Cour d'appel, 24 novembre 2020, Madame p. M. c/ La SARL G

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Baux commerciaux - Indemnité d'éviction - Évaluation

Résumé🔗

Au vu du rapport de l'expert, l'indemnité d'éviction due au preneur évincé, qui exploitait un restaurant, doit être fixée à 2 637 000 euros, étant précisé que l'éviction a entraîné la perte du fonds de commerce.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2020

En la cause de :

  • - Madame p. M., née le 8 juin 1957 à Lecce (Italie), Administrateur de société, de nationalité monégasque, demeurant X1 à Monaco (98000), venant aux droits de Monsieur r. M. né le 19 mars 1921 à Guagnano (Italie), de nationalité américaine, administrateur de société, demeurant X2 à Monaco (98000) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître p. REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - La Société à Responsabilité Limitée dénommée G, ayant son siège social à Monaco (98000), X3 inscrite au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de la Principauté de Monaco sous le n°XX, prise en la personne de son gérant non associé en exercice, Monsieur j. C. domicilié es-qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat-plaidant Maître Elie COHEN, avocat au barreau de Nice ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux, le 11 octobre 2017 (R. 214) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 24 novembre 2017 (enrôlé sous le numéro 2018/000062) ;

Vu l'arrêt avant dire droit en date du 28 septembre 2018 ;

Vu les conclusions déposées le 3 mars 2020 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la Société à Responsabilité Limitée dénommée G ;

Vu les conclusions déposées le 4 mai 2020 par Maître p. REY, avocat-défenseur, au nom de Madame p. M.;

À l'audience du 13 octobre 2020, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Madame p. M.à l'encontre d'un jugement de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux du 11 octobre 2017.

Considérant les faits suivants :

Par acte sous-seing privé en date du 5 octobre 2006, Monsieur r. M. aux droits duquel vient Madame p. M. a donné à bail commercial à la société N devenue la SARL G, un local portant les numéros 39, 40 et 41 situé à la résidence « X4 » - X4 à Monaco.

Madame p. M. a fait notifier suivant acte en date du 27 mai 2015, à la SARL G un congé sans offre de renouvellement et avec offre d'indemnité d'éviction à effet au 31 août 2015, concernant un local portant sur les lots 39, 40 et 41 de l'immeuble X4 sis X4

La Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux a été saisie le 24 septembre 2015 aux fins de désignation d'un expert et de fixation de l'indemnité d'éviction et un procès-verbal de non-conciliation était établi le 21 octobre 2015.

Par exploit en date du 16 novembre 2015, la SARL G a alors fait assigner p. M. par-devant la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux afin de voir, à titre principal, fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 3.518.000 euros tout en demandant à titre subsidiaire que soit ordonnée une expertise.

Suivant jugement en date du 11 octobre 2017, la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux a :

« - condamné p. M.à verser à la SARL G la somme de 3.000.000 euros à titre d'indemnité d'éviction,

débouté les parties du surplus de leurs demandes,

condamné p. M. aux dépens ».

Par exploit en date du 24 novembre 2017, Madame p. M. a interjeté appel du jugement susvisé du 11 octobre 2017 afin de voir la Cour :

  • « - déclarer Madame M. recevable en son appel et la disant bien fondée,

  • - réformer le jugement entrepris de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux (R.214) en date du 11 octobre 2017 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

  • - dire et juger que la SARL G ne justifie pas du montant de l'indemnité d'éviction qu'elle sollicite,

  • - dire et juger que le chiffre d'affaires ainsi que les résultats nets de la SARL G ont nécessairement été impactés par l'occupation de ladite terrasse-véranda, illégalement occupée, et libérée,

  • - dire et juger qu'une partie du chiffre d'affaires ainsi que des résultats nets de la SARL G est nécessairement liée à l'occupation de ladite terrasse-véranda, et ne doit pas être prise en compte pour déterminer la valeur de son fonds de commerce,

Avant-dire-droit, sur le montant de l'indemnité d'éviction,

  • désigner tel expert avec mission d'évaluer le montant de l'indemnité d'éviction due à la SARL G, et notamment celle de :

  • décrire succinctement les locaux en cause, en précisant leur situation, leur superficie, leur état et les aménagements qu'ils comportent, ainsi que les commodités ou inconvénients qu'ils présentent, au regard de l'activité commerciale exercée,

  • déterminer le chiffre d'affaires et les bénéfices réalisés par la SARL G, pour les trois dernières années ayant précédé le congé, à partir du compte d'exploitation, du bilan ou de tous autres documents utiles,

  • déterminer la part du chiffre d'affaires et des bénéfices réalisés par la SARL G, pour les trois dernières années ayant précédé le congé, liée à l'occupation de ladite terrasse-véranda, à partir du compte d'exploitation, du bilan ou de tous autres documents utiles et nécessaires au réajustement des calculs de l'indemnité, à tout le moins, dire que la valeur du fonds de commerce pourrait être réduite de 10,5 %,

  • fournir plus généralement tous éléments circonstanciés, notamment quant à la valeur du fonds de commerce, en ce compris celle du droit au bail, et à l'ensemble des frais de réinstallation dans les locaux similaires permettant d'apprécier le préjudice causé au preneur par le refus de renouvellement du bail,

  • dire que la SARL G, devra faire l'avance des frais de l'expertise, le montant qu'elle a sollicité au titre de l'indemnité d'éviction n'étant pas justifié,

Sur le fond,

  • - fixer, après dépôt du rapport d'expertise, le montant de l'indemnité d'éviction que Madame p. M. devra verser à la Société à responsabilité limitée dénommée G, en application des dispositions de l'article 9 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, concernant le fonds de commerce de « snack-bar, restaurant, à titre accessoire, la vente à emporter ou à livrer desdits plats et boissons alcoolisées », exploité par la SARL G dans le local portant les numéros 39, 40 et 41, situés au rez-de-chaussée de la Résidence « X4 », sis X4 à Monaco,

  • - donner acte à Madame M. qu'elle se réserve de développer ses demandes au fond au vu des conclusions du rapport d'expertise,

À titre subsidiaire,

  • - fixer le montant de l'indemnité d'éviction que Madame p. M. devra verser à la Société à responsabilité limitée dénommée G, en application des dispositions de l'article 9 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, concernant le fonds de commerce de « snack-bar, restaurant, à titre accessoire, la vente à emporter ou à livrer desdits plats et boissons alcoolisées », exploité par la SARL G dans le local portant les numéros 39, 40 et 41, situés au rez-de-chaussée de la Résidence « X4», sis X4à Monaco, à la somme de 1.224.360,00 euros,

  • - condamner la SARL G, aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître p. REY, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

Suivant arrêt en date du 28 septembre 2018, la Cour d'appel de céans a :

  • - déclaré l'appel recevable,

Réformant le jugement rendu le 11 octobre 2017 par la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux,

Avant-dire-droit sur la fixation de l'indemnité d'éviction,

  • - ordonné aux frais avancés de p. M. une expertise et désigne pour y procéder Monsieur c. BO. lequel, aura pour mission serment préalablement prêté de :

    • décrire les locaux faisant l'objet du litige en déterminant leur situation, leur superficie, leur état, les aménagements dont ils disposent ainsi que les avantages et inconvénients présentés au regard de l'activité commerciale exercée,

    • déterminer le chiffre d'affaires et les bénéfices réalisés par le preneur au cours des trois années ayant précédé la notification du congé en tenant compte de tous documents comptables utiles,

    • déterminer la fraction du chiffre d'affaires et des bénéfices réalisés par le preneur au cours de la même période susceptible de résulter directement de l'occupation de la terrasse-véranda litigieuse en tenant compte de tous éléments d'information et documents comptables utiles,

    • chiffrer, en l'état de la ou des méthodes de calcul qui seront retenues, la valeur du fonds de commerce en ce compris celle du droit au bail, le montant des frais de réinstallation dans des locaux analogues et, plus généralement, faire état de tous éléments utiles d'appréciation permettant de déterminer en définitive le préjudice causé au preneur par le refus de renouvellement du bail,

  • - imparti à l'expert ainsi commis un délai de HUIT JOURS (8 jours) pour l'acceptation ou le refus de sa mission, ledit délai courant à compter de la réception par lui de la copie de la présente décision qui lui sera adressée par le Greffe Général,

  • - dit qu'en cas d'acceptation de sa mission, le même expert déposera au Greffe Général un rapport écrit de ses opérations dans les TROIS MOIS (3 mois) du jour où il les aura débutées, à défaut d'avoir pu concilier les parties, ce qu'il lui appartiendra de tenter dans toute la mesure du possible,

  • - dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance,

  • - ordonné que les frais d'expertise seront avancés par p. M....).

L'expert judiciairement désigné, Monsieur c. BO., a déposé son rapport au greffe le 13 décembre 2019 aux termes duquel, en l'état des différentes méthodes de calcul opérées, il a retenu une évaluation pour le montant du fonds de commerce chiffrée à 2.500.000 euros et une indemnité finale alternative selon l'hypothèse se présentant, c'est-à-dire en cas de fermeture définitive du restaurant, la somme de 2.637.000 euros ou, en cas de réinstallation du restaurant dans un autre local, la somme de 2.870.000 euros.

Suivant conclusions après expertise, la SARL G a conclu à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement rendu par la Commission arbitrale des loyers commerciaux le 11 octobre 2017, estimant en substance que le faible écart séparant les conclusions de l'expert judiciaire et la fixation de l'indemnité d'éviction par les premiers juges la conduit à réitérer les termes de ses conclusions d'intimée en date du 30 janvier 2018 dont elle sollicite l'entier bénéfice.

La SARL G au bénéfice des moyens développés dans ses écritures antérieures fait notamment valoir que :

  • - les premiers juges ont à bon droit observé qu'il est à l'heure actuelle quasiment impossible de retrouver en Principauté de Monaco un fonds de commerce équivalent en termes de taille, vue et facilités d'exploitation et ce, alors que 26 mois ont séparé la date du jugement entrepris de celle du dépôt du rapport d'expertise,

  • - l'expert a, à tort, évalué à 2.500.000 euros la valeur du fonds de commerce en prenant en considération la valeur du droit au bail fixé à 1.000.000 d'euros par le sapiteur et la valeur de la société voisine « O » qui s'est vendu à 2.500.000 euros fin 2013,

  • - les éléments de comparaison avec la vente du fonds de commerce voisin ne sont pas d'actualité puisque datant de 2013 et ne sont pas probants puisque ce fonds de commerce ne correspondait pas aux caractéristiques de la SARL G.

  • - l'évaluation à 1.000.000 d'euros du droit au bail a été contestée puisque le sapiteur exclut de prendre en considération un coefficient de majoration lié à l'impossibilité de retrouver un bail correspondant et de tenir compte du prix particulièrement bas du loyer dont la société a bénéficié du fait de l'ancienneté du bail alors enfin que le taux de rendement retenu s'élevant à 2 % correspond à un taux moyen pour investissement immobilier dans des locaux commerciaux, non applicable en matière de droit au bail et donc d'occupation des murs.

Madame p. M. appelante, a pour sa part conclu à la suite du rapport d'expertise, en demandant à la Cour d'appel de :

  • déclarer Madame M. recevable en son appel et la disant bien fondée,

  • réformer le jugement entrepris de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux (R.214) en date du 11 octobre 2017 en toutes ses dispositions,

À titre principal, s'agissant de la perte du fonds de commerce de la SARL G,

  • dire et juger que le chiffre d'affaires ainsi que les résultats nets de la SARL G ont nécessairement été impactés par l'occupation de ladite terrasse-véranda, illégalement occupée, et libérée,

  • dire et juger qu'une partie du chiffre d'affaires ainsi que des résultats nets de la SARL G est nécessairement liée à l'occupation de ladite terrasse-véranda, et ne doit pas être prise en compte pour déterminer la valeur de son fonds de commerce,

  • fixer le montant de l'indemnité d'éviction que Madame p. M. offre de verser à la société à responsabilité limitée dénommée « G », en application des dispositions de l'article 9 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, concernant le fonds de commerce de « P, société, à titre accessoire, la vente à emporter ou à livrer desdits plats et boissons alcoolisées », exploité par la SARL G dans le local portant les numéros 39, 40 et 41, situés au rez-de-chaussée de la Résidence « X4 », sis X4 à Monaco, à une somme qui ne saurait être supérieure à la somme de 1.285.634 euros, outre les indemnités de licenciements résultant de l'éviction sur justificatifs, avec toutes conséquences de droit,

À titre subsidiaire, si la Cour devait prendre en considération le rapport d'expertise de Monsieur BO. déposé le 13 décembre 2019,

  • - fixer le montant de l'indemnité d'éviction que Madame p. M. devra verser à la société à responsabilité limitée dénommée « G », en application des dispositions de l'article 9 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, concernant le fonds de commerce de « P, société, à titre accessoire, la vente à emporter ou à livrer desdits plats et boissons alcoolisées », exploité par la SARL G dans le local portant les numéros 39, 40 et 41, situés au rez-de-chaussée de la Résidence « X4 », sis X4 à Monaco, à une somme qui ne saurait être supérieure à la somme de 2.543.600 euros, outre les indemnités de licenciements résultant de l'éviction sur justificatifs, avec toutes conséquences de droit,

En tout état de cause,

  • - débouter la SARL « G » de l'intégralité de ses demandes, moyens, fins et conclusions,

  • - condamner la SARL « G » aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître p. REY, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Elle expose en substance que :

  • - conformément à la jurisprudence appliquant les dispositions de l'article 9 de la loi n° 490, seul le préjudice effectivement subi découlant du refus de renouvellement doit être compensé par l'indemnité d'éviction,

  • - en raison de la fermeture de l'établissement de restauration, Madame p. M. ne pourra être condamnée au paiement d'une indemnité d'éviction de remplacement,

  • - contrairement à ce que soutient la SARL G, la valeur du droit au bail est inférieure à celle retenue par l'expert judiciaire et son sapiteur,

  • - la méthode de comparaison prenant pour référence les transactions constatées sur le marché immobilier pour des biens comparables auraient dû se faire sur l'analyse des ventes réalisées sur des biens similaires et non sur de simples offres de transaction,

  • l'expert a éliminé d'office l'incidence d'utilisation de la terrasse véranda sans s'en expliquer,

  • - les rémunérations prises en compte volontairement minimalistes ne pouvaient être adaptées à une exploitation normale,

  • - il est admis que la valeur d'un restaurant ne saurait dépasser le bénéfice cumulé sur les 7 années à venir selon le conseil des experts-comptables français en sorte qu'il aurait fallu valoriser le fonds de commerce en tenant compte de la décote de la terrasse,

  • - la société qui a occupé sans droit ni titre cette terrasse en a finalement été expulsée judiciairement, la sommation de quitter les lieux lui ayant été adressée le 19 mai 2015,

  • - il y a bien eu diminution du prix de vente liée à la perte de la terrasse négociée entre les parties à hauteur de 150.000 euros,

  • - c'est à tort que l'expert judiciaire a exclu que le chiffre d'affaires et les résultats nets avancés par la SARL G ont été impactés par l'occupation de cette terrasse véranda s'agissant d'un fonds de commerce de restaurant destiné à recevoir de la clientèle, en sorte qu'il aurait dû réduire la valeur du fonds de commerce a minima de 15 %,

  • - la seconde hypothèse retenue par l'expert correspondant à la réinstallation et au transfert du fonds de commerce est tout à fait aléatoire et sera écartée dès lors qu'il est indiscutable que la réinstallation s'avère impossible,

  • - l'indemnité d'éviction aurait en définitive dû être évaluée par le technicien entre la somme de 1.285.634 euros et celle de 1.836.620 euros,

  • - à titre subsidiaire, si la Cour devait retenir les conclusions de l'expert BO. quant à l'évaluation de l'indemnité d'éviction il conviendra de retenir l'évaluation de 2.585.000 euros au paiement de laquelle Madame M. sera condamnée.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que suite à l'arrêt avant-dire droit du 28 septembre 2018, Monsieur c. BO., expert judiciairement nommé, a établi son rapport le 12 décembre 2019 aux termes duquel il a conclu en ces termes :

« (...) Dans le cadre des travaux de l' expert, une dernière réunion entre les parties a consisté à faire un dernier point sur les positions des parties et tenter une conciliation amiable, ce qui n'a pas été possible.

Suite aux différentes méthodes de calcul opérées par l'Expert, le montant du fonds de commerce est de 2.500.000 euros.

Par la suite il a été pris deux méthodes de calcul pour l'indemnité finale : la fermeture définitive du restaurant et le cas de la réinstallation du restaurant dans un autre local.

Les montants sont :

- fermeture du restaurant 2.637.000 euros,

réinstallation du restaurant : 2.870.000 euros » ;

Attendu que l'article 9 de la loi n° 490 dispose que l'indemnité d'éviction doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail ;

Que ce préjudice devant être évalué dans toutes ses composantes, il convient de vérifier la situation des locaux au regard de leur situation, leur superficie, leur état, les aménagements dont ils disposent ainsi que les avantages et inconvénients présentés au regard de l'activité de restauration exercée ;

Qu'en l'espèce, le dommage subi par le locataire évincé doit également être apprécié au regard du chiffre d'affaires et des bénéfices réalisés au cours des années ayant précédé la notification du congé et de leur fraction susceptible de résulter directement de l'occupation de la terrasse véranda se trouvant devant le restaurant ;

Qu'enfin, la valeur du fonds de commerce, en ce compris celle du droit au bail, outre le montant des frais de réinstallation dans des locaux analogues si le transfert du fonds de commerce s'avère possible, doivent permettre de chiffrer le plus précisément possible l'indemnité en espèces due à la SARL G à la suite du refus de renouvellement du bail commercial dont elle bénéficiait ;

Attendu qu'il résulte à cet égard des éléments constants de la cause, repris dans le rapport du technicien, que la situation du local se présente objectivement selon la description qui suit :

« La SARL « G » est situé X4 dans une résidence dénommée « X4 ». Le quai Z borde le port de W.

Le local est en rez-de-chaussée de l'immeuble qui donne sur une place composée de plusieurs locaux commerciaux. L'entrée est en façade vitrée pour la grande salle de restaurant. Côté port, le restaurant vitré donne sur une terrasse qui longe le port. La terrasse est un bien appartenant à la copropriété et n'est plus utilisée par le restaurant. Une seconde entrée en arrière (vue du Centre Commercial de W) est ouverte aux clients et son accès se fait par un escalier qui donne directement sur la route et le port. Cet accès arrive également à une petite terrasse utilisée pour la clientèle.

Le quartier de W pris sur la mer en partie regroupe dans cette zone des habitations à caractère très luxueux, un grand nombre d'immeubles domaniaux mais aussi d'immeubles à usage de bureaux et un Centre Commercial avec des magasins autour des sociétés « J » et « K ». Les immeubles situés au quai Z regroupent un certain nombre de locaux commerciaux dont des restaurants. Aux abords proches sont situés la société « L » et un spécialiste des salades « M ».

Le quartier est très fréquenté par une clientèle diverse : habitants de quartier et de Monaco, personnes se trouvant sur les bateaux du port, salariés de la zone de W, touristes.

(...), le quai Z est une artère commerciale ayant la plupart des restaurants et activités de restauration dans le quartier de W. Cette rue jouit de l'avantage d'être en face des quais où sont amarrés les plus gros bateaux du Port de W, avec un trottoir qui garantit également la promenade aux piétons et des places de stationnement pour voitures » ;

Attendu que le local proprement dit se trouve donc situé au rez-de-chaussée de la résidence « X4 » sous les numéros 39, 40 et 41 au cahier des charges au n° X4 à Monaco, étant en outre précisé que l'on y accède soit de manière indirecte par des escaliers extérieurs menant à une terrasse privative rejoignant un sas d'accueil, soit de manière directe sous les arcades de l'immeuble conduisant à la salle du restaurant ;

Que l'expert judiciaire décrit par ailleurs précisément le local en ces termes :

« Le local est d'angle, profitant ainsi d'une belle visibilité et disposant de 4 grandes vitrines du côté de la salle restaurant + 2 vitrines côté cuisines. Les volumes sont bien distribués, avec la salle restaurant bien divisé des cuisines et des locaux de service (toilettes, vestiaires, partie bureau) ; le local dispose également d'une belle terrasse privative, d'environ 21 m2, chose qui est un vrai plus pour ce genre d'activité. Il y a également un local en sous-sol, accessible directement par l'intérieur, utilisé comme réserve/cave.

Sa superficie totale est d'environ 179 m2 hors terrasse + 48 m2 de sous-sol, selon le plan fourni par l'Expert. Au niveau des couverts, il y a 90 places à l'intérieur + 30 places sur la terrasse.

Concernant les finitions, nous retrouvons du carrelage noir au sol, les murs sont en crépi, peint en blanc, les baies vitrées sont en alu avec double vitrage ; au plafond il y a un voilage en tissu pour « cacher » un faux-plafond en dalle suspendue. Dans la partie toilettes, divisées pour « homme » et « femme », on retrouve des dalles de marbre, tant au sol qu'en revêtement mural. Les vestiaires sont carrelés. Le local est climatisé.

Toutes les finitions datent, vraisemblablement, d'origine de la construction.

L'état d'entretien constaté lors de la visite des lieux le 9 mai 2019 est moyen, le local nécessitant un rafraîchissement tant au niveau des finitions qu'au niveau des installations probablement.

Ceci dit, l'emplacement et la distribution du local restent idéaux pour le type d'activité qui y est exercée » ;

Attendu que l'expert déduit de telles constatations qu'en dépit de la taille très limitée de la terrasse pour l'accueil des clients, d'un aménagement démodé et de la nécessité de rafraîchir les lieux, la situation géographique des locaux apparait optimale, la présence à proximité de nombreux parkings facilitant l'accessibilité au fonds de commerce pour une clientèle variée, tandis que leur taille et leur luminosité avec de grandes baies vitrées sont en adéquation avec l'activité de restauration ;

Attendu qu'il convient à titre liminaire d'observer qu'en suite de l'arrêt de la Cour de révision du 26 mars 2015, la terrasse située face au port de W a été restituée le 26 mai 2015, veille de la signification du congé, cet élément ayant bien été pris en considération par l'expert judiciaire pour évaluer le chiffre d'affaires et les bénéfices réalisés au cours de la période de référence ;

Qu'à cet égard, Monsieur c. BO. observe qu'il est difficile de connaître l'impact de la perte de la terrasse sur le chiffre d'affaires tout en relevant l'utilisation d'une terrasse plus petite, le fait que les locaux soient en grande partie vitrés et l'augmentation constante du chiffre d'affaires du restaurant dès l'année 2013 en lien avec une bonne gestion et l'accroissement de la clientèle ;

Qu'à l'effet d'évaluer le fonds de commerce et de fournir tous éléments utiles d'appréciation pour déterminer le préjudice causé au locataire par le refus de renouvellement du bail, l'expert judiciaire s'est fondé sur 3 méthodes de calcul différentes qui sont l'approche DCF (discounted cash flow), l'approche par les rendements et l'approche de la valorisation par la direction générale des impôts en France et ce, en tenant pour acquis que la valeur du droit au bail de la SARL G s'élève à 1.000.000 d'euros, évaluation conforme à celle mentionnée dans son rapport du 15 mai 2019 et également donnée par le sapiteur professionnel de l'immobilier désigné dans le cadre de cette expertise ;

Que tout en prenant en compte des coefficients de pondération, le technicien a établi un tableau récapitulatif reprenant ces 3 méthodes de calcul aux termes duquel le fonds de commerce de la SARL G est évalué à 2.500.000 euros ;

Attendu qu'en vue d'évaluer le préjudice réel subi par le commerçant évincé, le sapiteur professionnel de l'immobilier, mandaté par l'Expert avec l'accord des parties, précise qu'il n'a pas réussi à trouver dans le quartier de W des restaurants similaires à la vente, en sorte que Monsieur BO. a été contraint d'envisager deux méthodes de calcul différentes, la première fondée sur la fermeture du restaurant avec licenciement du personnel et liquidation de la société et la seconde basée sur un déplacement du fonds de commerce dans un autre lieu, ce qui lui est néanmoins apparu impossible, à défaut de local comparable disponible ;

Attendu que l'expert judiciaire expose ainsi successivement ces 2 méthodes de calcul :

  • 1°) Méthode fermeture du restaurant (Valorisation faite dans le pré-rapport de l'Expert )

  • La base de la valorisation du fonds de commerce prise par l'Expert est de 2.500.000 euros.

  • La base du licenciement du personnel est celle calculée par la société Q.

  • Le montant du licenciement avec les préavis, congés payés et indemnité de licenciement est de 145.262 euros dont 41.205 euros d'indemnité à verser aux salariés (Cf. Annexe 4).

  • Pour la fermeture de la société, il faudra tenir compte de certains frais liés à la clôture de la société et de partage du boni de liquidation entre les parties.

  • Le calcul du préjudice est donc :

    • - valeur du fonds de commerce : 2.500.000 euros,

    • - indemnités de licenciement, préavis, congés payés : 93.700 euros,

    • - déménagement (forfait) : 10.000 euros,

    • - frais de liquidation (forfait) : 10.000 euros,

    • - droits d'enregistrement liés au boni de liquidation entre les associés : 23.600 euros,

  • soit un total de 2.637.000 euros.

  • 2°) Méthode de réinstallation (Valorisation faite dans le pré-rapport de l'Expert)

Sur la valeur de base de 2.500.000 euros, il est rajouté un certain nombre de frais liés à la réinstallation du restaurant dans un autre lieu.

Il y a donc lieu de prendre en considération d'autres types de préjudices, à savoir :

  • Travaux,

    • Il ne sera pas opéré de calcul par l'expert, compte tenu d'une évaluation du fonds de commerce prenant en compte les éléments corporels et incorporels et l'achat d'un nouveau restaurant.

  • Frais de déménagements,

    • Il serait nécessaire de prendre en considération des frais de déménagement du mobilier et des matériels se trouvant dans les locaux.

    • Il est difficile de connaître le montant exact d'un tel déménagement, n'ayant reçu aucun devis.

    • Il sera pris en compte un montant forfaitaire de 20.000 euros.

  • Honoraires de professionnels,

    • La recherche d'un nouveau local nécessite normalement l'assistance d'un agent immobilier.

    • Il y a donc lieu de prendre en compte les honoraires pour la recherche du local.

    • Il sera pris un taux moyen de 5 % calculé sur la valeur estimée du fonds de commerce. Soit 2.500.000 euros x 5 % = 125.000 euros,

  • Droits d'enregistrement pour acquisition d'un fonds de commerce,

    • Compte tenu de l'activité de la société, la reprise d'un nouveau local nécessite en général le rachat d'un fonds de commerce, afin d'une part trouver un local avec la même activité et d'autre part un local permettant de faire l'activité bar, petite restauration.

    • Il sera pris en compte un pourcentage de 9 % correspondant au droit réglé par un acquéreur pour l'acquisition d'un fonds de commerce (droit d'enregistrement et honoraires et frais de notaires).

    • Soit 250.000 (sic) x 9 % = 225.000

    • Récapitulatif de l'indemnité :

      • indemnités pour fonds de commerce 2.500.000 euros,

      • préjudice sur frais de déménagement 20.000 euros,

      • honoraires du professionnel pour recherche d'un nouveau local 125.000 euros,

      • droits d'enregistrement pour achat nouveau fonds de commerce 225.000 euros,

      • soit une base d'indemnité de 2.870.000 euros » ;

Attendu que l'expert BO. observe en définitive que suite aux différentes méthodes de calcul retenues, l'évaluation moyenne du fonds de commerce s'élève à 2.500.000 euros, l'indemnité finale pouvant dès lors être comprise entre la somme de 2.637.000 euros en cas de fermeture du restaurant et celle de 2.870.000 euros en cas de réinstallation de celui-ci dans un autre local ;

Attendu que le technicien apparaît, aux côtés de son sapiteur professionnel de l'immobilier, avoir en définitive accompli sa mission de façon extrêmement sérieuse en prenant en considération toutes les pièces et observations des parties tout en tentant de les concilier, sans que la preuve soit rapportée d'une quelconque carence ou contradiction dans son rapport qui ne permettrait pas de tenir compte de ses propositions ;

Mais attendu que l'ensemble des parties s'accorde désormais à constater qu'il est impossible de retrouver en Principauté de Monaco un fonds de commerce équivalent en termes de taille, vue et facilités d'exportation que la SARL G anciennement exploité, en sorte que l'hypothèse de réinstallation du fonds de commerce ne sera pas retenue ;

Qu'il y a donc lieu d'entériner en définitive les conclusions de l'expert en ce qu'elles permettent, au sens des dispositions de l'article 9 de la loi n° 490, d'évaluer le préjudice réellement subi par le locataire commercial évincé et ce, à défaut de toutes pièces justificatives susceptibles d'accréditer la thèse, peu vraisemblable, d'un transfert du fonds de commerce dans un local équivalent, le montant de l'indemnité d'éviction due à la SARL G devant en conséquence être chiffré à la somme retenue par l'expert judiciaire de 2.637.000 euros dans l'hypothèse d'une fermeture définitive du restaurant ;

Attendu que les dépens de première instance et d'appel seront compensés entre les parties.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTE DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Vu l'arrêt du 28 septembre 2018 et les termes de son dispositif,

Ayant tels égards que de droit pour le rapport d'expertise établi par Monsieur c. BO.,

Vu les dispositions de l'article 9 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948,

Fixe à la somme de 2.637.000 euros le montant de l'indemnité d'éviction due par Madame p. M. à la SARL G en suite du congé délivré le 27 mai 2015 à effet du 31 août 2015 concernant le local situé X4à Monaco,

Ordonne la compensation totale des dépens de première instance et d'appel entre les parties,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Claire GHERA, Conseiller, Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 24 NOVEMBRE 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

  • Consulter le PDF