Cour d'appel, 16 mars 2021, La SAM A c/ Monsieur m. C.

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Abstract🔗

Banques - Responsabilité (oui) - Opérations sur titres et produits financiers - Manquement à l'obligation d'information

Résumé🔗

La banque, chargée de la réception et de la transmission d'ordres sur les marchés financiers, engage sa responsabilité pour manquement à son devoir général d'information, dès lors que le client, profane, avait investi dans des produits à haut risque et qu'il n'a reçu aucune information adaptée tout au long de la relation contractuelle.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 16 MARS 2021

En la cause de :

  • - La société anonyme monégasque A au capital de 111.110.000 euros, inscrite au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° X, ayant son siège social X1 à Monaco (98000), agissant poursuites et diligences de son administrateur délégué en exercice domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Gilbert MANCEAU, avocat au barreau de Paris ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - Monsieur m. C., né le 29 mai 1970 à Milan (Italie), de nationalité italienne, demeurant X1à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 24 octobre 2019 (R. 519) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 5 décembre 2019 (enrôlé sous le numéro 2020/000064) ;

Vu les conclusions déposées les 25 mai 2020 et 16 novembre 2020 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Monsieur m. C.;

Vu les conclusions déposées les 14 septembre 2020 et 30 novembre 2020 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la SAM A ;

À l'audience du 15 décembre 2020, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la SAM A à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 24 octobre 2019.

Considérant les faits suivants :

m. C. a ouvert en 2014 un compte portant le numéro 628528 dans les livres de la SAM A, devenue la SAM A Monaco.

A l'occasion de l'ouverture de ce compte, m. C. a signé le 21 janvier 2014 la documentation relative aux dispositions générales applicables à l'ensemble des comptes, aux conditions de fonctionnement des comptes et aux informations sur les risques généraux des investissements dans des instruments financiers, et, une demande d'adhésion au service A Online.

Aucun mandat de gestion ou de conseil n'a été signé par les parties, le rôle de la banque ayant été limité à la tenue du compte, c'est-à-dire à la réception, la transmission et l'exécution des ordres du client.

Le 24 mars 2015, m. C. a signé un ordre d'achat portant sur « 20 000 TVIX au marché ».

Cet ordre a été exécuté et confirmé par la SAM A le 27 mars 2015, pour un total de 31.661,13 euros correspondant à l'achat des 20.000 titres ordonné.

Le 26 novembre 2016, lors d'un échange de courriels entre le client et la banque, m. C. a été informé qu'en avril 2016 la valorisation du titre était de 6.000 USD et qu'au 26 novembre 2016 elle était à 1.000 USD.

Le 1er février 2017, la SAM A a clôturé le compte de m. C. après avoir procédé, le 18 janvier 2017, à la vente des titres de ce dernier pour la somme de 365,17 euros.

Déplorant une perte quasi-totale de l'investissement et estimant que la banque avait manqué à ses obligations d'information et de conseil, ainsi qu'à son devoir de loyauté et de bonne conduite, m. C. a saisi le Tribunal de première instance d'une action en responsabilité de la SAM A et en paiement de la perte subie, évaluée à la somme de 31.295,96 euros, et de dommages-intérêts pour résistance abusive à hauteur de 10.000 euros.

Par jugement du 24 octobre 2019 le Tribunal de première instance a ainsi statué :

« - dit que la SAM A a manqué à ses obligations d'information, de conseil et de loyauté,

- condamne la SAM A payer à m. C. la somme de 31.295,96 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamne la SAM A à payer à m. C. la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive en l'état du manquement à son obligation de loyauté,

déboute les parties du surplus de leurs demandes,

- condamne la SAM A aux dépens avec distraction au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation de droit ».

Le Tribunal a retenu essentiellement que :

  • - la relation des parties est soumise aux dispositions de la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007 sur les activités financières et de l'ordonnance n° 1.284 du 10 septembre 2007, dispositions qui soumettent la banque à respecter les règles prudentielles et de bonne conduite au nombre desquelles celle de se comporter avec loyauté et agir avec équité au mieux des intérêts de leurs clients et de l'intégrité du marché,

  • - l'établissement bancaire est soumis à un devoir général d'information et de conseil, même en l'absence de mandat de gestion, qui commence dès avant le premier acte contractuel et est atténué en présence d'un investisseur averti,

  • - l'information personnalisée ne résulte pas du document contractuel fourni, lequel consiste en un document général relatif aux conditions de fonctionnement des comptes, aux conditions de tarification, qui comporte la mention que les parties « conviennent de l'ouverture d'un compte n° 625528 »,

  • - l'exécution de l'achat n'a pas été accompagnée d'une information et de conseils adaptés au profil du client, la SAM A n'établissant pas qu'il était un investisseur avisé,

  • - aucun relevé annuel relatif à l'investissement n'a été envoyé,

  • - l'ensemble constitue un lourd manquement à son devoir d'information et de conseils à toute hauteur de la relation des parties et une absence de comportement loyal de la banque,

  • - cette faute a privé le client d'une chance, en premier lieu de ne pas effectuer cet achat, puis de prendre toute décision propre à en limiter la dévalorisation ou même à réorienter son investissement,

  • - la SAM A ne pouvait se méprendre sur l'étendue de ses devoirs au titre des règles de bonne conduite lors des interrogations de m. C. et de la clôture unilatérale du compte.

Par exploit d'appel et assignation en date du 5 décembre 2019, la SAM A, dont la nouvelle dénomination sociale est désormais SAM A Monaco, a relevé appel de ce jugement.

Aux termes de cet exploit et des conclusions qu'elle a déposées les 14 septembre et 30 novembre 2020, il est demandé à la Cour de :

  • - dire SAM A Monaco recevable et bien fondée en son appel du jugement du Tribunal de première instance rendu le 24 octobre 2019,

  • - déclarer irrecevable pour forclusion l'action de m. C. à la date de la délivrance de l'assignation du 30 avril 2018,

  • - infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

  • - débouter m. C. de ses demandes, fins et conclusions,

  • - condamner m. C. à payer à la SAM A Monaco la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Subsidiairement,

  • - dire et juger que le régime de réparation du préjudice allégué par m. C. est celui de la perte de chance laquelle est limitée à une fraction de 20 % de la perte invoquée par l'intimé,

  • - condamner m. C. aux entiers dépens distraits au profit de Maître REY.

La SAM A Monaco reproche aux premiers juges d'avoir motivé sa décision sur le fondement du devoir général de conseil et d'information du banquier, alors que la question n'était pas dans le débat et qu'elle n'a pu s'expliquer sur ce point, qu'elle conteste, observant que ni la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007, ni l'ordonnance souveraine n° 1.284 du 10 septembre 2007 en portant application, n'instituent une responsabilité précontractuelle du récepteur-transmetteur d'ordre.

La banque soulève en premier lieu l'irrecevabilité, pour forclusion, de l'action introduite par m. C. suivant exploit du 30 avril 2018 (sic), sur le fondement de l'article 12 des conditions de fonctionnement du compte qui prévoit que toute action judiciaire doit, à peine de forclusion, être introduite par le client dans le délai de deux années suivant la réalisation du fait qui en est la cause, soit en l'espèce selon elle l'investissement litigieux du 30 mars 2017 qui aurait généré un préjudice dont il est demandé la réparation.

Sur le fond, elle réitère son argumentation développée en première instance et tenant pour l'essentiel aux motifs suivants :

  • - elle n'a pas conseillé à m. C. l'investissement litigieux,

  • - aucune obligation d'informer et de conseiller le client n'est mise à la charge de l'activité de RTO, ce devoir n'existant aux termes de ladite loi que dans le cadre d'une gestion sous mandat prévue au chiffre 1 de l'article 1er de la loi,

  • - le Tribunal a jugé contra legem,

  • - une telle activité relève d'un mandat d'exécution dont les obligations sont définies par les articles 1830 et suivants du Code civil, le mandataire devant répondre d'un défaut d'exécution du mandat, qui n'est pas établi en l'espèce, l'ordre ayant été parfaitement exécuté en l'espèce,

  • - surabondamment, au cas d'espèce, l'accomplissement de cette obligation résulte de la remise au client d'une notice d'information sur les risques généraux des investissements dans les instruments financiers,

  • - elle n'a commis aucun manquement dans son devoir d'information tout au long de la relation contractuelle, m. C. ayant fait le choix de l'envoi du courrier à la banque et souscrit un contrat du service de banque à distance A online lui ouvrant un accès permanent au compte et à sa situation,

  • - la différence du nombre de titres en portefeuille au moment de la clôture du compte résulte de deux regroupements effectués en juin 2015 et 2016 par l'émetteur de l'instrument financier litigieux,

  • - le non-respect invoqué des règles de bonne conduite n'est étayé par aucun élément,

  • - la vente unilatérale des titres par elle et la clôture du compte sont régulières pour avoir été effectuées en conformité avec le contrat,

  • - la demande ne repose ni sur une responsabilité légale, ni sur une responsabilité contractuelle,

  • - à titre subsidiaire, le manquement à une obligation de conseil ou d'information relève de la perte de chance et ne peut donner lieu à un remboursement total de la valeur investie en l'absence de clause de garantie de représentation du capital, ce que reconnaît de fait l'intimé lorsqu'il admet avoir été privé d'une fraction de son investissement,

  • - l'action qui repose sur des affirmations erronées et qui a été introduite de mauvaise foi justifie l'allocation des dommages-intérêts réclamés.

m. C. intimé, a répliqué suivant conclusions déposées les 25 mai et 16 novembre 2020 aux termes desquelles il poursuit la confirmation du jugement et la condamnation de la SAM A Monaco à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et les entiers dépens de l'instance.

Il reproche à la banque d'avoir manqué à son obligation d'information, de conseil et d'assistance, son devoir de loyauté et de bonne conduite, ainsi qu'aux règles prudentielles auxquelles elle était tenue.

Il fait valoir essentiellement que :

Sur la forclusion :

  • - le point de départ de l'action est le fait générateur, soit la découverte du préjudice, lequel n'a pas pris naissance à la date de l'ordre d'achat mais à la réalisation de la cession des titres par décision unilatérale de la banque en 2017,

  • - l'action n'était pas forclose lors de son introduction par exploit du 30 mars 2018.

Sur la responsabilité de la banque :

  • - tout établissement bancaire est tenu, même en l'absence de gestion, à une obligation générale et doit dans ce cadre informer ses clients des risques d'opérations boursières envisagées et s'informer de leur connaissance des marchés financiers,

  • - la SAM A ne s'est pas enquise de son degré de connaissance alors qu'il est un profane en matière boursière,

  • - elle ne lui a donné aucune information sur le produit, objet de l'ordre, alors qu'il s'agissait d'un produit recommandé par elle et en outre d'un produit spéculatif à haut risque,

  • - la SAM A ne lui a fourni aucun relevé annuel, ni d'avantage d'explication sur la perte de valeur des titres, sur le changement de leur libellé et de leur nombre,

  • - ce n'est qu'en appel qu'elle apportera des précisions sur l'évolution de leur nombre, carence relevant d'un comportement déloyal de sa part au mépris des règles de bonne conduite édictées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance n° 1.284 et 23 de la loi n° 1.338,

  • - au moment de la baisse de valeur, elle ne l'a pas davantage conseillé et assisté pour réorienter l'investissement pour en retirer un profit ou prendre toute décision propre à en limiter la dévalorisation,

  • - la banque est également tenue d'une obligation légale de conseil et d'assistance dans le cadre d'un régime RTO, en application des dispositions de l'article 1er chiffres 3 et 4,

  • - la banque a également commis une faute dans l'exécution de son mandat en ne s'assurant pas que son client profane était informé de la nature du produit qu'elle lui a recommandé d'acquérir et des risques encourus, en vendant les titres pour une somme quasi nulle et en procédant à la clôture du compte de façon unilatérale.

Sur le préjudice :

  • - le préjudice ne sera pas limité à la perte de chance au regard de la carence à toute hauteur de la relation contractuelle de la banque.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel du jugement signifié le 13 novembre 2019, régulièrement formé dans les conditions de forme et de délai prévues par le Code de procédure civile, doit donc être déclaré recevable ;

  • Sur la recevabilité de l'action de m. C.

Attendu que l'article 278-1 du Code de procédure civile, dispose : « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer la demande irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, une déchéance, une forclusion, la prescription ou la chose jugée » ;

Qu'aux termes de l'article 278-2 du même Code, les fins de non-recevoir pourront être proposées en tout état de cause et même relevées d'office par le tribunal lorsqu'elles auront un caractère d'ordre public ou lorsqu'elles seront tirées du défaut d'intérêt ou du défaut de qualité ;

Que dès lors la fin de non-recevoir opposée par la SAM A Monaco doit être déclarée recevable ;

Attendu sur le bien-fondé de ladite demande, que l'article 12 des conditions générales et de fonctionnement des comptes énonce qu'à peine de forclusion, toute action judiciaire du client contre la banque, quel qu'en soit l'objet, doit être impérativement et régulièrement introduite dans le délai de deux années suivant la réalisation du fait qui en est la cause ;

Attendu qu'il est constant que le point de départ du délai de prescription en matière de responsabilité contractuelle court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas préalablement connaissance ;

Qu'au cas d'espèce, m. C. recherche la responsabilité de la banque A Monaco pour un manquement à l'obligation d'information et de conseil et au devoir de loyauté ;

Que celui-ci ne connaissait pas, à la date de la réalisation de l'investissement, les faits lui permettant d'agir contre la banque ;

Que m. C. produit des échanges de mails avec le préposé de la banque aux termes desquels :

  • - le 25 avril 2016, il s'enquiert d'informations concernant le produit acheté et il est informé en retour que le titre qu'il détient est un investissement sur le VIX, indice qui mesure la volativité à court du marché actionnaire S&P500, avec effet de levier 2,

  • - le 21 novembre 2016 il veut connaître la valorisation du titre investi et est alors informé de sa contre-performance drastique puisque la valorisation du titre est d'environ 1.000 USD contre 34.000 USD le jour de l'achat,

  • - le 18 janvier 2017 la SAM A vend les 80 titres détenus pour un montant de 365,17 euros ;

Que dès lors, il peut être considéré qu'à la date du 21 novembre 2016, l'intimé connaissait les faits lui permettant d'engager son action en responsabilité contre la SAM A ;

Qu'il s'ensuit que l'action introduite, par m. C. le 30 mars 2018 (et non le 30 avril 2018 comme erronément indiqué par l'appelante) n'était pas forclose et doit être déclarée recevable ;

Sur la responsabilité de la banque

Attendu, liminairement, que la SAM A Monaco reproche aux premiers juges l'absence d'un débat contradictoire sur la question du devoir général d'information et de conseil du banquier ;

Que toutefois elle ne verse nullement les écritures de première instance et introduit elle-même cette question dans le débat d'appel ;

Que la Cour est donc saisie de la contestation relative à l'obligation générale mise à la charge de la SAM A ;

Attendu que m. C. a été titulaire dans les livres de la SAM A d'un compte bancaire de 2014 à 2017 ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que la loi applicable au moment de l'établissement de l'ouverture du compte est la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007 sur les activités financières ;

Que les dispositions de cette loi et celles de l'ordonnance n° 1.284 du 10 septembre 2007 en portant application s'appliquent aux activités ci-après énumérées, en application de l'article 1er de la loi :

  • 1°) la gestion, pour le compte de tiers, de portefeuilles de valeurs mobilières ou d'instruments financiers à terme,

  • 2°) la gestion de fonds communs de placement ou d'autres organismes de placement collectif de droit monégasque,

  • 3°) la réception et la transmission d'ordres sur les marchés financiers, portant sur des valeurs mobilières ou des instruments financiers à terme, pour le compte de tiers,

  • 4°) le conseil et l'assistance dans les matières visées aux chiffres 1) à 3),

  • 5°) l'exécution d'ordres pour le compte de tiers,

  • 6°) la gestion d'organismes de placement collectif de droit étranger,

  • 7°) la négociation pour compte propre ;

Qu'au cas d'espèce il est constant que la relation contractuelle nouée entre les parties relevait de l'activité de réception et de transmission d'ordres définie à l'article 1er chiffe 3 de la loi, et qu'aucun mandat de gestion ou de conseil n'a été signé entre les parties ;

Que le récepteur et transmetteur d'ordre est tenu par les dispositions de l'ordonnance n° 1.284 d'obtenir la meilleure exécution possible des ordres, de mettre en place une organisation interne adéquate permettant de justifier en détail l'origine et la transmission des ordres, d'apporter la preuve, pour chaque ordre, de la date de sa réception, ainsi que de celle de sa transmission et de porter à la connaissance de sa clientèle les conditions de transmission des ordres ;

Qu'en application des articles 6 et 7 de ladite ordonnance, les sociétés agréées sont astreintes à des règles prudentielles et sont tenues de respecter les règles de bonne conduite destinées à garantir la protection des investisseurs et la régularité des opérations ;

Qu'ainsi les dispositions précitées ne soumettent le teneur de compte à aucune obligation légale d'information et de conseil de son client, laquelle suppose l'existence d'un mandat ;

Que néanmoins pèse sur tout établissement bancaire, comme pour tous les professionnels, une obligation générale d'information, complétée par un devoir de conseil, voire de mise en garde selon les capacités financières du client, et ce, notamment en matière de placement financier ;

Que ces devoirs s'imposent malgré le principe de non immixtion du banquier dans les affaires de son client, mais varient d'intensité suivant la nature de l'opération envisagée et selon les compétences du client ; qu'ainsi le banquier est censé fournir des explications concrètes et personnalisées pour chacun de ces clients en fonction de sa qualité ;

Qu'en sa qualité de banquier professionnel, la SAM A ne saurait prétendre ignorer les obligations qui lui incombent, et il lui appartient de démontrer qu'elle s'en est valablement acquittée ;

Que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont examiné si tel était le cas en l'espèce ;

Que la SAM A ne prétend pas en cause d'appel que m. C. était un investisseur avisé et que le produit acheté n'était pas un produit à haut risque ; que toutefois la part que représentait cet investissement au moment de l'achat était tout à fait relative pour ne constituer que 2,94 % des avoirs déposés en banque d'un montant de plus de 1 million d'euros ;

Attend en premier lieu, que les premiers juges, après avoir rappelé que m. C. avait investi une somme de 31.661,13 euros pour l'achat de 20.000 titres Velocity Shares en donnant un ordre d'achat à la banque qui l'a exécuté le 27 mars 2015, qu'aucun mandat n'avait été consenti, que le seul document contractuel signé consistait en un document général relatif aux conditions générales de fonctionnement des comptes, ont de manière pertinente déduit de ces circonstances que la SAM A ne justifiait pas avoir donné à son client une information personnelle et adaptée à son niveau de compétence ;

Qu'en effet la banque ne s'est nullement enquise des attentes de m. C. et de sa connaissance des produits financiers, alors que le document visé comprend des informations d'ordre général et ne porte sur aucun produit précis ;

Qu'il s'ensuit que la banque ne s'est pas mise en mesure de proposer à son client le mode de relation contractuelle le plus adapté à ses besoins et à ses attentes et qu'elle a à ce titre commis une faute dès le stade de la conclusion du contrat ;

Attendu, en second lieu, s'agissant du respect de ses obligations à l'occasion de l'ordre d'achat des titres Velocity Shares du 24 mars 2015, qu'après avoir constaté qu'aucune pièce produite ne permettait de considérer que l'achat avait été effectué sur les conseils de la banque - dont ils ont justement écarté toute responsabilité à ce titre -, les premiers juges ont avec pertinence retenu qu'à l'occasion de cet achat isolé réalisé par un investisseur profane, la SAM A aurait dû fournir une information et des conseils adapté au profil de son client, ce qu'elle n'a pas fait ;

Qu'en effet, le seul document signé et la documentation portant information sur les risques généraux des investissements dans des instruments financiers, annexée audit document, libellés de manière générique, ne suffisent pas à établir que lors de l'investissement, le client a bien été destinataire de l'information requise, adaptée à ses besoins et à ses objectifs, alors que la banque ne soutient pas lui avoir donné de conseil à cette occasion, malgré l'importance du risque attaché à la souscription de ces ETF avec effet de levier 2, le fonctionnement de l'effet de levier consistant en effet à démultiplier les performances mais également les pertes journalières de l'ETF, ce qui rend le produit très risqué ;

Qu'ainsi il n'est nullement établi par la banque qu'elle a fait bénéficier m. C. d'explications claires et précises sur les conditions inhérentes à l'investissement qu'il projetait de réaliser et qu'elle l'a averti en lui indiquant clairement les risques inhérents au produit sélectionné, afin qu'il prenne une décision en toute connaissance de cause ;

Qu'en troisième lieu, s'agissant du devoir d'information au cours de la relation contractuelle, qu'à l'exception de deux seuls relevés de situation de portefeuille en date des 30 mars et 30 juin 2015, l'appelante ne produit aux débats aucune autre pièce d'information relative à l'investissement litigieux, et notamment la valorisation du titre ;

Qu'elle ne peut utilement soutenir avoir rempli son devoir de ce chef du fait de l'adhésion de m. C. au service A Online, alors que bien que la preuve de l'envoi de l'information incombe au professionnel, elle ne justifie nullement de l'établissement des documents usuels en la matière et de leur mise en ligne à l'attention de son client ;

Que par ailleurs, et alors que m. C. s'était rapproché d'elle en avril 2016 pour obtenir des précisions sur l'investissement réalisé, en invoquant sa qualité de profane, il obtenait pour toute réponse un mail rédigé dans des termes particulièrement techniques et non explicites pour un investisseur non avisé, ne comportant en outre aucunement la valorisation du titre ;

Que la banque n'a pas davantage alerté son client de la chute vertigineuse du titre, passé de 6.000 USD au 25 avril 2016 à 1.000 USD au 21 novembre 2016, date à laquelle il a recontacté la banque ;

Qu'en conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que la banque ne démontrait pas avoir rempli son obligation d'information et de conseil à l'égard de m. C.;

Attendu en dernier lieu que ce n'est qu'en cause d'appel que la SAM A a finalement bien voulu expliquer la différence du nombre de titres acquis ;

Que l'ensemble de ces circonstances révèle de la part de la SAM A un comportement dénué de loyauté envers son client, que les premiers juges ont à juste titre retenu ;

Attendu que le Tribunal a donc justement retenu que la responsabilité de la banque était engagée et l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Que la décision sera confirmée de ces chefs ;

  • Sur le préjudice

Attendu qu'en ne satisfaisant pas aux obligations précitées d'information, de conseil et de bonne conduite, la SAM A a adopté un comportement susceptible d'avoir causé un dommage à m. C.;

Attendu que le préjudice résultant du manquement à une obligation d'information et de conseil avec loyauté consiste en une perte de chance ;

Que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée et est souverainement appréciée par les juges du fond ;

Attendu en l'espèce, que m. C. qui a investi dans un produit au vu d'informations lacunaires et imprécises, sans être conseillé de manière objective sur les risques encourus et sans bénéficier davantage après l'achat d'informations sur l'évolution du produit et de conseils pour limiter sa dévalorisation, a perdu une chance d'investir ses capitaux dans des placements plus prudents et de réorienter son investissement pour en limiter les pertes ou en retirer un profit ;

Qu'ainsi en raison de la carence de la banque à l'informer et de sa persistance à ne pas le renseigner sur la valorisation du titre, m. C. n'a pas été à même de prendre les mesures appropriées quant à son investissement ;

Que m. C. est donc fondé à obtenir réparation de son préjudice ;

Que la probabilité d'une éventualité favorable consistant, pour m. C. dans la possibilité, d'une part de mieux investir ses capitaux, s'agissant du seul investissement réalisé dans un instrument financier, d'autre part de prendre toute décision propre à en limiter les pertes, au regard de la déloyauté dont a fait preuve la banque en ne l'informant pas malgré ses demandes de la forte dépréciation du titre enregistrée dès juin 2015, est avérée ;

Attendu qu'il s'ensuit qu'il y a lieu d'arbitrer à la somme de 25.000 euros le préjudice résultant de cette perte de chance et de condamner la SAM A Monaco à payer à m. C. ladite somme à titre de dommages-intérêts, par voie d'infirmation du jugement ;

  • Sur les dommages-intérêts pour résistance abusive

Attendu que le Tribunal ayant relevé à juste titre un défaut de loyauté de la SAM A, caractérisé par une absence de réponse aux demandes d'explications de m. C. a considéré que ce faisant elle a fait preuve de résistance abusive et justement évalué à la somme de 5.000 euros le montant de la réparation, le jugement étant confirmé de ce chef ;

  • Sur la demande en dommages-intérêts pour appel abusif

Attendu que m. C. sollicite la condamnation de la SAM A Monaco à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif sans motiver, autrement que par les nouveaux frais de défense qu'il a exposés, sa demande ;

Que faute de caractériser en quoi l'appel de la SAM A serait abusif, il sera débouté de sa demande, la Cour rappelant à ce titre que le recours contre une décision de justice est un droit fondamental et que le seul échec d'un appel ne suffit pas à le rendre abusif ;

Attendu que la SAM A Monaco qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel,

Déclare m. C. recevable en son action,

Infirme le jugement rendu le 24 octobre 2019 par le Tribunal de première instance en ce qu'il a condamné la SAM A Monaco au paiement de la somme de 31.295,96 euros en réparation du préjudice causé à m. C.

Statuant à nouveau,

Condamne la SAM A Monaco à payer à m. C. la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Déboute m. C. de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif,

Condamne la SAM A Monaco aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Claire GHERA, Conseiller, Madame Catherine LEVY, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 16 MARS 2021, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur général adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

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