Cour d'appel, 15 décembre 2020, La société A c/ La Banque B

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Abstract🔗

Contrat – Liberté contractuelle – Limites - Appel – Moyens nouveaux – Demandes nouvelles – Validité – Capacité de contracter – Vices du Consentement - Personne morale – Préjudice moral – Appréciation

Résumé🔗

Si la liberté contractuelle autorise les parties à convenir d'une clause limitative ou exonératoire de responsabilité, celle-ci ne peut par contre vider de sa substance une obligation essentielle pesant sur celui au profit duquel elle se trouve stipulée, sans en voir sa validité affectée. Indépendamment de toute stipulation contractuelle, il est de jurisprudence constante qu'une banque est tenue, comme tout prestataire de service financier, de mettre en garde son client contre les risques nés d'une opération spéculative envisagée par celui-ci, quand bien même cette exigence peut se trouver allégée en présence d'un investisseur averti. En ciblant expressément l'obligation principale qui lui incombe dans son rôle d'intermédiaire financier, d'informer, conseiller et mettre en garde son client, la BANQUE C a tenté de se soustraire, sans contrepartie, aux obligations qui sont les siennes. De telles clauses, abusives, doivent être réputées non écrites. Elles ne peuvent ce faisant fonder l'irrecevabilité de l'action de la société A.

Aux termes de l'article 431 du Code de procédure civile, les parties peuvent, pour justifier les demandes qui avaient été soumises au premier juge, invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces, ou proposer de nouvelles preuves. Par contre, elles ne peuvent former aucune demande nouvelle, à moins qu'il ne s'agisse de compensation ou que la demande nouvelle ne soit la défense à l'action principale. Au cas présent, la société A. a attrait la BANQUE C, devenue la BANQUE D, devant les premiers juges aux fins d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices, consécutivement à la consécration de la responsabilité professionnelle de cet établissement. Les prétentions soumises à la Cour, bien que fondées sur la nullité des dispositions contractuelles, tendant aux mêmes fins, les demandes présentées sont recevables. La fin de non-recevoir présentée de ce chef sera donc rejetée.

La capacité de contracter prévue par les dispositions de l'article 963 du Code civil doit s'apprécier dans la seule personne qui s'engage par la convention, soit en l'occurrence la société A. La capacité d'une personne morale doit s'apprécier au regard de son objet social, défini dans les statuts, dont il n'est pas démontré ni même allégué qu'il aurait été méconnu en l'espèce. L'appréciation de la notion de capacité dans la personne d a.V. est indifférente à la cause. En vertu des dispositions de l'article 1695 du Code civil, lorsque plusieurs associés sont chargés d'administrer, sans que leurs fonctions soient déterminées, ou sans qu'il ait été exprimé que l'un ne pouvait agir sans l'autre, ils peuvent faire chacun séparément tous les actes de cette administration. Il s'évince de l'ensemble de ces dispositions, que l'un seul des administrateurs pouvait valablement représenter et engager la société, sans nécessité de justifier d'un mandat spécial consenti par l'autre, en l'absence de disposition statutaire spécifique.

De jurisprudence constante, un manquement grave à l'obligation de conseil et d'information peut caractériser une réticence dolosive en matière bancaire. Il est de jurisprudence constante qu'incombe à l'établissement bancaire, débiteur d'une obligation d'information et de conseil vis à vis de son client, de rapporter la preuve qu'il l'a remplie. À ce titre, il appartient en premier lieu à la banque de s'informer sur la situation financière et les connaissances du client en matière financière, ainsi que sur ses objectifs en matière d'investissement. Le client doit pouvoir bénéficier d'explications claires et précises, sur les conditions inhérentes à l'opération financière qu'il projette d'entreprendre et obtenir toutes les informations nécessaires à sa réalisation pour comprendre toutes les obligations auxquelles il devra faire face. Cette obligation d'information se prolonge d'une obligation de conseil aux termes de laquelle la banque doit avertir son client des risques encourus, inhérents à l'opération envisagée. En présence d'investisseurs avertis, les obligations mises à sa charge se trouvent allégées.

Si une société, personne morale, peut subir un préjudice moral encore faut-il que celui-ci lui soit propre, les personnes physiques qui la composent, en particulier ses dirigeants, disposant d'une action personnelle distincte à ce titre.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 15 DÉCEMBRE 2020

En la cause de :

  • - La Société de droit Seychellois dénommée A, ayant son siège sis X1 à Victoria Mage, République des Seychelles, agissant poursuites et diligences de son Directeur m. C. demeurant en cette qualité audit siège ;

Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n°182 et 183 BAJ 15, par décision du Bureau du 4 janvier 2019

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - La société coopérative de banque à forme anonyme de droit français dénommée B venant aux droits de la société coopérative de banque à forme anonyme de droit français dénommée la BANQUE C, dont le siège social est sis X2 à Nice (France), agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, prise en son agence de la Principauté de Monaco, X3 - 98000 Monaco, elle-même prise en la personne de son Directeur Général en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Gilbert MANCEAU, avocat au barreau de Paris ;

Madame le Procureur Général, près la Cour d'Appel, séant en son Parquet, Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;

COMPARAISSANT EN PERSONNE

INTIMÉES,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 13 décembre 2018 (R.1600) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 21 mars 2019 (enrôlé sous le numéro 2019/000083) ;

Vu les conclusions déposées les 12 juillet 2019 et 24 avril 2020 par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la BANQUE B ;

Vu les conclusions déposées le 11 février 2020 par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la société A ;

Vu les conclusions déposées le 4 mai 2020 par le ministère public ;

À l'audience du 20 octobre 2020, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société A à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 13 décembre 2018.

Considérant les faits suivants :

Le 17 octobre 2008, la société de droit seychellois A, dont les administrateurs étaient a. V. et son fils, m. C. a régularisé une convention de comptes-titres auprès de la BANQUE B venant aux droits de la BANQUE C, en destinant une somme de 100.000 euros à son investissement.

Par deux actes du même jour, la BANQUE C a consenti à la société A. deux crédits d'un montant respectif de 100.000 euros et de 200.000 euros dans le cadre de conventions dites de « Crédit L », dont le montant était destiné à des investissements boursiers garantis par un gage de monnaie.

Ce faisant, la société A. a constitué le même jour en gage l'ensemble de ses avoirs en monnaie et valeurs mobilières inscrits dans ses comptes.

Le dispositif contractuel prévoyait la couverture des concours accordés pour un montant s'élevant au moins à 120% du montant des engagements de l'emprunteur à l'égard de la banque.

Pour éviter la mise en œuvre de la condition résolutoire prévue à l'article 6 des conventions de crédit, du fait de la forte réduction de la valeur des avoirs gagés consécutive à la chute des marchés boursiers au moment de la crise financière de 2009, les parties sont convenues de reporter la date de l'échéance des prêts par deux avenants du 28 mai 2009 puis du 3 mars 2014.

Imputant à la BANQUE C la responsabilité des pertes financières qu'elle aurait subi du fait d'engagements inadaptés et de la gestion de ses différents comptes et placement auprès de cette banque, ouverts ou souscrits depuis le 17 octobre 2008, la société de droit seychellois A, agissant poursuites et diligences de ses directeurs en exercice, a, par exploit du 22 avril 2016, fait assigner la BANQUE B venant aux droits de la BANQUE C devant le Tribunal de première instance aux fins d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.

Par jugement avant dire droit au fond rendu le 14 décembre 2017, le Tribunal de première instance a ordonné la réouverture des débats afin que, d'une part, les parties formulent leurs observations relativement à l'assistance judiciaire et l'élection de domicile de la demanderesse, d'autre part, le dossier soit communiqué au Procureur Général.

Par jugement rendu le 13 décembre 2018, le Tribunal de première instance a :

« - condamné la BANQUE B à payer à la société A la somme de 16.566,37 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés à hauteur des 4/5ème pour la société A et du 1/5ème par la BANQUE B, avec distraction au profit de Maître Géraldine GAZO et Maître Didier ESCAUT, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation, chacun pour ce qui le concerne ».

Pour statuer ainsi les premiers juges ont retenu en substance les motifs suivants :

  • 1) s'agissant de la validité de l'assignation : la nullité soulevée par la défenderesse n'a pas lieu de prospérer dès lors que la société A n'est pas bénéficiaire de l'assistance judiciaire, n'a nullement prétendu l'être et est en droit de choisir son avocat-défenseur, sous réserve de l'acceptation de celui-ci,

  • 2) s'agissant des demandes de rejet de pièces formées par la défenderesse : le rejet des débats des pièces n11, 11 bis, 12, 13 et 14 n'a pas lieu d'être, s'agissant de documents non soumis aux règles gouvernant les attestations (pièces 11 et 11bis) et de pièces traduites en langue française par voie de conclusions ou de traduction numérotée bis pour les autres,

  • 3) sur les demandes tirées de la responsabilité de la banque :

    • - concernant la contestation de signatures : la demande d'expertise graphologique est peu sérieuse et manifestement dilatoire, dès lors que la demanderesse se trouvait en possession de la convention de compte titres du 17 octobre 2008 et de l'avenant n1 du 25 mai 2009 qu'elle évoque dès l'assignation, sans y formuler aucune réserve quant à la signature, qu'elle a affirmé à deux reprises dans ses conclusions postérieures que les dirigeants ont signé ces documents et qu'il n'est pas allégué ni démontré qu a. V. n'aurait pas eu le pouvoir d'engager seule la société,

    • - au fond :

      • - au titre des conventions initiales :

        • a) la demanderesse ne fait pas la démonstration d'une faute au stade de l'établissement des conventions et des engagements souscrits susceptible d'engager la responsabilité de la banque alors qu'aucune pièce ne vient étayer une quelconque participation de la banque dans la décision de constitution de la société A, que la langue française est la langue officielle en Principauté de Monaco, qu'elle n'est tenue que d'un devoir d'information et de conseil allégé en présence d'investisseurs avertis et qu'en l'absence de justification de l'étendue de leurs revenus effectifs et de leur patrimoine à la date de déclaration des souscripteurs, il n'apparaît pas que l'endettement correspondant aux prêts présente un caractère disproportionné,

        • b) au titre de la période de relation contractuelle :

          • * la société A est infondée à agir en responsabilité à l'encontre de la banque pour l'ensemble de la période arrêtée au 3 mars 2014, dès lors qu'elle a reconnu, pour la période antérieure à cette date, être informée de l'état des opérations et de celui des comptes, justifiant sa renonciation expresse à contester les relevés, bien qu'ils aient été conservés dans l'établissement en vertu d'une clause contractuelle de correspondance retenue,

          • * pour la période postérieure au 3 mars 2014 :

      • - aucun élément de preuve ne permet d'attribuer à la société A la décision sur les opérations menées, dès lors que la banque, qui est tenue de conserver les ordres d'achat et de vente de manière chronologique et de pouvoir en justifier en vertu de l'article 11 de la loi n° 1.284, même après l'expiration de la relation contractuelle, n'a fourni aucun justificatif des instructions de sa cliente et des ordres corrélatifs pourtant réclamés,

      • - au titre de l'indemnisation du préjudice, qui suppose la démonstration d'un lien de causalité entre celui-ci et la faute, seule la perte en portefeuille depuis le 3 mars 2014 est susceptible d'être prise en considération,

      • - faute de justifier d'une convention de placement prévoyant un intérêt garanti de 6%, la demande d'indemnité de ce chef mérite d'être rejetée,

      • - le rejet s'impose également concernant la demande peu sérieuse, tendant à voir condamner la banque à lui verser le montant des deux emprunts souscrits, représentant un capital de 300.000 euros, fonds avec lesquels elle devait spéculer et qu'elle est tenue de restituer à l'issue de ces contrats,

      • - la société A ne peut sérieusement prétendre échapper à son obligation de restituer les sommes empruntées, étant relevé qu'elle n'invoque aucun fondement juridique au soutien de sa demande d'être libérée de toute obligation envers la banque en contrepartie de la restitution des titres encore à son compte,

      • - la demande visant à voir réparer son préjudice moral qu'elle argumente par celui de ses associés ne se trouve pas étayé par des pièces justifiant de la situation effective de ceux-ci,

  • 4) s'agissant de la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts présentée par la SA BANQUE B : le caractère abusif de la procédure n'est pas démontré en l'état des indemnités accordées à la demanderesse,

  • 5) s'agissant du prononcé de l'exécution provisoire : l'ancienneté du litige alléguée par la demanderesse ne constitue pas une condition d'octroi de l'article 202 du Code civil.

Par exploit du 21 mars 2019, la société A a interjeté appel parte in qua à l'encontre du jugement rendu le 13 décembre 2018, non signifié.

Aux termes de son assignation et de conclusions déposées le 11 février 2020, la société A demande à la Cour de :

  • « - la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondé,

  • - confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la validité de son exploit d'assignation en date du 22 avril 2018 (sic) et jugé recevable l'ensemble des pièces qu'elle a versées aux débats de première instance,

  • - réformer le dit jugement pour le surplus, avec toutes conséquences de droit,

Et statuant à nouveau,

  • - dire et juger que les deux avenants n2 aux Crédits L. en date du 3 mars 2014 n'ont pas été signés par m. C. mais par a. V. seule,

  • - dire et juger que les actes signés par a. V. seule, sont nuls, faute pour elle d'avoir le pouvoir d'engager par sa seule signature la société offshore A, avec toutes conséquences de droit,

  • - à tout le moins, dire et juger que les clauses d'exonération de responsabilité et de renonciation à recours sont nulles et de nul effet, faute de toute clause, puisque privant de sa substance l'obligation essentielle de la Banque, créant un déséquilibre manifeste dans les conventions, à son seul profit,

  • - dire et juger qu'en l'état des manœuvres dolosives dont la banque a usé pour obtenir la signature des Crédits L en date du 17 octobre 2008, de l'acte de constitution de gage de monnaie et de valeurs mobilières du 17 octobre 2008 et des avenants en date du 3 mars 2014, ces actes sont nuls pour vice du consentement,

  • - dire et juger que la SA BANQUE B a gravement manqué à ses obligations de conseil, d'information, de prudence, de diligence et de bonne conduite,

  • dire et juger que la BANQUE B a commis des fautes graves et réitérées à l'égard de la société A. engageant sa responsabilité,

  • - dire et juger qu'en sa qualité de dépositaire, la SA BANQUE B avait la charge de la sauvegarde, conservation et restitution des fonds par devant elle remis, obligations qu'elle n'a pas non plus respectées,

En conséquence,

  • - condamner la SA BANQUE B, venant aux droits de la SA BANQUE C à verser à la société A la somme en principal de 451.327,41 euros, outre intérêts au taux légal jusqu'à parfait paiement,

  • - à tout le moins, condamner la SA BANQUE B, venant aux droits de la SA BANQUE C à verser à la société A la somme de 400.000 euros, montant en principal de son épargne, outre intérêts au taux légal jusqu'à parfait paiement,

  • - condamner la SA BANQUE B, venant aux droits de la SA BANQUE C à verser à m. C. la somme supplémentaire de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

  • - condamner la SA BANQUE B, venant aux droits de la SA BANQUE C, aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront tous frais et accessoires, dont distraction au profit de Monsieur le Bâtonnier Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

À l'appui de ses prétentions, elle fait valoir en préalable que la clause de renonciation à l'action, par laquelle la banque décide de s'amender de toute responsabilité, entame l'équilibre du contrat à son seul profit, de sorte qu'elle doit être déclarée nulle ou écartée.

Elle soutient en premier lieu, au visa des dispositions de l'article 963 du Code civil, que les contrats de crédit L conclus le 17 octobre 2008 sont nuls, en raison du défaut de capacité d a. V. pour engager par sa seule signature, sans mandat régulier, la société A, ce que la banque ne pouvait ignorer pour avoir pris part à la création de la société pour des raisons fiscales.

En second lieu, se fondant sur les dispositions de l'article 971 du Code civil, elle poursuit la nullité des conventions et actes souscrits les 17 octobre 2008 et 3 mars 2014 pour vice du consentement en arguant des manœuvres dolosives mises en œuvre par la banque.

Invoquant l'immutabilité du litige, elle réfute l'irrecevabilité de sa demande tendant à voir prononcer la nullité des conventions, comme nouvelle, soutenant que ses prétentions tendant bien aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges, à savoir l'obtention de légitimes compensations pour les pertes catastrophiques subies sur les comptes de la société A du fait des agissements fautifs de la banque.

Elle prétend au fond qu'une simple fiche de profil établie par la banque, dont on ne peut déduire un profil averti en matière bancaire, ne suffit pas à démontrer qu'elle a satisfait à son devoir d'information, dont la charge de la preuve lui incombe.

Elle soutient que la banque est défaillante dans l'administration de la preuve à cet égard, n'établissant pas avoir justement informé ses clients de l'étendue de leurs engagements, alors qu'elle a fait souscrire à a. V. agricultrice à la retraite âgée de 63 ans, et à m. C. qui se trouvait sans emploi, disposant de la somme de 120.000 euros comme seuls actifs, un endettement colossal de 300.000 euros, après leur avoir fait constituer une société off-shore aux Seychelles.

Elle illustre les manœuvres dolosives de l'établissement bancaire en soulignant que si la convention d'ouverture de compte a été signée de la main d a. V. et de son fils m. C. les conventions de Crédit L l'ont été seulement de la main de la première, qui ne parlait pas la langue française.

En troisième lieu, soutenant que la gestion catastrophique de la banque lui a causé un préjudice ouvrant droit à réparation, elle s'estime fondée à rechercher la responsabilité de cette dernière pour l'ensemble de la période contractuelle.

Elle reproche aux premiers juges d'avoir retenu un devoir d'information et de conseil allégé à la charge de la banque en présence d'investisseurs avertis alors que la société A constituait seulement un écran juridique, dissimulant a. V. et m. C. totalement profanes en matière bancaire.

Elle fait enfin état de la passation d'ordres d'achat et de vente sans instruction justifiée de la société A.

Elle considère en définitive que la SA BANQUE B a commis une faute dans le cadre de la relation contractuelle qu'elle n'a pas exécuté de bonne foi, caractérisée par :

  • - les manœuvres dolosives mises en place pour la signature des conventions qui encourent la nullité,

  • - son manquement avéré au devoir d'information et de conseil à l'égard d a. V. et m. C. quant à l'endettement colossal crée,

  • - la passation d'ordres d'achat et de vente sans instruction de la société A,

le tout étant à l'origine de son préjudice, déterminé par la perte de capital de la société, les demandes de remboursement de la banque au titre des crédits L nuls et le manque à gagner sur ces sommes qui sera compensé par des dommages et intérêts complémentaires.

En quatrième lieu, à titre subsidiaire, elle se prévaut de l'obligation générale de restitution des fonds qui pèse sur le banquier en sa qualité de dépositaire et de son obligation d'information et de conseil sur les opérations nécessaires à la conservation des valeurs, pour éviter toute perte, en toute circonstance, soutenant qu'elle a été placée dans l'impossibilité de connaître la position de ses comptes et ses avoirs du fait du mutisme total et fautif de la banque, justifiant qu'elle lui restitue le montant de son épargne initiale.

Elle justifie enfin de son préjudice moral par la détresse financière et psychologique dans laquelle ont été plongés a. V. et m. C. du fait de la perte de leurs économies, composées de l'héritage laissé par le défunt mari d a. V. qui a elle-même vu sa santé décliner jusqu'à son décès le 8 décembre 2018 et qui ont malgré tout dû assumer d'important frais d'avocats, de traduction et d'expertise graphologique.

Par écritures en réponse portant appel incident déposées les 12 juillet 2019 et 24 avril 2020, la SA BANQUE B a conclu comme suit :

« Avant toute défense au fond,

  • - écarter des débats les pièces adverses n1, 2, 19, 19bis et 20,

  • - prononcer la nullité de l'attestation produite en pièce adverse n21,

À titre principal,

  • - dire irrecevable l'action en responsabilité de la société A à l'encontre de la banque,

Subsidiairement,

  • - déclarer irrecevables les demandes de nullité des conventions soulevées pour la première fois devant la Cour d'appel,

  • - déclarer irrecevables les demandes de nullité des conventions du fait de la prescription,

En tout état de cause,

  • - confirmer le jugement du Tribunal de première instance déféré en ce qu'il a débouté la société A de ses demandes de condamnation,

  • - infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société A la somme de 16.566,37 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Statuant à nouveau par voie d'appel incident,

  • - débouter la société A de ses demandes, fins et conclusions,

  • - condamner la société A à lui payer la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'exercice abusif du droit d'interjeter appel,

  • - condamner la société A aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, en ce compris tous frais et accessoires, dont distraction au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

Elle poursuit le rejet des pièces n1, 2 et 20 rédigées en langue étrangère et non traduites et fait valoir que la loyauté des débats exige que les statuts de la société appelante, produits en pièce n19, soient intégralement traduits en langue française.

Elle critique également la validité de la pièce adverse n°21 au regard des exigences posées par l'article 324 du Code de procédure civile.

Elle objecte que l'action de l'appelante est irrecevable dès lors qu'elle a expressément renoncé à toute action dans les avenants du 28 mai 2009 et du 3 mars 2014, dans des termes exempts de toute ambiguïté.

Elle soutient l'irrecevabilité de la demande en nullité des conventions formulée par la société A pour la première fois devant la Cour d'Appel, dès lors qu'il s'agit d'une demande nouvelle dont l'objet est radicalement différent d'une action indemnitaire.

Elle oppose à titre subsidiaire la prescription à l'action en nullité, faisant valoir que le délai de cinq ans a commencé à courir à la date de signature des conventions le 17 octobre 2008 alors que les demandes à ce titre ont été formées par assignation du 21 mars 2019.

Elle affirme la validité des conventions eu égard aux pouvoirs des signataires, reprenant à son compte les motifs des premiers juges et relevant que ce moyen caractérise la mauvaise foi de l'appelante, dès lors que m. C. l'un de ses représentants, ne conteste pas être signataire des avenants et de la constitution de gage de monnaie et de valeurs mobilières du 28 mai 2009 qui visent expressément les conventions antérieures.

Elle réfute avoir usé de manœuvres dolosives dans le cadre de l'opération souscrite, soulignant d'une part que l'emprunteur est une société de droit seychellois dont l'objet social est financier, faisant d'autre part sienne la motivation des premiers juges qui ont écarté le moyen avancé par a. V. tenant à sa méconnaissance de la langue française, et soutenant enfin que l'appelante ne peut se prévaloir d'un manquement de sa part à une quelconque obligation d'information, de mise en garde et de conseil, qu'elle a expressément renoncé à invoquer et ce d'autant qu'elle a le profil d'un investisseur averti.

Elle considère que la société A, qui est seule responsable des investissements qu'elle a personnellement instruits, ne saurait lui reprocher de ne pas verser aux débats les ordres dont elle n'a pas contesté l'exécution.

Elle conteste sa condamnation à payer la somme de 16.566,37 euros à l'appelante, aux motifs que la renonciation à agir de la société A s'applique aux événements postérieurs aux avenants conclus le 3 mars 2014 en l'absence de nouvelle convention et que l'appelante n'a pas contesté l'exécution par la banque de ses instructions, alors qu'elle dispose d'un délai de 30 jours pour le faire.

Par conclusions datées du 4 mai 2020, Madame le Procureur Général, considérant l'appel recevable, indique s'en rapporter à justice sur le mérite des demandes des parties.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

  • Sur la recevabilité des appels :

Attendu que les appels principal et incident formés à l'encontre du jugement rendu le 13 décembre 2018, non signifié, respectant les règles de forme et de délai édictées par le Code de procédure civile, doivent être déclarés recevables ;

Attendu par ailleurs que les dispositions non appelées de la décision entreprise, s'agissant de la validité de l'exploit d'assignation et de la recevabilité des pièces 11, 11 bis, 12, 13 et 14 communiquées par l'appelante sont désormais définitives ;

  • Sur les demandes de rejet de pièces :

Attendu que la BANQUE B demande que soient écartées des débats les pièces adverses n° 1, 2 et 20 rédigées en langue italienne pour la première et en anglaise pour les deux suivantes ;

Attendu que la langue française étant la langue officielle consacrée en Principauté de Monaco, les pièces produites en langue étrangère doivent être traduites dans cette langue pour permettre leur compréhension par le juge et les autres parties ;

Qu'il s'ensuit que les pièces n°1, 2 et 20, non accompagnées de leur traduction en langue française, se doivent d'être écartées des débats ;

Que par ailleurs, l'intimée poursuit le rejet des débats des pièces 19 et 19 bis de l'appelante, s'agissant d'une part des statuts de la société assortis d'une traduction assermentée partielle, d'autre part d'un extrait de ces mêmes statuts (articles 66 à 72) accompagnés d'une traduction libre ;

Que l'examen de la pièce 19 révèle certes que les statuts de la SARL C. imprimés en double face, n'ont donné lieu à traduction assermentée que des pages paires ;

Que la pièce 19 bis consiste quant à elle en un extrait des statuts de la société dont la traduction libre est complète ;

Que pour autant, la société D se contente d'affirmer dans ses écritures que « la loyauté des débats exige que ces pièces soient intégralement traduites en langue française », sans expliciter en quoi la traduction complète des statuts serait nécessaire ni la fidélité de la traduction au texte original serait contestable ;

Que bien plus, la Cour observe d'une part que la validité de la pièce 19, déjà produite devant les premiers juges sous les n° 4 et 4bis, n'a donné lieu à aucune critique en première instance, d'autre part que l'intimée ne propose ni ne produit aucune traduction intégrale qui viendrait contredire celles dont elle critique la teneur et la portée ;

Qu'en l'absence d'argumentation sérieuse, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de rejet de ces dernières pièces ;

Qu'enfin, la nullité poursuivie à l'encontre de la pièce n°21, s'agissant d'une expertise graphologique réalisée à la demande de l'appelante, au motif qu'elle ne respecte pas les exigences prescrites par l'article 324 du Code de procédure civile est inopérante, dès lors que celle-ci n'est pas soumise au régime des attestations mais constitue une expertise technique extra-judiciaire dont il appartient aux juges d'apprécier la valeur probante ;

Qu'il s'ensuit que le rejet de la demande de nullité formée à cet égard s'impose ;

  • Sur le fond :

  • 1) Sur la recevabilité de l'action de la société A :

Attendu que la société D soutient à titre principal l'irrecevabilité de l'action de l'appelante en invoquant les clauses contractuelles d'exonération de responsabilité prévues aux avenants des 28 mai 2009 et 3 mars 2014 ;

Que l'appelante objecte que pareille clause doit être déclarée non écrite pour porter atteinte à une obligation essentielle de l'établissement bancaire, en l'occurrence son devoir de conseil et d'information ;

Que les deux avenants signés le 28 mai 2009 mentionnent notamment que l'emprunteur « déclare approuver sans réserve les opérations retracés par la Banque sur les relevés de compte, depuis l'ouverture de ce compte, qu'il reconnaît avoir personnellement instruites, et il renonce expressément à toute réclamation à cet égard, quels qu'en soient la nature ou l'objet » ;

Que les avenants n°2 du 3 mars 2014 comportent également une clause aux termes de laquelle la société A. renonce « à rechercher la responsabilité de la Banque relativement à la situation d'endettement qui résulte (pour le client) du concours qui lui a été consenti, à rechercher cette responsabilité du fait du mécanisme du Crédit L , notamment au titre d'un devoir de mise en garde, d'une obligation d'information ou de conseil, et d'une façon générale, à quelque titre que ce soit » ;

Attendu que si la liberté contractuelle autorise les parties à convenir d'une clause limitative ou exonératoire de responsabilité, celle-ci ne peut par contre vider de sa substance une obligation essentielle pesant sur celui au profit duquel elle se trouve stipulée, sans en voir sa validité affectée ;

Qu'indépendamment de toute stipulation contractuelle, il est de jurisprudence constante qu'une banque est tenue, comme tout prestataire de service financier, de mettre en garde son client contre les risques nés d'une opération spéculative envisagée par celui-ci, quand bien même cette exigence peut se trouver allégée en présence d'un investisseur averti ;

Qu'en ciblant expressément l'obligation principale qui lui incombe dans son rôle d'intermédiaire financier, d'informer, conseiller et mettre en garde son client, la BANQUE C a tenté de se soustraire, sans contrepartie, aux obligations qui sont les siennes ;

Que de telles clauses, abusives, doivent être réputées non écrites ;

Qu'elles ne peuvent ce faisant fonder l'irrecevabilité de l'action de la société A.;

  • 2 ) Sur la demande de nullité des conventions :

Attendu que la société A. poursuit la nullité des contrats de Crédits L et de l'acte de constitution de gage de monnaie et de valeurs mobilières conclus le 17 octobre 2018 et des avenants signés le 3 mars 2014, en premier lieu pour défaut de capacité d a. V. signataire, à l'engager, en second lieu pour vice du consentement consécutif aux réticences dolosives de la banque ;

  • Sur la recevabilité de la demande de nullité :

Attendu que la BANQUE D objecte que pareille demande est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel, ce que conteste l'appelante qui prétend soumettre à la Cour un moyen nouveau ;

Attendu qu'aux termes de l'article 431 du Code de procédure civile, les parties peuvent, pour justifier les demandes qui avaient été soumises au premier juge, invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces, ou proposer de nouvelles preuves ;

Que par contre, elles ne peuvent former aucune demande nouvelle, à moins qu'il ne s'agisse de compensation ou que la demande nouvelle ne soit la défense à l'action principale ;

Qu'au cas présent, la société A. a attrait la BANQUE C, devenue la BANQUE D, devant les premiers juges aux fins d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices, consécutivement à la consécration de la responsabilité professionnelle de cet établissement ;

Que les prétentions soumises à la Cour, bien que fondées sur la nullité des dispositions contractuelles, tendant aux mêmes fins, les demandes présentées sont recevables ;

Que la fin de non-recevoir présentée de ce chef sera donc rejetée ;

Attendu que l'intimée oppose encore la prescription de l'action en nullité des conventions, sur laquelle la société A. ne s'est pas expliquée dans ses écritures ;

Qu'aux termes de l'article 1152 du Code civil, l'action se prescrit par cinq ans en l'absence de délai plus bref institué par une disposition légale particulière ;

Que ce délai ne court, dans le cas d'erreur ou de dol, que du jour où ceux-ci ont été découverts ;

Qu'au cas présent, l'appelante reproche à la banque sa réticence dolosive caractérisée par un manquement grave à son obligation de conseil et d'information précontractuelle ;

Que si les conventions initiales ont été signées le 17 octobre 2008, suivies de deux séries d'avenants établis successivement les 28 mai 2009 et 3 mars 2014, il ressort des pièces versées aux débats que la société A. a pris conscience, par l'intermédiaire de ses administrateurs, de possibles manquements de la banque à partir du 18 novembre 2014, date à laquelle le conseil de l'établissement a communiqué à leur propre avocat certains des documents dont il avait lui-même sollicité la communication depuis le 15 octobre 2014 ;

Qu'il s'ensuit que la demande de nullité des diverses conventions formée par exploit d'assignation délivré le 21 mars 2019 n'est pas frappée de prescription ;

Que la fin de non-recevoir proposée de ce chef ne peut donc davantage prospérer ;

  • Sur la demande de nullité pour défaut de capacité :

Attendu que la société A. invoque dans ses écritures un « défaut de capacité d a. V. pour (l') engager, seule, sans mandat régulier », en se prévalant également d'un défaut de pouvoir de cette dernière ;

Que cette présentation procède manifestement d'une confusion entre ces deux notions ;

Qu'en premier lieu, la capacité de contracter prévue par les dispositions de l'article 963 du Code civil doit s'apprécier dans la seule personne qui s'engage par la convention, soit en l'occurrence la société A.;

Que la capacité d'une personne morale doit s'apprécier au regard de son objet social, défini dans les statuts, dont il n'est pas démontré ni même allégué qu'il aurait été méconnu en l'espèce ;

Que l'appréciation de la notion de capacité dans la personne d a. V. est indifférente à la cause ;

Que seul peut être sujet à débat le pouvoir dont cette dernière disposait pour représenter la société A. et l'engager par ses actes ;

Qu'à cet égard, l'article 66 des statuts de la société, librement traduit, est ainsi libellé :

« Les affaires de la société sont gérées par les administrateurs, qui peuvent régler toutes les dépenses préalablement et en lien avec la constitution et l'enregistrement de la société et qui peuvent exercer tous les pouvoirs pour engager la société qui ne sont pas réservés par les statuts aux associés, sous réserve des pouvoirs prescrit par résolution des associés, sous réserver de toute délégation de pouvoir prescrit par résolution des associés » (sic) ;

Que bien plus l'article 71 suivant prévoit que « les administrateurs peuvent exercer tous les pouvoirs de la société pour emprunter de l'argent et hypothéquer ou grever de charge ses engagements, ses biens et son capital non libéré, d'émettre des obligations, emprunt obligataire et autres titres à chaque fois que de l'argent est emprunté ou en garantie d'une dette, responsabilité ou obligation de la société ou de tout tiers » ;

Qu'aux termes de l'acte de nomination des administrateurs en date du 7 avril 2008,

« Il a été décidé :

Que la nomination de Madame V a. et Monsieur C m. en qualité d'Administrateurs de la société est confirmée et acceptée et produit tous ses effets à compter de la date de constitution » ;

Qu'en vertu des dispositions de l'article 1695 du Code civil, lorsque plusieurs associés sont chargés d'administrer, sans que leurs fonctions soient déterminées, ou sans qu'il ait été exprimé que l'un ne pouvait agir sans l'autre, ils peuvent faire chacun séparément tous les actes de cette administration ;

Qu'il s'évince de l'ensemble de ces dispositions, que l'un seul des administrateurs pouvait valablement représenter et engager la société, sans nécessité de justifier d'un mandat spécial consenti par l'autre, en l'absence de disposition statutaire spécifique ;

Que l'appelante, qui prétend que, pour avoir directement pris part à la création de la société, « la Banque ne pouvait ignorer que m. C. et a. V. avaient un pouvoir de représentation et de signature uniquement conjoint » ne justifie aucunement de cette dernière exigence ;

Que par voie de conséquence, a. V. disposait, en sa qualité d'administrateur, du pouvoir de représenter et d'engager valablement, seule, la société A. sans que la Cour ne soit tenue de suivre l'appelante dans le détail de son argumentaire relatif aux contestations de signature des avenants du 3 mars 2014 par m. C.;

Que la demande de nullité formulée de ce chef ne peut prospérer ;

  • Sur la demande de nullité pour vice du consentement :

Attendu que l'article 971 du Code civil dispose que « le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté » ;

Que de jurisprudence constante, un manquement grave à l'obligation de conseil et d'information peut caractériser une réticence dolosive en matière bancaire ;

Qu'au cas d'espèce, l'appelante soutient que la banque a manqué à son obligation d'information précontractuelle, en s'abstenant de renseigner utilement la société, et conjointement a. V. (qui ne disposait que d'une faible pension de retraite d'agricultrice) et m. C. (sans emploi), de l'étendue des engagements qu'ils prenaient, induisant un endettement de plus de 300.000 euros pour la société, alors qu'ils bénéficiaient pour seul actif de la somme de 120.000 euros investie dans celle-ci ;

Qu'elle lui reproche également de ne pas avoir recherché quel était réellement le profil investisseur de sa cliente ;

Qu'elle souligne encore que les conventions de Crédit L , établies dans une langue qu'elle ne maitrisait pas, ont été présentées à la seule signature d a. V. de sorte que si elle avait été pleinement informée de leur contenu elle se serait abstenue d'y souscrire ;

Qu'elle considère que la banque a ainsi usé de manœuvres dolosives pour lui faire souscrire un endettement manifestement disproportionné en l'état d'une convention bancaire complexe, par le biais d'une création offshore instituant une situation juridique qu'elle ne maitrisait pas ;

Que l'intimée objecte que ce moyen est inopérant s'agissant d'un emprunteur ayant la forme d'une société de droit seychellois dont l'objet est financier, reprenant pour le surplus à son compte la motivation des premiers juges ;

Qu'en tout état de cause, il appartient à la Cour saisie de la demande de nullité des conventions de prêts et de gage signées entre les parties, de déterminer si la banque était tenue d'un devoir d'information et de conseil, dans l'affirmative, de vérifier si elle y a ou non satisfait et dans cette hypothèse si le défaut d'information avait pour objet de tromper et de déterminer sa cliente à s'engager ;

Qu'il est de jurisprudence constante qu'incombe à l'établissement bancaire, débiteur d'une obligation d'information et de conseil vis à vis de son client, de rapporter la preuve qu'il l'a remplie ;

Qu'à ce titre, il appartient en premier lieu à la banque de s'informer sur la situation financière et les connaissances du client en matière financière, ainsi que sur ses objectifs en matière d'investissement ;

Qu'en second lieu, le client doit pouvoir bénéficier d'explications claires et précises, sur les conditions inhérentes à l'opération financière qu'il projette d'entreprendre et obtenir toutes les informations nécessaires à sa réalisation pour comprendre toutes les obligations auxquelles il devra faire face ;

Que cette obligation d'information se prolonge d'une obligation de conseil aux termes de laquelle la banque doit avertir son client des risques encourus, inhérents à l'opération envisagée ;

Qu'en présence d'investisseurs avertis, les obligations mises à sa charge se trouvent allégées ;

Que pour justifier avoir satisfait à ses obligations, l'intimée se prévaut du profil d'investisseur averti de sa cliente, tel qu'il ressort de la « fiche d'évaluation de la compétence du client » annexée à la convention de compte-titre du 17 octobre 2008 ;

Attendu qu'en tout état de cause, la Cour observe que si la société A. présente ses associés comme profanes en matière d'investissement, ayant souhaité investir dans des placements sûrs la somme de 100.000 euros représentant leurs économies pour assurer un complément de revenus à a. V. la convention d'ouverture de compte-titres signée le 18 octobre 2008 la présente elle-même comme une « société patrimoniale » ;

Que pour autant, la date de création de cette société s'y trouve précisée sous la date du 3 janvier 2008, révélant par la même son expérience limitée en la matière ;

Que les co-titulaires du compte, dont la profession est mentionnée sous l'intitulé « retraitée/agriculteur » ne justifient pas d'une expérience professionnelle susceptible de suppléer au manque de connaissances de la société en termes de gestion et d'investissement ;

Qu'aux termes de la fiche du profil investisseur qui se trouve annexée à cette convention, censée évaluer la compétence du client en la matière pour « permettre à l'intermédiaire de fournir au Client les informations nécessaires pour apprécier les caractéristiques des instruments financiers dont la négociation est envisagée, des opérations susceptibles d'être traitées et des risques particuliers qu'elles peuvent comporter », a. V. et m. C. agissant pour le compte de la société, indiquent :

  • disposer d'un ou plusieurs produits financiers dans d'autres établissements,

  • ne pas en gérer le portefeuille (contrairement à ce qu'ont retenu par erreur les premiers juges),

  • estimer avoir une connaissance suffisante pour prendre des décisions d'investissements en matière d'actions et d'obligations,

  • disposer d'un revenu annuel compris dans une fourchette de 30.000 à 75.000 euros,

  • souhaiter investir la somme de 100.000 euros dans un objectif de diversification des avoirs, avec un horizon d'investissement à plus de cinq ans ;

Que certes, les énonciations de ce profil, établi au moment de la souscription des trois contrats initiaux, relatives à la détermination des objectifs poursuivis par la société A. dans la gestion de ses avoirs et renseignant sur ce qui est présenté comme étant sa situation patrimoniale propre, répond de manière formelle aux exigences légales ;

Que toutefois, la déclaration par les souscripteurs de ce qu'ils ne géraient pas le portefeuille de produits financiers détenu par ailleurs, conjugué à la constitution récente de la société 9 mois auparavant par deux associés sans lien professionnel avéré avec le monde des affaires et de la finance, ne permet pas d'en déduire, contrairement aux affirmations de la BANQUE D, qu'ils se sont présentés comme des investisseurs habituels, avertis et autonomes ;

Que l'établissement bancaire se devait donc de leur apporter une information complète et des conseils adaptés et personnalisés pour le compte de la société A. sa cliente, de nature à lui permettre d'appréhender avec précision la nature de ses engagements et les risques éventuellement encourus ;

Que l'intimée qui se retranche derrière le seul profil client ressortant de la « fiche d'évaluation de la compétence du client » ci-dessus analysée ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait rempli son obligation précontractuelle d'information et de conseil, conformément aux exigences légales ;

Qu'elle ne fait état d'aucune remise de documentation particulière à sa cliente, en dehors des seuls documents contractuels, ni d'entretiens individualisés avec ses dirigeants pour explorer avec eux leurs attentes et décrire les propositions d'investissement qu'elle était susceptible de leur présenter ;

Que la Cour observe d'ailleurs, s'agissant des conditions particulières de la convention de compte-titres, que l'option fiscale du compte-titres n'est pas renseignée, pas plus que les modalités de propriété et le type de compte souscrit, ce qui tend à démontrer que tous les aspects de l'engagement n'ont pas été évoqués avant sa souscription ;

Que la BANQUE D ne peut davantage se prévaloir des clauses exonératoires de responsabilité insérées dans les avenants ultérieurs pour les motifs ci-dessus développés, ni de l'approbation sans réserve des opérations retracées par la banque sur les relevés de compte, dont l'intimée prétend qu'elle ne peut les remettre en cause pour les avoir personnellement instruites, alors précisément qu'il n'est pas démontré que l'appelante a bénéficié d'une information appropriée et des conseils avisés de la banque pour s'engager en connaissance de cause ;

Que par ailleurs, le seul statut déclaré de « société patrimoniale » de la société A. et l'étendue de son objet social ne suffisent pas à justifier, au regard des éléments précités, qu'elle aurait eu, de ce seul fait, une connaissance avisée et approfondie des instruments financiers et une expérience affirmée en matière de gestion ;

Que de surcroit, le montage financier mis en œuvre se révèle complexe pour un client profane, s'agissant de conventions d'ouverture de crédit sous forme d'un premier prêt L d'un montant de 100.000 euros et d'un second d'un montant de 200.000 euros, les deux pour une durée de 24 mois, remboursables en une seule échéance au 31 janvier 2011, sur la base de l'Euribor à trois mois plus un point, l'ensemble des engagements de l'emprunteur étant garanti par un gage de monnaie et d'instruments financiers constitué sous le régime de la Loi monégasque n° 1.124, assorti d'une convention d'ouverture de compte-titres pour le dépôt des instruments financiers ;

Qu'enfin, il n'est pas indifférent de relever que les premiers avenants ont été signés par les parties dès le 28 mai 2009, soit à peine plus de 7 mois après les conventions initiales du 17 octobre 2008, étant relevé dans l'article 2 que les actifs gagés « sont constitués de valeurs mobilières cotées sur des marchés peu liquides ; cette situation est la cause de pertes constatées sur les investissements en cours, et de leur aggravation lors de la période ayant précédé la signature du présent avenant » ;

Qu'à cet égard, l'établissement bancaire ne démontre pas davantage qu'elle aurait satisfait à son obligation de conseil, en avertissant son client des risques encourus, inhérents à l'opération envisagée ;

Que ces éléments permettent à la Cour de considérer qu'il appartenait à l'établissement bancaire, lors de la souscription des conventions de crédit L et de gage, d'alerter la société A. novice en la matière, des risques encourus et des conséquences pouvant en découler en cas notamment d'impossibilité de remboursement, dans la mesure où ses engagements financiers excédaient de manière significative son seul investissement personnel à hauteur de 100.000 euros, que le montant précis de ses revenus annuels déclarés, dont la nature n'a pas été spécifiée, reste ignoré, et que l'opération proposée pouvait se révéler rapidement désavantageuse en l'obligeant à rembourser des sommes dont elle n'a jamais eu la libre disposition ;

Que faute pour la banque d'y avoir satisfait, la société A. peut légitimement soutenir que son consentement aux conventions qu'elle a souscrites est entaché d'un vice, du fait de la réticence dolosive de l'établissement bancaire, qui s'est abstenu d'informer et de conseiller pleinement sa cliente ;

Que les conventions signées par celle-ci le 17 octobre 2008 encourent donc la nullité ;

Qu'il en va de même des avenants postérieurs, privés de support contractuel ;

Qu'en l'état de la nullité prononcée, la société A. peut raisonnablement prétendre à la restitution de son investissement personnel à hauteur de 100.000 euros ;

Qu'elle ne peut par contre revendiquer au titre du préjudice subi, le remboursement des crédits L annulés auxquels elle devient étrangère ni, pour les mêmes raisons, celui du déficit du compte-titres arrêté au 12 janvier 2016 dont la banque lui réclame le paiement ;

Qu'elle sera en conséquence déboutée du surplus de ses demandes en paiement ;

Sur les demandes de dommages-intérêts :

  • - sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral :

Attendu que la société A. sollicite l'octroi à son profit de dommages-intérêts pour préjudice moral, aux motifs que :

  • - la banque n'a eu de cesse de 2008 à 2016, de faire espérer à ses dirigeants associés, a. V. et m. C. la perception d'une rente générée par les économies de toute une vie, dont ils n'ont pas touché le moindre centime ;

  • - elle se voyait contrainte de rembourser des crédits à hauteur de 300.000 euros et de supporter un découvert en compte de 51.327,41 euros,

  • - cette situation a plongé ses dirigeants dans une profonde détresse financière et psychologique ;

Que si une société, personne morale, peut subir un préjudice moral encore faut-il que celui-ci lui soit propre, les personnes physiques qui la composent, en particulier ses dirigeants, disposant d'une action personnelle distincte à ce titre ;

Qu'en l'espèce, le préjudice moral subi par l'appelante du fait des réclamations formées par la banque à son encontre, alors qu'elle se trouvait dans une situation financière désastreuse du fait de placements hasardeux, justifie que lui soit alloué une somme de 10.000 euros de ce chef ;

  • - sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts :

Attendu que si l'exercice des voies de droit constitue un droit fondamental, il n'en est pas pour autant absolu et peut être sanctionné en cas d'abus, lequel est caractérisé notamment lorsque la procédure est particulièrement infondée, téméraire ou malveillante ;

Qu'en l'espèce, la BANQUE D succombant en ses prétentions, sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive n'est pas fondée ;

Que la décision entreprise sera confirmée de ce chef ;

Attendu que la demande formée en cause d'appel pour exercice abusif du droit d'interjeter appel, au demeurant non motivée, ne peut davantage prospérer, la société A. n'ayant fait qu'utiliser, en formant appel, les voies de recours qui s'offraient à elle, sans les faire dégénérer en abus ;

  • Sur les dépens :

Attendu que succombant pour l'essentiel, la BANQUE D sera condamnée aux dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevables les appels principal et incident,

Écarte des débats les pièces n° 1, 2 et 20 produites par la société A.

Dit n'y avoir lieu au rejet des pièces n° 19, 19 bis et 21 produites par la société A.

Déclare abusives les clauses exonératoires de responsabilité figurant dans les avenants signés les 28 mai 2009 et 3 mars 2014,

Rejette les fins de non-recevoir, tirées du caractère nouveau de la demande en cause d'appel et de la prescription, opposées par la BANQUE B à l'action en nullité des conventions souscrites le 17 octobre 2008,

Infirme le jugement du Tribunal de première instance du 13 décembre 2018 sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de nullité de l'assignation, de rejet de pièces et d'allocation de dommages-intérêts au profit de la BANQUE B pour procédure abusive,

Le réforme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Prononce la nullité de la convention d'ouverture de compte-titres, des deux contrats de crédit L et de la constitution de gage souscrits le 17 octobre 2008 et des avenants subséquents en date des 28 mai 2009 et 3 mars 2014,

Condamne la BANQUE B à restituer à la société A. la somme de 100.000 euros correspondant au montant de son investissement,

Condamne la BANQUE B à payer à la société A. la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

Déboute la société A. du surplus de ses demandes,

Y ajoutant,

Déboute la BANQUE B de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive en cause d'appel,

Condamne la BANQUE B aux dépens d'appel distraits au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Claire GHERA, Conseiller, Madame Catherine LEVY, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 15 DECEMBRE 20 20, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur général adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

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