Cour d'appel, 26 mai 2020, Monsieur c. Z. c/ La SAM A. et autres
Abstract🔗
Preuve – Loyauté – Secret des affaires – Notion - Mandataire – Qualité à agir (oui) - Intervention volontaire – Recevabilité (oui) - Le criminel tient le civil en l'état – Conditions – Sursis à statuer (oui)
Résumé🔗
La nature du contentieux importe peu, seule l'appréciation des modalités d'obtention de la preuve présentant un caractère pertinent au titre de la loyauté des preuves dont le juge doit être le garant. Si le Code de procédure civile ne consacre pas le principe de loyauté des preuves, ce principe découle néanmoins de la notion de procès équitable édictée par l'article 6 §1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, exécutoire en Principauté de Monaco et doté d'une valeur supra-législative. L'appréciation de la loyauté des preuves suppose tout à la fois l'analyse de la nécessité alléguée des pièces litigieuses pour l'exercice des droits de la défense de la partie qui en fait état, et celle de la réalité et de la gravité d'une éventuelle déloyauté dans leur obtention. Si la société A. ne se prévaut pas d'un secret des affaires légalement protégé, celui-ci peut néanmoins mériter de l'être selon les intérêts qu'il est censé préserver. Les secrets des affaires correspondent à des informations dont la divulgation au public, mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l'information, peut gravement léser les intérêts de celui-ci, qui sont protégés lorsqu'ils ne sont connus que par un nombre limité de personnes et lorsque les intérêts susceptibles d'être lésés par la divulgation de l'information sont objectivement dignes de protection.
La SAM A., mandataire qui a pris l'engagement de rembourser l'intégralité des sommes qui auraient été détournées au préjudice de ses mandants, propriétaires des navires, justifie de sa qualité pour agir dans le cadre de la présente procédure.
Les sociétés intervenantes ont chiffré les sommes détournées dans le cadre des contrats de gestion des équipages pour chacun de leurs navires et acté dans leurs écritures l'engagement pris par la société A. de leur rembourser l'intégralité des sommes détournées, alors que les clauses limitatives de responsabilité ne pourraient trouver application si les détournements, découlant d'infractions pénales commises par deux anciens employés de la société A., se trouvaient confirmés. Elles présentent ce faisant un intérêt évident à soutenir la société A. dans sa volonté de voir confirmer l'ordonnance présidentielle du 7 septembre 2018, autorisant la saisie-arrêt des comptes bancaires de l'appelant, pour sécuriser les fonds qui pourront servir à leur remboursement et empêcher leur possible disparition. En l'état de ces éléments, l'intervention volontaire des sociétés concernées sera déclarée recevable.
La règle « le criminel tient le civil en l'état » ne s'impose cependant que lorsque la juridiction civile est saisie de la même question que la juridiction pénale. Il s'évince clairement de ces éléments que l'action en responsabilité délictuelle suivie est fondée sur les mêmes faits que ceux servant de base à l'action pénale dans laquelle c. Z. se trouve mis en cause et poursuit la même demande, s'agissant d'obtenir l'indemnisation correspondant au produit de possibles infractions pénales commises par un ancien salarié au préjudice de son employeur. La juridiction civile et la juridiction pénale se trouvant à l'évidence saisies des mêmes faits et de demandes similaires, le sursis à statuer s'impose.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 26 MAI 2020
En la cause de :
- Monsieur c. Z., né le 12 mai 1954 à Saint-Quentin (France), de nationalité italienne, domicilié X1 98000 Monaco ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- La SAM A., au capital de 150.000 euros, ayant son siège social au X1 98000 Monaco, agissant poursuites et diligences de son administrateur délégué en exercice domicilié audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
et :
- 1/la société BA., société de droit panaméen, dont le siège social est situé X2 PANAMA CITY (Panama), représentée par son liquidateur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 2/la société BB., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur j. m. R. domicilié es-qualité audit siège,
- 3/la société BC., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 4/la société BD., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 5/la société BE., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 6/la société BF., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 7/la société BG., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 8/la société BH., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 9/la société BI., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 10/la société BJ., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 11/la société BK., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 12/la société BL., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 13/la société BM., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 14/la société BN., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 15/la société BO., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 16/la société BP., société de droit malte, dont le siège social est situé 198 Old Bakery Street, VALETTA (Malte), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 17/La société BQ., société de droit panaméen, dont le siège social est situé X2 PANAMA CITY (Panama), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 18/la société BR., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 19/la société BS., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur j. m. R. domicilié es-qualité audit siège,
- 20/la société BT., société de droit panaméen, dont le siège social est situé X2 PANAMA CITY (Panama), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es- qualité audit siège,
- 21/la société CA., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 22/la société CB., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 23/la société CC., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 24/la société CD., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 25/la société CE., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 26/la société CF., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 27/la société CG., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 28/la société CH., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 29/la société CI., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 30/la société CJ., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 31/la société CK., société de droit panaméen, dont le siège social est situé X2 PANAMA CITY (Panama), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es- qualité audit siège,
- 32/la société CL., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur j. m. R. domicilié es-qualité audit siège,
- 33/la société CM., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 34/la société CN., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 35/la société CO., société de droit panaméen, dont le siège social est situé X2 PANAMA CITY (Panama), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
- 36/la société CP., société de droit libérien, dont le siège social est situé X3 MONROVIA (Liberia), représentée par son Directeur, Monsieur l. P. domicilié es-qualité audit siège,
INTERVENANTES VOLONTAIRES,
Ayant toutes élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
EN PRÉSENCE DE :
La Société Anonyme Monégasque D., dont le siège social est sis X4 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son Directeur Général, agissant lui-même en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés le 18 mai 2017 aux termes de la délibération du Conseil d'Administration, selon extrait certifié conforme du procès-verbal du Conseil d'Administration du 18 mai 2017, domicilié en cette qualité audit siège ;
TIERS-SAISI ;
d'autre part,
LA COUR,
Vu l'ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal de première instance, le 27 mars 2019 (R. 3807) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 11 avril 2019 (enrôlé sous le numéro 2019/000104) ;
Vu les conclusions déposées les 7 juin 2019, 17 décembre 2019 et 11 février 2020 par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de la SAM A. ;
Vu les conclusions déposées les 22 juillet 2019, 15 octobre 2019 et 5 février 2020 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur c. Z.;
Vu les conclusions déposées les 17 décembre 2019 et 11 février 2020 par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom des sociétés BA., BB., BC., BD., BE., BF., BG., BH., BI., BJ., BK., BL., BM., BN., BO., BP., BQ., BR., BS., BT., CA., CB., CC., CD., CE., CF., CG., CH., CI., CJ., CK., CL., CM., CN., CO., CP., intervenantes volontaires ;
À l'audience du 18 février 2020, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur c. Z. à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal de première instance le 27 mars 2019.
Considérant les faits suivants :
La SAM A. créée en 2004, a pour objet social la gestion et la location de tous navires marchands incluant l'administration, le management, l'organisation, la représentation et l'exploitation de toutes opérations maritimes pour le compte de tiers et de sociétés du groupe.
Elle expose avoir confié à l'origine la gestion des équipages des navires dont elle s'occupait à la société E., avec laquelle g. P. son « Responsable équipages », assurait le suivi de la relation contractuelle.
c. Z. embauché dès 2004, a occupé diverses fonctions au sein de la société avant d'être promu en 2017 « Directeur Flotte et Opérations ».
A ce titre, il a notamment supervisé le Département Technique, chargé d'assurer la navigabilité de tous les navires à tout moment et de les maintenir aux normes de qualité les plus élevées possibles.
Ce département technique se trouvait dirigé par a. L. embauché à compter du 1er juillet 2010 par la société A. en qualité de « Directeur technique ».
Se trouvant à ses dires confronté à des problèmes récurrents avec les équipages gérés par la société E., g. P. a créé courant 2012 la société de droit philippin F. (F.), qui tout en proposant les mêmes services, était exclusivement dédiée à la société A..
Cette nouvelle société avait en charge la formation et la gestion des équipages de l'intégralité des navires marchands et assumait toutes les formalités, y compris la gestion des salaires et les formalités administratives et fiscales.
g. P. a démissionné de ses fonctions au sein de la société A. pour se consacrer à la direction de la société F., laquelle est devenue courant 2013 le prestataire exclusif pour la fourniture d'équipages de la société A..
Les conventions entre la société A. et F. étaient conclues sur la base d'un modèle de contrat dénommé « Standard Management Agreement », en exécution duquel la société A. versait chaque mois à la société F., sur son compte d'épargne principal, un montant de l'ordre de 2.000.000 USD, composé d'une part des honoraires fixes établis à 3.000 USD par navire et par mois, d'autre part de « coûts variables » subis par la société F., envisagés dans le cadre d'un budget prévisionnel annuel détaillé présenté par ses soins.
Dans ce contexte, c. Z. était le supérieur hiérarchique direct d a. L. lui-même interlocuteur principal de la société F. et supervisant spécifiquement les conventions conclues avec cette société.
Son département était notamment chargé de recevoir les budgets prévisionnels annuels de gestion des équipages établis par la société F., puis de les faire approuver par les dirigeants de la société A., en particulier par a. L. responsable du département technique.
Suite à la création courant 2016 de la société soumise au droit des Bermudes H. appartenant au même groupe que la société A. et au souhait des dirigeants du groupe de la voir inscrite au « New York Stock Exchange », le cabinet DELOITE a été mandaté pour réaliser un audit sur les prestataires des sociétés du groupe, lequel a révélé que la société F. se serait livrée à des « pratiques financières inquiétantes » et aurait transféré des fonds à Messieurs L. et Z.
Selon la société A., ces paiements auraient été financés par un système de surfacturation à son préjudice et destinés à récompenser Messieurs L. et Z. de maintenir la relation contractuelle avec la société F..
Le 17 août 2018, la SAM A. a déposé plainte contre lui en Suisse.
Le 17 septembre 2018, la société A. a également déposé plainte contre ce dernier entre les mains de Madame le Procureur Général de Monaco.
Le 5 septembre 2018, la société A. a procédé au licenciement pour faute grave de c. Z.
Dans le même temps, s'estimant spoliée et victime de détournements, la société A. a présenté requête le 5 septembre 2018 à Madame le Président du Tribunal de première instance aux fins d'indisponibilité temporaire et de saisie-arrêt à hauteur de 5.483.703,30 USD, visant les comptes détenus en Principauté par c. Z. dans les livres du G. (G.).
Par ordonnance rendue le 7 septembre 2018, Monsieur le Vice-président du Tribunal de première instance a confirmé l'indisponibilité temporaire et autorisé la société A. à faire pratiquer une saisie-arrêt entre les mains de l'établissement bancaire dénommé G. (G.) à hauteur de 4.000.000 euros soit 4.663.498,80 USD.
Par exploit d'huissier délivré le 12 septembre 2018, la société A. a fait pratiquer la saisie-arrêt et assigner c. Z. en validation de cette mesure et paiement de ses causes.
Par ordonnance rendue le 27 mars 2019, le juge des référés a débouté c. Z. de sa demande de rétractation de l'ordonnance rendue le 7 septembre 2018, retenant que :
« Dans le cadre d'une procédure devenue contradictoire, il appartient au juge des référés d'apprécier au regard des arguments du demandeur, non sur la foi de sa seule contestation, et des nouvelles pièces éventuellement produites, si cette mesure repose sur un principe certain de créance, et, à défaut, d'en ordonner la mainlevée.
Cette appréciation ne saurait faire double emploi avec le juge du fond saisi en parallèle. Il revient à ce dernier de se prononcer sur la nature même de la créance, son quantum définitif.
Les pièces versées aux débats font état :
- d'un rapport d'audit réalisé par le Cabinet Deloitte révélant la mise en place d'un système de détournement d'argent à grande échelle au préjudice de la société A. et de pratiques douteuses, en son sein même, touchant Messieurs Z. et L. salariés décisionnaires de la société A.,
- du licenciement de Mr Z.
- du rapport de la société I. vérifiant le processus suivi par Deloitte, les déclarations de la société A. et les flux financiers entre la société A. et F.,
- de la réalité des virements effectués au profit de Messieurs Z. et L.(cf. les avis de virements fournis par la société F. justifiant des transferts de sommes très importantes (plus de 5 millions USD pour chacun en 5 ans) de la société F. à Monsieur Z. et à Monsieur L. sur des comptes bancaires ouverts aux noms desdits salariés à l'étranger). Ces derniers se trouvant donc en situation de conflits d'intérêt manifeste,
- des extraits publics de la SEC sur la société F. qui confirment que ni Monsieur Z. ni Monsieur L. ne font partie de ses actionnaires, qu'aucun dividende n'a jamais été versé par la société F. à ses associés,
Dans ce contexte l'absence de mise en demeure préalable se justifie,
Ces éléments sont suffisants au stade de ce référé pour arguer d'un principe certain de créance justifiant la mesure autorisée par le Président du Tribunal de première instance ».
Par exploit délivré le 11 avril 2019, c. Z. a interjeté appel de l'ordonnance de référé rendue le 27 mars 2019.
Aux termes de son assignation et d'écritures déposées les 22 juillet 2019, 15 octobre 2019 et 5 février 2020, il demande à la Cour, au visa des dispositions des articles 490 et suivants du Code de procédure civile, de :
Sur la recevabilité :
* sur l'action de la société A. :
- débouter la société A. de sa demande de rejet de la pièce n° 37,
- dire et juger que la société A. ne dispose pas de la qualité pour agir à leur encontre,
- dire et juger que la saisie-arrêt pratiquée sur les comptes du concluant est irrégulière,
- rejeter la demande de sursis formulée par la société A. par conclusions du 17 décembre 2019,
- déclarer la société A. irrecevable en ses demandes,
- rétracter l'ordonnance de Monsieur le Vice-président du Tribunal de première instance du 7 septembre 2018,
- ordonner la mainlevée totale et immédiate de la saisie-arrêt pratiquée sur les comptes de c. Z. ouverts dans les livres des banques de la SAM D.,
* sur les interventions volontaires :
- déclarer irrecevables les interventions volontaires formulées par les sociétés BA., BB., BC., BD., BE., BF., BG., BH., BI., BJ., BK., BL., BM., BN., BO., BP., BQ., BR., BS., BT., CA., CB., CC., CD., CE., CF., CG., CH., CI., CJ., CK., CL., CM., CN., CO. et CP. suivant conclusions du 17 décembre 2019,
Sur le principe certain de créance :
- constater l'absence de créance personnelle de la société A. à l'encontre de c. Z.
- constater que la société A. fonde son principe de créance sur la responsabilité pénale et délictuelle de c. Z.
- constater l'absence de décision définitive et exécutoire ayant reconnu la responsabilité de ce dernier à son égard,
- dire et juger que la SAM A. n'établit aucun principe certain de créance, présentant un caractère suffisant d'évidence et ne nécessitant aucune interprétation,
En conséquence,
- infirmer purement et simplement l'ordonnance de référé rendue le 27 mars 2019,
Statuant à nouveau,
- rétracter l'ordonnance de Monsieur le Vice-Président du Tribunal de première instance du 7 septembre 2018,
- ordonner la mainlevée totale et immédiate de la saisie-arrêt pratiquée sur les comptes de c. Z. ouverts dans les livres des banques de la SAM D.,
- condamner la SAM A. aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sur sa due affirmation.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir principalement les éléments suivants :
Sur la qualité pour agir de la société A. :
La demande de sursis de la présente procédure dans l'attente de l'issue de la procédure pénale et l'intervention volontaire de 36 sociétés au soutien des prétentions de la société A. confirment l'absence de caractère certain et personnel de sa créance et constituent un aveu du défaut de qualité et de droit d'agir de celle-ci, rendant ses demandes irrecevables.
Il conteste, au visa des dispositions des articles 487 et suivants du Code de procédure civile, la qualité pour agir de la société A., arguant de ce que cette dernière a trompé la religion du juge qui l'a autorisée à pratiquer une saisie-arrêt en faisant croire qu'elle était seule contractante de la société F. et propriétaire des navires, seule qualité qui avec le fait de supporter le coût des frais de gestion justifierait de sa qualité prétendue de créancier.
Il considère être légitime à utiliser le contrat de gestion de navire produit en pièce « n°49 » (constituant en réalité la pièce communiquée sous le n°37) pour assurer sa défense, sans que cette production ne viole les dispositions de l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme qui garantit un procès équitable, l'admissibilité des preuves demeurant régi par le droit national.
Il estime également inopérant le principe tiré de l'effet relatif des contrats qui lui est opposé, dès lors qu'il n'entend tirer aucun avantage du contrat de gestion de navire mais seulement prouver par ce moyen, de manière irréfutable, que la société A. n'est pas titulaire de la prétendue créance qu'elle invoque à l'appui de ses demandes.
Il conteste tout autant la pertinence de l'argument tiré de l'inefficience de la clause limitative de responsabilité prévue par le contrat de gestion, qui suppose en préalable que la responsabilité de la société A. ait été mise en jeu par les propriétaires.
Sur l'irrecevabilité des interventions volontaires :
Il objecte :
- d'une part que l'intervention volontaire des cocontractants de la société A., qui tend à substituer le demandeur principal, manifestement irrecevable à agir, ne peut constituer une intervention volontaire au sens des dispositions des articles 383 et suivants du Code de procédure civile,
- d'autre part, que ces interventions ne sauraient avoir pour effet de régulariser la saisie-arrêt pratiquée par une personne dépourvue de la qualité à agir, de sorte que l'intégralité de la procédure, en ce compris la requête aux fins de saisie présentée par une personne dépourvue de qualité et d'intérêt à agir, est entachée d'irrégularité qui ne peut être couverte de manière tardive,
- enfin, que ces interventions volontaires n'étant qu'accessoires à la demande principale manifestement irrecevable, encourent également l'irrecevabilité.
Sur le sursis :
À ce titre, il soutient n'y avoir lieu à sursis compte-tenu de l'irrecevabilité qui entache la présente procédure, alors en tout état de cause que :
- les critères posés par l'article 3 du Code de procédure pénale ne sont pas réunis, dès lors que la société A. ne justifie pas de la mise en mouvement de l'action publique et qu'il n'a d'ailleurs pas été entendu,
- la règle « le criminel tient le civil en l'état » ne peut recevoir application à Monaco en raison de la saisine d'une juridiction étrangère.
Sur la mainlevée de la saisie-arrêt :
Au fond, il invoque, au visa de l'article 492 du Code de procédure civile, l'erreur d'appréciation du juge des référés qui pour fonder sa décision a uniquement pris en compte les éléments produits par la SAM A., alors que bien qu'investi des mêmes pouvoirs que ceux de l'auteur de l'ordonnance, il ne peut faire abstraction des contestations émises, ce qui l'oblige à rechercher à l'issue d'un débat contradictoire si le prétendu créancier justifie d'une créance certaine en son principe.
Il fait valoir que le juge des référés a omis de répondre aux moyens qu'il a soulevés et de se prononcer sur les éléments de preuve qu'il a produits, s'abstenant par la même d'examiner ses contestations, en violation du principe du contradictoire.
Il prétend que l'analyse des pièces du requérant révèle qu'elles sont tronquées et incomplètes et qu'elles n'établissent nullement la réalité de la créance de la société A., d'autant qu'il a démontré la provenance des fonds en cause et leur justification économique.
Il affirme l'absence de principe certain de créance dès lors que :
- d'une part, la créance alléguée repose sur une responsabilité délictuelle hypothétique,
- d'autre part, en mettant en exergue la connexité entre les procédures civiles et pénales opposant les parties, justifiant d'une précédente demande de sursis à statuer, la société A. a confirmé le caractère indemnitaire et par la même éventuel de sa créance, laquelle ne peut constituer le fondement de mesures conservatoires, en l'absence de décisions définitives intervenues devant les juridictions pénales,
- enfin, le caractère incertain de la créance de la société A. découle de sa nécessaire interprétation par le juge du fond, compte-tenu de l'absence de mise en demeure préalable par la société A., des circonstances entourant son licenciement et du caractère raisonnable des prix pratiqués.
Il invoque encore l'absence de créance personnelle de la société A. qui jouait un rôle de simple intermédiaire entre les propriétaires des navires auxquels les services de la société F. étaient fournis et les gestionnaires d'équipage à qui elle sous-traitait une partie de ses fonctions et l'absence corrélative de préjudice personnel, dès lors que les montants prétendument surfacturés à la société A. ont été systématiquement répercutés aux propriétaires des navires, dont elle percevait une rémunération et le remboursement de tous ses frais, conduisant à considérer que la société A. ne justifie pas de l'existence d'un intérêt ou d'une qualité pour agir à leur encontre.
De la même manière, il estime que dans la mesure où la société A. sollicitait l'avance de fonds de la part des propriétaires des navires préalablement à chaque paiement effectué à la société F., l'existence même d'une créance est remise en cause.
Il soutient encore, à supposer d'une part que la société A. prétende agir dans le cadre de ses obligations découlant du contrat de gestion le liant aux différents propriétaires et d'autre part que sa responsabilité ait été mise en cause par ses mandants, que la clause limitative de responsabilité prévue aux contrats les empêcheraient de réclamer à la société A. le remboursement des montants prétendument surfacturés par cette dernière.
Aux termes d'écritures déposées les 7 juin 2019, 17 décembre 2019 et 11 février 2020, la société A. a demandé à la Cour de :
À titre principal,
- dire et juger qu'elle a qualité pour agir,
- rejeter la pièce communiquée par l'appelant sous le n° 37, intitulée « Contrat-type de gestion de navire » daté du 1er août 2017,
- ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale actuellement pendante devant le juge d'instruction,
À titre subsidiaire,
- débouter c. Z. de son appel et de l'intégralité de ses demandes,
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé entreprise,
- condamner tout succombant aux entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, sur sa due affirmation.
Elle fait valoir en substance les éléments suivants :
Sur la qualité à agir :
Se fondant sur les dispositions de l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme transposée dans la jurisprudence interne, elle affirme que le principe de loyauté des preuves interdit la communication de pièces obtenues de manière illicite, comme l'a été le contrat de gestion de navire intervenu entre la société A. et la société BH (pièce adverse n° 37), document interne et confidentiel auquel c. Z. a eu accès à l'occasion de son contrat de travail, ce qui ne l'autorisait pas à le dupliquer à des fins personnelles, ni à l'utiliser pour assurer sa défense.
Elle ajoute que l'intéressé ne saurait valablement, tenant le principe de l'effet relatif des contrats tiré des dispositions de l'article 1020 du Code civil, tirer avantage des termes du contrat ainsi dérobé, auquel il n'est pas partie, pour tenter d'échapper au remboursement des sommes détournées au préjudice de son employeur.
Elle soutient avoir seule le pouvoir d'agir à l'encontre de c. Z. en l'absence de tout lien contractuel entre la société F. et les propriétaires des navires et être seule tenue d'assumer les conséquences de la fraude commise par l'appelant à l'encontre de ces derniers.
Elle avance également que les clauses limitatives de responsabilité dont c. Z. revendique le bénéfice sont sans effet, dès lors que le préjudice invoqué est lié à la commission d'infractions pénales.
Elle souligne enfin que les propriétaires des navires ayant acté dans leurs conclusions d'intervention volontaire son engagement de les rembourser à hauteur de la fraude commise, la mise en cause préalable de sa responsabilité au plan judiciaire n'est pas utile.
Sur la demande de sursis :
L'intimée, exposant qu'elle a initié des procédures civiles et pénales à Monaco et en Suisse, fait état du dépôt d'une plainte pénale entre les mains de Madame le Procureur général le 17 septembre 2018 pour des faits d'escroquerie, d'abus de confiance et de blanchiment, qui a donné lieu à l'ouverture d'une mesure d'information confiée à un juge d'instruction, lequel a été destinataire de réquisitions supplétives en suite de la plainte complémentaire formée par ses soins du chef de faux, usage de faux et escroquerie au jugement.
Elle souligne que le blocage pénal des avoirs de c. Z. non contesté par ce dernier, démontre que l'action publique a bien été mise en mouvement.
Elle précise avoir initié en Suisse une plainte pénale pour gestion déloyale, escroquerie et corruption privée et avoir obtenu une décision de séquestre le 30 août 2018, alors que l'examen du dossier confirme l'existence d'encaissements sur les comptes ouverts par Messieurs L. et Z. de sommes en provenance de la société F. et l'approvisionnement de leurs comptes monégasques depuis leurs comptes suisses constituant l'infraction de blanchiment.
Elle se prévaut ce faisant de la mise en mouvement de l'action publique et soutient que l'issue de la plainte a une incidence sur la présente procédure, tant en ce qui concerne la loyauté des débats qu'au regard du préjudice par elle subi, en rapport direct avec la commission des infractions.
Sur le fond :
Après avoir opéré la présentation factuelle des relations contractuelles de travail entre la société A. et c. Z. et entre la société A. et la société F., l'intimée a évoqué la perception par Messieurs L. et Z. de sommes extrêmement importantes, payées par F. (F.) sur leurs comptes ouverts en Suisse sous pseudonyme.
Elle se prévaut d'une jurisprudence récente admettant l'existence d'une créance en germe justifiant une saisie-arrêt, en dépit d'une procédure pénale en cours.
Elle souligne que l'absence de lettre portant mise en demeure ne saurait constituer un élément déterminant de l'autorisation judiciaire, laquelle mise en demeure aurait eu pour résultat immédiat un déplacement des fonds hors de portée des juridictions monégasques.
Elle affirme encore que la nature indemnitaire de la créance ne doit pas faire obstacle à son action et précise qu'elle dispose en tout état de cause d'une action oblique envers Messieurs L. et Z. dépourvue de tout examen des responsabilités, pour qu'ils lui remboursent directement la dette de la société F., les versements se trouvant dépourvus de cause.
Elle s'appuie sur les justificatifs versés aux débats pour soutenir qu'elle dispose d'éléments tangibles démontrant que ses salariés ont encaissé des sommes provenant de l'un de ses partenaires commerciaux essentiel à l'exploitation de son objet social, qui se trouvent confortés dans le cadre des investigations menées par le juge d'instruction.
Elle souligne la défense incohérente de Messieurs L. et Z. marquée par leurs versions évolutives quant à la nature juridique des versements intervenus (honoraires, dividendes, retours sur investissements...) et la réalité contestable de la convention de « joint-venture » dont ils font état.
Par conclusions déposées les 17 décembre 2019 et 11 février 2020, les sociétés BA., BB., BC., BD., BE., BF., BG., BH., BI., BJ., BK., BL., BM., BN., BO., BP., BQ., BR., BS., BT., CA., CB., CC., CD., CE., CF., CG., CH., CI., CJ., CK., CL., CM., CN., CO. et CP. qui ont régularisé avec la société A. un contrat de gestion de navires, considérant que leurs intérêts sont en cause, ont demandé à la Cour de les déclarer recevables en leur intervention volontaire, de débouter l'appelant de ses demandes, fins et conclusions et de constater qu'elles soutiennent les demandes de la société A., notamment en ce qui concerne le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale devant le juge d'instruction.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
À l'audience de mise en état du 11 février 2020 les parties ont été avisées de la fixation de l'affaire devant la Cour pour voir statuer sur la demande de sursis à statuer.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l'appel :
Attendu que l'appel respectant les règles de forme et de délai édictées par le Code de procédure civile doit être déclaré recevable ;
Sur la qualité pour agir de la société A. :
Attendu qu'aux termes de l'article 278-1 du Code de procédure civile, « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer la demande irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, une déchéance, une forclusion, la prescription ou la chose jugée » ;
Attendu qu'au cas présent l'appelant soutient que la recevabilité de la demande, en matière d'indisponibilité et de saisie-arrêt est subordonnée à la qualité de créancier du demandeur, dont ne dispose pas la société A. faute de démontrer un préjudice et une créance personnels, ne justifiant ni de sa qualité de propriétaire des navires, ni supporter le coût des frais de gestion ;
Qu'il en veut pour preuve son rôle de simple intermédiaire, soutenant que si la société A. confiait la gestion d'équipages à la société de droit philippin F., elle signait en parallèle avec chaque propriétaire de navire un contrat de gestion ;
Qu'il verse ainsi aux débats un contrat-type de gestion de navire conclu par la société A. le 1er août 2017 avec la société BH (pièce n° 37) ;
* sur le rejet de la pièce n° 37 :
Attendu que la société A. poursuit le rejet de cette pièce des débats, obtenue selon elle de manière déloyale, s'agissant d'un document interne confidentiel que c. Z. ne devrait pas avoir en sa possession ;
Qu'à cet égard, c. Z. considère être légitime à utiliser ce contrat auquel il avait accès dans le cadre de ses fonctions, pour assurer sa défense, sans que cette production ne viole les dispositions de l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme qui garantit un procès équitable, l'admissibilité des preuves demeurant régie par le droit national ;
Qu'à cet égard, l'appelant se prévaut d'une jurisprudence interne aux termes de laquelle le Tribunal du travail a pu reconnaître au salarié la possibilité de produire en justice des documents dont il a eu connaissance à l'occasion de ses fonctions et qui sont strictement nécessaires à la défense de ses intérêts dans le litige l'opposant à son employeur ;
Attendu qu'en premier lieu, l'intimée ne peut valablement soutenir que le principe ainsi dégagé n'est pas applicable au cas d'espèce, ne s'agissant pas d'un litige né de l'exécution d'un contrat de travail ;
Qu'en effet la nature du contentieux importe peu, seule l'appréciation des modalités d'obtention de la preuve présentant un caractère pertinent au titre de la loyauté des preuves dont le juge doit être le garant ;
Attendu en deuxième lieu que si le Code de procédure civile ne consacre pas le principe de loyauté des preuves, ce principe découle néanmoins de la notion de procès équitable édictée par l'article 6 §1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, exécutoire en Principauté de Monaco et doté d'une valeur supra-législative ;
Qu'à ce titre, l'appréciation de la loyauté des preuves suppose tout à la fois l'analyse de la nécessité alléguée des pièces litigieuses pour l'exercice des droits de la défense de la partie qui en fait état, et celle de la réalité et de la gravité d'une éventuelle déloyauté dans leur obtention ;
Qu'au cas présent, il n'est pas contesté que l'appelant se prévaut d'un document auquel il a eu accès à l'occasion de son contrat de travail ;
Que l'intimée affirme qu'il « s'agit d'informations à caractère économique strictement couvertes par le secret des affaires » ;
Que si la société A. ne se prévaut pas d'un secret des affaires légalement protégé, celui-ci peut néanmoins mériter de l'être selon les intérêts qu'il est censé préserver ;
Que les secrets des affaires correspondent à des informations dont la divulgation au public, mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l'information, peut gravement léser les intérêts de celui-ci, qui sont protégés lorsqu'ils ne sont connus que par un nombre limité de personnes et lorsque les intérêts susceptibles d'être lésés par la divulgation de l'information sont objectivement dignes de protection ;
Qu'en l'espèce, la Cour observe que le contrat de gestion de navire litigieux a été souscrit entre la société A. et la société BH, soit entre l'intimée et l'une des parties, intervenante volontaire ;
Que c. Z. présente cette pièce en page 23 de ses écritures déposées le 5 février 2020 comme dans ses bordereaux de communication de pièces, comme étant un « contrat-type de gestion de navire », appellation confirmée par la société A. dans le dispositif de ses propres conclusions en date du 11 février 2020 ;
Que la société A. n'explicite pas en quoi cette production d'un contrat-type serait de nature à porter atteinte à ses intérêts ni à sa sécurité économique et ne démontre pas que cette pièce aurait été obtenue de manière illicite ;
Qu'il ne peut être contesté à c. Z. que la pièce dont s'agit lui permet de mettre en lumière la qualité juridique réelle de la société A. à l'égard des navires au profit desquels ont été conclus des contrats de gestion d'équipage avec la société F. ;
Qu'il s'ensuit qu'elle est strictement nécessaire à la défense de ses intérêts dans le litige l'opposant à son ancien employeur ;
Qu'il n'y a donc pas lieu au rejet de cette pièce ;
* sur la qualité pour agir de la société A. :
Attendu que la Cour observe en premier lieu que le défaut de la qualité de créancier imputé par l'appelant à la société A. ne constitue en aucun cas une condition de recevabilité de son action, mais de son succès ;
Attendu en second lieu que l'examen conjugué du contrat-type de gestion de navire conclu par la société A. le 1er août 2017 avec la société BH (pièce n° 37) et de l'accord de gestion standard d'équipage conclu le 2 août 2017 entre la SAM A. et F. (F.), constituant la pièce n° 5 produite par l'intimée, révèle que la SAM A. :
- s'est vu confier par les propriétaires de navires, à titre de mandataire, la gestion de l'équipage et la gestion technique, pour et au nom des propriétaires,
- a elle-même sous-traité à la société F. la gestion des équipages des navires dont elle assurait la gestion ;
Que son statut de mandataire est conforme à son objet social dédié à titre principal à « la gestion et la location de tous navires marchands ; l'administration, le management, l'organisation, la représentation et l'exploitation de toutes opérations maritimes pour le compte de tiers et des sociétés du groupe » ;
Que certes, la SAM A. apparaît dans la case 2 de l'accord de gestion standard d'équipage conclu avec la société F. sous le vocable « propriétaires » ;
Que sa qualité réelle de mandataire ne la prive pas pour autant de la qualité pour agir, au nom et pour le compte de ses mandants auxquels elle doit en tout état de cause rendre des comptes ;
Que d'ailleurs, aux termes de l'article 10 de ce contrat, « les gérants n'auront pas la possibilité de sous-traiter leurs obligations en vertu des présentes, y compris celles mentionnées à la clause 3. A.1, sauf à la société F. qui effectue la fourniture et la gestion de l'équipage du navire, sans le consentement écrit des propriétaires, ce consentement ne devant pas être refusé sans motif valable. Dans le cas d'un tel contrat de sous-traitance, les gérants restent entièrement responsables de la bonne exécution de leurs obligations au titre du présent contrat » ;
Que la SAM A. en déduit à juste titre qu'elle demeure pleinement responsable envers les propriétaires des navires, notamment des dépenses exigibles liées aux équipages ;
Que par ailleurs, en vertu de l'effet relatif des contrats édicté par l'article 1020 du Code civil, l'appelant ne peut valablement se prévaloir des clauses limitatives de responsabilité prévues au contrat auquel il n'est pas partie, lesquelles, en vertu du droit anglais applicable au contrat seraient en tout état de cause inopérantes s'agissant d'un préjudice possiblement consécutif au comportement frauduleux d'anciens employés de la société A. ;
Que ce faisant, la SAM A., mandataire qui a pris l'engagement de rembourser l'intégralité des sommes qui auraient été détournées au préjudice de ses mandants, propriétaires des navires, justifie de sa qualité pour agir dans le cadre de la présente procédure ;
Sur la recevabilité des interventions volontaires :
Attendu que c. Z. soutient l'irrecevabilité des interventions volontaires, qu'il analyse comme constituant une tentative de régularisation déloyale de la procédure, du fait du défaut principal de qualité pour agir de la société A. ;
Que pour autant que la qualité pour agir de la société A. vient d'être consacrée, pour les motifs ci-dessus exposés ;
Attendu pour le surplus que l'article 383 du Code de procédure civile dispose que « quiconque aura intérêt dans une instance suivie entre d'autres personnes aura le droit d'y intervenir » ;
Que pareille disposition a vocation à s'appliquer dans le cas où l'instance se poursuit entre les parties principales et où le tiers intervenant à intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir l'une des parties ;
Que tel est précisément le cas en l'espèce, les multiples sociétés, contractantes de la société A. dans le cadre d'un contrat de gestion de navires dont elles sont propriétaires, ayant intérêt à soutenir les demandes de la société A., dès lors que celle-ci, si elle disposait de la faculté de sous-traiter la gestion des équipages à la société F., n'en demeure pas moins responsable à leur endroit de la bonne exécution des obligations figurant dans ces contrats, au titre desquels elle les a informées de la découverte d'un vaste système de fraude mis en place par Messieurs P. L. et Z. dans le cadre de la sous-traitance à laquelle elle a eu recours ;
Que les sociétés intervenantes ont chiffré les sommes détournées dans le cadre des contrats de gestion des équipages pour chacun de leurs navires et acté dans leurs écritures l'engagement pris par la société A. de leur rembourser l'intégralité des sommes détournées, alors que les clauses limitatives de responsabilité ne pourraient trouver application si les détournements, découlant d'infractions pénales commises par deux anciens employés de la société A., se trouvaient confirmés ;
Qu'elles présentent ce faisant un intérêt évident à soutenir la société A. dans sa volonté de voir confirmer l'ordonnance présidentielle du 7 septembre 2018, autorisant la saisie-arrêt des comptes bancaires de l'appelant, pour sécuriser les fonds qui pourront servir à leur remboursement et empêcher leur possible disparition ;
Qu'en l'état de ces éléments, l'intervention volontaire des sociétés concernées sera déclarée recevable ;
Sur le sursis à statuer :
Attendu que l'article 3 du Code de procédure pénale dispose que l'exercice de l'action civile poursuivie séparément de l'action publique est suspendu tant qu'il n'a pas été statué définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile ;
Que la règle, « le criminel tient le civil en l'état » ne s'impose cependant que lorsque la juridiction civile est saisie de la même question que la juridiction pénale ;
Attendu qu'en l'espèce, il ressort des pièces produites aux débats par la SAM A. qu'indépendamment des poursuites pénales engagées devant les autorités suisses, celle-ci a déposé plainte en Principauté de Monaco entre les mains de Monsieur le Procureur général, par courrier de son conseil daté du 17 septembre 2018, notamment à l'encontre de c. Z. pour des faits d'escroquerie, d'abus de confiance, de faux et d'usage de faux, laquelle a donné lieu à l'ouverture d'une information du chef des faits dénoncés, confiée à un juge d'instruction par ordonnance présidentielle rendue le 1er octobre 2018 ;
Que le conseil de l'intimée a ensuite présenté une demande d'actes au juge d'instruction suivant courrier du 19 décembre 2018 ;
Que la SAM A., sans être contredite sur ce point par l'appelant, affirme s'être constituée partie civile devant le juge d'instruction ;
Que certes, les réquisitions aux fins d'informer prises le 27 septembre 2018 par Monsieur le Procureur général sont dirigées contre X ;
Que l'information suivie n'a pas conduit à ce jour à l'inculpation de c. Z. ainsi que le fait valoir celui-ci sans que la société A. n'élève de contestation sur ce point ;
Que c. Z. conteste par ailleurs avec force les faits qui lui sont reprochés, fournissant diverses explications aux virements opérés à son profit par la société F. ;
Que pour autant, si la pièce n° 52 versée aux débats par la SAM A. ne correspond pas à l'arrêt rendu le 27 juin 2019 par la Chambre du conseil de la Cour d'appel mais à l'ordonnance de référé rétractation du 27 mars 2019, la référence qui y est faite en page 17 des dernières écritures de la SAM A., dont le contenu n'est pas contesté par l'appelant, enseigne que l'arrêt en cause a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction portant rejet de la demande de main levée du blocage des comptes de c. Z. démontrant par la même l'implication de celui-ci dans les faits en cause ;
Qu'il ne peut ce faisant être raisonnablement contesté que l'action publique a bien été mise en mouvement à Monaco, indépendamment de toute autre procédure pénale engagée à l'étranger et que l'information judiciaire se poursuit en présence de c. Z. visé dans la plainte initiale, au sujet des détournements allégués ;
Que par ailleurs, l'arrêt vanté par l'appelant, ancien pour dater du 1er décembre 1969, et isolé est inopérant pour se prononcer sur le sursis obligatoire institué par l'article 3 du Code de procédure pénale précité ;
Que pour le surplus, la demande de la SAM A. présidant à l'autorisation critiquée est fondée sur les détournements imputés notamment à c. Z. et l'action civile suivie vise précisément à obtenir le remboursement des sommes qui auraient été indument versées, à son détriment, par la société F. à son ancien salarié ;
Que la société A., sans préciser expressément le fondement textuel de son action, mentionne dans ses écritures rechercher la responsabilité délictuelle des auteurs présumés des agissements susvisés et évoque une créance « indemnitaire » à son profit quand bien même elle n'exclut pas, à titre subsidiaire, la possibilité d'agir dans le cadre d'une action oblique contre ses anciens salariés pour les voir lui rembourser la dette de la société F. à son endroit ;
Que la Cour relève néanmoins que les développements factuels figurant dans la requête initiale sont strictement identiques à la relation des faits portés à la connaissance du Ministère public dans le cadre de la plainte déposée ;
Qu'il s'évince clairement de ces éléments que l'action en responsabilité délictuelle suivie est fondée sur les mêmes faits que ceux servant de base à l'action pénale dans laquelle c. Z. se trouve mis en cause et poursuit la même demande, s'agissant d'obtenir l'indemnisation correspondant au produit de possibles infractions pénales commises par un ancien salarié au préjudice de son employeur ;
Que la juridiction civile et la juridiction pénale se trouvant à l'évidence saisies des mêmes faits et de demandes similaires, le sursis à statuer s'impose ;
Il y a donc lieu de faire droit à la demande présentée en ce sens par la SAM A. ;
Que les dépens seront réservés en fin de cause ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement, par mesure d'administration judiciaire,
Déclare recevable l'appel interjeté par c. Z. à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue le 27 mars 2019,
Déboute c. Z. de sa demande de rejet de la pièce n° 37 communiquée par la société A.,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la société A. opposée par c. Z.
Dit que la SAM A. a qualité pour agir à l'encontre de c. Z. dans le cadre de la présente instance,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir des sociétés intervenantes volontaires, opposée par c. Z.
Donne acte aux sociétés BA., BB., BC., BD., BE., BF., BG., BH., BI., BJ., BK., BL., BM., BN., BO., BP., BQ., BR., BS., BT., CA., CB., CC., CD., CE., CF., CG., CH., CI., CJ., CK., CL., CM., CN., CO., et CP. de leur interventions volontaires et les déclare recevables,
Ordonne le sursis à statuer jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur l'action publique faisant l'objet de l'information JI Cab I n°18/16 - PG n°2018/0489,
Dit que l'affaire est provisoirement retirée du rôle de la Cour et y sera rétablie par voie de conclusions à leur diligence avant l'expiration du délai d'un an à compter du prononcé de l'arrêt en application des dispositions de l'article 405 du Code de procédure civile,
Réserve les dépens en fin de cause,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, Madame Claire GHERA, Conseiller, assistés de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 26 MAI 2020, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef Adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.