Cour d'appel, 29 septembre 2020, Monsieur g. V. B. c/ Monsieur m. C V.

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Abstract🔗

Contrat d'engagement maritime – Droit applicable – Licenciement – Conditions

Résumé🔗

Par application des dispositions de l'article L621-4 du Code de la mer, le contrat d'engagement maritime se trouve régi par les dispositions de la loi n° 729 du 16 mars 1963 concernant le contrat de travail et, lorsqu'il est à durée indéterminée, peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties en vertu de l'article L 624-2 du même Code, pour autant que le marin se trouve en dehors de périodes d'embarquement tel étant le cas de Monsieur C V. au 6 décembre 2017. Il appartient dès lors à l'employeur, conformément au droit commun applicable, de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée, laquelle est caractérisée par tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis.

La démission caractérise un acte unilatéral consistant pour un salarié à exprimer librement et de façon explicite et dénuée d'équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail en dehors de toute contrainte ou pression extérieure, notamment de la part de son employeur. Aucune des pièces produites ne permet en l'espèce d'établir que Monsieur m.C V. aurait exprimé une telle volonté de démission auprès de son employeur. Le motif avancé par l'employeur au soutien de la décision de licenciement -lui imputant un refus de reprise de poste- caractérise un motif non valable.

Alors même que la faute imputée était qualifiée de grave, les circonstances de la rupture du contrat d'engagement maritime étaient ainsi entachées de brutalité, les erreurs contenues dans les documents de fin de contrat remis au salarié démontrant au surplus la légèreté blâmable de l'employeur. Il est ainsi établi que Monsieur m.C V. qui s'est trouvé du jour au lendemain sans emploi -sans que le salaire correspondant au délai congé lui ait été réglé- a également été contraint de solliciter la rectification des documents de fin de contrat concernant la date d'embauche, en sorte que la décision entreprise sera confirmée en ce que la rupture a été qualifiée d'abusive et en ce que le préjudice subi par ce salarié a été justement indemnisé à concurrence de 10.000 euros de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement. A cet égard, il est en effet établi qu'en dépit de son inscription à l'établissement public PE et des démarches effectuées, Monsieur m.C V. est toujours en situation de chômage et multiplie les démarches pour retrouver un emploi.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2020

En la cause de :

  • - Monsieur g. V. B., né le 3 février 1958 à Domodossola (Italie), de nationalité canadienne, propriétaire du navire de plaisance « Y », immatriculé XX, battant pavillon monégasque, résident monégasque, demeurant X1 à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Gaston CARRASCO, avocat au barreau de Nice ;

APPELANT,

d'une part,

contre :

  • - Monsieur m. C V., né le 8 octobre 1987 à Milan (Italie), de nationalité italienne, ex marin (cuisinier) du navire de plaisance « Y », demeurant Via X2 à AREZZO (52100 - Italie) ;

Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n°ZZ, par décision du Bureau du 15 mai 2018

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat en cette même Cour ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 26 septembre 2019 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 4 novembre 2019 (enrôlé sous le numéro 2020/000042) ;

Vu les conclusions déposées le 28 janvier 2020 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur m. C V.;

Vu les conclusions déposées le 8 juin 2020 par Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur g. V. B.;

À l'audience du 14 juillet 2020, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur g. V. B. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 26 septembre 2019.

Considérant les faits suivants :

Monsieur m. C V. embauché par Monsieur g. V. B. pour exercer la fonction de Chef Cuisinier à bord d'un navire de plaisance dénommé Y, suivant contrat d'engagement maritime en date du 5 juillet 2017, à effet du 1er juin 2017, avec un salaire brut mensuel de 5.807,06 euros en contrepartie d'une durée de travail de 169 heures a été licencié par courrier du 7 décembre 2017, sans préavis ni indemnité au motif d'un refus de reprendre le travail.

Suivant courrier recommandé avec accusé de réception en date du 19 décembre 2017, Monsieur m. C V. a contesté le grief reproché en faisant valoir qu'il était dans l'attente d'une convocation pour la reprise de son poste.

Monsieur m. C V. a écrit ultérieurement à son employeur en lui disant qu'il n'était pas démissionnaire, sollicitant la modification de l'attestation PE mentionnant comme motif de la rupture « rupture unilatérale du contrat par le salarié ».

Aucune réponse n'ayant été apportée à cette demande, par requête en date du 20 juin 2018 reçue au greffe le 21 juin 2018, Monsieur m. C V. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

  • - constater que Monsieur g. V. B. a mis fin de manière unilatérale à son contrat d'engagement maritime,

  • - constater que la rupture est intervenue sans préavis et est abusive,

  • - condamner Monsieur g. V. B. à lui payer :

    • la somme de 5.800,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

    • la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts,

  • - dire et juger que les condamnations porteront intérêts à compter de la citation devant le bureau de conciliation,

  • - condamner Monsieur g. V. B. aux entiers dépens.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement et le Tribunal du travail a, par jugement du 26 septembre 2019 :

  • - dit que la demande présentée par Monsieur m. C V. en paiement de la somme de 580,05 euros au titre des congés payés afférents à la période de préavis est irrecevable,

  • - dit que le licenciement de Monsieur m. C V. par Monsieur g. V. B. n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif,

  • - condamné Monsieur g. V. B. à payer à Monsieur m. C V. les sommes suivantes :

    • 5.800,56 euros en brut (cinq mille huit cents euros et cinquante-six centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2018, date de la citation devant le bureau de conciliation,

    • 10.000 euros (dix mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

  • - ordonné, en tant que de besoin, la délivrance par Monsieur g. V. B. à Monsieur m. C V. dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, de l'attestation PE rectifiée portant comme motif de rupture « licenciement pour faute grave » en lieu et place de la mention « rupture unilatérale du contrat par le salarié » conforme à la présente décision,

  • - débouté Monsieur g. V. B. de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive.

Avant-dire-droit sur la demande reconventionnelle présentée par Monsieur g. V. B. à hauteur de la somme de 10.000 euros :

  • - ordonné la réouverture des débats et enjoint aux parties de présenter leurs observations sur le moyen de droit soulevé d'office par le Tribunal et tenant à la recevabilité de ladite demande,

  • - et dit que les parties concluront sur ce point selon le calendrier suivant : le MERCREDI 30 OCTOBRE 2019 pour Monsieur g. V. B.

  • - le MERCREDI 20 NOVEMBRE 2019 pour Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat aux intérêts de Monsieur m. C V.

  • - le JEUDI 28 NOVEMBRE 2019 pour plaidoiries,

  • - condamné Monsieur g. V. B. aux dépens du présent jugement.

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont en substance retenu qu'aucune démission ne pouvait être imputée au salarié qui avait simplement tenté d'obtenir la cessation à l'amiable du contrat d'engagement maritime, en sorte que la rupture ne se trouvait pas fondée sur un motif valable, un tel licenciement ayant de surcroit été mis en œuvre de façon brutale et avec une précipitation le rendant abusif.

Suivant exploit en date du 4 novembre 2019, Monsieur g. V. B. a interjeté appel du jugement précité dont il a sollicité la réformation, tout en demandant à la Cour de :

  • « déclarer recevable Monsieur g. V. B. en son appel parte in qua et l'y déclarer bien fondé,

  • infirmer le jugement rendu le 26 septembre 2019 par le Tribunal du travail en ce qu'il a :

    • implicitement déclaré recevable la demande de rectification de l'attestation PE formulée par Monsieur m. C V. n'ayant pas fait l'objet du préliminaire de conciliation,

  • et ordonné, en tant que de besoin, la délivrance par Monsieur g. V. B. à Monsieur m. C V. dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, de l'attestation PE rectifiée portant comme motif de rupture « Licenciement pour faute grave » en lieu et place de la mention « rupture unilatérale du contrat par le salarié » conforme à la présente décision,

  • dit que le licenciement de Monsieur m. C V. par Monsieur g. V. B. n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif,

  • condamné Monsieur g. V. B. à payer à Monsieur m. C V. les sommes suivantes :

    • 5.800,56 euros en brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2018, date de la citation devant le bureau de conciliation,

    • 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

  • débouté Monsieur g. V. B. de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,

  • condamné Monsieur g. V. B. aux dépens,

Statuant à nouveau,

  • déclarer irrecevable la demande nouvelle formulée par Monsieur m. C V. à savoir :

  • ordonner à M. V. la remise d'une attestation PE rectifiée faisant apparaître comme motif de la rupture « licenciement pour faute grave » en lieu et place de la mention « rupture unilatérale du contrat par le salarié »,

  • dire et juger que le licenciement de Monsieur m. C V. repose sur un motif valable,

  • dire, en outre, qu'il ne revêt aucun caractère abusif,

En conséquence,

  • débouter Monsieur m. C V. de l'intégralité de ses demandes comme étant non fondées,

  • reconventionnellement, le condamner à payer à Monsieur g. V. B. à titre de dommages-intérêts :

    • la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi par Monsieur g. V. B. et sa famille, par suite de la brutale rupture par Monsieur m. C V. de son contrat d'engagement maritime, les ayant privé de cuisinier durant les fêtes de fin d'année 2017,

    • la somme de 10.000 euros pour procédure abusive et vexatoire,

  • condamner Monsieur m. C V. aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, distraits au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

Aux termes de l'ensemble de ses écritures d'appel, Monsieur g. V. B. expose en substance que :

  • - la demande de rectification de l'attestation PE n'a pas été soumise au préliminaire de conciliation et les premiers juges l'ont à tort déclarée recevable en considérant qu'elle se rattachait aux prétentions principales concernant le licenciement et ce, alors même que le salarié avait seulement demandé au bureau de conciliation de statuer sur la rupture abusive de son contrat d'engagement maritime et de condamner l'employeur à lui verser l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que des dommages-intérêts,

  • - Monsieur m. C V. a été placé en position de congés annuels du lundi 23 octobre 2017 au vendredi 17 novembre 2017 et en position de récupération du samedi 18 novembre au dimanche 10 décembre 2017, avec l'obligation de reprendre son service à la fin de ses repos récupérateurs,

  • - les fautes de ce salarié sont clairement établies par les communications téléphoniques que Monsieur m. C V. a passées le 6 décembre 2017, date à laquelle il a tout d'abord contacté Madame c. L. Assistante de Direction après de la SAM G (dirigée par Monsieur V. pour lui faire savoir qu'il ne reprenait pas son service le 10 décembre et qu'il souhaitait être licencié pour pouvoir bénéficier des indemnités de chômage,

  • - à la même date, Monsieur m. C V. a également appelé Madame p. O. Responsable des Opérations au sein de la société H, chargée de la gestion de l'équipage du navire Y en réitérant ses propos, et en lui demandant de constituer et de présenter à P un faux dossier de licenciement dans le seul but d'obtenir le versement des allocations chômage,

  • - en adoptant un tel comportement, Monsieur m. C V. a en réalité commis deux fautes consistant à mettre brutalement fin à son contrat de travail au moyen d'un abandon de poste et en exigeant que son employeur commette une tentative d'escroquerie au préjudice de PE,

  • - le Tribunal a dénaturé les faits en estimant que le salarié avait de la sorte tenté d'obtenir une rupture amiable du contrat d'engagement maritime,

  • - Monsieur m. C V. a en réalité commis une faute particulièrement sérieuse rendant impossible le maintien dudit salarié à son service, ce dont il a eu parfaitement conscience puisqu'il a demandé la délivrance d'une attestation PE rectifiée devant selon lui mentionner « licenciement pour faute grave »,

  • - sa seule préoccupation consistait en effet à obtenir le droit de percevoir des indemnités chômage sur la base de son salaire de 5.000 euros nets par mois,

  • - la poursuite de la relation de travail était dès lors impossible et il était radicalement impossible à l'employeur de mettre en demeure ce salarié de reprendre son poste,

  • - par application du Code de la mer, le contrat d'engagement maritime est régi par les dispositions de la loi n° 729 du 16 mars 1963 concernant le contrat de travail et le Code de la mer dispose en outre que le contrat d'engagement maritime à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties.

Monsieur m. C V. intimé, entend pour sa part voir confirmer le jugement rendu le 26 septembre 2019 par le Tribunal du travail en toutes ses dispositions et débouter Monsieur g. V. B. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et le condamner aux entiers dépens.

Il observe aux termes de l'ensemble de ses écritures que :

  • - il n'a pas été à l'initiative de la rupture du contrat, mais l'armateur a pris seul la décision de mettre un terme au contrat d'engagement maritime en lui faisant parvenir un courrier recommandé avec accusé de réception le lendemain de son appel téléphonique du 6 décembre 2017,

  • - il a, ce faisant, invoqué à son encontre un motif fallacieux fondé sur son prétendu refus de reprendre son poste de travail à l'issue de sa période de congés et ce, alors qu'il avait pour sa part seulement indiqué par appel téléphonique du 6 décembre 2017 la nature des difficultés qu'il avait rencontrées dans l'accomplissement de sa mission compte-tenu du comportement de l'épouse de Monsieur g. V. B.

  • - la lettre de rupture de l'engagement maritime caractérisait de toute évidence un licenciement décidé par l'armateur ne reposant sur aucun motif valable, dès lors que le refus pour un préposé de reprendre son poste de travail n'est acquis que s'il est astreint de reprendre ledit poste ce qui n'était pas le cas en l'espèce puisque l'appel téléphonique a eu lieu le 6 décembre 2017 alors que la date de reprise envisagée aurait été fixée au 12 décembre 2017,

  • - s'il a en effet proposé à l'employeur la rupture d'un commun accord de son contrat d'engagement maritime pour percevoir les allocations chômage, cette proposition ne caractérise pas une tentative de fraude puisque la rupture négociée d'une relation de travail est tout à fait possible, alors même en l'espèce que la loi n° 729 n'est nullement applicable au contrat d'engagement maritime régi par les dispositions du code de la mer,

  • - il n'a ainsi commis aucune faute et encore moins une faute grave justifiant la rupture de la relation de travail et il s'estime en droit à solliciter le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés afférents étant observé qu'il disposait bien entre le 1er juin et le 8 décembre 2017 d'une ancienneté ininterrompue supérieure à 6 mois,

  • - l'article L. 621-10 du Code de la mer prévoit que toute rupture abusive d'un contrat d'engagement peut donner lieu au profit de l'autre partie à des dommages intérêts qui sont fixés par le juge à défaut d'accord des parties en sorte que, dès lors qu'il subit encore les conséquences de cette rupture abusive de son contrat d'engagement ainsi que des erreurs commises par l'armateur dans l'établissement des documents de fin de contrat, la décision entreprise doit être confirmée en ce qu'il lui a été alloué la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour rupture abusive,

  • - la demande de dommages-intérêts formée en appel par Monsieur V. B. est radicalement irrecevable en l'état, dès lors que présentée à titre reconventionnel en première instance et découlant de l'exécution de relation de travail elle n'avait pas été soumise au préliminaire de conciliation,

  • - le Tribunal du travail soulevant d'office ce moyen d'irrecevabilité a ordonné la réouverture des débats et fixé un calendrier procédural pour permettre aux parties de conclure sur ce point, en sorte que la recevabilité d'une telle demande devra encore être tranchée par les premiers juges,

  • - en tout état de cause à la supposer recevable cette demande sera rejetée tout autant que la demande en dommages intérêts réitérée par l'employeur en cause d'appel pour procédure abusive et vexatoire.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel formé dans les conditions de forme et de délai prévues par le Code de procédure civile doit être déclaré recevable ;

  • 1/ Sur la recevabilité de la demande présentée tendant à la rectification de l'attestation PE

Attendu que l'appelant entend voir réformer la décision entreprise en ce que le Tribunal du travail a implicitement déclaré recevable la demande de rectification de l'attestation Pole emploi formulée par Monsieur m. C V.;

Attendu que par application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le bureau de jugement du Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum ;

Attendu que les premiers juges ont à bon droit rappelé que Monsieur m. C V. a soumis au bureau de jugement les demandes suivantes qu'il n'avait pas formulées dans sa requête introductive d'instance :

  • - condamner Monsieur g. V. B. à lui payer la somme de 580,05 euros au titre des congés payés afférents à la période de préavis,

  • - ordonner à Monsieur g. V. B. la remise d'une attestation PE rectifiée faisant apparaître comme motif de la rupture « licenciement pour faute grave » en lieu et place de la mention « rupture unilatérale du contrat par le salarié » ;

Attendu que les premiers juges ont à bon droit estimé que parmi ces demandes, celle concernant l'attestation PE se rattachait directement aux prétentions principales concernant le licenciement de ce salarié et n'était que la conséquence de la décision devant être rendue sur lesdites prétentions, en sorte qu'elle ne pouvait être considérée comme nouvelle ;

Qu'il convient dès lors de confirmer ce chef de jugement ;

  • 2/ Sur le motif de la rupture

Attendu que par application des dispositions de l'article L621-4 du Code de la mer, le contrat d'engagement maritime se trouve régi par les dispositions de la loi n° 729 du 16 mars 1963 concernant le contrat de travail et, lorsqu'il est à durée indéterminée, peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties en vertu de l'article L 624-2 du même Code, pour autant que le marin se trouve en dehors de périodes d'embarquement tel étant le cas de Monsieur C V. au 6 décembre 2017 ;

Attendu qu'il appartient dès lors à l'employeur, conformément au droit commun applicable, de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée, laquelle est caractérisée par tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis ;

Qu'il résulte des pièces produites que Monsieur m. C V. a été licencié par lettre du 7 décembre 2017 ainsi libellée :

« Objet : Rupture anticipée de votre seul chef de votre contrat d'engagement maritime à durée indéterminée

Monsieur,

Alors que par contrat d'engagement maritime en date du 5 juillet 2017, à durée indéterminée, régie par le Code de la mer monégasque, vous vous êtes engagé à servir en qualité de cuisinier, ce qui a été le cas à dater du 27 juin 2017.

Et que vous étiez en position de récupération et de congé annuel depuis le 23 octobre 2017, avec obligation de reprendre le 12 décembre 2017.

Vous avez téléphoné, le mercredi 6 décembre 2017, en précisant :

  • - à 9 h 30, au secrétariat de l'armateur à Monaco,

  • - et l'après-midi, à la société H, société chargée de la gestion notamment de votre situation,

  • que pour des raisons personnelles, vous ne reviendrez pas travailler,

  • qu'il n'était pas question pour vous de présenter votre démission,

  • qu'afin de bénéficier du chômage, vous demandiez à être licencié « en application de l'article 6 »,

  • que vous aviez pris conseil auprès de votre frère, avocat en France, et de l'inspection du travail.

Prenant acte desdites déclarations,

J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'il ne saurait être question, pour moi, de me rendre complice, comme vous m'y convié, d'une escroquerie aux indemnités de chômage.

Aussi, considérez que vous refus de reprendre votre travail met un terme à votre contrat d'engagement maritime à durée indéterminée conclu en application des dispositions du code de la mer monégasque, à Monaco, le 5 juillet 2017.

Votre ancienneté à mon service étant inférieure à 6 mois, vous ne pouvez prétendre à aucun préavis. Votre contrat d'engagement maritime prend donc fin le lendemain de la présentation de la présente lettre recommandée avec AR.

Le reliquat de vos congés annuels vous sera payé avec le solde de votre compte.

Me conformant aux textes en vigueur, aucune indemnité de « congédiement » ne vous est allouée.

Votre dernier bulletin de salaire, votre attestation Assedic, votre certificat de travail et votre solde de tout compte seront tenus à votre disposition au siège de la SAM G, à dater du 13 décembre 2017, à partir de 9 heures » ;

Attendu que l'employeur, Monsieur g. V. B. formule ainsi aux termes dudit courrier deux griefs distincts à l'appui de sa décision de licencier Monsieur m. C V. lui reprochant d'une part d'avoir refusé de reprendre son poste de travail à l'issue de sa période de congés et de récupération et, d'autre part, d'avoir tenté d'obtenir de sa part un licenciement pour percevoir les allocations de l'établissement public PE ;

Mais attendu que les pièces produites démontrent à suffisance que le salarié n'a pas été à l'initiative de la rupture de son contrat d'engagement maritime, ni n'a au demeurant expressément manifesté une telle volonté ;

Que le témoignage de Madame c. L. salariée de Monsieur g. V. B. confirme l'appel téléphonique du 6 décembre 2017 émanant de Monsieur m. C V. pour l'informer qu'il ne reprendrait pas son service le 10 décembre et qu'il n'était pas question pour lui de démissionner, souhaitant être licencié pour bénéficier des indemnités de chômage ;

Attendu par ailleurs que l'attestation de Madame p. O. salariée de la société H (mandataire de Monsieur g. V. B., confirme, en d'autres termes, l'expression de cette volonté :

« M. C. m'a appelée le 6 décembre 2017 pour m'informer que pour des raisons personnelles et de santé, il n'allait pas se présenter à son travail et il n'allais pas présenter de lettre de démission car il souhaitait bénéficier des indemnités de chômage.

(...). Il a rappelé un peu plus tard en me disant s'être renseigné auprès des services monégasques et auprès de son frère avocat. Il m'a dit savoir qu'il bénéficierait des indemnités chômage même s'il était renvoyé pour ne pas se présenter au travail mais qu'il estimait qu'un article 6 serait préférable et que cela devait lui être concédé du fait des heures extras travaillées pendant la saison d'été et de ses bons services » ;

Attendu que les premiers juges ont justement déduit de tels témoignages que l'employé Monsieur m. C V. avait tenté d'obtenir la cessation à l'amiable de son contrat d'engagement maritime ;

Qu'en effet, la proposition de ce salarié apparaissait s'inscrire dans le cadre d'échanges avec son employeur qui auraient pu lui permettre d'obtenir une rupture négociée de la relation de travail, étant précisé qu'il était en tout état de cause loisible à l'employeur Monsieur g. V. B. de refuser une telle proposition ;

Que si Monsieur m. C V. a objectivement formalisé le désir de ne pas reprendre son travail à l'issue de ses congés, il ne l'a pour autant pas mis en œuvre, puisque la lettre de rupture lui a été adressée le 7 décembre 2017, soit avant la date de reprise qui était envisagée le 10 décembre 2017 ;

Attendu que la démission caractérise un acte unilatéral consistant pour un salarié à exprimer librement et de façon explicite et dénuée d'équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail en dehors de toute contrainte ou pression extérieure, notamment de la part de son employeur ;

Qu'aucune des pièces produites ne permet en l'espèce d'établir que Monsieur m. C V. aurait exprimé une telle volonté de démission auprès de son employeur ;

Attendu qu'il s'induit en réalité des pièces produites, et notamment de l'échange intervenu entre Monsieur C V. et l'épouse de son employeur le 18 octobre 2017, que ce salarié souhaitait alors obtenir des précisions concernant sa date effective de reprise du travail, précisions qu'il s'étonnait toujours de ne pas avoir reçues par courrier du 19 décembre suivant ;

Que le motif ainsi avancé par l'employeur au soutien de la décision de licenciement -lui imputant un refus de reprise de poste- caractérise dès lors un motif non valable ;

Attendu en conséquence que la décision entreprise sera confirmée sur ce point et en ce que Monsieur m. C V. s'est vu reconnaître le droit à un délai congé d'une durée d'un mois dans le cas d'une ancienneté au service d'un même armateur supérieure à six mois ininterrompus et ce, par application des dispositions de l'article L624-5 (a) du Code de la mer ;

Qu'il s'ensuit que Monsieur g. V. B. a été à bon droit condamné à payer à Monsieur m. C V. la somme brute de 5.800,56 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2018, date de la citation devant le bureau de conciliation ;

  • 3/ Sur le caractère abusif du licenciement

Attendu que Monsieur m. C V. reproche à son employeur d'avoir abusé de son droit unilatéral de résiliation du contrat d'engagement maritime pour un motif fallacieux tiré de son prétendu refus de reprendre son poste de travail à l'issue de sa période de congé ;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L624-10 du Code de la mer que toute rupture abusive d'un contrat d'engagement par l'une des parties peut donner lieu au profit de l'autre partie à des dommages et intérêts qui sont fixés par le juge à défaut d'accord entre elles, le jugement devant mentionner expressément le motif allégué par la partie qui a rompu le contrat ;

Qu'il résulte des pièces produites que Monsieur g. V. B. a notifié la rupture du contrat d'engagement maritime pendant la période de congé de Monsieur m. C V. et ce, sans s'entretenir directement avec lui oralement ou par écrit, alors même que l'employeur n'avait plus eu de contact avec ce salarié depuis le 23 octobre 2017 soit un mois et demi plus tôt ;

Que le courrier de rupture a au demeurant été rédigé le jour même de l'appel téléphonique passé par le concluant le 6 décembre 2017, non pas avec l'armateur lui-même mais avec un prestataire externe chargé de la gestion du personnel ;

Qu'alors même que la faute imputée était qualifiée de grave, les circonstances de la rupture du contrat d'engagement maritime étaient ainsi entachées de brutalité, les erreurs contenues dans les documents de fin de contrat remis au salarié démontrant au surplus la légèreté blâmable de l'employeur ;

Qu'il est ainsi établi que Monsieur m. C V. qui s'est trouvé du jour au lendemain sans emploi -sans que le salaire correspondant au délai congé lui ait été réglé- a également été contraint de solliciter la rectification des documents de fin de contrat concernant la date d'embauche, en sorte que la décision entreprise sera confirmée en ce que la rupture a été qualifiée d'abusive et en ce que le préjudice subi par ce salarié a été justement indemnisé à concurrence de 10.000 euros de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

Qu'à cet égard, il est en effet établi qu'en dépit de son inscription à l'établissement public PE et des démarches effectuées, Monsieur m. C V. est toujours en situation de chômage et multiplie les démarches pour retrouver un emploi ;

  • 4/ Sur les demandes reconventionnelles de Monsieur V. B.

Attendu que dans son acte d'appel, l'employeur sollicite le paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par lui et sa famille en suite de la rupture brutale du contrat de travail qu'il impute à son salarié ;

Que cependant, cette demande présentée à titre reconventionnel en première instance, n'a pas été soumise au préliminaire de conciliation et apparaît donc irrecevable par application des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 ;

Que force est à cet égard de rappeler que le Tribunal du travail a soulevé d'office le moyen d'irrecevabilité concernant cette demande en ordonnant la réouverture des débats et en fixant un calendrier procédural pour permettre aux parties de conclure ;

Que dès lors que cette question de procédure demeure soumise aux premiers juges pour faire l'objet d'une décision distincte du jugement mixte déféré, elle ne saurait donner lieu en l'état à évocation par la Cour ;

Attendu que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive par ailleurs réitérée en cause d'appel par l'employeur n'apparaît pas fondée en considération de l'analyse qui précède et du présent arrêt de confirmation, en sorte que l'appelant en sera également débouté ;

Attendu qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions et les dépens d'appel devant demeurer à la charge de Monsieur g. V. B. qui succombe ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel de Monsieur g. V. B.

Au fond le déclare infondé,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal du travail du 26 septembre 2019,

Déboute Monsieur g. V. B. de l'ensemble de ses prétentions,

Condamne Monsieur g. V. B. aux entiers dépens d'appel avec distraction au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 29 SEPTEMBRE 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

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