Cour d'appel, 15 décembre 2020, La société anonyme monégasque SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J.B.P. & FILS c/ Monsieur j-m. M.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Rappel de salaires - Point de départ du délai de préavis - Date de présentation de la lettre recommandée

Licenciement

Licenciement abusif - Article 6 de la loi n° 729 - Caractère abusif du licenciement (non) - Droit unilatéral de résiliation de l'employeur - Droit non discrétionnaire - Absence de preuve d'abus

Licenciement - Mise en œuvre du licenciement - Brutalité de la rupture (oui) - Préjudice moral (oui)

Résumé🔗

Sur la demande de rappel de salaires formée par Monsieur j-m. M. pour la période comprise entre le 21 juillet 2017 et le 31 juillet 2017, date de réception de la lettre de licenciement, il résulte des dispositions de l'article 9 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 que le délai congé doit être signifié par lettre recommandée avec accusé de réception, la date de présentation de la lettre recommandée fixant le point de départ du délai de préavis. Il résulte des pièces produites que Monsieur j-m. M. a reçu la lettre de licenciement le 31 juillet 2017, l'employeur l'ayant dispensé de son préavis et ayant arrêté « les comptes » à la date du 21 juillet 2017. Ce salarié appartenait toujours à l'entreprise J.B. P. & FILS et n'était ni licencié, ni en préavis, durant la période comprise entre le 22 et le 31 juillet 2017. Les premiers juges ont dès lors à bon droit estimé qu'il pouvait valablement prétendre au rappel de salaires réclamé au titre de la période considérée, soit la somme brute de 925,48 euros (calculée sur la base d'un salaire brut mensuel de 2.869 euros), outre les congés payés afférents d'un montant brut de 92,55 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2017, date de convocation devant le bureau de conciliation et exécution provisoire s'agissant de salaire et accessoires.

Sur le caractère abusif du licenciement, il résulte des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 ayant fondé la rupture, que l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, tout en restant tenu de lui verser l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968. Il appartient au salarié concerné de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est pour lui résulté. En effet, l'exercice par l'employeur de son droit unilatéral de résiliation ne procède pas d'un pouvoir absolu et discrétionnaire exercé au détriment des droits du salarié et ne peut donc avoir été mis en œuvre de façon fautive, les juridictions saisies devant à cet égard vérifier que le salarié a été effectivement rempli de ses droits au regard des dispositions légales applicables, que l'employeur n'a pas agi avec l'intention de tromper son salarié ou de lui nuire, ni ne lui a notifié sa décision de façon brutale ou vexatoire.

Force est de constater que l'exercice de ce droit par la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J.B.P. & FILS a été dicté, non par des raisons économiques, mais par le changement de la législation applicable en matière d'urbanisme en l'état de laquelle le dossier de demande d'autorisation de construire ne devait plus contenir la transmission d'une maquette correspondant à l'édification de la nouvelle construction.

Le salarié n'invoquant au demeurant aucun motif fallacieux de rupture, il s'ensuit que le principe du licenciement ne procède d'aucune intention de nuire de l'employeur, ni ne présente un caractère illicite, la décision entreprise devant de ce chef être confirmée et Monsieur j-m. M. ne pouvant dès lors aucunement prétendre à l'indemnisation de son préjudice matériel.

En ce qui concerne les circonstances ayant présidé à la mise en œuvre du licenciement, si le droit monégasque n'impose pas l'organisation d'un entretien préalable au licenciement, il n'en demeure pas moins que Monsieur j-m. M. a appris brutalement la fin de son contrat de travail sans explication véritable de la part de son employeur après plus de 12 années d'exercice normal de ses fonctions et ce, alors même que le calendrier de production des maquettes était en cours d'exécution et qu'il résulte des pièces produites qu'il était précisément lui-même en train de travailler à l'élaboration d'un nouveau projet de construction depuis plusieurs semaines, qui s'est au demeurant poursuivi après son départ de l'entreprise. La rupture de la relation de travail apparaît ainsi avoir été mise en œuvre avec une précipitation d'autant plus blâmable que l'employeur envisageait en réalité depuis déjà plusieurs années la suppression du département maquettes et ce, sans en avoir pour autant informé de manière officielle son salarié, les premiers juges en ayant légitimement déduit que Monsieur j-m. M. n'avait pas pu anticiper le licenciement dont il a fait l'objet de manière extrêmement brusque, qualifiée par la décision entreprise d'« expéditive ».

En ce qui concerne le préjudice subi par Monsieur j-m. M. et à défaut d'abus constaté dans la prise de décision, seul doit en conséquence être réparé le préjudice moral résultant des circonstances dans lesquelles la rupture est intervenue. Le fait de mettre fin à une relation de travail de plus de 12 ans immédiatement, sans explication préalable, avec dispense d'exécution de préavis et en dehors de toute attitude fautive du salarié caractérise à suffisance la soudaineté et la précipitation fautive ouvrant droit à la réparation du préjudice moral subi par le salarié brusquement congédié.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 15 DÉCEMBRE 2020

En la cause de :

- La société anonyme monégasque SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS, inscrite au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le numéro Z dont le siège social est sis à Monaco (98000), « X1 », représentée par son Président Délégué en exercice, Monsieur p. P. demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Jean-Louis FACCENDINI, avocat au barreau de Nice ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- Monsieur j-m. M., né le 9 juin 1975 à Nice, de nationalité française, demeurant à Eze (06360), X2 ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Christophe PETIT, avocat au barreau de Nice ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 26 septembre 2019 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 16 octobre 2019 (enrôlé sous le numéro 2020/000036) ;

Vu les conclusions déposées les 7 janvier 2020 et 25 mai 2020 par Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur j-m. M. ;

Vu les conclusions déposées le 27 avril 2020 par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS ;

À l'audience du 10 novembre 2020, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société anonyme monégasque SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 26 septembre 2019.

Considérant les faits suivants :

Monsieur j-m. M. embauché par la société anonyme monégasque SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS (ci-après J. B. P. & FILS) le 13 septembre 2004 en qualité de Dessinateur Projeteur, suivant contrat à durée indéterminée, a été licencié par lettre en date du 21 juillet 2017, reçue le 31 juillet 2017, sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.

Par requête en date du 2 novembre 2017, Monsieur j-m. M. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

« - rappel de salaire sur 24 jours fériés non payés au double du salaire : 2.267,52 euros,

- rappel de salaire pour la période comprise entre la brusque rupture et la notification de la lettre de licenciement : 944,80 euros,

- rappel de congés payés sur salaire pour la période comprise entre la brusque rupture et la notification de la lettre de licenciement : 188,96 euros,

- dommages et intérêts pour licenciement abusif et brusque rupture : 80.000 euros,

- dommages et intérêts pour résistance abusive : 10.000 euros,

- délivrance de bulletins de salaire, de certificat de travail, d'attestation ASSEDIC et du solde de tout compte conformes,

- exécution provisoire du jugement à intervenir, intérêts de droit au taux légal à compter de la citation ».

Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement et le Tribunal du travail, a, par jugement du 26 septembre 2019 :

- condamné la société anonyme monégasque ENTREPRISES J. B. P. & FILS à payer à Monsieur j-m. M. la somme brute de 925,48 euros (neuf cent vingt-cinq euros et quarante-huit centimes) à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents d'un montant brut de 92,55 euros (quatre-vingt-douze euros et cinquante-cinq centimes), avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2017, date de convocation devant le bureau de conciliation et exécution provisoire s'agissant de salaire et accessoires,

- dit que le licenciement de Monsieur j-m. M. par la SAM ENTREPRISES J. B. P. & FILS est abusif,

- condamné la SAM ENTREPRISES J. B. P. & FILS à payer à Monsieur j-m. M. la somme de 25.000 euros (vingt-cinq mille euros) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

- débouté Monsieur j-m. M. du surplus de ses demandes,

- condamné la SAM ENTREPRISES J. B. P. & FILS aux dépens du présent jugement.

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont en substance estimé que le salarié ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un motif fallacieux ayant présidé à la rupture mais, constatant que le licenciement lui avait été annoncé quelques instants avant sa mise en œuvre dans le cadre d'un entretien organisé sans délai de prévenance, ont considéré qu'eu égard à l'ancienneté importante de cet employé, l'employeur avait fait preuve d'une précipitation fautive en sorte que l'indemnisation du préjudice moral devait être admise.

Suivant exploit en date du 16 octobre 2019, la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS, a interjeté appel du jugement susvisé en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de Monsieur M. est abusif,

- condamné l'employeur à lui payer la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

- condamné l'employeur à lui payer la somme brute de 925,48 euros à titre de rappel de salaires la somme d'un montant brut de 92,55 euros à titre de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

- condamné l'employeur aux dépens.

tout en demandant à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur M. du surplus de ses demandes,

- dire que le licenciement de Monsieur M. ne revêt aucun caractère abusif,

- débouter Monsieur M. de l'ensemble de ses prétentions,

- condamner Monsieur M. aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société appelante expose en substance, aux termes de l'ensemble de ses écritures, que :

- le licenciement de Monsieur M. intervenu sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, ne revêt pas un caractère abusif,

- l'employeur dispose légalement d'un droit autonome et unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer à un motif inhérent à la personne de celui-ci,

- il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'existence de l'abus qu'aurait commis l'employeur dans l'exercice de ce droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en serait pour lui résulté,

- j-m. M. n'invoque aucun motif fallacieux de licenciement ni l'intention de nuire de l'employeur,

- Monsieur M. et son collègue B. étaient tous les deux employés dans le département maquette de l'entreprise et étaient parfaitement informés du fait que la suppression de ce département allait intervenir,

- les anciens textes normatifs datant de 1966 ont été remplacés par une ordonnance du 20 décembre 2013 prévoyant qu'au nombre des documents devant être fournis dans le dossier d'autorisation de construire figure désormais une maquette numérique 3D pour les nouvelles constructions et non plus une maquette physique,

- en l'état de cette modification des règles d'urbanisme, les deux salariés étaient donc parfaitement conscients du possible arrêt de l'activité maquette au sein de l'entreprise,

- à compter de l'année 2013, la réalisation de maquettes physiques a revêtu un caractère purement superfétatoire,

- les maquettes numériques 3D ont alors été réalisées par les architectes,

- l'entreprise emploie en effet six architectes qui sont à même de réaliser les maquettes 3D pour les projets de nouvelles constructions,

- l'activité globale correspondant à la production des maquettes 3D est extrêmement faible soit 12 semaines sur 2 ans ce qui ne permettait pas de justifier l'emploi d'une personne exclusivement dédiée à cette tâche en sorte que le maintien de l'atelier maquettes physiques n'était dès lors plus justifié,

- Monsieur j-m. M. a été licencié juste avant le principal arrêt d'activité de l'entreprise correspondant au mois d'août,

- la suppression du département maquette n'a aucunement été motivée par des raisons économiques, mais est résultée du changement de la législation monégasque en matière d'urbanisme,

- l'employeur n'était pas tenu de faire précéder le licenciement d'un entretien préalable qui n'est pas obligatoire en droit monégasque,

- le salarié ne produit aucun document de nature à justifier une perte de revenus de sorte que sa demande de dommages et intérêts devra être rejetée,

- le motif de licenciement lié à la suppression du département maquettes apparaît donc valable et ne procède d'aucune cause illicite ou illégale ni d'une intention de nuire, en sorte que la rupture apparaît fondée sur un motif valable et ne revêt aucun caractère abusif.

Monsieur j-m. M. intimé, entend pour sa part voir :

- confirmer le jugement du Tribunal du travail du 26 septembre 2019 en ce qu'il a :

dit que le licenciement est abusif,

condamné la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS à lui payer la somme brute de 925,48 euros à titre de rappel de salaires et 92,55 euros à titre de congés payés,

- ordonné en tant que de besoin la délivrance des fiches de paye et documents de fin de contrat conformes à la décision dans les 2 mois à compter la signification,

Et, relevant appel incident, entend voir réformer le jugement susvisé en ce qu'il :

- a évalué son préjudice à la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,

- l'a débouté de sa demande formulée au titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

Et entend voir la Cour, statuant à nouveau :

- condamner la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS à lui verser la somme de 80.000 euros à titre de dommages-intérêts toute cause de préjudices confondus et avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 26 septembre 2019,

- condamner la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

condamner la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS aux dépens.

Monsieur j-m. M. soutient pour l'essentiel à travers l'ensemble de ses écritures judiciaires que :

- sa demande de rappel de salaires est fondée car il n'a pas été correctement rempli de ses droits à la suite de la rupture du contrat de travail puisqu'il n'a pas été licencié officiellement ni le 20 juillet 2017, date du rendez-vous de rupture, ni le 21 juillet 2017, date inscrite sur les documents sociaux et le solde de tout compte mais par une lettre de licenciement postérieure distribuée le 29 juillet et réceptionnée le 31 juillet 2017,

- il peut donc prétendre à 10 jours supplémentaires de salaire du 22 juillet au 31 juillet 2017 sur la base d'un salaire de 1.861 euros, soit une somme de 925,48 euros alors même qu'il pouvait prétendre à un jour de congés payés qui n'a pas été inclus dans son solde de tout compte soit une somme de 92,55 euros supplémentaires,

- le droit unilatéral de résiliation prévue par l'article 6 de la loi n° 729 n'est pas discrétionnaire et en cas de contestation le Tribunal doit vérifier que les droits et prérogatives du salarié ont été respectés et que les circonstances de la rupture sont exemptes de fautes,

- il n'a jamais fait l'objet de la moindre sanction, ni même d'une simple observation écrite de la part de son employeur,

- la rupture du contrat de travail est intervenue après une convocation téléphonique le 20 juillet 2017, un entretien verbal le jour même suivi aussitôt d'un départ de l'entreprise,

- la rupture lui a donc été notifiée verbalement le 20 juillet 2017, sans que la lettre de licenciement ne lui soit remise, puisque celle-ci, en date du 21 juillet 2017, lui a été adressée par la voie recommandée avec accusé de réception, distribuée le 29 juillet et reçue le 31 juillet 2017,

- il y est faussement indiqué qu'un exemplaire a été remis en main propre, ce qui est parfaitement inexact,

- le licenciement est dès lors intervenu avec une soudaineté, une brusquerie et une légèreté fautive qui lui confèrent un caractère abusif,

- l'absence de convocation à un entretien préalable et le fait pour lui de ne pas avoir pu présenter ses moyens de défense contreviennent à l'article 6-3 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme,

- il conteste avoir eu connaissance de la suppression du département maquette même s'il admet que les demandes d'autorisation de travaux devaient comprendre depuis l'ordonnance souveraine n° 4652 du 20 décembre 2013, non plus une maquette physique mais une maquette numérique 3D,

- le département maquette a au demeurant continué de fonctionner après cette date et ce, au même rythme que précédemment,

- Monsieur f. B. et lui-même avaient été formés pour réaliser des maquettes numériques 3D ; entre 2013 et 2017, pas moins de trente-quatre maquettes ont été réalisées dont trente-deux maquettes numériques,

- sur un planning validé par l'entreprise ils devaient tous les deux commencer la maquette de l'Anse du portier après avoir rendu le projet concernant la Place du palais à la fin du mois de juillet 2017, d'autres projets ayant également été mis en attente,

- même si l'entreprise P. voulait fermer le département maquettes, il n'en demeure pas moins que son licenciement est intervenu de manière brusque et où il ne s'y attendait pas, aucun rendez-vous informel ou convocations ne lui ayant permis d'anticiper cette mesure,

- il subit un préjudice financier important puisqu'il n'a toujours pas retrouvé un travail en adéquation avec sa qualification, auquel s'ajoute un préjudice moral dès lors qu'il ne s'attendait pas à être licencié après 13 ans de bons et loyaux services.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que les appels principal et incident ont été formés dans les conditions de forme et de délai prévues par le Code de procédure civile et doivent être déclarés recevables ;

1/Attendu, sur la demande de rappel de salaires formée par Monsieur j-m. M. pour la période comprise entre le 21 juillet 2017 et le 31 juillet 2017, date de réception de la lettre de licenciement, qu'il résulte des dispositions de l'article 9 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 que le délai congé doit être signifié par lettre recommandée avec accusé de réception, la date de présentation de la lettre recommandée fixant le point de départ du délai de préavis ;

Qu'il résulte des pièces produites que Monsieur j-m. M. a reçu la lettre de licenciement le 31 juillet 2017, l'employeur l'ayant dispensé de son préavis et ayant arrêté « les comptes » à la date du 21 juillet 2017 ;

Mais attendu que ce salarié appartenait toujours à l'entreprise J. B. P. & FILS et n'était ni licencié, ni en préavis, durant la période comprise entre le 22 et le 31 juillet 2017 ;

Que les premiers juges ont dès lors à bon droit estimé qu'il pouvait valablement prétendre au rappel de salaires réclamé au titre de la période considérée, soit la somme brute de 925,48 euros (calculée sur la base d'un salaire brut mensuel de 2.869 euros), outre les congés payés afférents d'un montant brut de 92,55 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2017, date de convocation devant le bureau de conciliation et exécution provisoire s'agissant de salaire et accessoires ;

Que la décision déférée sera donc confirmée de ce chef avec toutes conséquences de droit ;

2/Attendu, sur le caractère abusif du licenciement, qu'il résulte des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 ayant fondé la rupture, que l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, tout en restant tenu de lui verser l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ;

Attendu qu'il appartient au salarié concerné, Monsieur j-m. M. de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est pour lui résulté ;

Attendu en effet que l'exercice par l'employeur de son droit unilatéral de résiliation ne procède pas d'un pouvoir absolu et discrétionnaire exercé au détriment des droits du salarié et ne peut donc avoir été mis en œuvre de façon fautive, les juridictions saisies devant à cet égard vérifier que le salarié a été effectivement rempli de ses droits au regard des dispositions légales applicables, que l'employeur n'a pas agi avec l'intention de tromper son salarié ou de lui nuire, ni ne lui a notifié sa décision de façon brutale ou vexatoire ;

Que force est en premier lieu de constater que l'exercice de ce droit par la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS a été dicté, non par des raisons économiques, mais par le changement de la législation applicable en matière d'urbanisme en l'état de laquelle le dossier de demande d'autorisation de construire ne devait plus contenir la transmission d'une maquette correspondant à l'édification de la nouvelle construction ;

Qu'il est établi par les pièces produites que Monsieur j-m. M. a été embauché pour exercer la fonction de maquettiste consistant à remplir exclusivement une mission de dessinateur projeteur, sans jamais remplir des tâches d'architecte d'intérieur ;

Que dès lors qu'a été décidée la suppression du département maquette - une telle réorganisation de l'entreprise relevant du pouvoir de direction de l'employeur induite par la nouvelle loi d'urbanisme - le poste spécifique de maquettiste ne présentait plus d'utilité pour la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS ;

Qu'il s'ensuit, le salarié n'invoquant au demeurant aucun motif fallacieux de rupture, que le principe du licenciement ne procède d'aucune intention de nuire de l'employeur, ni ne présente un caractère illicite, la décision entreprise devant de ce chef être confirmée et Monsieur j-m. M. ne pouvant dès lors aucunement prétendre à l'indemnisation de son préjudice matériel ;

Attendu, en ce qui concerne les circonstances ayant présidé à la mise en œuvre du licenciement, que les premiers juges ont estimé que la rupture était intervenue de manière brutale, dans la mesure où Monsieur j-m. M. qui bénéficiait d'une ancienneté de 12 ans et 10 mois dans l'entreprise, n'avait pas pu l'anticiper puisque l'annonce ne lui en avait été faite que quelques instants avant sa mise en œuvre, dans le cadre d'un entretien organisé sans délai de prévenance ;

Attendu à cet égard, que si le droit monégasque n'impose pas l'organisation d'un entretien préalable au licenciement, il n'en demeure pas moins que Monsieur j-m. M. a appris brutalement la fin de son contrat de travail sans explication véritable de la part de son employeur après plus de 12 années d'exercice normal de ses fonctions et ce, alors même que le calendrier de production des maquettes était en cours d'exécution et qu'il résulte des pièces produites qu'il était précisément lui-même en train de travailler à l'élaboration d'un nouveau projet de construction depuis plusieurs semaines, qui s'est au demeurant poursuivi après son départ de l'entreprise ;

Que la rupture de la relation de travail apparaît ainsi avoir été mise en œuvre avec une précipitation d'autant plus blâmable que l'employeur envisageait en réalité depuis déjà plusieurs années la suppression du département maquettes et ce, sans en avoir pour autant informé de manière officielle son salarié, les premiers juges en ayant légitimement déduit que Monsieur j-m. M. n'avait pas pu anticiper le licenciement dont il a fait l'objet de manière extrêmement brusque, qualifiée par la décision entreprise d'« expéditive » ;

Qu'aucune des pièces produites en cause d'appel ne permettant de remettre en cause une telle analyse, le jugement déféré sera dès lors confirmé en ce qu'il a déclaré le licenciement abusif quant à ses conditions de mise en œuvre ;

Qu'en ce qui concerne le préjudice subi par Monsieur j-m. M. et à défaut d'abus constaté dans la prise de décision, seul doit en conséquence être réparé le préjudice moral résultant des circonstances dans lesquelles la rupture est intervenue ;

Qu'en effet, les premiers juges ont à bon droit observé que les difficultés financières invoquées par le salarié ont été générées par la diminution de revenus résultant de la perte d'emploi et non par les circonstances de mise en œuvre du licenciement ;

Qu'à cet égard en revanche, le fait de mettre fin à une relation de travail de plus de 12 ans immédiatement, sans explication préalable, avec dispense d'exécution de préavis et en dehors de toute attitude fautive du salarié caractérise à suffisance la soudaineté et la précipitation fautive ouvrant droit à la réparation du préjudice moral subi par le salarié brusquement congédié ;

Qu'il convient d'évaluer ledit préjudice à la somme de 35.000 euros en l'état des éléments d'appréciation dont la Cour dispose, la décision entreprise étant réformée de ce chef ;

Attendu, s'agissant enfin de la demande de dommages et intérêts formée par Monsieur j-m. M. pour résistance abusive qu'il n'est aucunement établi par les pièces produites que l'attitude de l'employeur ait dégénéré en abus, les premiers juges ayant légitimement observé que l'action en justice constitue l'exercice d'un droit et qu'il ne pouvait être fait grief en l'espèce à l'employeur de refuser toute discussion ou rapprochement avec le salarié qu'il venait de licencier dans le cadre de son droit unilatéral de résiliation, légalement reconnu ;

Que Monsieur j-m. M. ne démontre pas davantage en cause d'appel une quelconque intention de nuire imputable à la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. & FILS, laquelle ne se trouvait astreinte à aucune obligation de reclassement, s'agissant d'un licenciement « sans motif » ;

Attendu en définitive que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu que les dépens d'appel demeureront à la charge de l'entreprise J. B. P. & FILS ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare les appels principal et incident recevables,

Confirme le jugement rendu le 26 septembre 2019 par le Tribunal du travail, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués au titre du préjudice moral,

Réformant de ce chef ledit jugement, chiffre à la somme de 35.000 euros le préjudice moral subi par Monsieur j-m. M. et condamne la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. ET FILS à payer ladite somme à ce dernier,

Condamne la SOCIÉTÉ DES ENTREPRISES J. B. P. ET FILS aux entiers dépens d'appel distraits au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Claire GHERA, Conseiller, Madame Catherine LEVY, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 15 DÉCEMBRE 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur général adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

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