Cour d'appel, 6 avril 2021, Monsieur v. P. et Madame e. K. épouse P. c/ la Société d'Exercice Libéral à Responsabilité Limitée de droit français dénommée A. et Madame le Procureur

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Appel-nullité - Conditions - Recours exceptionnel et subsidiaire - Recevabilité (non) - Appel de droit commun - Recevabilité (oui) - Assignation - Validité (oui) - Rejet de l'exception de nullité (oui) ; Sociétés civiles - SELARL - Représentation ; Hiérarchie des normes - Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire - Loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé - Abrogation de la Convention (non) - Droit international - Hiérarchie des normes - Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire - Loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé - Abrogation de la Convention (non) - Droit international - Décision étrangère soumise à exequatur - Résistance fautive à l'instance en exequatur - Demande en paiement de dommages-intérêts

Résumé🔗

La voie de l'appel-nullité est ouverte par la jurisprudence à l'encontre d'une décision, entachée d'un vice suffisamment grave, tel qu'un excès de pouvoir caractérisé par une atteinte à la loi ou à un principe fondamental, à l'égard de laquelle aucune autre voie de recours n'est offerte dans l'immédiat pour sanctionner rapidement le vice dénoncé. Il s'agit ainsi d'un recours exceptionnel et subsidiaire qui n'est ouvert que lorsque la voie de l'appel est normalement fermée. Un même plaideur ne peut pas à la fois demander l'annulation du jugement en formant un appel nullité, tout en usant subsidiairement de la voie de l'appel réformation de droit commun exclusif en lui-même d'un tel appel nullité. Il est constant que malgré son origine prétorienne, l'appel nullité, ouvert en cas d'excès de pouvoir, ne constitue pas une voie de recours autonome. Il s'ensuit que l'appel nullité principal et l'appel de droit commun subsidiaire ne constituent dès lors pas deux recours différents.

L'objet d'une SELARL, bien que ses statuts soient empruntés à la législation commerciale, conserve la nature civile des opérations qu'elle réalise. Dès lors les exigences de l'article 141 du Code de procédure civile relatives aux sociétés commerciales n'ont pas à être respectées, s'agissant de la représentation d'une société civile. Par ailleurs, que l'inexactitude de la désignation de la demanderesse n'est pas à elle seule une cause d'irrégularité dans la mesure où il résulte des termes mêmes de l'article 136-2° précité qu'une désignation suffisante suffit. Le caractère précis de la désignation s'apprécie au regard du but poursuivi par ce texte, à savoir l'identification des parties.

En vertu du principe de la hiérarchie des normes et contrairement à ce qu'indiquent les appelants qui se fondent sur les dispositions de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé, le texte applicable à la présente demande est la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire, en sorte que c'est à tort que les appelants invoquent les dispositions de l'article 8 de la loi n° 1.448 selon lesquelles « toutes dispositions contraires à la présente loi sont et demeurent abrogées ».

Si rien n'interdit au plaideur, qui introduit une demande tendant à faire déclarer exécutoire en Principauté une décision de justice étrangère, de former dans le même temps une demande en paiement de dommages-intérêts fondée sur la résistance fautive opposée par son adversaire sur l'instance en exequatur, c'est à la condition qu'elle n'ait pas pour objet de parvenir à une révision au fond de la décision étrangère.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 6 AVRIL 2021

En la cause de :

- Monsieur v. P., retraité, né le 5 juin 1950 à BAKOU (Azerbaidjan), de nationalité russe, demeurant X1 17252 SANT ANTONI DE CALONGE (Espagne) ;

- Madame e. K. épouse P., née le 28 novembre 1955 à MOSCOU (Russie), de nationalité russe, demeurant X1 17252 SANT ANTONI DE CALONGE (Espagne) ;

Ayant tous deux élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Alexandre AGAEV, avocat au barreau de Nice ;

APPELANTS,

d'une part,

contre :

1- La Société d'Exercice Libéral à Responsabilité Limitée de droit français dénommée A., dont le siège social se trouve X275007 PARIS, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège (comme désignée dans le jugement et sa signification ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Stephan PASTOR, avocat près la même Cour ;

2- Madame le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'appel de Monaco, séant en son Parquet Général au Palais de Justice rue Colonel Bellando de Castro audit Monaco ;

INTIMÉES,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 13 février 2020 (R.2767) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation avec défenses à exécution provisoire du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 2 avril 2020 (enrôlé sous le numéro 2020/000112) ;

Vu les conclusions déposées les 28 septembre 2020 et 15 décembre 2020 par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SELARL A.;

Vu les conclusions déposées le 30 octobre 2020 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de v. P. et e. K. épouse P.;

Vu les conclusions déposées le 31 décembre 2020 par le Ministère Public ;

À l'audience du 12 janvier 2021, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Ouï le ministère public ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par v. P.et e. K. épouse P. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 13 février 2020.

Considérant les faits suivants :

Les époux P. ont confié la défense de leurs intérêts à Maître Christophe GERSCHEL, avocat au barreau de Paris, exerçant à l'origine au sein du cabinet BIGNON-LEBRAY, puis au sein du Cabinet A.

Un contentieux, relatif aux honoraires du conseil, a été porté devant le bâtonnier de Paris et a donné lieu à la condamnation des époux P.

Chacune des parties a relevé appel de l'ordonnance de taxe.

Aux termes d'une ordonnance rendue le 25 avril 2017, le Premier président de la Cour d'appel de PARIS a notamment condamné les époux P. à payer à la SELARL A.la somme globale de 175.858,05 euros, sous déduction de la provision de 65.841,76 euros versée, au titre des honoraires lui revenant, outre une indemnité d'un montant de 7.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les sommes de 1.748,15 euros et 3.262 euros au titre des frais et des dépens.

Selon jugement du 13 février 2020, le Tribunal de première instance a notamment déclaré exécutoire en Principauté de Monaco, avec toutes conséquences de droit, l'ordonnance rendue le 25 avril 2017 par le Premier Président de la Cour d'Appel de Paris, condamné v. P. et e. K. épouse P. à payer à A. SOCIÉTÉ D'AVOCATS la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, mis à leur charge les dépens, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire de la présente décision.

Suivant exploit d'appel et d'assignation du 2 avril 2020, v. P. et e. K. épouse P. ont, à titre principal formé un appel nullité, et, à titre subsidiaire, régularisé un appel aux fins d'infirmation dudit jugement.

Aux termes de cet exploit et de leurs écritures déposées le 30 octobre 2020, les appelants sollicitent de voir : AVANT TOUT DÉBÂT PORTANT SUR LES EXCEPTIONS DE NULLITÉ ET SUR LE FOND,

  • rapporter l'exécution provisoire de la décision entreprise ordonnée par les premiers juges, À TITRE PRINCIPAL

  • déclarer les époux P. recevables et bien fondés en leur appel nullité,

  • prononcer la nullité du jugement du Tribunal de première instance du 13 février 2020 dans toutes ses dispositions en ce qu'il a été rendu en méconnaissance des principes fondamentaux du respect du contradictoire et du droit à un procès équitable,

À TITRE SUBSIDIAIRE et uniquement pour le cas où par impossible le jugement entrepris ne devait pas être annulé,

  • les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,

  • réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Et faisant ce que les premiers juges auraient dû faire,

  • dire et juger nulle l'assignation en exequatur du 11 janvier 2019 et en tirer les conséquences légales et constater l'extinction d'instance,

  • rejeter l'ensemble des demandes de la SELARL A. À défaut, AU FOND et à titre tout aussi subsidiaire,

  • dire et juger que la demande d'exequatur ne remplit pas les conditions posées par la règlementation en vigueur,

  • rejeter l'ensemble des demandes de la SELARL A. En tout état de cause,

  • condamner la SELARL A. aux entiers dépens tant de première instance que d'appel distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.

Ils exposent pour l'essentiel que :

À titre principal, sur l'appel nullité :

  • l'appel-nullité est recevable en l'absence de texte en droit positif monégasque consacrant l'interdiction de non-cumul des appels ; en outre cette règle n'existe pas d'avantage en France,

  • le principe de la contradiction a été méconnu par le Tribunal qui, d'une part a rejeté leur demande de renvoi en les privant de la possibilité de se défendre, d'autre part a accordé l'exécution provisoire sur un fondement nouveau non contradictoirement débattu,

  • l'argument développé consistant à se référer au cachet de la juridiction faisant apparaître la date du 29 novembre 2019 n'est pas pertinent dans la mesure où il ne justifie nullement la communication des conclusions aux appelants.

À titre subsidiaire, sur l'appel de droit commun :

  • l'assignation encourt la nullité, en application des dispositions de l'article 141 du Code de procédure civile, du fait de :

  • la mauvaise désignation de la société demanderesse,

  • la représentation irrégulière de cette même société prise en la personne de son « gérant en exercice, demeurant en cette qualité à l'adresse de la société », alors que la personne morale concernée a plusieurs gérants et qu'aucun d'entre eux n'est domicilié au siège social,

  • l'impossibilité subséquente de vérifier l'identité et les capacités des personnes ayant engagé cette action,

  • l'assignation encourt également la nullité pour manque de base légale dans la mesure où les demandes sont fondées sur la Convention relative à l'entraide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco de 1949, rendue exécutoire par l'ordonnance n°106 du 2 décembre 1949, abrogée par la loi du 28 juin 2017 codifiant les dispositions du droit international privé, seule applicable au litige,

  • la régularisation opérée par le Tribunal sur le fondement d'un moyen soulevé d'office constitue une méconnaissance du principe de contradiction justifiant l'annulation de la décision,

  • les conditions de forme posées par l'article 18 de la loi de 2017 n'ont pas été respectées en l'absence de production d'une copie de l'expédition de la décision objet de la demande de l'exequatur,

  • les certifications et les authentifications font également défaut,

  • les conditions de fond de l'article 15 de la loi ne sont pas davantage remplies : contrariété à l'ordre public monégasque de la décision rendue au nom d'une entité qui est désignée d'une manière non conforme à sa véritable identité, fraude à la loi en tentant de voir déclarer exécutoire une décision empêchant toute reconnaissance et exécution à Monaco,

  • c'est à tort qu'ils ont été condamnés au paiement de dommages-intérêts en l'absence de tout abus,

  • avec la mauvaise foi contractuelle, le Tribunal a commis un abus de pouvoir en méconnaissant les limites de sa saisine,

  • en outre, en les condamnant à des dommages-intérêts au motif que leur attitude était incompatible

  • pour ordonner l'exécution provisoire, les premiers juges se sont fondés sur l'alinéa 2 de l'article 202 du Code de procédure civile, non invoqué, au mépris du principe de la contradiction.

En réponse, la société d'exercice libéral à responsabilité limitée de droit français dénommée A. intimée et appelante incidente, demande à la Cour, par conclusions déposées le 29 septembre 2020 et conclusions récapitulatives du 14 décembre 2020, de :

Sur l'appel-nullité

  • déclarer irrecevable l'appel-nullité interjeté par les époux P. à l'encontre du jugement rendu le 13 février 2020 par le Tribunal de Première Instance,

  • dire et juger qu'aucune entrave aux exigences d'un procès équitable n'a entaché le jugement du 13 février 2020,

En conséquence,

  • prononcer l'irrecevabilité de l'appel-nullité interjeté par les époux P. à l'encontre du jugement rendu, le 13 février 2020, par le Tribunal de Première Instance,

  • débouter les époux P. de l'ensemble de leurs demandes en nullité et de toutes fins et conclusions à cet égard,

  • confirmer le jugement rendu le 13 février 2020 par le Tribunal de Première Instance sauf en ce qu'il a condamné les époux P. à s'acquitter, à l'égard du Cabinet A. de la somme de 3.000 euros au titre de la procédure abusive,

  • condamner solidairement les époux P. à verser, au Cabinet A. la somme de 45.000 euros au titre de la réparation du préjudice financier subi par ce dernier du fait de l'attitude dilatoire, fautive et abusive des époux P.et des accusations diffamatoires qu'ils profèrent, de nouveau, en appel,

Sur l'appel au fond

  • dire et juger que l'appel au fond interjeté subsidiairement par les époux P. à l'encontre du jugement du 13 février 2020, doit être déclaré irrecevable, compte tenu de l'appel-nullité formé par ces derniers à titre principal,

À toutes fins, sur les nullités invoquées par les époux P.

  • dire et juger que le Cabinet A. est une société d'exercice libérale à responsabilité limitée, de nature civile, et qu'elle n'est, dès lors, pas assujettie aux dispositions de l'article 141 du Code de procédure civile,

  • dire et juger que les époux P.ne démontrent pas que la référence à la SELARL A. en lieu et place de la dénomination A. SOCIÉTÉ D'AVOCATS figurant sur l'extrait KBIS du registre du commerce et des sociétés de Paris, leur cause un grief, comme l'impose l'article 264 alinéa 2 du Code de procédure civile,

  • dire et juger que la jurisprudence en vigueur n'impose, par ailleurs, plus la désignation nominative de son représentant légal et qu'en visant le gérant en exercice l'intimé a agi conformément à la jurisprudence actuellement en vigueur,

  • prendre acte que le Cabinet A. a versé, en tout état de cause, aux débats initiés devant le Tribunal de Première Instance un extrait K bis en date du 20 novembre 2019,

Sur l'applicabilité de la Convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco :

  • constater que l'entrée en vigueur de la Loi n°1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé n'a pas eu pour effet d'abroger les dispositions de l'Ordonnance n° 106 du 2 décembre 1949 rendant exécutoire la Convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco, comme le Ministère Public a d'ailleurs pu le rappeler,

  • dire et juger que l'assignation en exequatur initiée par le Cabinet A. ne pouvait trouver son fondement que sur les seules dispositions de l'Ordonnance n° 106 du 2 décembre 1949 rendant exécutoire la Convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco,

En conséquence,

  • prononcer l'irrecevabilité de l'appel au fond interjeté, par les époux P. à l'encontre du jugement rendu le 13 février 2020 par le Tribunal de Première Instance et les déclarer forclos pour interjeter tout autre appel,

  • débouter les époux P. de l'ensemble de leurs demandes en nullité et de toutes fins et conclusions à cet égard,

  • confirmer le jugement rendu le 13 février 2020 par le Tribunal de Première Instance sauf en ce qu'il a condamné les époux P. à s'acquitter à l'égard du Cabinet A. de la somme de 3.000 euros au titre de la procédure abusive,

  • condamner solidairement les époux P. à verser, au Cabinet A. la somme de 45.000 euros au titre de la réparation du préjudice financier subi par ce dernier du fait de l'attitude dilatoire, fautive et abusive des époux P. et des accusations diffamatoires qu'ils profèrent, de nouveau, en appel,

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

  • condamner solidairement les époux P. aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, Avocat Défenseur, sous sa due affirmation.

La société A. soutient en substance que :

  • l'appel nullité, qui ne peut se cumuler avec un appel de droit commun, est irrecevable,

  • superfétatoirement, il n'est pas fondé en l'absence de toute entrave aux exigences du droit au procès équitable dès lors que le renvoi de l'affaire pour plaidoiries a été décidé dès le 16 octobre 2019 sans aucune contestation des époux P. que le calendrier procédural a été respecté par les parties et que la demande d'exécution provisoire a été formée dans l'acte d'assignation.

  • l'appel au fond, interjeté de manière subsidiaire, est irrecevable,

  • il n'est pas fondé dans la mesure où :

  • le cabinet A. exploité sous la forme d'une SELARL, société d'exercice libéral à responsabilité limitée constituée pour l'exercice de la profession d'avocat, de nature civile, n'est pas tenu de respecter les dispositions de l'article 141 du Code de procédure civile édictées pour les sociétés de commerce,

  • il n'est justifié d'aucun grief, tel que prévu par l'article 264 alinéa 2 du Code de procédure civile, pour prononcer une nullité de forme,

  • une régularisation a été effectuée en cours de procédure,

  • en droit du for, le représentant légal n'a pas à être nommément désigné,

  • la Convention franco-monégasque de 1949 n'a pas été abrogée par la loi sur le droit international privé,

  • les conditions posées par l'article 18 de ladite convention sont remplies et il n'existe aucune contrariété à l'ordre public international,

  • la demande d'exequatur a été rendue nécessaire par l'inexécution fautive des époux P. et leur mauvaise foi ; il lui sera alloué la somme de 45.000 euros en réparation du préjudice financier subi,

  • s'agissant de la défense à exécution provisoire, aucune exécution de la décision rendue n'a été effectuée à ce jour,

  • l'exécution provisoire a été accordée en l'état de la demande formée dans le cadre de l'exploit introductif d'instance.

Aux termes de ses conclusions en date du 31 décembre 2020, le Ministère public a, à titre principal, indiqué s'en rapporter sur la demande de nullité du jugement, et à titre subsidiaire, conclu au rejet de la demande de nullité de l'assignation et à la confirmation de la décision du Tribunal de première instance du 13 février 2020 ;

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

Sur ce,

Attendu que les appelants ont relevé appel du jugement déféré s'articulant à titre principal en un appel nullité, et, à titre subsidiaire, pour le cas où le jugement ne serait pas annulé, en un appel réformation ;

Sur la recevabilité de l'appel-nullité

Attendu que les époux P. concluent à la recevabilité de leur appel nullité au motif qu'aucune règle n'interdit de former un appel nullité principal et un appel de droit commun subsidiaire ;

Attendu que la voie de l'appel-nullité est ouverte par la jurisprudence à l'encontre d'une décision, entachée d'un vice suffisamment grave, tel qu'un excès de pouvoir caractérisé par une atteinte à la loi ou à un principe fondamental, à l'égard de laquelle aucune autre voie de recours n'est offerte dans l'immédiat pour sanctionner rapidement le vice dénoncé ;

Qu'il s'agit ainsi d'un recours exceptionnel et subsidiaire qui n'est ouvert que lorsque la voie de l'appel est normalement fermée ;

Attendu qu'aux termes de l'article 423 du Code de procédure civile, les jugements qui tranchent une partie du principal et ceux qui statuent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident mettant fin à l'instance, peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal ;

Attendu, au cas présent, que le jugement critiqué, qui a déclaré exécutoire en Principauté de Monaco l'ordonnance rendue le 25 avril 2017 par le Premier président de la Cour d'appel de Paris, a jugé le principal et est donc susceptible d'un appel immédiat de droit commun ;

Qu'au demeurant un même plaideur ne peut pas à la fois demander l'annulation du jugement en formant un appel nullité, tout en usant subsidiairement de la voie de l'appel réformation de droit commun exclusif en lui-même d'un tel appel nullité ;

Qu'il suit que l'appel nullité formé par les époux P. doit être déclaré irrecevable; ;

Sur la recevabilité de l'appel de droit commun

Attendu qu'il est constant que malgré son origine prétorienne, l'appel nullité, ouvert en cas d'excès de pouvoir, ne constitue pas une voie de recours autonome ;

Qu'il suit que l'appel nullité principal et l'appel de droit commun subsidiaire ne constituent dès lors pas deux recours différents ;

Attendu que les époux P. ont régularisé leur appel contre le jugement signifié le 4 mars 2020, suivant l'exploit d'appel et assignation du 2 avril 2020, soit dans les formes et délais requis par la loi ;

Que cet appel est recevable ;

Attendu que la Cour étant désormais saisie du fond du litige, il sera liminairement observé que la défense à exécution provisoire présentée par v. et e. P. est dès lors devenue sans objet ;

Que de même, la critique de la disposition par laquelle le jugement a ordonné l'exécution provisoire de sa décision apparaît, à ce stade, dénuée de toute pertinence ;

Attendu que les époux P. invoquent la nullité de l'exploit introductif d'instance, aux motifs qu'il comporte une désignation incorrecte de la société demanderesse et qu'il est fondé sur une base légale inexistante ;

Sur la validité de l'assignation devant le Tribunal

Attendu en premier lieu que, conformément à l'article 136-2° du Code de procédure civile, tout exploit d'huissier doit comprendre le nom, les prénoms, la profession et le domicile de la partie requérante et de la partie à laquelle l'exploit est signifié, ou du moins une désignation suffisante de l'une et de l'autre ;

Attendu que l'article 141 alinéa 1 du même code invoqué au soutien de la nullité de l'assignation, dispose que les sociétés de commerce seront désignées par leur raison sociale ou par l'objet de leur entreprise et représentées conformément aux règles du droit commercial ;

Que toutefois l'objet d'une SELARL, bien que ses statuts soient empruntés à la législation commerciale, conserve la nature civile des opérations qu'elle réalise ;

Que dès lors les exigences de l'article 141 du Code de procédure civile relatives aux sociétés commerciales n'ont pas à être respectées, s'agissant de la représentation d'une société civile ;

Attendu, par ailleurs, que l'inexactitude de la désignation de la demanderesse n'est pas à elle seule une cause d'irrégularité dans la mesure où il résulte des termes mêmes de l'article 136-2° précité qu'une désignation suffisante suffit ;

Que le caractère précis de la désignation s'apprécie au regard du but poursuivi par ce texte, à savoir l'identification des parties ;

Qu'en l'espèce, l'assignation a été délivrée à la requête de « la SELARL A. société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège social est X2 à Paris (75007 - France) agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité à ladite adresse » ;

Que la précision qui a été faite du représentant légal de cette société (en l'espèce son gérant) suffit à identifier l'organe qui avait capacité d'agir en justice en son nom, sans qu'il ait été nécessaire de le mentionner nominativement ;

Que par ailleurs l'acte introductif d'instance comporte une désignation précise de la société demanderesse au sens du texte précité, dans la mesure où si la dénomination exacte de la société est « A. SOCIÉTÉ D'AVOCATS », société d'exercice libéral à responsabilité limitée, les mentions manquantes « SOCIÉTÉ D'AVOCATS » ne sont pas en l'espèce de nature à empêcher son identification en l'état des mentions portées sur ledit exploit tenant à la forme sociale de l'entité, son nom A.et l'adresse de son siège social ;

Qu'enfin le moyen tiré de la régularisation prévue par l'article 265 alinéa 2 du Code de procédure civile, invoqué par la société A. a bien été introduit dans le débat de première instance ;

Attendu en second lieu qu'en vertu du principe de la hiérarchie des normes et contrairement à ce qu'indiquent les appelants qui se fondent sur les dispositions de la loi du 28 juin 2017 relative au droit international privé, le texte applicable à la présente demande est la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre les deux pays, en sorte que c'est à tort que les appelants invoquent les dispositions de l'article 8 de la loi n° 1.448 selon lesquelles « toutes dispositions contraires à la présente loi sont et demeurent abrogées » ;

Qu'il suit que l'exception de nullité de l'assignation n'est pas justifiée et qu'elle a donc été justement rejetée par les premiers juges ;

Sur la demande d'exequatur

Attendu que l'article 18 de la Convention du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco, rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance souveraine n° 106 du 2 décembre 1949, prévoit que les jugements exécutoires dans l'un des deux pays devront être déclarés exécutoires dans l'autre dès lors que les conditions suivantes sont remplies :

  • l'expédition qui est produite du jugement réunit les conditions nécessaires à son authenticité d'après la loi du pays où il a été rendu ;

  • cette décision émane d'une juridiction compétente selon cette loi ;

  • les parties ont été régulièrement citées d'après cette même loi ;

  • la décision est passée en force jugée au regard de cette loi ;

  • les dispositions dont l'exécution est poursuivie n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où l'exequatur est requis ;

Attendu qu'au soutien de leur appel, les époux P. remettent uniquement en cause le jugement sur le fondement de la loi de 2017 portant Code de droit international privé, non applicable en la cause ; que toutefois les deux moyens soulevés sont relatifs à des conditions également prévues par l'article 18 précité et qui seront donc examinés ;

Qu'ils soutiennent en premier lieu qu'aucune copie de l'expédition de l'ordonnance, objet de la demande d'exequatur, n'avait été produite en complément du dépôt de l'original au greffe, ce qui avait selon eux empêché le contrôle de sa conformité et de son contenu ;

Qu'en cause d'appel, le cabinet A. verse désormais une copie de ladite ordonnance, sous la forme d'une expédition revêtue de la formule exécutoire, comportant le cachet de la juridiction et la signature du Premier président et du greffier ;

Que les appelants invoquent en second lieu la contrariété à l'ordre public monégasque de la décision qui méconnaitrait les règles de la prescription, validerait les diligences en l'absence de résultat positif et comporterait une dénomination irrégulière de la société d'avocats ;

Qu'il convient de vérifier si cette décision contrarie l'ordre public monégasque ;

Attendu que l'examen de l'expédition produite de l'ordonnance litigieuse contient un rappel de la procédure, de l'objet de la demande, ainsi qu'un bref exposé des faits ;

Que par ailleurs, le magistrat saisi dudit litige a développé les motifs qui ont présidé à sa décision, étant ici observé qu'il n'appartient pas au juge de l'exequatur de connaître du fond du litige ;

Qu'enfin, le fait que la désignation du cabinet d'avocats soit tronquée n'est pas de nature à empêcher son identification ainsi qu'il a au cas d'espèce été retenu supra ;

Qu'en définitive, il apparaît que la décision litigieuse ne contient aucune disposition contraire à la conception monégasque de l'ordre public international ;

Que c'est en conséquence à bon droit, après avoir vérifié que les autres conditions posées par la convention bilatérale étaient bien réunies, ce qui n'est pas discuté en cause d'appel, que le Tribunal a fait droit à la demande d'exequatur, le jugement étant confirmé sur ce point ;

Sur l'appel incident de la société A.

Attendu que la société A. a formé un appel incident portant sur le quantum des dommages-intérêts qui lui ont été alloués ;

Que cet appel à l'encontre du jugement signifié le 4 mars 2020, régularisé suivant conclusions du 29 septembre 2020, soit dans les formes et délais requis par la loi, est donc recevable, ce qui n'est au demeurant pas contesté par les appelants ;

Attendu que la société A. sollicite l'infirmation du jugement, qui lui a octroyé la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive du fait de l'inexécution contractuelle de régler les honoraires de leur conseil, et sollicite l'allocation de la somme de 45.000 euros en réparation du préjudice financier que lui a causé l'attitude dilatoire, fautive et abusive des époux P. ;

Que les appelants s'y opposent au motif que le juge de l'exequatur ne peut sanctionner une faute contractuelle, objet de la cause tranchée par le juge étranger ;

Que si rien n'interdit au plaideur, qui introduit une demande tendant à faire déclarer exécutoire en Principauté une décision de justice étrangère, de former dans le même temps une demande en paiement de dommages-intérêts fondée sur la résistance fautive opposée par son adversaire sur l'instance en exequatur, c'est à la condition qu'elle n'ait pas pour objet de parvenir à une révision au fond de la décision étrangère ;

Qu'ainsi c'est à tort que le Tribunal a invoqué un manquement contractuel des époux P. le juge de l'exequatur ne pouvant examiner le fond ;

Que cependant la défense mise en œuvre par les époux P. révèle un comportement manifestement fautif de leur part qui résulte notamment de ce qu'ils ont usé de moyens de défense peu sérieux, s'agissant des textes et des motifs de refus invoqués, au regard des pièces communiquées ; qu'il y a lieu de réparer le préjudice ainsi occasionné à la demanderesse qui s'est trouvée contrainte une nouvelle fois de faire valoir judiciairement ses droits, par l'allocation d'une somme que les premiers juges ont justement évaluée à 3.000 euros, compte tenu des éléments d'appréciation existant en la cause ;

Qu'après substitution de motifs, leur décision sera confirmée ;

Attendu que les époux P. qui succombent pour l'essentiel, seront condamnés aux dépens d'appel par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Dit la défense à exécution provisoire sans objet, Déclare l'appel nullité irrecevable,

Reçoit v. P. et e. K. épouse P. en leur appel de droit commun réformation,

Reçoit la SELARL A. SOCIÉTÉ D'AVOCATS en son appel incident, Les disant mal fondés,

Confirme le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 13 février 2020,

Condamne v. P. et e. K. épouse P. aux dépens d'appel avec distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 6 AVRIL 202 1, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur Général Adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

  • Consulter le PDF