement imputables à l'hystérectomie réalisée, complications rares mais classiques, ils ont qualifié de non fautif cet accident médical. Ainsi, en l'absence de preuve de l'existence d'une faute médicale dans la prise en charge de la patiente, tant dans le cadre de l'intervention chirurgicale pratiquée qu'à l'occasion du suivi postopératoire, la responsabilité du praticien ne saurait être retenue à ce titre.

Par contre, s'agissant de l'obligation d'informer le patient et de recueillir son consentement éclairé préalablement à toute intervention chirurgicale, le médecin ne rapporte pas la preuve qu'il a satisfait à cette obligation en l'absence dans le dossier médical de formulaire de consentement éclairé sur les différentes options chirurgicales et sur leurs risques signé par la patiente. Faute non détachable du service, elle permet de mettre en cause la responsabilité de l'établissement public de droit monégasque A. Quant au préjudice, le manquement au devoir d'information est susceptible de générer pour le patient une perte de chance de décider s'il va subir ou non l'intervention ou en retarder la réalisation. Cette perte de chance ne s'appréciant pas au regard de la nature des dommages subis mais au regard du lien causal, il doit être tenu compte de l'utilité de l'intervention à l'origine du dommage physique en évaluant ce qu'aurait représenté pour la patiente la survenance de l'éventualité favorable ayant selon elle disparu du fait du défaut d'information imputable au praticien. Or, l'analyse des experts permet d'affirmer qu'elle ne pouvait, sur un plan médical, se soustraire à l'hystérectomie pratiquée. Dès lors, en l'absence de preuve qu'une autre méthode opératoire aurait eu une issue différente, la patiente n'a subi aucune perte de chance d'éviter une intervention qui apparaissait inéluctable et ne pouvait être retardée. Il convient donc de confirmer le rejet des demandes d'indemnisation à ce titre.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 20 AVRIL 2021

En la cause de :

  • - Madame c. B., née le jma à Nantes, de nationalité française, sans emploi, demeurant X1 Les Coteaux du Blanzacats (16250) ;

Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n°X, par décision du Bureau du 29 mars 2017

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • 1) - Monsieur j. K, chirurgien obstétricien, chef adjoint du service gynécologie et obstétrique de l'établissement public de droit monégasque A, demeurant en cette qualité X2 à Monaco ;

  • 2) - L'établissement public de droit monégasque A, sis X2 à Monaco, pris en la personne de son Président du Conseil d'administration, Monsieur a. G. y domicilié ès-qualités ;

Ayant tous deux élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Sophie CHAS, avocat au barreau de Nice ;

INTIMÉS,

EN PRÉSENCE DE :

  • 1) - Madame le Procureur général près la Cour d'appel de Monaco, séant en ses bureaux en son Parquet général, Palais de justice, rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;

  • 2) - L'établissement public de droit monégasque B, dont le siège social est sis X3 à Monaco, dûment représenté par son Directeur en exercice, Monsieur j. j C. demeurant en cette qualité audit siège ;

INTERVENANTE VOLONTAIRE,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 20 février 2020 (R.2854) ;

Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 9 avril 2020 (enrôlé sous le numéro 2020/000115) ;

Vu les conclusions déposées les 21 septembre 2020, 23 novembre 2020 et 18 janvier 2021 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de j. K et de l'établissement public de droit monégasque A ;

Vu les conclusions déposées le 1er décembre 2020 par Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur, au nom de c. B.;

Vu les conclusions du ministère public déposées le 16 mars 2021 ;

À l'audience du 23 mars 2021, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties, le ministère public entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel parte in qua relevé par c. B. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 20 février 2020.

Considérant les faits suivants :

À la suite d'un accident vasculaire cérébral survenu le 11 novembre 2015, c. B. a, suivant l'avis de son gynécologue et son neurologue, consulté le docteur j. K chef adjoint du service de gynécologie et obstétrique de l'établissement public de droit monégasque A après avoir découvert qu'elle présentait un utérus augmenté de volume avec de l'adénomyose et des ménométrorragies avant de subir le 4 janvier 2017 une hystérectomie inter-annexielle et une salpingectomie bilatérale par voie vaginale réalisées par le docteur K à l'établissement public de droit monégasque A.

Dès le 7 janvier 2017, à sa sortie de l'établissement public de droit monégasque A, elle ressentait de fortes douleurs au rein gauche, tout en éprouvant une gêne pour uriner et des douleurs vésicales la contraignant à retourner à l'établissement public de droit monégasque A le 16 janvier 2017.

Il était alors diagnostiqué un dysfonctionnement du rein gauche, outre des brûlures vésicales et de fortes fièvres nécessitant son hospitalisation immédiate jusqu'au 18 janvier 2017 suivie d'un nouveau retour aux urgences de l'établissement public de droit monégasque A le 20 janvier 2017 préconisé par son gynécologue.

Le docteur K. urologue à l'établissement public de droit monégasque A constatait que c. B. présentait une duplication urétérale bilatérale et objectivait également une fistule urétéro-vaginale outre une brèche vésicale rétro-trigonale gauche ayant provoqué une fistule vésico-vaginale par section d'un des deux uretères gauches.

c. B. subissait en urgence le 21 janvier 2017 une nouvelle intervention chirurgicale avec la pose d'une première sonde vésicale externe et d'une seconde sonde vésicale interne à l'effet de relier les deux morceaux de l'uretère sectionné.

Souffrant de douleurs physiques et de troubles psychologiques, c. B. a par la suite fait assigner devant le Tribunal de première instance par exploit du 2 août 2017, l'établissement public de droit monégasque A et le docteur j. K à l'effet de voir retenir leur responsabilité médicale et désigner un médecin expert.

Devant cette juridiction, l'établissement public de droit monégasque A ne s'opposait pas à la mesure d'expertise avec certains chefs de mission complétés, tandis que le docteur K demandait sa mise hors de cause.

Le Procureur général sollicitait quant à lui également la désignation d'un expert médical tout en qualifiant de prématurée la demande de mise hors de cause du docteur K

Aux termes d'un jugement avant-dire-droit du 15 février 2018, le Tribunal de première instance a :

« - rejeté en l'état la demande de mise hors de cause du docteur j. K;

- ordonné une mesure d'expertise judiciaire aux frais avancés de c. B.;

- désigné en qualité d'experts le docteur Aubert A-F. gynécologue-obstétricien, et le docteur Gilles K. urologue, exerçant tous les deux à Marseille ; »

Suivant ordonnance du 2 octobre 2018, le juge chargé du contrôle des expertises ordonnait le remplacement de ces deux médecins experts par les docteurs D. gynécologue-obstétricien, et B. urologue, tous deux pratiquant à Bordeaux, lesquels ont déposé leur rapport le 28 décembre 2018 concluant que Madame B. avait été victime de complications urologiques survenues au décours d'une hystérectomie par ailleurs nécessaire, expliquant qu'il s'agissait de complications connues mais rares, directement et certainement liées à l'hystérectomie et qualifiant de non fautif cet accident médical n'ayant laissé subsister aucune séquelle permanente à la date de la consolidation.

L'établissement public de droit monégasque B est intervenue volontairement.

Suivant jugement par la suite rendu le 20 février 2020, le Tribunal de première instance a :

« - Homologué les conclusions du Professeur D. et du Professeur B. déposées le 28 novembre 2018, avec toutes conséquences de droit ;

- reçu l'établissement public de droit monégasque B en son intervention volontaire ;

- dit que le docteur j. K a manqué à son devoir d'information envers c. B.;

- déclaré l'établissement public de droit monégasque A tenu de réparer les conséquences dommageables de la faute de service liée au défaut d'information de la patiente ;

- débouté c. B. de ses demandes en réparation non fondées sur une perte de chance ;

- débouté l'établissement public de droit monégasque B de sa demande au titre des dépenses de santé ;

- débouté c. B. du surplus de ses prétentions ;

- condamné c. B. aux dépens. »

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont en substance considéré que la preuve n'était pas rapportée de ce que le docteur K avait satisfait à son devoir d'information de la patiente, ni ne lui avait fait renseigner à ce titre un formulaire de consentement éclairé sur les différentes options chirurgicales, en sorte qu'il pouvait être retenu une faute de service engageant la responsabilité de l'établissement public de droit monégasque A, alors même qu'aucune faute médicale et chirurgicale spécifique dans la prise en charge de c. B. ne pouvait être démontrée ; ils ont par ailleurs estimé que cette faute de service relative à un défaut d'information de la patiente avait généré une perte de chance de décider de subir ou non l'intervention ou d'en retarder la réalisation, tous éléments utiles pour déterminer le montant du préjudice subi.

Suivant exploit en date du 9 avril 2020, c. B. a interjeté appel du jugement rendu le 20 février 2020, signifié le 12 mars 2020, dont elle a sollicité la confirmation en ce qu'il a reconnu le docteur K responsable d'une faute de service au titre du manquement à son devoir d'information et en ce qu'il a retenu la responsabilité à ce titre de l'établissement public de droit monégasque A. Sollicitant pour le surplus la réformation de ce jugement, l'appelante entend voir la Cour dire et juger que le docteur K a commis plusieurs fautes professionnelles en relation causale avec les dommages subis et dire, à titre principal, que ces fautes sont toutes des fautes de service de nature à engager la responsabilité de l'établissement public de droit monégasque A sur le fondement de l'article 4 de la loi n° 983 et, à titre subsidiaire que le docteur K a commis des fautes personnelles.

Elle entend en conséquence voir condamner l'établissement public de droit monégasque A ou, à défaut, le docteur K à réparer les préjudices subis et à lui payer la somme de 42.568,71 euros outre intérêts au taux légal à compter de la survenance du dommage jusqu'à parfait paiement et voir dire que les intérêts seront capitalisés et porteront eux-mêmes intérêts au même taux à compter de la décision à intervenir, l'établissement public de droit monégasque A ou à défaut le docteur K devant être condamné à tous les frais et dépens.

Au soutien de ce recours et aux termes de l'ensemble de ses écritures judiciaires, c. B. soutient pour l'essentiel que :

  • - le défaut de tout document signé au titre de son consentement établit qu'elle n'a pas reçu une information suffisante sur son état de santé, ni sur les traitements envisagés et les risques inhérents à ceux-ci avant l'intervention chirurgicale,

  • - le docteur K a de plus commis une erreur durant l'intervention contrairement aux conclusions des experts judiciaires alors même qu'une opération par la voie coelioscopique aurait dû être préférée, limitant les risques infectieux, permettant un geste chirurgical plus précis et ne laissant pas de grande cicatrice,

  • - elle présentait des facteurs de risque avant l'opération, notamment un antécédent de césarienne et une coagulation difficile, que le docteur K n'a pas pris en considération lors du choix du geste chirurgical,

  • - les atteintes urétérales gauches et vésicales dont elle a été victime sont directement imputables à l'hystérectomie réalisée,

  • - le procédé utilisé par le docteur K consistant à utiliser une pince biclamp a occasionné une brûlure partielle de la paroi urétérale et de la vessie à l'origine des fistules secondaires et des complications subséquentes,

  • - la faute de ce professionnel de santé peut être retenue car son comportement doit être considéré comme contraire aux données de la science, la lésion n'apparaissant pas comme un risque non maîtrisable de l'intervention,

  • - l'utilisation des pinces et le manque de précision dans le geste opératoire ont été à l'origine directe du dommage,

  • - outre de telles fautes avant et pendant l'opération du 4 janvier 2017, le docteur K ne s'est pas davantage préoccupé du sort de sa patiente après l'intervention, dès lors que celle-ci a été renvoyée chez elle avec de simples antibiotiques alors même qu'elle se plaignait déjà de douleurs importantes et de saignements,

  • - le défaut d'information claire, l'absence de prise en compte de l'état antérieur, la faute dans le geste chirurgical et l'absence de suivi caractérisent des fautes de service imputables aux médecins qui ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service et doivent induire la responsabilité de l'établissement public de droit monégasque A,

  • - si ces fautes ne devaient pas être considérées comme telle, il s'agit en tout état de cause de fautes personnelles du praticien engageant sa propre responsabilité civile.

L'établissement public de droit monégasque A de Monaco et Monsieur j. K intimés, entendent pour leur part, aux termes de l'ensemble de leurs écritures :

« S'agissant du docteur K

  • confirmer le jugement déféré en ce qu'il rejette toute demande formulée à l'encontre du docteur K

  • prononcer sa mise hors de cause,

S'agissant de l'établissement public de droit monégasque A

À titre principal,

S'agissant d'abord de l'obligation d'information :

  • - dire et juger qu'aucun défaut d'information ne peut être reproché au docteur K et par là même à l'établissement public de droit monégasque A,

  • - réformer le jugement sur ce point,

Si d'aventure le jugement devait être confirmé quant à un défaut d'information,

  • - le confirmer en ce que l'intégralité des demandes de Mme B. et celles de l'établissement public de droit monégasque B doivent être rejetées,

  • - confirmer le jugement pour le surplus,

  • - rejeter l'intégralité des demandes formulées par Mme B. sera donc rejeté e,

  • - rejeter l'intégralité des demandes formulées par l'établissement public de droit monégasque B,

À titre subsidiaire, et s'il était retenu une obligation indemnitaire de l'établissement public de droit monégasque A quant à un défaut d'information,

Si la Cour devait tirer d'un éventuel défaut d'information qu'il retiendrait à l'encontre de l'établissement public de droit monégasque A,

  • - quantifier la perte de chance qu'aurait eue la demanderesse de se soustraire à l'intervention chirurgicale,

Si la Cour évaluait une perte de chance dire et juger qu'elle est de l'ordre du symbole l'évaluer de 1 à 5%,

S'agissant de la demande formulée au titre des frais divers :

À titre principal,

  • - n'allouer aucune somme de ce chef,

Si une somme retenue, ne retenir plus de 400 euros,

  • - ne mettre à la charge de l'établissement public de droit monégasque A plus de la portion de cette somme correspondant à la perte de chance soit plus de 1 à 5% de la somme qui aura été retenue par la Cour,

S'agissant de la demande formulée au titre du déficit fonctionnel temporaire :

  • - retenir la somme de 23 euros par jour,

  • - n'évaluer le poste de préjudice du déficit fonctionnel temporaire à plus de 2.086,10 euros,

  • - ne mettre à la charge de l'établissement public de droit monégasque A plus de la portion de cette somme correspondant à la perte de chance soit plus de 1 à 5% de 2.086,10 euros,

S'agissant des pertes de gains professionnels futurs :

  • - constater que Mme B. ne verse au débat aucune pièce de nature à justifier ni du montant de son salaire ni des éventuelles primes ou commissions dont elle fait état,

  • - constater que Mme B. aucun justificatif des indemnités journalières perçues,

  • - rejeter purement et simplement la demande formulée,

S'agissant des souffrances endurées :

  • - évaluer cet entier poste de préjudice à la somme de 5.000 euros,

  • - ne mettre à la charge de l'établissement public de droit monégasque A plus de la portion de cette somme correspondant à la perte de chance soit plus de 1 à 5% de 5.000 euros,

S'agissant de l'établissement public de droit monégasque B :

  • - constater qu'une très large part des débours dont l'organisme social demande le remboursement est sans aucun lien avec la prise en charge litigieuse,

À titre principal, rejeter l'intégralité des demandes formulées par l'établissement public de droit monégasque B,

À titre subsidiaire, si la Cour estimait devoir se substituer à la caisse de compensation, ne retenir comme étant imputable que la part des débours antérieurs au 8 septembre 2017 qui plus est en lien avec la prise en charge litigieuse,

  • - ne mettre à la charge de l'établissement public de droit monégasque A plus de la portion de cette somme correspondant à la perte de chance soit plus de 1 à 5% de la somme retenue,

  • - condamner Mme B. aux entiers frais et dépens de l'instance distraits au profit de Mme le bâtonnier Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation. »

j. K et l'établissement public de droit monégasque A font valoir pour l'essentiel que :

  • - le docteur K est praticien hospitalier et a pris en charge la patiente dans le cadre du secteur public de l'établissement public de droit monégasque A, ne pouvant dès lors, en sa qualité d'agent public, voir sa responsabilité engagée qu'en raison de sa faute personnelle,

  • - la faute personnelle est celle qui est dépourvue de tout lien avec le service et se détache de celui-ci en raison de son anormale gravité, de l'intention de nuire ou de l'intérêt personnel dont elle procède,

  • - il n'est à aucun moment évoqué l'existence d'une telle faute en l'espèce, s'agissant au contraire d'un accident médical non fautif et la mise hors de cause de ce praticien s'impose,

  • - l'établissement public de droit monégasque A est quant à lui un établissement public et sa responsabilité ne peut être engagée que s'il existe un lien de causalité entre la faute de service reprochée et le préjudice allégué par la victime,

  • - s'agissant de l'obligation d'information, celle-ci ne faisait pas l'objet d'une législation spécifique en Principauté de Monaco au moment de la prise en charge de c. B. mais a été formalisée par la loi n° 1.454 du 30 octobre 2017 qui reprend la jurisprudence antérieure, à savoir que le médecin doit informer son patient des risques fréquents ou graves normalement prévisibles,

  • - en l'espèce, le risque qui s'est concrétisé chez c. B. n'était ni fréquent, ni grave, et ne pouvait être qualifié de normalement prévisible, en sorte que le docteur K n'était pas tenu à une obligation d'information de sa patiente sur ce risque,

  • - c. B. apparaît au contraire avoir été correctement informée par le médecin anesthésiste et par le docteur K qui a délivré l'information loyale et adaptée requise étant précisé qu'un éventuel défaut d'information n'aurait pas eu d'effet dès lors que l'hystérectomie apparaissait indispensable, la patiente ne pouvant s'y soustraire,

  • - en ce qui concerne les modalités de l'intervention chirurgicale et le grief de n'avoir pas préféré une opération sous coelioscopie en laparotomie, il résulte du rapport d'expertise que les lésions survenues ont été la conséquence d'une réaction diffusée lors de l'hémostate et non d'une maladresse chirurgicale ;

  • - l'absence de précision du geste chirurgical ne peut donc pas davantage être incriminée que le manque de suivi reproché au médecin après l'opération,

  • - si la Cour retenait les conséquences d'un défaut d'information il conviendrait de quantifier la perte de chance subie par la patiente de se soustraire à l'intervention chirurgicale ce qui s'avérait en l'espèce médicalement impossible, en sorte que cette perte de chance ne pouvait être que symbolique et comprise entre 1 et 5%.

Attendu que l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public B a indiqué qu'elle ne souhaitait pas conclure en cause d'appel, le Procureur général ayant pour sa part déposé le 16 mars 2021 des conclusions aux termes desquelles il déclare s'en rapporter à l'appréciation de la Cour.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que les appels, tant principal qu'incident, ont été formés dans les conditions de forme et de délai prévues par le code de procédure civile et doivent être déclarés recevables ;

Attendu qu'alors que c. B. entend voir juger que le docteur K a commis plusieurs fautes professionnelles engageant la responsabilité de l'établissement public de droit monégasque A ou, à tout le moins, sa responsabilité personnelle, le docteur K et l'établissement public de droit monégasque A estiment au contraire que cette patiente a été victime d'un accident médical non fautif et que la responsabilité, tant du praticien que de l'établissement public de droit monégasque A, ne saurait être engagée ;

Attendu que le docteur K praticien hospitalier exerçant au sein de l'établissement public de droit monégasque A de Monaco, est intervenu dans la prise en charge de c. B. dans le cadre du secteur public hospitalier ;

Attendu qu'il ressort des dispositions de l'article 2 de la loi n° 983 du 26 mai 1976 applicable aux praticiens exerçant au sein de l'établissement public de droit monégasque A qu'un agent public ne peut voir sa responsabilité personnelle engagée envers les tiers ou l'administration qu'en raison de sa faute personnelle définie par l'article 3 de la même loi comme celle dépourvue de tout lien avec le service ou celle qui, non dépourvue de tout lien avec le service, se détache de celui-ci en raison de son anormale gravité, de l'intention de nuire ou de l'intérêt personnel dont elle procède ;

Qu'à cet égard, les premiers juges ont à bon droit fait application des dispositions de l'article 11 de l'Ordonnance Souveraine n° 7.928 du 6 mars 1984 portant statut du personnel médical et assimilé de l'établissement public de droit monégasque A, et à l'article 26 de l'Ordonnance Souveraine n° 13.839 du 29 décembre 1998 portant statut des praticiens hospitaliers, pour rappeler que les médecins exerçant des fonctions au centre hospitalier sont, en ce qui concerne leur responsabilité civile, régis par les dispositions de la loi n° 983 du 26 mai 1976 sur la responsabilité civile des agents publics, aucun agent public ne pouvant être déclaré civilement responsable, soit envers l'Administration, soit envers les tiers, si ce n'est en raison de sa faute personnelle ;

Attendu qu'il convient donc au préalable de déterminer si le docteur K s'est rendu coupable d'une faute personnelle détachable du service public hospitalier, c'est-à-dire qui procèderait d'un manquement professionnel d'une gravité exceptionnelle apparaissant non seulement contraire à toutes les règles de la médecine, mais également aux impératifs de la morale et de la conscience ;

Que force est à cet égard d'observer que c. B. reproche successivement au docteur K un défaut d'information préalable à l'hystérectomie pratiquée le 4 janvier 2017, une absence d'adaptation du déroulement de l'intervention, une maladresse chirurgicale et enfin un défaut de surveillance post-opératoire ;

Attendu qu'il résulte des éléments objectifs de l'espèce et notamment du parcours médical de c. B. mis en évidence par les experts D. et B. que cette patiente est venue consulter le docteur K le 10 novembre 2016 et qu'il a alors été décidé de réaliser une hystérectomie, cette intervention ayant eu lieu le 4 janvier 2017 sous la nomenclature suivante : « hystérectomie avec salpingectomie et conservation ovarienne par voie vaginale coelio-préparée » ;

Que cette patiente a de nouveau été hospitalisée deux jours du 16 au 18 janvier 2017 dans le service du docteur K pour douleurs pelviennes et fièvre, une échographie abdomino-pelvienne ayant alors mis en évidence une suspicion de duplication urétérale nécessitant un examen effectué le 17 janvier 2017 par le docteur C. urologue ;

Qu'alors que c. B. s'était présentée aux urgences pour un écoulement du vagin, le docteur K. urologue, a constaté le 21 janvier 2017 « la présence de fuite de l'uretère et du pyélon supérieur gauche » tout en relevant l'existence « d'une duplicité urétérale-vaginale » nécessitant la pose en urgence d'une sonde vésicale jusqu'au 3 mars 2017, puis d'une sonde double J jusqu'au 8 septembre 2017, date de son ablation et de la consolidation ;

Attendu, s'agissant en premier lieu du devoir d'information du médecin envers son patient et de l'obligation de recueillir son consentement éclairé préalablement à toute intervention chirurgicale, qu'il résulte des dispositions de l'article 34 du Code de déontologie médicale annexé à l'arrêté ministériel n° 2012-312 du 29 mai 2012 que le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose ;

Que cette obligation se trouve précisée à l'article 35 du même code disposant que le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin devant respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.

Qu'à cet égard, les premiers juges ont légitimement rappelé que de telles règles ont été confortées par la loi n° 1.454 du 30 octobre 2017 relative au consentement et à l'information en matière médicale dont l'article 1er prévoit que le consentement libre et éclairé de toute personne appelée à subir un acte ou à suivre un traitement médical est préalablement recueilli par le professionnel de santé ayant la charge, dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables, d'effectuer ou de prescrire l'acte ou le traitement ;

Qu'il incombe dès lors au praticien de respecter la volonté de la personne concernée après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité et ce, même lorsque son refus d'acte ou de traitement médical met sa vie en danger, étant alors tenu dans cette hypothèse de lui proposer de réitérer par écrit sa volonté à l'expiration d'un délai raisonnable qu'il fixe en fonction des circonstances et notamment de l'urgence ;

Qu'il doit en être déduit que le médecin est toujours tenu d'une obligation d'information loyale, claire et appropriée au cas médical qui lui est soumis sur les risques graves afférents aux interventions et soins proposés et qu'il ne saurait être dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ;

Attendu que la charge de la preuve, tant de la délivrance de l'information que du recueil du consentement éclairé du patient, pèse sur le professionnel de santé concerné ou l'établissement hospitalier dont il dépend ;

Qu'au cas d'espèce, l'analyse effectuée par les experts n'a pas permis de s'assurer qu'il a été satisfait à un tel devoir d'information de c. B. par le docteur K dont les seules affirmations inhérentes à ses éventuelles diligences pré­opératoires n'apparaissent corroborées par aucun témoignage ou élément probant objectif ;

Que dès lors qu'il ne figure dans le dossier médical aucun formulaire de consentement éclairé sur les différentes options chirurgicales et sur leurs risques, signé par la patiente, la preuve de ce qu'il a été satisfait au devoir d'information n'apparaît pas rapportée ;

Attendu que les premiers juges en ont dès lors justement déduit que c. B. n'apparaissait pas avoir reçu une information suffisante sur son état de santé, les traitements envisageables et les risques inhérents à ceux-ci, ni avoir subséquemment consenti en toute connaissance de cause au procédé d'intervention chirurgicale choisi par le docteur K;

Attendu qu'en ce qui concerne plus précisément l'hystérectomie pratiquée le 4 janvier 2017 par le docteur K les experts judiciaires ont conclu, par une analyse très circonstanciée ne révélant ni erreur, ni contradiction, que les atteintes urétérale gauche et vésicale dont Mme B. a été victime sont directement imputables à l'hystérectomie réalisée, s'agissant d'une complication rare mais classique ;

Qu'ils ont par ailleurs relevé : « La chirurgie gynécologique reste la plus exposée au risque de traumatisme iatrogène de l'uretère et de la vessie. Dans le cas de Mme B. on peut penser qu'il s'agit d'une atteinte indirecte de l'uretère et de la vessie secondaire à la diffusion de la chaleur lors de l'hémostase des pédicules utérins et des cervico-vaginales à la pince Biclamp utilisée par le docteur K lors de l'intervention du 4 janvier 2017. Ce mécanisme explique la survenue de façon différée à J 15 de la complication dont a eu à se plaindre Mme B. le 20 janvier 2017 en rapport avec une brûlure partielle de la paroi urétérale et de la vessie responsable d'une fistule à la fois urétérale comme en attestent les constatations du scanner et l'exploration endoscopique du 21 janvier 2017 » ;

Qu'il résulte de l'analyse des experts que la dissection du pédicule utérin a été rendue difficile par la présence du fibrome sous séreux latéral gauche isthmique qui laissait peu d'espace pour le coaguler à distance ;

Mais attendu que l'expertise permet de s'assurer d'une part que l'utilisation des pinces Biclamp par le docteur K était adaptée, s'agissant de pinces bipolaires diffusant de la chaleur pour la coagulation mais diminuant le risque de brûlure à distance, alors d'autre part qu'aucune lésion directe n'a été immédiatement constatée, ce qui aurait été le cas si le docteur K avait commis une maladresse chirurgicale en blessant les organes voisins ;

Que lesdits experts considèrent par ailleurs que la technique avancée par c. B. qui consiste pour son médecin le docteur J. B. à convertir la coelioscopie en laparotomie en cas de survenance de difficultés opératoires, n'apparaît adaptée qu'à des hémorragies incontrôlables, ce qui n'était pas le cas de cette patiente au vu du compte-rendu de difficultés ;

Attendu qu'en ce qui concerne en outre le défaut de surveillance reproché, l'expertise n'apparaît avoir révélé aucune faute personnelle imputable au docteur K ni même aux différents praticiens urologues qui sont intervenus pour contenir les complications urologiques survenues au niveau de la vessie et de l'uretère gauche alors même que l'échographie réalisée dès le 16 janvier 2017 n'avait mis en évidence qu'une dilatation modérée des cavités pyélo-calicielles gauche ;

Que ce n'est en réalité qu'à la suite de la survenance d'un écoulement anormal du vagin que le scanner et l'endoscopie réalisés le 20 janvier 2017 ont permis de mettre en place un traitement thérapeutique immédiat confié à un spécialiste urologue conforme aux recommandations médicales en cours, les experts D. et B. concluant en ces termes sur cette complication : « Madame B. a été victime de complications urologiques survenues au décours d'une hystérectomie par ailleurs nécessaire. Il s'agit de complications connues mais rares qui sont directement et certainement liées à l'hystérectomie. Il s'agit d'un accident médical non fautif et aucune séquelle permanente n'est retenue à la date de la consolidation » ;

Attendu qu'il apparait en définitive, en l'état de l'analyse sérieuse et très complète réalisée par les experts D. et B. que les premiers juges ont à bon droit considéré que la preuve n'était pas rapportée de l'existence d'une faute médicale dans la prise en charge de c. B. et ce, tant dans le cadre de l'intervention chirurgicale pratiquée qu'à l'occasion du suivi postopératoire, seul le manquement au devoir d'information de cette patiente apparaissant établi ;

Attendu à cet égard, qu'ainsi qu'il l'a été précédemment évoqué, le docteur K est un praticien hospitalier et le manquement à son devoir d'information et au recueil du consentement éclairé de c. B. caractérise une faute non détachable du service permettant de mettre en cause la responsabilité de l'établissement public de droit monégasque A ;

Attendu s'agissant du préjudice devant présenter un lien certain de causalité avec cette faute de service, que le manquement au devoir d'information est susceptible de générer pour le patient une perte de chance de décider s'il va subir ou non l'intervention ou en retarder la réalisation ;

Attendu que c. B. soutient en cause d'appel qu'elle n'aurait jamais accepté de se faire opérer par voie d'hystérectomie si elle avait eu connaissance des risques encourus, estimant que l'information requise lui aurait fait choisir d'autres méthodes de traitement qui n'auraient, selon elle, pas engendré les conséquences désastreuses subies ;

Que l'appelante en déduit que le pourcentage de chance qu'elle avait de se soustraire aux risques dont elle n'a pas été informée doit être chiffré en l'espèce à 100% en sorte que l'établissement public de droit monégasque A devra l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices à concurrence de la somme totale de 42.568,71 euros ;

Mais attendu que les premiers juges ont justement considéré que la perte de chance ne s'apprécie pas au regard de la nature des dommages subis mais bien du lien causal en sorte qu'il doit être tenu compte de l'utilité de l'intervention à l'origine du dommage physique en évaluant ce qu'aurait représenté pour c. B. la survenance de l'éventualité favorable ayant selon elle disparu du fait du défaut d'information imputable au praticien ;

Qu'à cet égard, l'analyse circonstanciée des experts permet d'affirmer que Madame B. ne pouvait, sur un plan médical, se soustraire à l'hystérectomie pratiquée et ce, quelle que soit la méthode de traitement qui aurait pu être choisie si elle avait reçu une information complète, qu'il s'agisse d'une coelioscopie ou d'une laparotomie ;

Qu'il s'ensuit que cette patiente qui ne rapporte au demeurant pas la preuve qu'une autre méthode opératoire aurait eu une issue différente, n'apparaît avoir subi aucune perte de chance d'éviter une intervention qui apparaissait inéluctable et ne pouvait être retardée ;

Attendu qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions et notamment en ce que c. B. et l'établissement public de droit monégasque B ont été déboutées des fins de leurs demandes d'indemnisation au titre de la perte de chance ;

Attendu que les parties seront déboutées de l'ensemble de leurs prétentions en cause d'appel ;

Attendu que c. B. appelante sera condamnée aux entiers dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevables les appels principal et incident,

Au fond, en déboute les parties et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 février 2020 par le Tribunal de première instance,

Condamne c. B. aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 20 AVRIL 2021, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur général adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

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