Cour d'appel, 14 juillet 2020, La SCI A c/ Madame e. C.

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Abstract🔗

Baux d'habitation - Conclusion du bail avec clause de dédit - Dédit exercé par la locataire - Conservation par le bailleur du dépôt de garantie (oui) - Force majeure (non)

Résumé🔗

Il ressort clairement de l'offre de location, acceptée par le bailleur, que la locataire disposait du droit de se désister et que cette faculté de dédit avait pour contrepartie la conservation par le bailleur du dépôt de garantie égal à trois mois de loyer. C'est en vain que la locataire invoque, comme cas de force majeure, le décès de son compagnon, dès lors que ce dernier n'était pas concerné par le bail et que la situation financière de la locataire lui permet de faire face à ses engagements.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 14 JUILLET 2020

En la cause de :

  • - La société civile de droit monégasque dénommée A, dont le siège social est sis X1 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, Monsieur j. K. demeurant X2 à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - Madame e. C., sans profession, de nationalité russe, née le 24 septembre 1981 à Sverdlovsk (Russie), demeurant X3 à Monaco et en dernier lieu X4 ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Grégoire RINCOURT, avocat au barreau de Paris ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 4 avril 2019 (R. 4145) ;

Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 13 juin 2019 (enrôlé sous le numéro 2019/000130) ;

Vu les conclusions déposées les 15 octobre 2019 et 28 mai 2020 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame e. C. ;

Vu les conclusions déposées le 11 février 2020 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la société civile de droit monégasque dénommée A ;

À l'audience du 2 juin 2020, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel parte in qua relevé par la société civile de droit monégasque dénommée A à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 4 avril 2019.

Considérant les faits suivants :

Au cours de l'année 2016, souhaitant s'installer à MONACO, e. C. a recherché la location d'un appartement.

Le 29 juillet 2016, elle a signé au profit de la SARL B une offre de location d'un appartement, situé X4 à MONACO dont le loyer annuel était fixé à 780.000 euros en principal, outre une caution d'un montant de 180.000 euros, contenant la disposition suivante :

« Dès acceptation de cette offre de location par le propriétaire, je m'engage à transférer par virement bancaire, sous 48 heures, à la SARL B, la somme de 180.000 euros (cent quatre-vingt mille euros), représentant 3 mois de caution comme garantie. Ladite somme représentant une avance sur le montant total des frais de location ou un dédit à ma charge dans le cas où je ne donnerai pas suite à mon offre de location alors même que le bailleur aura rempli de son côté comme convenu ses obligations, et notamment la rénovation des plafonds de l'appartement ainsi que le nettoyage intérieur et extérieur et les vérifications plomberie et électricité habituelles. Le solde à savoir la somme de 889.820,00 euros (Huit cent quatre-vingt neuf mille huit cent vingt euros) sera à régler au plus tard le 15 septembre 2016. Je m'engage à fournir à la SARL B une attestation bancaire d'une banque monégasque ainsi qu'une attestation multirisque habitation ».

Le 2 août 2016, informée par la SARL B d'une acceptation du bailleur la SCI A, e. C. a procédé au versement de la somme de 180.000 euros.

Le 21 août 2016, m. S. ancien compagnon d e. C. qui devait, selon elle, assumer le coût de ce logement, a été victime d'un infarctus, décédant le 30 août suivant. Le 29 août 2016, e. C. a indiqué à la SARL B qu'elle ne serait pas en mesure de donner suite à la location de l'appartement.

Se heurtant à un refus de restitution de la somme de 180.000 euros, e. C. a, par acte d'huissier en date du 17 m.2017, fait délivrer assignation à la SARL de droit monégasque B devant le Tribunal de première instance en vue d'obtenir, sous le régime de l'exécution provisoire, sa condamnation de la SARL au remboursement de la somme de 180.000 euros augmentée des intérêts de droit à compter de l'assignation.

Par conclusions ultérieures, e. C. a sollicité la jonction de cette instance avec celle introduite contre la SCI A, puis la condamnation in solidum de la SARL B et de la SCI A au remboursement de la somme de 180.000 euros.

Par jugement contradictoire du 4 avril 2019, le Tribunal de première instance a statué ainsi qu'il suit :

« - ordonne la jonction des procédures respectivement désignées sous les numéros 2017/000414 et 2018/000098 et dit qu'elles seront désormais appelées sous le numéro unique 2017/000414,

- rejette l'exception d'irrecevabilité soutenue par la SARL B et déclare recevable à son encontre l'action engagée par e. C. par actes en date du 17 m. 2017 et du 26 septembre 2017,

- condamne la SCI A à payer à e. C. la somme de 180.000 euros en restitution de la somme versée lors de la signature de l'offre de location du 29 juillet 2016, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 m.2017, date de la demande en justice,

- déboute les parties du surplus de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

- condamne la SCI A aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA et Maître Thomas GIACCARDI, avocats-défenseurs, chacun pour ce qui le concerne, sous leur due affirmation,

- ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ».

Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu essentiellement que faute d'avoir engagé l'exécution de ses obligations, le bailleur n'était pas fondé à prétendre à une conservation de la somme versée par sa co-contractante, et que « les conditions pour que la somme de 180.000 euros puisse être considérée comme un dédit n'ont pas été réunies puisque les conditions tenant à l'exécution de ses propres obligations n'ont pas été satisfaites ».

Par exploit d'appel et assignation délivré le 13 juin 2019, la SCI A a relevé appel parte in qua de cette décision, n'intimant devant la Cour qu e. C.

Aux termes de cet exploit et des conclusions récapitulatives qu'elle a déposées le 11 février 2020, la SCI A demande à la Cour de :

« - dire et juger l'appel parte in qua régulier en la forme

et bien fondé,

- par suite,

- infirmer le jugement R. 4145 rendu par le Tribunal de première instance le 4 avril 2019 en ce qu'il l'a condamnée à payer à Madame C.« une somme de 180.000 euros en restitution de la somme versée lors de la signature de l'offre de location du 29 juillet 2016, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 m.2017, date de la demande en justice » et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Et statuant de nouveau,

débouter Madame C. de ses demandes,

- condamner Madame C. à payer à la SCI A une somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour abus de droit d'agir en justice et résistance abusive,

- condamner Madame C. aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

La société appelante soutient, en premier lieu, qu'il n'existe aucun lien entre l'application de la clause de dédit et l'exécution de travaux par le bailleur. Se référant au libellé de cette clause, elle fait valoir que la conjonction « alors même que » a uniquement pour objet d'identifier les obligations respectives des parties, qui sont totalement indépendantes l'une de l'autre.

Elle souligne qu'en l'absence de clause de dédit, les parties ne pouvaient renoncer à leurs engagements contractuels, sauf à engager leur responsabilité.

En l'espèce, la clause de dédit a, selon elle, été stipulée pour permettre à e. C. de renoncer à son engagement locatif et au bailleur être indemnisé de l'immobilisation de son bien en cas de renonciation au bail.

Elle estime qu'en application de cette clause, e. C. pouvait, dès l'acceptation par le bailleur de son offre de location, renoncer à son engagement locatif en contrepartie du versement d'un dédit forfaitairement convenu de 180.000 euros, correspondant à trois mois de loyer.

L'appelante considère qu'en jugeant que l'applicabilité de la clause de dédit, qui profite au bailleur, était subordonnée à l'exécution par ce dernier d'obligations mises à sa charge, dont celle de réaliser des travaux, soit à un événement futur, les premiers juges ont totalement dénaturé l'accord des parties et vidé de toute substance la clause de dédit, permettant à e. C. de renoncer à son engagement locatif en l'absence de toute contrepartie.

Elle fait valoir que les parties n'ont à aucun moment voulu subordonner l'application de la clause de dédit à la réalisation postérieure de travaux par le bailleur. Elle souligne qu'en toute hypothèse, cela aurait été impossible car les délais pour se dédire à compter de l'acceptation de l'offre, soit à compter du 29 juillet 2016, et réaliser des travaux (pour l'entrée dans les lieux prévue le 15 octobre 2016) ne coïncident pas.

Elle souligne qu'à suivre le raisonnement des premiers juges, la clause de dédit n'aurait donc pu produire effet qu'à la date d'entrée dans les lieux, qui correspond à celle à laquelle le bailleur devait avoir réalisé ces quelques menus travaux. Or, il est constant que si e. C. avait satisfait à ses engagements contractuels en entrant dans les lieux à la date convenue, le 15 octobre 2016, elle n'aurait plus eu la faculté, à compter de cette date, de pouvoir se dédire.

Elle fait également valoir que les premiers juges pouvaient d'autant moins estimer que l'applicabilité de la clause de dédit était conditionnée à l'exécution par le bailleur d'obligations mises à sa charge, dont celle de réaliser ultérieurement des travaux, car cela aurait signifié à l'inverse qu e. C. ne pouvait pas user de la faculté de se dédire tant que le bailleur n'avait pas exécuté l'ensemble de ses obligations.

Elle soutient que les premiers juges ont privé la clause de dédit de toute efficacité, rappelant que les effets d'une telle clause ne peuvent courir qu'entre la date d'acceptation de l'offre de location et celle de signature du bail.

Elle considère que les premiers juges ont dénaturé l'accord des parties.

La SCI A soutient, en second lieu, que l'offre de location acceptée a force obligatoire.

Elle se réfère aux courriels échangés entre e. C. et la SARL B. Elle observe que l'intimée ne peut d'autant moins remettre en cause l'acceptation par le propriétaire de son offre de location dès lors qu'elle a versé la somme de 180.000 euros en exécution de cette offre et qu'elle a reconnu, par l'intermédiaire de son conseil, le droit du propriétaire d'être indemnisé du fait de sa renonciation à son engagement locatif.

Elle relève que dans ses relations avec la SARL B, e. C. bénéficiait de la théorie du mandat apparent et qu'elle est, dès lors, mal fondée à insinuer que le propriétaire n'aurait pas accepté son offre de location, alors que l'agence lui a elle-même notifié cette acceptation.

Elle considère qu'en prétendant qu'aucun contrat n'aurait été formé, e. C. est de mauvaise foi.

La SCI A soutient, en troisième lieu, qu'il n'existe aucune force majeure et souligne qu'il incombe à e. C. qui l'invoque subsidiairement, de justifier que le décès de son compagnon l'aurait mise dans l'impossibilité absolue d'exécuter son engagement locatif en raison d'une capacité financière insuffisante, ce qu'elle ne fait pas.

Sur ce point, elle rappelle que la SARL B avait pris soin de s'enquérir de la solvabilité d e. C. en lui réclamant une attestation bancaire.

En outre, elle relève que l'intimée a finalement emménagé en 2017 dans une résidence de haut standing à Monaco, pour laquelle elle acquitte un loyer annuel de 112.800 euros.

Dans le cas où la Cour infirmerait le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à e. C. la somme de 180.000 euros, elle sollicite que la demande subsidiaire de celle-ci, tendant à la requalification de la clause de dédit en clause pénale, soit rejetée.

Elle fait valoir que contrairement à la clause pénale qui vise à sanctionner l'inexécution d'une obligation contractuelle, la clause de dédit confère simplement au contractant le droit de se désengager de manière unilatérale moyennant le versement d'une somme forfaitaire préalablement convenue.

Elle souligne qu'au cas d'espèce, l'obligation principale contenue dans l'offre de location était de prendre à bail le bien immobilier, et non pas de payer le montant de la caution. Elle considère, au regard des éléments qui précèdent, qu e. C. a fait le choix personnel de renoncer à cette prise à bail en faisant jouer la clause de dédit à laquelle elle reconnaît avoir consenti.

La société appelante affirme qu'aux termes de cette clause, le propriétaire conserve la somme de 180.000 euros si le locataire renonce à son offre de location et relève qu'une telle clause n'est pas modifiable par le juge contrairement à la clause pénale qui peut être modifiée lorsque l'obligation principale a été exécutée en partie.

Elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté e. C. de sa demande de dommages-intérêts.

Elle fait en revanche grief aux premiers juges de l'avoir déboutée de sa propre demande de dommages-intérêts alors qu e. C. est, selon elle, de mauvaise foi, et qu'en raison des ses allégations mensongères et injustifiées, elle a abusé de son droit d'agir.

Aux termes de conclusions déposées les 15 octobre 2019 et 28 mai 2020, e. C. demande à la Cour de :

« - confirmer le jugement rendu le 4 avril 2019 par le Tribunal de première instance de Monaco en ce qu'il a condamné la SCI A à lui restituer la somme de 180.000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 m.2017,

- débouter la SCI A de toutes ses demandes, fins ou conclusions contraires,

- subsidiairement, pour le cas où il serait jugé que les conditions de la clause de dédit étaient réunies, dire et juger que la survenance du décès a été constitutive de force majeure privant d'effet la clause de dédit,

- encore plus subsidiairement, dire que cette clause s'analyse en réalité en une clause pénale, et la réduire à la somme symbolique de 1 euro ou à toute autre somme correspondant au préjudice effectivement subi, s'il en existe un,

Et, statuant à nouveau,

- condamner la SCI A à payer à e. C. la somme de 8.000 euros pour résistance et procédure abusives,

- condamner la SCI A aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

e. C. fait valoir, en premier lieu, qu'aucun contrat ne s'est formé, relevant que la SARL B n'a jamais pu justifier que l'intimée ait eu en mains l'accord de la société propriétaire sur sa proposition du 29 juillet 2016, ni même que celle-ci puisse se prévaloir de cette proposition, en l'absence de signature de la SCI A. Elle considère qu'aucun document ne prouve que la société avait accepté l'offre au moment du décès de m. S.

Par ailleurs, elle souligne que rien ne justifie que l'accord soit entré en vigueur, ledit accord ayant été subordonné à la signature d'un contrat de location à effet au 15 octobre 2016, lui-même subordonné à la réalisation de travaux.

Elle considère qu'il s'agit d'un ensemble indivisible et qu'aucune des deux conditions, toutes deux nécessaires, n'a été remplie au moment précis où le projet a avorté.

Selon elle, la clause litigieuse signifie que pour se prévaloir de l'engagement, le bailleur doit justifier avoir lui-même satisfait à ses obligations, ce qu'il ne fait pas, la SCI A ne contestant pas ne pas avoir entrepris les travaux.

Subsidiairement, si la Cour estimait qu'un contrat s'est formé, il conviendrait alors d'analyser les obligations et de rechercher la commune intention des parties.

L'intimée considère que la clause de dédit n'a pas pu recevoir application car elle n'a pas eu la volonté de renoncer au bail, ayant été victime d'un cas de force majeure, le décès de son compagnon, événement imprévisible et irrésistible qui l'a privée de ressources.

Encore plus subsidiairement, e. C. sollicite que la clause de dédit soit requalifiée en clause pénale et qu'elle soit ensuite modifiée et réduite en application de l'article 1086 du Code civil dès lors qu'ayant versé la somme de 180.000 euros, elle a exécuté en partie ses obligations.

Elle relève que le bailleur ne justifie pas avoir subi le moindre préjudice.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus développées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

  • 1-Attendu que les appels, principal et incident, relevés dans les formes et délais prescrits par le Code de procédure civile, sont réguliers et recevables ;

  • 2-Attendu que selon l'article 963 du code civil, toute convention se forme par un accord suffisant sur ses éléments essentiels, la charge de la preuve de cette réunion pesant sur le créancier qui sollicite l'exécution des termes du contrat litigieux ;

Que l'article 989 de ce code énonce que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ;

Attendu qu'au cas d'espèce, il est constant que le 29 juillet 2016, e. C. a signé au profit de la SARL B une offre de location portant sur un appartement situé X4 à Monaco, moyennant un loyer annuel de 780.000 euros charges comprises, en principal, et une caution de 180.000 euros payable dès acceptation par le propriétaire ;

Qu'il convient de relever que l'offre est exprimée par un écrit mentionnant le montant du loyer mensuel, le montant des provisions sur charges, le montant de la caution, la date d'effet du bail, sa durée, son objet, ainsi que, la première année, le paiement des loyers plus provisions sur charges anticipé (outre le montant de la commission d'agence, les frais d'enregistrement et de timbres) ;

Qu'il s'agit donc d'une offre précise et complète, comportant tous les éléments du contrat projeté et expresse, pour avoir été formulée par écrit ;

Que le même jour, à 14 heures 30, la SARL B a fait connaître par un courriel adressé à e. C. que son offre avait été acceptée par le propriétaire, et a sollicité qu'elle procède au versement de la somme de 180.000 euros, en ces termes :

« Afin de pouvoir vous confirmer cette location, nous vous demandons de nous transférer, comme convenu sur l'offre de location, la somme de 180.000 euros sur le RIB ci-joint » ;

Que par un second courriel du 1er août 2016, l'agence immobilière a confirmé à e. C. l'accord du propriétaire, dans les termes qui suivent :

« Nous vous confirmons que le propriétaire accepte l'offre au RDC et 1er étage du X4 avec ses dépendances à savoir 2 caves, 2 cabines déshabilloirs et 2 doubles parkings aux conditions suivantes :

  • - loyer : 60.000 euros + 5.000 euros de provisions sur charges par mois,

  • - 1ère année de loyers + provisions sur charges par paiement anticipé et ce au plus tard le 15/09/2016,

  • - début de bail : 15 octobre 2016,

  • - durée : 3 ans puis renouvelable d'année en année,

  • - acompte à recevoir: 3 mois de caution soit 180.000 euros à transférer dès réception du présent mail à la SARL B,

  • - le solde soit la somme de : 889.820 euros à transférer à la SARL B au plus tard le 15/09/2016 date de signature de bail également .../... » ;

Que par un courriel du 2 août 2016, l'agence a fait parvenir à e. C. une copie du projet de bail ;

Qu'enfin, par un courriel du 4 août 2016, la SARL B a confirmé à e. C. la réception de la somme de 180.000 euros, ainsi qu'il suit :

« Madame,

Nous vous confirmons la bonne réception de l'acompte de location, à savoir la caution d'un montant de 180.000 euros.

Vous avez déjà reçu le projet de bail qu'il conviendra de signer au plus tard le 15/09/16.

Je vais également préparer une procuration pour vous établir votre contrat d'électricité au 15/10/2016 et je vais demander un devis pour l'attestation d'assurance obligatoire avant votre entrée.

Je vous informe aussi avoir déjà pris RDV avec l'huissier d'entrée ainsi que la remise des clés, le 14 octobre 2016 à 14 h 30.

Je vous rappelle que je suis en congés du 05/08 au 28/08.

Je reviendrai donc vers vous à ce moment pour organiser un RDV pour la signature des documents relatifs à la location .../... » ;

Qu'il ressort de ces échanges que l'offre a expressément été acceptée par la SARL B, mandatée par la SCI A ;

Qu e. C. objecte qu'il n'existe aucune preuve de l'acceptation, par le propriétaire, la SCI A ;

Que cependant, il ressort des échanges précédents que la SARL B était mandatée par le propriétaire de l'appartement ;

Que lors de ces échanges, e. C. n'a jamais mis en doute la qualité de mandataire de la SARL B ;

Qu'au surplus, en procédant au paiement de la somme de 180.000 euros entre les mains de la SARL B, e. C. exécutant en cela la disposition suivante de l'offre « Dès acceptation de cette offre de location par le propriétaire, je m'engage à transférer par virement bancaire, sous 48 heures, à la SARL B, la somme de 180.000 euros... », a admis que l'offre avait été acceptée par le propriétaire, et que celui-ci était valablement représenté par la SARL B ;

Que l'intimée n'a pas davantage dénié à la SARL B sa qualité de représentante du propriétaire dans son courrier du 29 août 2016, lorsque, après avoir renoncé à ses engagements, son conseil à écrit à l'agence :

« Je vous remercie de votre compréhension et vous suis par avance reconnaissant des démarches que vous pourrez effectuer auprès de vos clients pour remboursement des 180.000 euros versés au titre du dépôt de garantie.

Bien entendu, Mme C. admet parfaitement le principe d'une indemnisation de votre agence et de vos clients et je reste à votre écoute sur ce point » ;

Que, par ailleurs, la force du contrat repose sur l'existence des consentements, par lesquels s'exprime sans équivoque la volonté de leurs auteurs ;

Qu'en dehors des cas où la loi la soumet à des règles particulières, la forme de l'acceptation de l'offre est libre, dès lors qu'elle exprime la volonté d'accepter, quand bien même aucune signature n'aurait été recueillie ;

Qu'au regard de l'ensemble des échanges ci-dessus rappelés, la preuve est suffisamment rapportée de l'acceptation, par la SCI A de l'offre émise par e. C.;

Qu'enfin, l'offre a été émise en vue de la signature d'un contrat de location à effet au 15 octobre 2016 ;

Que contrairement à ce que soutient l'intimée, la circonstance qu'aucun contrat de location n'ait été signé par la suite ne prive pas pour autant l'offre de ses effets, en l'état, au surplus, de la renonciation ultérieure d e. C.à son engagement ;

Qu'en l'état de l'accord des parties sur ses éléments essentiels, il convient de constater la formation de la convention ;

Attendu qu'en second lieu, l'acte du 29 juillet 2016 contient la disposition suivante :

« Dès acceptation de cette offre de location par le propriétaire, je m'engage à transférer par virement bancaire, sous 48 heures, à la SARL B, la somme de 180.000 euros (cent quatre-vingt mille euros), représentant 3 mois de caution comme garantie. Ladite somme représentant une avance sur le montant total des frais de location ou un dédit à ma charge dans le cas où je ne donnerai pas suite à mon offre de location alors même que le bailleur aura rempli de son côté comme convenu ses obligations, et notamment la rénovation des plafonds de l'appartement ainsi que le nettoyage intérieur et extérieur et les vérifications plomberie et électricité habituelles. Le solde à savoir la somme de 889.820,00 euros (Huit cent quatre-vingt neuf mille huit cent vingt euros) sera à régler au plus tard le 15 septembre 2016. Je m'engage à fournir à la SARL B une attestation bancaire d'une banque monégasque ainsi qu'une attestation multirisque habitation » ;

Que cette clause, dont la validité n'est pas discutée, s'impose aux parties ;

Que toutefois, celles-ci sont contraires sur son interprétation, la société appelante soutenant que l'application de la clause n'est pas subordonnée à la réalisation des travaux par le propriétaire, e. C. faisant, à l'inverse, valoir qu'il s'agit d'un ensemble contractuel indivisible et que dès lors, la SCI A, n'ayant entrepris aucuns travaux, ne pourrait pas prétendre à la conservation de la somme de 180.000 euros ;

Qu'il ressort de la lecture de cette clause que l'engagement pris par e. C. de verser la somme de 180.000 euros, uniquement subordonné à l'acceptation de l'offre émise par le propriétaire, est un engagement ferme ;

Que selon la clause, l'affectation de la somme de 180.000 euros est déterminée de la manière suivante : il s'agira soit d'une avance sur le montant total des frais de location en cas de signature du bail, soit d'un dédit à la charge d e. C. dans le cas inverse, sans qu'aucune autre disposition de l'offre de location ne vienne contredire l'affectation de ladite somme, ce que l'intimée ne conteste pas ;

Que, par ailleurs, il n'est pas contestable que la clause permet à e. C. de se soustraire unilatéralement à son engagement ;

Que dans cette hypothèse, une compensation financière au bénéfice du bailleur a été conventionnellement fixée à la somme de 180.000 euros ;

Que la question est de savoir si la société appelante peut prétendre, en l'état de la renonciation d e. C. à son offre de location, à la conservation de cette somme ;

Que pour interpréter la clause, il convient de rechercher la commune intention des parties ;

Or attendu que si le droit a été accordé à e. C. de renoncer à son engagement, ce droit ne lui a pas été octroyé sans contrepartie financière pour le bailleur qui a consenti à l'immobilisation de son bien immobilier, sauf à priver la clause de son sens et de sa portée ;

Qu'ainsi, la clause a bien fixé à la somme de 180.000 euros le montant de la compensation financière due au bailleur en cas de désistement de la locataire ;

Que par ailleurs, il n'est pas contestable que la clause litigieuse fait à la fois référence au dédit de la locataire et à la réalisation de divers travaux par le propriétaire ;

Que pour autant, l'objet de la clause ne consiste pas à sanctionner l'inexécution de ses obligations par le bailleur, mais à compenser l'immobilisation de son bien, en considération du montant du loyer ;

Que dès lors, la clause ne peut pas être interprétée comme subordonnant le sort du dédit à l'accomplissement de telles obligations ;

Qu'en réalité, la clause énonce expressément que la somme de 180.000 euros reste à la charge d e. C. dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, elle ne donne pas suite à son offre de location ;

Qu'il s'ensuit également que seule cette somme de 180.000 euros conventionnellement fixée, et non une somme supérieure, pourra être revendiquée par le propriétaire même si (synonyme de « alors même que ») ce dernier a rempli ses obligations, en ayant, notamment, effectué les travaux mentionnés au contrat ;

Que dès lors, la circonstance qu'à la date du dédit, soit le 29 août 2016, éloignée de près d'un mois et demi de la date prévue pour l'entrée dans les lieux, le propriétaire n'ait pas encore effectué les travaux prévus, est sans incidence sur la solution du litige ;

Que par ailleurs, lorsque le conseil d e. C. a informé l'agence immobilière que sa cliente ne donnerait pas suite à la location, il n'a pas invoqué le manquement du bailleur à ses obligations, mais le décès du compagnon de sa cliente ;

Qu'en conséquence, en vertu de la clause litigieuse, la SCI A est fondée, en l'état de la renonciation d e. C. à son engagement contractuel, à prétendre à la conservation de la somme de 180.000 euros ;

  • 3-Attendu que la force majeure est un événement imprévisible et irrésistible empêchant le débiteur d'exécuter son obligation ;

Attendu qu'au cas d'espèce, e. C. allègue, subsidiairement, qu'elle a été victime d'un événement de force majeure, soit le décès de son compagnon m. S. événement qui lui aurait imposé de renoncer à son engagement locatif faute, pour elle, de disposer d'une capacité financière suffisante lui permettant d'assumer le coût du loyer de l'appartement, et que, dans ces conditions, elle n'aurait pas, à proprement parler, fait volontairement usage du droit de se dédire ;

Qu'il incombe à la partie qui se prévaut d'un cas de force majeure de rapporter la preuve qu'elle s'est trouvée, de manière irrésistible et imprévisible, dans l'impossibilité d'exécuter le contrat ;

Qu'il convient de relever, en premier lieu, qu e. C. est la seule émettrice de l'offre de location, le défunt compagnon de celle-ci ne s'étant aucunement engagé ;

Qu'au reste, l'offre de location ne mentionne nullement que les frais de location seraient supportés par un tiers ;

Qu'en second lieu, il n'est pas établi que m. S. ait participé d'une manière quelconque aux échanges intervenus entre les parties lors de la négociation du bail ;

Que tous les courriels ont été échangés entre e. C. ou le conseil de celle-ci, et l'agence immobilière ;

Que toutes les pièces (offre de location, projet de bail, facture) ont été émises au nom de l'intimée ;

Qu e. C. produit aux débats un « protocole transactionnel par devant avocat » du 10 avril 2015 qu'elle a signé avec m. S. démontrant, selon elle, que le logement convoité à Monaco était destiné à son usage et à celui des enfants et que son compagnon prendrait à sa charge « les frais de vie, location d'appartement et autres » ;

Que cependant, il n'est pas justifié que cette convention ait été produite au cours des échanges avec la SARL B, pas plus qu'il n'est démontré en quoi elle serait opposable à la SCI A ;

Qu'il n'est pas davantage établi que l'agence aurait « bien entendu conseillé à son mandant d'accepter en considération de l'état de fortune de M. S. riche homme d'affaire », contrairement à ce qu'allègue l'intimée ;

Qu'il ne ressort aucunement des pièces versées aux débats la preuve de l'engagement pris par m. S. envers la SARL B ou la SCI A de supporter les frais engendrés par la location de l'appartement situé à Monaco ;

Qu e. C. produit aux débats deux attestations émises par e. V. et a. K. relatant que dans les derniers jours de juillet 2016, m. S. leur aurait décrit l'appartement de Monaco, qu'il aurait visité avec l'intimée, leur faisant part de sa volonté que sa compagne y vive avec les enfants, car il souhaitait le meilleur pour eux, l'une d'entre elle précisant en outre « J'ai appris un mois plus tard son décès outre le fait que l'agence refusait de restituer le deposit qu'il avait versé » ;

Que cependant, ces attestations ne suffisent pas non plus à rapporter la preuve de l'engagement de m. S.;

Qu'au surplus, il ressort de la pièce n°6 versée par l'intimée que la somme de 180.000 euros versée à la SARL B a été débitée de son propre compte bancaire, et non d'un compte joint ;

Qu'au reste, lors des négociations, la SARL B avait exigé d e. C. la production d'une attestation bancaire, destinée à s'assurer de sa solvabilité ;

Qu'il n'est pas contesté que l'attestation produite était bien relative au compte bancaire de l'intimée ;

Qu'enfin, e. C. ne produit aucune pièce de nature à justifier de ses ressources ;

Qu'en définitive, l'intimée ne démontre pas que le décès de son compagnon l'aurait placée dans l'impossibilité, au regard de ses capacités financières, d'exécuter l'engagement pris ;

Que dès lors, e. C. qui ne démontre pas que le décès de son compagnon puisse être considéré comme un cas de force majeure de nature à l'exonérer de ses obligations contractuelles, sera déboutée de ses demandes de ce chef ;

  • 4-Attendu qu'une clause de dédit est destinée à permettre à une partie de se libérer unilatéralement de ses engagements, en payant, le cas échéant, la somme convenue ;

Qu'en optant pour cette faculté, celui qui se libère du contrat ne commet pas de faute, mais exerce seulement un droit ;

Qu'une clause pénale consiste, pour les parties, à évaluer par avance, et de manière forfaitaire, l'indemnité à laquelle donnera lieu l'inexécution, par une partie, de ses obligations contractuelles, ou le retard apporté à l'exécution ;

Que la clause pénale a une fonction comminatoire, destinée à dissuader une partie de rompre les relations contractuelles avant leur terme ;

Qu'au cas d'espèce, la clause litigieuse s'analyse en une clause de dédit, permettant à l'un des co-contractants, e. C. en l'occurrence, de se libérer de ses obligations contractuelles, moyennant le versement de la somme stipulée, soit 180.000 euros ;

Que le montant de cette somme, représentant trois mois de loyer, n'est pas suffisamment élevé pour conférer à la clause un caractère comminatoire ayant pour but de contraindre e. C. à exécuter le contrat jusqu'à son terme ;

Qu'il s'ensuit que la clause litigieuse s'analyse en une clause de dédit et non en une clause pénale ;

Attendu qu'enfin, une clause de dédit ne peut pas être modulée par le juge ;

Qu'il s'ensuit qu e. C. sera déboutée de sa demande tendant à voir d'une part qualifier la clause de dédit en clause pénale, d'autre part, modifier son montant ;

Qu'en conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la SCI A à restituer à e. C. la somme de 180.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 m.2017, date de l'assignation introductive d'instance ;

  • 5-Attendu que succombant en son appel, e. C. est mal fondée à solliciter la condamnation de la SCI A au paiement de dommages-intérêts pour résistance et procédure abusives, le jugement dont appel étant confirmé de ce chef ;

  • 6-Attendu que la SCI A ne démontre pas en quoi l'attitude procédurale adoptée par e. C. et les moyens que celle-ci a invoqués au cours de l'instance seraient constitutifs d'un abus ouvrant droit à l'allocation de dommages-intérêts ;

Que dès lors, le jugement entrepris, qui l'a déboutée de sa demande, sera confirmé sur ce point ;

  • 7-Attendu qu e. C. qui succombe en cause d'appel, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels, principal et incident, formés contre le jugement rendu le 4 avril 2019 par le Tribunal de première instance,

Infirme ce jugement en ses dispositions entreprises sauf en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes de dommages-intérêts,

Statuant à nouveau,

Déboute e. C. de sa demande de condamnation de la SCI A à lui restituer la somme de 180.000 euros,

La déboute de sa demande tendant à voir qualifier la clause de dédit en clause pénale,

La déboute enfin de sa demande de réduction de la clause de dédit,

Condamne e. C. aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 14 JUILLET 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

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