Cour d'appel, 16 mars 2021, La SAM A c/ Monsieur k. V.
Abstract🔗
Contrat de travail – Rémunération – Primes – Non-discrimination - Licenciement – Article 6 de la loi n° 729 – Conditions – Caractère abusif (oui)
Résumé🔗
Il est constant que ce principe de non-discrimination en matière de salaires a été érigé au rang de règles par la Cour de révision dans ses arrêts du 9 juin 2005 en sorte que tout employeur a désormais l'obligation d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés de son entreprise qui se trouvent placés dans des conditions identiques, accomplissent un même travail ou un travail de valeur égale. Sur le plan probatoire, qu'il n'est pas contestable que le salarié se prétendant victime d'une telle discrimination doit soumettre à la juridiction saisie tous éléments de fait utiles de nature à démontrer que le travail qu'il accomplit est égal ou de valeur égale à celui effectué par un collègue de travail précisément désigné disposant d'un niveau de compétence, qualification et de responsabilités comparable au sien. Si tous les salariés doivent recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, la rémunération s'entend non seulement du salaire, mais également des divers avantages et accessoires y afférents, notamment les primes accordées. Toute comparaison entre les commerciaux de l'entreprise concernée n'est utile que si ces derniers exercent les mêmes fonctions et ont les mêmes attributions.
En l'espèce, les premiers juges ont à bon droit estimé que la différence de traitement n'était pas établie dès lors que le salarié C. percevait en réalité une rémunération inférieure à celle perçue par j-m.V. le jugement entrepris devant être de ce chef confirmé. Il est acquis que les primes versées par l'employeur caractérisent un usage d'entreprise n'ayant un caractère obligatoire que si cette pratique repose sur la constance, la généralité et la fixité permettant d'établir la volonté non équivoque de l'employeur de s'engager envers ses salariés et de leur octroyer ainsi un avantage financier. Les premiers juges ont à cet égard justement rappelé que la réunion de ces trois conditions est impérative et que si l'un des critères fait défaut, l'employeur ne peut être présumé avoir voulu accorder sciemment un droit supplémentaire aux employés de son entreprise par rapport à la loi, au statut collectif ou au contrat individuel de travail. Si l'attribution de cette prime apparaît relativement constante au cours des années susvisées, la fixité de l'usage dans ses modalités d'attribution et de calcul et sa généralité n'apparaissent cependant pas établies par celui auquel incombe la charge de cette preuve c'est-à-dire j-m.V. lequel ne démontre pas avoir atteint l'objectif fixé par l'entreprise permettant d'en obtenir le bénéfice. Les premiers juges ont dès lors à bon droit considéré que le versement de la prime d'objectif annuel n'était que l'expression d'une décision discrétionnaire de l'employeur, exclusive de tout caractère obligatoire en sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté k.V.de cette demande.
Sur le caractère abusif du licenciement, que l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation par application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, aux termes duquel il peut congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, tout en étant obligé de supporter les conséquences de sa décision et en versant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968. Mais un tel droit n'apparaît ni absolu ni discrétionnaire, le Tribunal du travail devant vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié congédié. Par application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 il incombe au salarié de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est pour lui résulté. A cet égard les premiers juges ont à bon droit rappelé que l'office du juge peut induire un contrôle indirect du motif de rupture pour déterminer si celui-ci est fallacieux, c'est-à-dire s'il procède d'une volonté insidieuse de tromperie de l'employeur ou s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté rendant abusif le licenciement. Si l'organisation d'un entretien préalable n'est pas imposée par la loi du for, elle caractérise néanmoins un acte préparatoire à la notification du licenciement qui tend à favoriser un échange entre l'employeur et le salarié concerné, à organiser le cas échéant une discussion relative aux motifs de rupture, à préparer le salarié à la décision qui va suivre ou même à laisser à l'employeur un délai de réflexion postérieur à l'entretien. L'ensemble de tels objectifs se trouve néanmoins réduit à néant lorsque la lettre de licenciement est remise aux salariés le jour de cet entretien qui n'a dès lors plus rien de « préalable ». Les premiers juges ont à bon droit considéré qu'une telle démarche de l'employeur, démontrant que le licenciement était déjà acquis dans son principe, caractérisait la légèreté blâmable et la soudaineté de la rupture, la rendant d'autant plus abusive qu'elle s'est accompagnée d'une dispense immédiate d'exécution du préavis qui a été indubitablement de nature à jeter le discrédit sur le salarié aussitôt exclu de l'entreprise. Le jugement entrepris sera de ce chef confirmé étant observé que la demande de dommages-intérêts associée à cet abus dans les conditions de mise en œuvre du licenciement ne peut ouvrir droit qu'à l'indemnisation du préjudice moral subi par j-m.V.et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 16 MARS 2021
En la cause de :
- La SAM A (anciennement SAM B), société anonyme monégasque, immatriculée au RCI de Monaco sous le n° 87S02253, dont le siège social est L'Albu, 17 avenue Albert II à Monaco, prise en la personne de son président administrateur délégué, demeurant et domicilié audit siège ès-qualités ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Ludivine AUBERT, avocat au barreau de Nice, substituant Maître Delphine FRAHI, avocat en ce même barreau ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
- Monsieur k. V., venant aux droits de feu j-m. V. de nationalité française, lequel était domicilié X1à Sospel (06380) ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° 776 BAJ 18, par décision du Bureau du 13 décembre 2018
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Clyde BILLAUD, avocat près la même Cour ;
INTIMÉ,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 30 janvier 2020 ;
Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 24 mars 2020 (enrôlé sous le numéro 2020/0000104) ;
Vu les conclusions déposées le 15 juin 2020 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de k. V.;
Vu les conclusions déposées le 13 octobre 2020 par Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, au nom de la SAM A ;
À l'audience du 2 février 2021, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel parte in qua relevé par la SAM A à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 30 janvier 2020.
Considérant les faits suivants :
Monsieur j-m. V. embauché par la société anonyme monégasque B, devenue la SAM A, par contrat à durée indéterminée à compter du 17 septembre 2001, en qualité de Chef de Secteur, a été convoqué par courrier du 11 octobre 2016 à un entretien préalable fixé au 20 octobre tout en étant dispensé d'activité et de présence dans l'entreprise à compter du même jour.
Aux termes d'une requête en date du 14 mars 2017, j-m. V. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :
- « annuler la mise à pied notifiée le 10 décembre 2015 pour la période du 15 au 17 décembre 2015,
- constater que le taux horaire du salaire versé à Monsieur j-m. V. en sa qualité de Chef de Secteur au service commercial, échelon E8, était inférieur à celui d'un autre salarié au même poste, au même service et au même échelon,
- dire et juger que le licenciement de Monsieur j-m. V. est abusif, condamner en conséquence la SAM B à payer à Monsieur j-m. V. les sommes suivantes :
salaire retenu au titre de la mise à pied (en brut) : 327,34 euros,
régularisation des salaires (sur une période de cinq ans) (en brut) : 41.802 euros,
tickets restaurants (octobre à décembre 2016) : 161 euros,
prime sur objectifs annuels (en brut) : 6.000,00 euros,
dommages et intérêts pour licenciement abusif :
préjudice financier,
préjudice moral compte tenu des difficultés pour celui-ci de trouver un emploi et des conséquences dommageables sur sa vie personnelle : 50.000 euros,
- délivrance de bulletins de salaire, de certificat de travail, d'attestation Pôle Emploi et du solde de tout compte conformes,
- exécution provisoire du jugement à intervenir,
- intérêts de droit au taux légal à compter de la présente citation et jusqu'à parfait paiement : mémoire ».
Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le Bureau de Jugement.
Monsieur j-m. V. étant décédé en cours de procédure, son fils, k. V. a déposé des conclusions de reprise d'instance le 10 janvier 2019.
Statuant au contradictoire de ce dernier venant aux droits de feu son père j-m. V. le Tribunal du travail a par jugement du 30 janvier 2020 :
- dit que le licenciement de feu j-m. V. par la société anonyme monégasque A est abusif,
- condamné la SAM A à payer à Monsieur k. V. venant aux droits de feu j-m. V. la somme de 25.000 euros (vingt-cinq mille euros) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- ordonné, en tant que de besoin, la délivrance par la SAM A à k. V. venant aux droits de feu j-m. V. dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, des fiches de paie, du solde de tout compte, du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision,
- débouté k. V. venant aux droits de feu j-m. V. du surplus de ses demandes,
- condamné la SAM A aux dépens du jugement.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont en substance observé que le passé irréprochable de j-m. V. justifiait la limitation de la sanction infligée à une mise à pied qui ne paraissait pas en l'espèce disproportionnée ; ils ont par ailleurs estimé qu'en l'état des diverses primes accordées, aucune discrimination salariale n'apparaissait établie, la différence de traitement n'étant pas plus démontrée que la généralité de la prime annuelle sur objectifs dont le versement résultait au contraire de l'expression d'une gratification discrétionnaire et spontanée. Les premiers juges ont enfin considéré que le salarié avait supporté un préjudice moral du fait de la situation générée par une rupture exercée avec légèreté et soudaineté qu'il n'avait pu anticiper.
Suivant exploit en date du 24 mars 2020, la société A a interjeté appel parte in qua du jugement susvisé, signifié le 26 février 2020, à l'effet de le voir infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de feu j-m. V. était abusif du fait des conditions de mise en œuvre de la rupture et en ce qu'il l'a condamnée à payer à k. V. venant aux droits de ce dernier, la somme de 25.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter de la décision et voir confirmer le jugement entrepris pour le surplus ; il a ainsi demandé à la Cour, statuant à nouveau, de dire et juger que le licenciement de j-m. V. ne présente aucun caractère abusif dans ses conditions de mise en œuvre, de dire que ce dernier a été intégralement rempli de ses droits et de débouter son fils k. V. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et le condamner aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de son appel et aux termes de l'ensemble de ses écritures la société A expose pour l'essentiel que :
- l'employeur a procédé au licenciement de j-m. V. sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 en sorte que le salarié a été rempli de ses droits, dès lors qu'il n'appartient pas au Juge de vérifier la cause de la rupture,
- c'est à tort que les premiers juges ont par ailleurs estimé que les conditions de mise en œuvre du licenciement présentaient un caractère abusif,
- pour justifier l'abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture les premiers juges ont reproché à l'employeur d'avoir remis la lettre de notification du licenciement aux termes de l'entretien préalable et avant l'envoi par lettre recommandée avec accusé de réception, reprochant par ailleurs à la société A d'avoir dispensé le salarié de l'exécution de son préavis pour un motif purement hypothétique,
- l'entretien préalable n'est pas obligatoire en droit du for mais il est acquis que sa tenue préserve le licenciement d'un caractère de soudaineté et de brutalité,
- en l'espèce, j-m. V. a été régulièrement convoqué à un entretien préalable au licenciement par un courrier du 11 octobre 2016 spécifiant qu'une mesure de licenciement était envisagée dans le cadre des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729,
- l'entretien fixé 9 jours plus tard laissait à ce salarié suffisamment de temps pour prendre tous renseignements et conseils utiles sur la procédure à suivre, ce délai ôtant tout caractère de soudaineté à sa mise en œuvre,
- le salarié concerné a choisi de se présenter seul à l'entretien préalable, n'ayant dès lors pas ressenti le besoin d'être assisté et n'ayant alors formulé aucune remarque sur la régularité de la procédure,
- c'est de façon tout à fait transparente que la copie du courrier de licenciement lui a été remise le jour même en main propre,
- l'employeur est tout à fait libre de dispenser le salarié de l'exécution de son préavis, s'agissant d'une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur et d'une pratique courante dans les entreprises ayant des commerciaux, dont le but est d'éviter toutes tentatives de récupération de fichiers ou de dénigrement de la société,
- cette dispense de préavis n'apparaît ni vexatoire ni punitive, le salarié concerné ayant de surcroît perçu l'indemnité compensatrice et ne pouvant dès lors se prévaloir d'aucun préjudice de ce chef,
- k. V. ne justifie pas davantage d'un quelconque préjudice subi par feu j-m. V. n'ayant pas établi les difficultés d'embauche évoquées, alors même que son père apparaît avoir été recruté très peu de temps après la rupture par la société DP PLASTUBE, concurrent direct de son employeur,
- en visant « un préjudice nécessaire » le Tribunal du travail se réfère à tort à une présomption de préjudice contrairement au droit commun de la preuve, la jurisprudence française la plus récente imposant au contraire au salarié qui se prévaut d'un dommage d'en prouver la réalité.
k. V. venant aux droits de feu son père j-m. V., a déposé des conclusions d'appel incident parte in qua, aux termes desquelles il entend voir la Cour :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal du travail le 30 janvier 2020 en ce qu'il a :
- dit que le licenciement de feu j-m. V. par la SAM A (anciennement SAM B) est abusif,
- condamné la SAM A (anciennement SAM B) à payer à k. V. venant aux droits de feu j-m. V. la somme de 25.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la décision,
- ordonné, en tant que de besoin, la délivrance par la SAM A (anciennement SAM B) à k. V. venant aux droits de feu j-m. V. dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, des fiches de paie, du solde de tout compte, du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi conformes à la décision,
- infirmer le jugement rendu par le Tribunal du travail le 30 janvier 2020 pour le surplus,
- déclarer k. V. venant aux droits de feu j-m. V. recevable et bien fondé en son appel parte in qua formé à titre incident, et en conséquence :
- constater que le taux horaire du salaire versé à feu j-m. V. en sa qualité de « Chef de secteur » au service « commerciale », échelon E8, était inférieur à celui d'un autre salarié au même poste, au même service et au même échelon,
- constater que la SAM A (anciennement SAM B) n'a pas versé à feu j-m. V. la somme de 6.000 euros (en brut) au titre de la prime sur objectif annuel au titre de l'année 2016,
- condamner la SAM A (anciennement SAM B) à payer à k. V. venant aux droits de feu j-m. V. les sommes suivantes :
régularisation des salaires
(sur une période de cinq ans) (en brut) :
41.802,00 euros,
prime sur objectifs annuels (en brut) :
6.000,00 euros,
- dire que la décision à intervenir sur ces sommes portera intérêt au taux légal à compter du 30 janvier 2020 et jusqu'à parfait paiement,
En tout état de cause,
- débouter la SAM A (anciennement SAM B) de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SAM A (anciennement SAM B) aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, dont distraction au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Il soutient dans ses écritures que :
- l'entretien du 20 octobre 2016 ne peut être considéré comme un entretien préalable dès lors que j-m. V. n'a pas été mis en mesure de s'expliquer ni de discuter de la mesure de licenciement, recevant le courrier de rupture dès le début de l'entretien,
- le caractère soudain et brutal de la rupture est d'autant plus avéré que le salarié concerné a été dispensé d'activité de présence dans l'entreprise du jour au lendemain et ce à l'issue d'une période d'activité importante de plus de 15 années,
- l'employeur a tenté de justifier cette dispense de préavis sur un événement purement hypothétique tout à fait injustifié permettant de caractériser l'aspect vexatoire et punitif de la mise en œuvre de la rupture,
- s'agissant de la demande de régularisation des salaires, la décision entreprise a erronément pris en compte diverses primes obtenues par j-m. V. pour ne pas faire droit à la demande et ce, alors même que ce salarié effectuait 169 heures mensuel pour un taux horaire de 12,45 et qu'un autre salarié également chef de secteur ayant 5 ans de moins d'ancienneté effectuait le même nombre d'heures mensuelles pour un taux horaire de 16,57,
- j-m. V. a donc subi une différence de salaire avec certains de ses collègues placés dans la même situation, étant observé que l'Inspecteur du Travail a demandé à l'employeur de régulariser cette situation par courrier du 12 décembre 2011,
- les pièces produites par l'employeur ne justifient en aucun cas la différence de traitement et le jugement entrepris sera réformé de ce chef,
- s'agissant de la prime sur objectifs annuels, contrairement à ce qu'a pu retenir le Tribunal du travail son versement n'était pas l'expression d'une gratification spontanée et discrétionnaire de la part de l'employeur mais correspondait bien à une prime obligatoire du fait de sa constance, de sa généralité, de sa fixité, de sorte qu'il doit être fait droit à la demande de paiement d'une somme de 6.000 euros à ce titre.
La société appelante, réitérant l'ensemble de ses moyens de réformation et répliquant sur l'appel incident, soutient dans de nouvelles conclusions que :
- il n'existait aucune inégalité salariale entre les employés de la société A qui respecte parfaitement les dispositions de la loi n° 739 du 16 mars 1963 sur le salaire c'est-à-dire la règle à travail égal salaire égal,
- le courrier du 12 décembre 2011 émanant de l'inspection du travail est tout à fait étranger à ce débat, dès lors que Madame V. K. demandait simplement à l'employeur de vérifier que la refonte des bulletins de salaire n'avait pas conduit à une baisse du taux horaire, le dossier ayant par la suite été classé en considération des explications fournies en réponse,
- si j-m. V. entend procéder à une comparaison, il doit le faire avec des commerciaux ayant les mêmes fonctions que lui c'est-à-dire les employés de la « business unit bâtiment » dont les attributions sont similaires aux siennes,
- tous les employés relevant de cette classification perçoivent un salaire de base outre les primes supérieures au minimum conventionnel et j-m. V. était celui qui percevait la rémunération la plus élevée,
- les premiers juges ont à bon droit estimé qu'en dépit d'une classification identique dès lors que les fonctions et les tâches étaient différentes les modalités de rémunération apparaissaient également différentes,
- le département commercial comprend plusieurs pôles d'activité répondant chacun à un fonctionnement propre en sorte que d'un pôle à l'autre les salariés n'ont pas les mêmes fonctions ni les mêmes attributions ni donc les mêmes échelles de rémunération notamment concernant la partie variable,
- j-m. V. relevait de l'équipe commerciale « Bâtiment » tandis que Monsieur C. appartenait à l'équipe « D », en sorte que les bases de calcul de la rémunération étaient radicalement différentes,
- la grille de rémunération de tous les salariés du pôle bâtiment versée aux débats démontre tout comme les bulletins de salaire des 2 salariés concernés que les employés du secteur bâtiment bénéficiaient de différents éléments de rémunération variables dont étaient privés les salariés affectés au service de la centrale « D » qui percevaient donc une rémunération de base plus élevée,
- seule l'analyse du pôle bâtiment permet de comparer à travers des fonctions similaires la rémunération perçue par j-m. V. et il est établi que celui-ci percevait le salaire de base le plus important eu égard à son ancienneté, l'employeur ayant respecté de ce chef l'ensemble des prescriptions légales,
- en ce qui concerne la prime annuelle sur objectifs, les premiers juges ont justement considéré que son caractère obligatoire n'était pas démontré, à défaut d'établir le critère de fixité requis en la matière.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les appels tant principal qu'incident ont été formés dans les conditions de forme et de délai prévues par la loi et doivent être déclarés recevables ;
Attendu qu'en l'état de l'effet dévolutif de ces deux appels partiels, le jugement déféré apparaît définitif à l'exception des dispositions aux termes desquelles il a d'une part été jugé que le licenciement de feu j-m. V. était abusif du fait des conditions de mise en œuvre de la rupture et en ce qu'il a condamné la société A à payer à son fils, venant aux droits de ce salarié, la somme de 25.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter du jugement du tribunal du travail et d'autre part, en ce que k. V. venant aux droits de son père a été débouté des fins de ses demandes au titre de la régularisation des salaires et de la prime sur objectifs annuels ;
1- Attendu s'agissant en premier lieu de la demande de régularisation des salaires que si le législateur monégasque ne consacre pas expressément le principe d'égalité de traitement en matière de salaires, les premiers juges ayant à bon droit rappelé que l'article 2-1 de la loi n° 739 sur le salaire ne prohibe formellement que les discriminations fondées sur le sexe, il s'induit cependant des dispositions dénuées d'équivoque de l'article 7 du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques, rendu exécutoire à Monaco par l'ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998, que tous les salariés doivent recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, la rémunération s'entendant non seulement du salaire proprement dit, mais également des divers avantages et accessoires y afférents ;
Qu'il est non moins constant que ce principe de non-discrimination en matière de salaires a été érigé au rang de règles par la Cour de révision dans ses arrêts du 9 juin 2005 en sorte que tout employeur a désormais l'obligation d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés de son entreprise qui se trouvent placés dans des conditions identiques, accomplissent un même travail ou un travail de valeur égale ;
Attendu, sur le plan probatoire, qu'il n'est pas contestable que le salarié se prétendant victime d'une telle discrimination doit soumettre à la juridiction saisie tous éléments de fait utiles de nature à démontrer que le travail qu'il accomplit est égal ou de valeur égale à celui effectué par un collègue de travail précisément désigné disposant d'un niveau de compétence, qualification et de responsabilités comparable au sien ;
Attendu, qu'au cas d'espèce, j-m. V. soutenait qu'il percevait un salaire inférieur à celui de n. C. ce salarié ayant pourtant une ancienneté inférieure à la sienne ;
Que les premiers juges ont cependant estimé que le salaire annuel net de j-m. V. était supérieur à celui perçu par n. C. eu égard aux diverses primes accordées en sorte que la différence de traitement n'était pas avérée, ce que conteste l'appelant incident en expliquant que pour un nombre d'heures équivalent le taux horaire de ces deux salariés était différent et que l'inspection du travail avait demandé la régularisation de cette différence de salaire ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites que j-m. V. occupait le poste de Chef de Secteur, catégorie « employé », échelon « E8 », service « commercial », avec une ancienneté au 17 septembre 2001 et un salaire de base brut mensuel de 2.103,30 euros pour 169 heures de travail, tandis que Monsieur n. C. occupait le poste de Chef de Secteur MRB nord, catégorie « employé », échelon « E8 », service « commercial », avec une ancienneté au 14 décembre 2006 et un salaire de base brut mensuel de 2.800 euros pour 169 heures de travail ;
Qu'il est non moins constant que suivant courrier de l'inspection du Travail en date du 12 décembre 2011, il était signalé à l'employeur que le salaire d'un commercial ayant 10 ans d'ancienneté s'avérait inférieur à celui d'un commercial récemment embauché et ce, contrairement à la règle travail égal salaire égal ;
Mais attendu en premier lieu que si tous les salariés doivent en effet recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, la rémunération s'entend non seulement du salaire, mais également des divers avantages et accessoires y afférents, notamment les primes accordées ;
Attendu en second lieu que toute comparaison entre les commerciaux de l'entreprise concernée n'est utile que si ces derniers exercent les mêmes fonctions et ont les mêmes attributions ;
Qu'il résulte néanmoins des pièces versées aux débats que j-m. V. appartenait au pôle « bâtiment » et n. C. appartenait au pôle « bricolage », les salariés de ces 2 pôles n'ayant ni les mêmes fonctions, ni des attributions comparables alors même que les grilles et échelles de rémunération apparaissent différentes, notamment dans la définition de la partie variable ;
Attendu que la société A applique en effet la grille de classification de la convention collective import-export fixant à 1.780 euros le salaire minimum pour un salarié relevant de la classification E8, en sorte que le salaire de base outre les primes y apparaissent supérieurs au minimum conventionnel et ce, afin de ne pas pénaliser les employés de l'unité « D » qui ne perçoivent pas la prime mensuelle, le taux horaire de n. C. se trouvant ainsi nécessairement plus élevé ;
Attendu que les premiers juges ont dès lors à bon droit estimé que la différence de traitement n'était pas établie dès lors que le salarié C. percevait en réalité une rémunération inférieure à celle perçue par j-m. V. le jugement entrepris devant être de ce chef confirmé ;
2- S'agissant de la demande d'une prime annuelle formée par k. V. et chiffrée à la somme de 6.000 euros pour l'année 2015 que ni le contrat de travail, ni aucun autre document conventionnel n'en prévoyait l'attribution ;
Attendu qu'il est néanmoins acquis que les primes versées par l'employeur caractérisent un usage d'entreprise n'ayant un caractère obligatoire que si cette pratique repose sur la constance, la généralité et la fixité permettant d'établir la volonté non équivoque de l'employeur de s'engager envers ses salariés et de leur octroyer ainsi un avantage financier ;
Que les premiers juges ont à cet égard justement rappelé que la réunion de ces trois conditions est impérative et que si l'un des critères fait défaut, l'employeur ne peut être présumé avoir voulu accorder sciemment un droit supplémentaire aux employés de son entreprise par rapport à la loi, au statut collectif ou au contrat individuel de travail ;
Attendu que l'appelant incident fait notamment grief à la décision entreprise d'avoir estimé que le critère de fixité n'était pas rempli ;
Attendu qu'il résulte des pièces communiquées aux débats et notamment des bulletins de salaire que j-m. V. a perçu au mois de décembre 2012 une prime sur objectif annuel d'un montant brut de 3.285 euros, au mois de décembre 2013 une prime sur objectif annuel d'un montant brut de 5.235 euros, et au mois de décembre 2014 une prime sur objectif annuel d'un montant brut de 7.000 euros et au mois de décembre 2015 une prime de 3.421 euros, soit une variation importante successivement à la hausse puis à la baisse ;
Que si l'attribution de cette prime apparaît relativement constante au cours des années susvisées, la fixité de l'usage dans ses modalités d'attribution et de calcul et sa généralité n'apparaissent cependant pas établies par celui auquel incombe la charge de cette preuve c'est-à-dire j-m. V. lequel ne démontre pas avoir atteint l'objectif fixé par l'entreprise permettant d'en obtenir le bénéfice ;
Attendu que les premiers juges ont dès lors à bon droit considéré que le versement de la prime d'objectif annuel n'était que l'expression d'une décision discrétionnaire de l'employeur, exclusive de tout caractère obligatoire en sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté k. V. de cette demande ;
3- Attendu sur le caractère abusif du licenciement, que l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation par application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, aux termes duquel il peut congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, tout en étant obligé de supporter les conséquences de sa décision et en versant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ;
Mais attendu qu'un tel droit n'apparaît ni absolu ni discrétionnaire, le Tribunal du travail devant vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié congédié ;
Attendu que par application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 il incombe au salarié de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est pour lui résulté ;
Qu'à cet égard les premiers juges ont à bon droit rappelé que l'office du juge peut induire un contrôle indirect du motif de rupture pour déterminer si celui-ci est fallacieux, c'est-à-dire s'il procède d'une volonté insidieuse de tromperie de l'employeur ou s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté rendant abusif le licenciement ;
Attendu qu'il n'est plus soutenu en cause d'appel que des motifs illicites auraient présidé au licenciement, k. V. estimant simplement que son père, feu j-m. V. a fait l'objet d'un licenciement fautif car empreint de brutalité et de précipitation, ce que conteste formellement la société appelante ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites que l'employeur a convoqué j-m. V. à un entretien préalable par courrier en date du 11 octobre 2016, prévu le 20 octobre suivant, lors duquel il a été remis en main propre au salarié la lettre de licenciement avec accusé de réception tout en lui notifiant sa dispense de l'exécution de préavis ;
Attendu que si l'organisation d'un entretien préalable n'est pas imposée par la loi du for, elle caractérise néanmoins un acte préparatoire à la notification du licenciement qui tend à favoriser un échange entre l'employeur et le salarié concerné, à organiser le cas échéant une discussion relative aux motifs de rupture, à préparer le salarié à la décision qui va suivre ou même à laisser à l'employeur un délai de réflexion postérieur à l'entretien ;
Que l'ensemble de tels objectifs se trouve néanmoins réduit à néant lorsque la lettre de licenciement est remise aux salariés le jour de cet entretien qui n'a dès lors plus rien de « préalable » ;
Attendu que les premiers juges ont à bon droit considéré qu'une telle démarche de l'employeur, démontrant que le licenciement était déjà acquis dans son principe, caractérisait la légèreté blâmable et la soudaineté de la rupture, la rendant d'autant plus abusive qu'elle s'est accompagnée d'une dispense immédiate d'exécution du préavis qui a été indubitablement de nature à jeter le discrédit sur le salarié aussitôt exclu de l'entreprise ;
Attendu que le jugement entrepris sera de ce chef confirmé étant observé que la demande de dommages-intérêts associée à cet abus dans les conditions de mise en œuvre du licenciement ne peut ouvrir droit qu'à l'indemnisation du préjudice moral subi par j-m. V. et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe ;
Attendu que j-m. V. qui disposait d'une ancienneté d'une quinzaine d'années dans l'entreprise, pour y avoir été embauché en 2001, n'a de toute évidence pas pu anticiper la mesure prise brutalement à son encontre, ayant dû quitter l'entreprise du jour au lendemain ;
Attendu qu'en l'état des éléments d'appréciation produits aux débats, inhérents notamment au montant du salaire et à l'ancienneté de ce salarié, le préjudice moral subi par j-m. V. apparaît avoir été justement évalué par les premiers juges à la somme de 25.000 euros, le jugement entrepris devant également être confirmé de ce chef ;
Attendu que les entiers dépens de l'instance demeureront à la charge de la société A ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare les appels principal et incident recevables,
Au fond en déboute respectivement la société A et k. V.
Confirme en toutes ses dispositions appelées le jugement rendu par le Tribunal du travail le 30 janvier 2020,
Condamne la SAM A aux entiers dépens, distraits au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 16 MARS 202 1, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur général adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.