Cour d'appel, 29 septembre 2020, Époux B. c/ État de Monaco

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Baux d'habitation - Résiliation - Contrat habitation capitalisation - Recevabilité de l'action (oui)

Baux d'habitation - Résiliation - Sous-location prohibée - Occupants sans droit ni titre (oui) - Expulsion (oui)

Résumé🔗

L'article 1039 du Code civil dispose que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des parties ne satisfait pas à son engagement et prévoit que dans ce cas le contrat n'est pas résolu de plein droit, mais qu'il est loisible à la partie lésée de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible ou d'en demander la résolution judiciaire avec dommages-intérêts. Il était en l'espèce loisible à l'État de Monaco et conforme à la loi d'initier une action en résiliation judiciaire par application des seules règles de droit commun, les premiers juges ayant à bon droit retenu qu'aucun élément ne permettait de considérer que l'action en résiliation prévue par l'article 39 de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 définissant le contrat habitation-capitalisation avait une nature subsidiaire et que l'État de Monaco aurait été tenu de se soumettre au formalisme imposé par les articles 33 à 38 de la loi définissant le contrat « Habitation Capitalisation » dans le secteur domanial. Il apparaissait dès lors indifférent que cette action n'ait pas été précédée d'une mise en demeure telle que prévue dans le cadre de la résiliation de plein droit initiée sur le fondement des articles 32 à 38 de la même loi.

Si l'effet relatif des conventions résultant des dispositions de l'article 1020 du Code civil induit que les tiers n'ayant pas consenti au contrat ne peuvent se voir imposer des obligations ou se voir reconnaître des droits au titre du contrat, il n'en résulte pas moins que la loi n° 1.357, d'ordre public, met à la charge du titulaire du contrat habitation-capitalisation l'interdiction de consentir un bail sur l'appartement sans l'autorisation préalable de l'État. Par ailleurs les premiers juges ont très légitimement rappelé que le corpus normatif relatif au contrat habitation capitalisation dans le secteur domanial tend à instaurer un régime d'accession à la propriété excluant tous les effets de la spéculation immobilière en sorte que l'interdiction de louer, sans l'autorisation de l'État, les biens immobiliers objets de tels contrats, caractérise une obligation essentielle de la convention des parties, assimilable à une obligation de résultat dont le seul constat de l'inexécution objective le manquement contractuel. Il suffit en conséquence de constater qu'une mise en location formellement prohibée tant par le contrat que par la loi est bien intervenue durant l'exécution du contrat liant l'État aux époux B. pour justifier que soit ordonnée la résolution du contrat habitation-capitalisation conclu entre les parties le 12 janvier 2010. Les premiers juges en ont justement déduit que les époux B. se trouvant par conséquence occupants sans droit ni titre, il convenait d'ordonner leur expulsion.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2020

En la cause de :

1 - Monsieur r. B., de nationalité monégasque, né le 5 novembre 1943 à Rizziconi (Calabre - Italie), demeurant et domicilié X1 à Monaco ;

2 - Madame i. G. épouse B., de nationalité monégasque, née le 10 juillet 1947 à Monaco, demeurant et domiciliée X1 à Monaco ;

Ayant tous deux élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Céline MARTEL-EMMERICH, avocat en cette même Cour ;

APPELANTS,

d'une part,

contre :

- L'ÉTAT DE MONACO, pris en son Administration des Domaines située 24 rue du Gabian à Monaco, représentée par Monsieur Rémy ROLLAND, Administrateur des Domaines, représenté au sens de l'article 139 du Code de procédure civile par Son Excellence Monsieur le Ministre d'État, sis Palais du Gouvernement, Place de la Visitation à Monaco-Ville ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 24 octobre 2019 (R.521) ;

Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 3 décembre 2019 (enrôlé sous le numéro 2020/000059) ;

Vu les conclusions déposées les 25 février 2020 et 6 juillet 2020 par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de l'ÉTAT DE MONACO ;

Vu les conclusions déposées le 27 avril 2020 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur r. B. et Madame i. G. épouse B.;

À l'audience du 14 juillet 2020, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur r. B. et Madame i. G. épouse B. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 24 octobre 2019.

Considérant les faits suivants :

r. B. et i. G. épouse B. ont conclu le 12 janvier 2010 avec l'État de Monaco un contrat « Habitation – Capitalisation » portant sur un appartement avec cave situé dans l'immeuble domanial X1 à Monaco pour une durée de 75 années avec effet au 12 janvier 2010 moyennant un prix de 246.367,30 euros.

Estimant que les époux B. avaient fait un usage de ce logement contraire aux termes du contrat en procédant à une location illégale de celui-ci, l'État de Monaco a, par acte d'huissier en date du 24 novembre 2017, fait assigner r. B. et i. G. épouse B. devant le Tribunal de première instance de Monaco en vue d'obtenir, sous le régime de l'exécution provisoire, le prononcé de la résiliation du contrat d'habitation-capitalisation, qu'il soit constaté que r. B. et i. G. épouse B. sont occupants sans droit ni titre du logement, que leur expulsion soit ordonnée outre leur condamnation au paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Par jugement en date du 24 octobre 2019, le Tribunal de première instance a :

  • déclaré recevable l'action engagée par l'État de Monaco à l'encontre de r. B. et d i. G. épouse B. aux termes de son acte introductif d'instance en date du 24 novembre 2017 ;

  • déclaré sans objet la demande visant à ce qu'il soit statué sur la recevabilité des attestations produites par r. B. et de i. G. épouse B.;

  • prononcé la résiliation du contrat « Habitation – Capitalisation » n° 119170 conclu le 12 janvier 2010 entre r. B. et i. G. épouse B. d'une part et l'État de Monaco d'autre part et constaté en conséquence que r. B. et i. G. épouse B. sont occupants sans droit ni titre de l'appartement avec cave situé dans l'immeuble domanial X1 à Monaco ;

  • dit que la résiliation ainsi ordonnée donnera lieu à la restitution de l'intégralité de la somme versée à la signature du contrat selon les conditions prévues par celui-ci ;

  • ordonné en conséquence leur expulsion et celle de tous occupants de leur chef, le cas échéant avec l'assistance de la force publique, d'un serrurier et d'une entreprise de déménagement dont les frais seront à la charge des défendeurs ;

  • débouté l'État de Monaco de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

  • condamné r. B. et i. G. épouse B. aux dépens de l'instance.

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont en premier lieu retenu que la loi définissant le contrat habitation-capitalisation ne conférait pas à l'action judiciaire en résiliation une nature subsidiaire, mais en faisait une voie de droit pouvant être introduite en tout état de cause, en sorte que l'action engagée par l'État de Monaco devait être déclarée recevable. Sur le fond de la demande, les premiers juges ont par ailleurs observé que l'appartement des époux B. leur résidence principale, avait été loué à deux reprises en 2016 et 2017 par leur petit-fils, un tel manquement contrevenant à la prohibition de mise en location des biens objet de tels contrats, apparaissant imputable aux époux B.et justifiant la résolution du contrat habitation-capitalisation.

Suivant exploit en date du 3 décembre 2019, r. B. et i. G. épouse B. ont interjeté appel du jugement susvisé, signifié le 18 novembre 2019, à l'effet de voir la Cour réformer la décision rendue le 24 octobre 2019 par le Tribunal de première instance en ce que l'action engagée par l'État de Monaco à leur encontre a été déclarée recevable et en ce qu'a été prononcée la résiliation du contrat habitation-capitalisation n° 119170 conclu le 12 janvier 2010 avec l'État de Monaco et constaté que l'appartement objet dudit contrat était de ce fait occupé sans droit ni titre par les époux B.

Ils ont par ailleurs demandé à la Cour, statuant dans les limites de l'appel, de :

  • déclarer irrecevables les demandes formulées par l'État de Monaco pris en son Administration des Domaines en l'absence de mise en demeure préalable adressée aux époux conformément à l'article 34 de la loi n° 1.357 du 19 février 2009,

  • à titre principal, dire et juger qu'aucune faute suffisamment grave ne leur est imputable dans l'exécution du contrat conclu le 12 janvier 2010,

  • en conséquence, constater qu'ils respectent les obligations contractuelles dont ils sont débiteurs au titre du contrat habitation-capitalisation n° 119170 conclu le 12 janvier 2010,

  • débouter l'État de Monaco de l'ensemble de ses demandes relatives à la résiliation dudit contrat en raison de l'absence de faute à eux imputable dans l'exécution de cette convention,

  • voir condamner l'État de Monaco pris en l'Administration des Domaines aux entiers dépens.

Au soutien de cet appel et aux termes de l'ensemble de leurs écritures les époux B. font valoir en substance que :

  • l'article 1039 du Code civil n'offre aucune possibilité subsidiaire de résiliation des contrats et ne s'applique que dans l'hypothèse où le contrat ou la loi ne prévoit pas de possibilité de résolution,

  • il n'était pas possible en l'espèce de déroger aux dispositions d'ordre public des articles 32 à 38 de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 en sorte qu'une mise en demeure préalable était nécessaire pour mettre fin au contrat habitation-capitalisation,

  • en effet, l'article 39 de la loi ne se suffit pas à lui-même et doit être analysé au regard de l'article 1039 du Code civil lequel ne trouve à s'appliquer que dans l'hypothèse où aucune clause résolutoire est expressément prévue,

  • l'article 1003 du Code civil a pour seule vocation de combler une carence dans le contrat et a un caractère subsidiaire au titre de l'action en résiliation,

  • la loi n° 1.357 du 19 février 2009 est d'ordre public en sorte qu'il ne peut pas y être dérogé notamment quant au formalisme strict de résiliation qui s'y trouve prévu concernant la mise en demeure préalable qui ne serait pas suivie d'effet dans un délai de 3 mois,

  • le droit commun des contrats prévoit que la mise en jeu d'une clause résolutoire est toujours précédée d'une mise en demeure, l'exigence d'exécution de bonne foi étant un principe général qui s'applique à toutes les conventions et donc même au contrat habitation- capitalisation,

  • le droit des contrats impose une mise en demeure préalable avant la mise en œuvre de toute clause résolutoire tandis que la loi n° 1.357 du 19 février 2009 d'ordre public prévoit également le recours obligatoire à une mise en demeure préalable,

  • la demande de résiliation de l'État de Monaco était donc irrecevable faute pour lui d'avoir fait précéder sa demande de résiliation d'une telle mise en demeure, la décision déférée devant être réformée sur ce point,

  • aucune faute suffisamment grave ne justifiant en l'espèce la résiliation judiciaire du contrat habitation-capitalisation qui soit imputable aux titulaires,

  • contrairement à ce qu'affirme le Tribunal, l'exigence ou non de la démonstration d'une faute ne saurait tenir au caractère contractuel délictuel de la relation mais du type d'obligation de moyens ou de résultats imposés,

  • en vertu de l'effet relatif des conventions, l'imputabilité d'une faute au titulaire du contrat doit être établie dès lors que la condition résolutoire est sous-entendue dans le cas où l'une des deux parties ne satisfait pas à son engagement,

  • tant les principes généraux édictés par l'article 1039 du Code civil que les prescriptions de la loi d'ordre public n° 1.357 du 19 février 2009 imposent que la faute soit commise directement par les co-titulaires du contrat, en l'espèce les époux B. ce qui n'est pas le cas puisque le petit-fils de ces derniers Thomas B. était le seul à sous-louer l'appartement de ses grands-parents,

  • l'article 13 de la loi n° 1.357 prévoit en effet que les obligations relatives au contrat habitation-capitalisation sont mises exclusivement à la charge du titulaire, le bénéficiaire ne pouvant se prévaloir dudit contrat avant le décès de celui-ci et restant jusqu'à ce jour tiers à la convention.

  • la faute d'un tiers ne peut aucunement mettre en jeu la responsabilité des parties au contrat, le fait d'autrui n'étant pas applicable au cas d'espèce dès lors que les époux B. n'ont personnellement commis aucune faute de nature à entraîner une quelconque résiliation du contrat souscrit avec l'État de Monaco,

  • la faute doit en outre présenter un caractère suffisamment grave, ce qui n'est manifestement pas le cas en l'espèce puisqu'un abus de quelques jours au titre de ces locations ne saurait constituer une spéculation immobilière sur le territoire monégasque,

  • l'enjeu du litige n'est pas le montant dérisoire tiré de cette sous location mais bien l'expulsion pure et simple de deux retraités âgés de 72 et 76 ans de leur logement, fruit du travail d'une vie, en raison de la confiance qu'ils avaient placée en leur petit-fils,

  • le jugement déféré sera de ce chef réformé en ce qu'aucune faute ne peut être imputée aux titulaires du contrat,

  • à titre subsidiaire, si la Cour devait confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat habitation-capitalisation les époux B. demandent la possibilité de réintégrer un logement domanial en qualité de simple locataire, la Cour pouvant enjoindre l'Administration des Domaines de procéder à l'étude d'un dossier de demande d'attribution de logement domanial lors de la première commission d'attribution à laquelle ils déposeront leur dossier de demande compte tenu de leur âge.

L'État de Monaco, intimé, entend voir la Cour :

  • débouter r. et i. B. des fins de leur appel parte in qua,

  • déclarer irrecevables les époux B. en leur demande d'injonction formée à titre subsidiaire à l'encontre de l'État de Monaco,

  • la déclarer au surplus infondée,

  • déclarer recevable et bien-fondé l'État de Monaco en son appel incident,

  • confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

  • déclaré recevable l'action engagée par l'État de Monaco à l'encontre de r. B. et d i. G. épouse B. aux termes de son acte introductif d'instance en date du 24 novembre 2017,

  • déclaré sans objet la demande visant à ce qu'il soit statué sur la recevabilité des attestations produites par r. B. et i. G. épouse B.,

  • prononcé la résiliation du contrat « Habitation-Capitalisation » n° 119170 conclu le 12 janvier 2010 entre r. B. et i. G. épouse B. d'une part et l'État de Monaco d'autre part et constaté en conséquence que r. B. et i. G. épouse B. sont occupants sans droit ni titre de l'appartement avec cave situé dans l'immeuble domanial X1 à Monaco,

  • dit que la résiliation ainsi ordonnée donnera lieu à la restitution de l'intégralité de la somme versée à la signature du contrat selon les conditions prévues par celui-ci,

  • ordonné en conséquence leur expulsion et celle de tous occupants de leur chef, le cas échéant avec l'assistance de la force publique, d'un serrurier et d'une entreprise de déménagement dont les frais seront à la charge des défendeurs,

  • condamné r. B. et i. G. épouse B. aux dépens de l'instance,

  • le réformer en ce qu'il a débouté l'État de Monaco de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,

  • et statuant à nouveau, condamner r. et i. B. au paiement de la somme de 20.000 euros pour résistance abusive,

Y ajoutant,

  • condamner r. et i. B. au paiement de la somme de 10.000 euros pour appel abusif ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Au soutien de ses prétentions, l'État de Monaco expose que :

  • en cas de manquement du titulaire du contrat habitation-capitalisation, l'État de Monaco peut soit prononcer une résiliation de plein droit sur le fondement des articles 32 à 38 de la loi n° 1.357, soit demander la résiliation judiciaire du contrat sur le fondement de l'article 39 correspondant au droit commun de l'article 1039 du Code civil,

  • le raisonnement de l'appelant est infondé dès lors qu'il s'agit bien de deux procédures distinctes de résiliation du contrat et que les termes de l'article 1039 du code civil ne confèrent pas à l'action judiciaire en résiliation une nature subsidiaire mais en font une voie de droit pouvant être actionnée en tout état de cause,

  • la loi ne subordonne pas la recevabilité de la demande à la notification préalable d'une mise en demeure en sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce que la demande de l'État de Monaco a été déclarée recevable,

  • les époux B. ont par ailleurs manqué à l'une des obligations essentielles du contrat habitation-capitalisation concernant la prohibition de la mise en location du bien, l'article 8 du contrat prévoyant qu'ils ne peuvent céder les droits qu'ils tiennent du présent contrat sauf à consentir conjointement un bail sur leur appartement avec l'accord de l'État,

  • il a été constaté que l'appartement litigieux avait été loué moyennant 800 euros pour 4 jours par une famille britannique via un site Internet,

  • par ordonnance présidentielle, l'État a été autorisé à mandater un huissier pour déterminer les personnes présentes dans l'appartement le 26 mai 2017 et il a été confirmé à l'huissier que le loueur avait été le petit-fils des époux B. le fils de ces derniers Monsieur Éric B. étant au courant de la mise en location de cet appartement et y ayant activement participé,

  • le fils des époux B. inscrit sur la liste des bénéficiaires du contrat, était en effet présent avec son épouse à l'entrée et la sortie des lieux de l'occupant,

  • la mise en location de l'appartement via le site Internet Airbnb était gérée non seulement par leur petit-fils mais également par leur fils Éric et leur belle-fille, le descriptif du bien mis en location mentionnant que ces derniers résidaient à 5 minutes du logement mis à disposition,

  • les époux B. qui ne contestent pas que leur petit-fils ait pu louer leur appartement en leur absence tentent de s'exonérer de leur responsabilité en invoquant le fait du tiers alors qu'il est raisonnable de penser qu'ils étaient parfaitement au courant des agissements de leur fils et de leur petit-fils pour organiser et gérer la location de leur appartement,

  • l'attestation dressée par Thomas B. n'est pas corroborée par des éléments objectifs en ce que ce dernier prétend qu'il aurait menti à ses parents en leur disant qu'il rendait service à un ami pour ne pas évoquer la location de l'appartement des époux B.

  • ce n'est par ailleurs que le 25 août 2017 soit 3 mois après la location illicite et après la demande d'explication de l'État de Monaco que les époux B. ont souhaité transmettre leur contrat habitation-capitalisation à leur petit-fils Thomas lequel était jusque-là inconnu de l'État de Monaco,

  • cette non-exécution d'une obligation prévue au contrat apparaît suffisamment grave pour justifier la résiliation de la convention dès lors que la location d'un logement n'est possible que si elle a été autorisée par l'État,

  • il s'agit là d'une obligation de résultat dont le seul constat de l'inexécution constitue une faute contractuelle et dont le fondement repose sur la nécessité de préserver une cohésion sociale et d'instaurer un régime d'accession à la propriété préservé des effets de la spéculation immobilière,

  • le jugement déféré sera dès lors confirmé de ce chef,

  • la résistance des époux B. à reconnaître le manquement à leurs obligations contractuelles a néanmoins contraint l'État de Monaco par son Administration des Domaines à initier une action judiciaire pour préserver ses intérêts, lui causant de la sorte un préjudice devant être réparé par l'octroi de dommages-intérêts, le jugement déféré devant être réformé de ce chef,

  • l'appel des époux B. apparaît également abusif dès lors qu'ils invoquent les mêmes moyens qu'en première instance sans contredire sérieusement les motifs des premiers juges.

SUR CE,

Attendu que les appels, tant principal qu'incident, ont été formés dans les conditions de forme et de délai prévues par le Code de procédure civile et doivent être déclarés recevables ;

Sur la recevabilité de l'action

Attendu que l'État de Monaco fonde son action en résiliation du contrat habitation-capitalisation consenti aux époux B. sur l'article 39 de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 définissant le contrat habitation-capitalisation, ainsi libellé :

« Sans préjudice des résiliations prononcées de plein droit prévues à la section 1 du présent chapitre l'une des parties au contrat habitation-capitalisation peut toujours demander en justice la résiliation pour inexécution de ses obligations par l'autre partie en application du droit commun des contrats et de l'article 1039 du Code civil » ;

Que l'article 1039 du Code civil dispose que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des parties ne satisfait pas à son engagement et prévoit que dans ce cas le contrat n'est pas résolu de plein droit, mais qu'il est loisible à la partie lésée de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible ou d'en demander la résolution judiciaire avec dommages-intérêts ;

Attendu qu'il était en l'espèce loisible à l'État de Monaco et conforme à la loi d'initier une action en résiliation judiciaire par application des seules règles de droit commun, les premiers juges ayant à bon droit retenu qu'aucun élément ne permettait de considérer que l'action en résiliation prévue par l'article 39 de la loi avait une nature subsidiaire et que l'État de Monaco aurait été tenu de se soumettre au formalisme imposé par les articles 33 à 38 de la loi définissant le contrat « Habitation – Capitalisation  » dans le secteur domanial ;

Qu'il apparaissait dès lors indifférent que cette action n'ait pas été précédée d'une mise en demeure telle que prévue dans le cadre de la résiliation de plein droit initiée sur le fondement des articles 32 à 38 de la même loi ;

Qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de confirmer la décision déférée en ce qu'a été déclarée recevable l'action engagée par l'État de Monaco aux termes de l'acte d'huissier en date du 24 novembre 2017 ;

Sur la demande de résiliation

Attendu qu'il résulte des termes de l'article 8 du contrat « Habitation – Capitalisation » conclu entre les parties le 12 janvier 2010 que le logement objet de la convention était destiné exclusivement à l'habitation principale du titulaire, celui-ci ne pouvant en faire sa résidence secondaire et s'obligeant à l'occupation effective des lieux, sauf lorsque le bail est consenti conformément à l'article 8-2 du contrat ;

Qu'à cet égard, il s'induit également de l'article susvisé que le titulaire ne peut pas céder les droits qu'il détient au titre du présent contrat sauf à consentir un bail avec l'accord de l'État ;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 39 de la loi n° 1.357 précitée que sans préjudice des résiliations prononcées de plein droit prévues à la section 1 du même chapitre, l'une des parties au contrat peut toujours demander en justice la résiliation pour inexécution de ses obligations par l'autre partie en application du droit commun des conventions et de l'article 1039 du Code civil ;

Qu'il résulte du procès-verbal de constat dressé le 19 avril 2017 à la demande de l'État de Monaco qu'une annonce de mise en location d'un appartement, celui des époux B. a été diffusée sur le site Airbnb au prix de 220 euros à 450 euros par nuit, une capture d'écran attestant dans le même procès-verbal d'une mise en location au mois d'août 2016 ;

Que sur l'autorisation donnée le 28 avril 2017 par le Président du Tribunal de première instance de Monaco, l'État de Monaco (Administration des Domaines) a pu pénétrer dans l'appartement des époux B. à l'effet de déterminer l'identité et les circonstances d'occupation des personnes qui y logent et a alors fait signifier par ordonnance du 26 mai 2017 la constatation de l'occupation du logement par trois locataires, dont l'un d'eux, nommé Christophe Alan F. a été en mesure de préciser d'une part qu'il avait réservé cette location par le site Airbnb pour une durée de 4 jours, au prix d'environ 700 pounds et, d'autre part, qu'il avait été accueilli dans le logement par un individu prénommé « Thomas » ;

Attendu qu'il est par ailleurs établi que l'État de Monaco n'a jamais autorisé cette location dont la réalité n'est au demeurant pas contestée par les époux B. ;

Que par application des dispositions de l'article 1039 du Code civil prescrivant que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des parties ne satisfait pas à son engagement, il y a donc lieu de vérifier si la faute reprochée aux époux B. leur est imputable, bien qu'ils n'aient pas eux-mêmes procédé à la mise en location de l'appartement, et présente un caractère suffisamment grave pour que soit prononcée la résolution du contrat « Habitation – Capitalisation » ;

Attendu que les époux B. faisant valoir qu'ils ont toujours respecté l'obligation principale du contrat en faisant de ce logement leur résidence principale, estiment en substance que la location de leur appartement par leur petit-fils Thomas ne caractérise pas une faute personnelle susceptible de leur être reprochée pour mettre fin au contrat habitation-capitalisation les liant à l'État ;

Que ces derniers ont à cet égard produit une attestation de leur petit-fils Thomas B. aux termes de laquelle celui-ci reconnaît avoir procédé à une location de l'appartement de ses grands-parents à deux occasions en 2016 et 2017 sans en avoir informé ses grands-parents ;

Mais attendu qu'il résulte des pièces produites et notamment des commentaires déposés au mois d'août 2016 sur le site Airbnb que le fils des époux B. le père de Thomas, Éric B. lui-même inscrit sur la liste des bénéficiaires du contrat habitation- capitalisation, était parfaitement informé de la mise en location de l'appartement puisqu'il était présent avec son épouse à l'entrée dans les lieux des locataires et à leur départ ;

Attendu que si l'effet relatif des conventions résultant des dispositions de l'article 1020 du Code civil induit que les tiers n'ayant pas consenti au contrat ne peuvent se voir imposer des obligations ou se voir reconnaître des droits au titre du contrat, il n'en résulte pas moins que la loi n° 1.357, d'ordre public, met à la charge du titulaire du contrat habitation-capitalisation l'interdiction de consentir un bail sur l'appartement sans l'autorisation préalable de l'État ;

Attendu que le fait du tiers, c'est-à-dire du petit-fils Thomas, voire même du fils Éric, ne saurait être exonératoire de la responsabilité encourue que pour autant que ce fait ait été irrésistible et imprévisible ;

Qu'à cet égard, la seule attestation du jeune Thomas, au demeurant contraire en fait aux commentaires figurant sur le site Airbnb s'agissant de la présence de ses parents à l'entrée et la sortie des lieux des 4 locataires, n'apparaît corroborée par aucun élément objectif probant de nature à exclure totalement la connaissance par les titulaires du contrat habitation capitalisation de ce que leur logement était loué et donc rentabilisé durant leur absence ;

Attendu par ailleurs que les premiers juges ont très légitimement rappelé que le corpus normatif relatif au contrat habitation capitalisation dans le secteur domanial tend à instaurer un régime d'accession à la propriété excluant tous les effets de la spéculation immobilière en sorte que l'interdiction de louer, sans l'autorisation de l'État, les biens immobiliers objets de tels contrats, caractérise une obligation essentielle de la convention des parties, assimilable à une obligation de résultat dont le seul constat de l'inexécution objective le manquement contractuel ;

Attendu qu'il suffit en conséquence de constater qu'une mise en location formellement prohibée tant par le contrat que par la loi est bien intervenue durant l'exécution du contrat liant l'État aux époux B. pour justifier que soit ordonnée la résolution du contrat habitation-capitalisation conclu entre les parties le 12 janvier 2010 ;

Que les premiers juges en ont justement déduit que les époux B. se trouvant par conséquence occupants sans droit ni titre, il convenait d'ordonner leur expulsion ;

Attendu que le jugement déféré sera de ce chef confirmé ;

Attendu sur la demande des époux B. tendant à ce qu'il soit fait injonction à l'État de Monaco pris en son Administration des Domaines de procéder à l'étude du dossier de ce couple lors de la première commission d'attribution à laquelle ils déposeront leur dossier, qu'il ne saurait être fait droit par la Cour à une telle demande nouvelle en cause d'appel et partant, irrecevable, ainsi qu'il l'est conclu par l'intimé ;

Sur l'appel incident et la demande de dommages et intérêts de l'État de Monaco

Attendu que l'État de Monaco réitère sa demande de condamnation des époux B. au paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu de la nécessité d'avoir dû engager des frais pour défendre sa cause en justice face à la résistance fautive des époux B. ;

Mais attendu qu'en considération de l'analyse qui précède, seul le manquement contractuel des époux B. apparaît caractérisé sans qu'il puisse être objectivement établi que ces derniers ne se sont pas mépris sur l'étendue de leurs droits et ont abusivement résisté aux demandes de l'État, en sorte que le jugement déféré a justement retenu que les moyens de défense invoqués n'apparaissaient pas constitutifs d'une résistance abusive ;

Attendu qu'il convient en conséquence également de confirmer la décision entreprise ayant rejeté la demande de dommages et intérêts formée par l'État de Monaco sur ce fondement ;

Attendu qu'il n'apparaît pas davantage établi que le présent appel procède d'une erreur équivalente au dol ou d'une intention de nuire imputables aux époux B. en sorte que la demande de condamnation à des dommages-intérêts pour appel abusif formée par l'État sera rejetée ;

Attendu que le jugement déféré sera confirmé en ce qui concerne la condamnation des époux B. aux dépens de première instance, les dépens d'appel devant demeurer à la charge des appelants ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ de Monaco,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels principal et incident,

Déclare irrecevable la demande d'injonction formée par les époux B.

Au fond, déboute les parties de l'ensemble de leurs demandes et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 octobre 2019 par le Tribunal de première instance,

Déboute l'État de Monaco de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif,

Condamne aux dépens d'appel r. B. et i. G. épouse B. et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 29 SEPTEMBRE 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

  • Consulter le PDF