Cour d'appel, 26 mai 2020, SCI V. c/ État de Monaco

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Impôts et taxes - Droits d'enregistrement et d'hypothèque - Cession de créance - Irrégularité du droit proportionnel d'enregistrement de 1 % perçu par la Direction des services fiscaux de la Principauté - Condamnation de l'État à restituer la somme indûment perçue (oui) - Condamnation de l'État à des dommages-intérêts (non)

Résumé🔗

Il s'évince des dispositions de l'article 2 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 que les actes assujettis à un droit proportionnel doivent être expressément visés par la loi.

Il résulte des conclusions des parties que celles-ci, conformément à l'analyse faite par les premiers juges, s'accordent pour considérer que l'acte du 4 décembre 2015 a opéré une cession de la créance détenue par la HSBC PRIVATE BANK à l'encontre de la SCI V. au profit de la BARCLAYS BANK PLC, ce, sans novation ni modification du prêt d'origine.

Il convient donc de vérifier si les cessions de créance sont soumises par la loi n° 580 du 29 juillet 1953 ou par un autre texte à un droit proportionnel. Si initialement la loi n° 580 du 29 juillet 1953, en son article 9-16°, visait les cessions de créance comme étant assujetties au droit proportionnel, ces dispositions ont cependant été abrogées par l'article 29 de la loi n° 1.285 du 15 juillet 2004 qui a supprimé, au chiffre 16 de l'article 9 de ladite loi n° 580, la taxation au droit proportionnel de 1% des transports, cessions et délégations de créances à terme.

Les premiers juges, ayant justement analysé l'acte du 4 décembre 2015 comme ayant opéré une cession de créance, ne pouvaient valablement considérer, à la faveur d'une lecture erronée des dispositions de l'article 9-16 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 modifié par la loi n° 1.285, que cet acte pouvait être assujetti à un droit proportionnel de 1% au titre de la valeur de l'obligation dans le contrat au motif que « l'article 11 9° et 16° (sic) définit des catégories d'actes assujettis qui comprennent nécessairement les cessions de créances ».

L'État de Monaco ne peut valablement soutenir que les dispositions de l'article 9-11° de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 prévalent sur celles de l'article 11 de l'ordonnance du 29 avril 1828 qui auraient été implicitement abrogées. En conséquence, l'acte du 4 décembre 2015 et la quittance qu'il contient doivent être examinés en considération des dispositions de l'article 11 de l'ordonnance de 1828.

En application des dispositions de l'article 11 précité de l'ordonnance du 29 avril 1828, cette quittance ne pouvait être assujettie à un droit proportionnel d'enregistrement de 1%. La loi n° 1.285 du 15 juillet 2004 ayant supprimé de la liste des actes relevant du droit proportionnel les cessions de créances, l'acte du 4 décembre 2015 était en application de l'article 2 de la loi n° 580 précité soumis à un droit fixe de 10 euros pour la cession de créance et la conversion de grosse nominative en grosse à ordre.

Selon l'article 1008 du Code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal et ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, excepté dans les cas où la loi les fait courir de plein droit. La SCI V. a saisi le Tribunal Suprême par requête du 9 février 2016, au contradictoire de l'État de Monaco, d'une demande d'annulation de la décision de Monsieur le Directeur des services fiscaux et d'une demande de condamnation de l'État de Monaco à lui payer la somme de 120.000 euros. Il s'ensuit que les intérêts moratoires réclamés par la SCI V. sont dus à compter de la requête présentée devant le Tribunal Suprême le 9 février 2016 au contradictoire de l'État de Monaco, valant sommation de payer au sens de l'article 1008 du Code civil.

La SCI V. ne caractérise pas un préjudice distinct du retard de paiement indemnisé par les intérêts moratoires de la somme due.

Elle n'allègue pas d'une faute de l'État monégasque susceptible d'ouvrir droit à des dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1229 du Code civil.

La décision déférée doit être confirmée en ce qu'elle a débouté la SCI V. de sa demande de dommages-intérêts.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 26 MAI 2020

En la cause de :

- La SCI V., société civile immatriculée au Répertoire Spécial des Sociétés Civiles de la Principauté de Monaco sous le n° 09 SC 14072, dont le siège social est situé X1 à Monaco, représentée par son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat en cette même Cour ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- L'ÉTAT DE MONACO, représenté conformément à l'article 153-1° du Code de procédure civile par Monsieur le Ministre d'État, demeurant Palais du Gouvernement, Place de la Visitation à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

  • Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 10 janvier 2019 (R. 2117) ;

  • Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 9 avril 2019 (enrôlé sous le numéro 2019/000100) ;

  • Vu les conclusions déposées les 19 juillet 2019 et 12 novembre 2019 par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de l'ÉTAT DE MONACO ;

  • Vu les conclusions déposées les 27 septembre 2019 et 10 janvier 2020 par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SCI V. ;

À l'audience du 10 mars 2020, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la SCI V. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 10 janvier 2019.

Considérant les faits suivants :

Par acte authentique reçu le 13 décembre 2010 par Maître AUREGLIA-CARUSO, notaire, la SAM HSBC PRIVATE BANK (Monaco) a consenti à la SCI V. un prêt d'un montant de 12.000.000 euros, garanti par une hypothèque conventionnelle.

Cet acte a été enregistré à Monaco le 14 décembre 2010, Folio 38R, Case 2, et assujetti à un droit d'enregistrement par les Services fiscaux de la Principauté au taux de 1%, liquidé sur le montant en principal du prêt, soit la somme de 120.000 euros que la SCI V. a réglée.

Une inscription d'hypothèque conventionnelle en premier rang et sans concours, à hauteur de 12.000.000 euros a été prise au Bureau des Hypothèques le 16 décembre 2010 (volume 204, numéro 9) sur les biens immobiliers appartenant à la SCI V.

Il a été délivré à la SAM HSBC PRIVATE BANK (Monaco) une grosse nominative unique.

Suivant acte notarié passé en l'Étude de Maître AUREGLIA-CARUSO le 4 décembre 2015, soumis à la formalité de l'enregistrement le 10 décembre 2015, Folio 6R, Case 1, la BARCLAYS BANK PLC s'est substituée à la SAM HSBC PRIVATE BANK (Monaco) dans le prêt susvisé.

Pour assurer à la BARCLAYS BANK PLC les mêmes garanties qu'à l'établissement prêteur initial il a été procédé suivant cet acte :

  • à la conversion de la grosse nominative de l'acte du 13 décembre 2010 en grosse à ordre, afin de permettre sa transmission par endos,

  • à la cession de créance dont bénéficiait la HSBC à l'égard de la SCI V. d'un montant principal de 12.000.000 euros au profit de la BARCLAYS BANK PLC.

Si le notaire instrumentaire a considéré au titre de l'enregistrement que cet acte était assujetti au droit fixe de 10 euros, la Direction des Services fiscaux a taxé celui-ci au droit proportionnel à hauteur de 1%, soit 120.000 euros, payés par la comptabilité du notaire, par prélèvement du 10 décembre 2015 sur le compte de celui-ci.

Contestant l'assujettissement de cette opération au droit proportionnel et après discussion infructueuse avec la Direction des services fiscaux, la SCI V. a exercé le 30 décembre 2015 un recours gracieux qui a été rejeté le 7 janvier 2016.

Elle a alors introduit devant le Tribunal Suprême par voie de requête du 9 février 2016 un recours en annulation des décisions prises les 10 décembre 2015 et 7 janvier 2016 par la Direction des services fiscaux.

Par décision du 14 février 2017, le Tribunal Suprême a rejeté le recours comme non recevable et renvoyé la SCI V. à mieux se pourvoir devant le juge de l'impôt.

Par acte d'huissier délivré le 10 avril 2017, la SCI V. a fait assigner l'État de Monaco, afin d'obtenir l'annulation de la décision du 10 décembre 2015 de la Direction des services fiscaux de taxer au taux de 1% l'enregistrement de l'acte authentique du 4 décembre 2015, l'annulation de la décision du Directeur des services fiscaux du 7 janvier 2016 rejetant le recours gracieux contre cette première décision et la condamnation de l'État de Monaco à lui restituer la somme de 120.000 euros.

Suivant jugement du 10 janvier 2019 le Tribunal de première instance s'est déclaré compétent à raison de la matière, et a débouté la SCI V.de l'ensemble de ses demandes, débouté l'État de Monaco de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts et condamné la SCI V. aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Pour statuer ainsi les premiers juges ont retenu essentiellement que :

  • l'acte litigieux du 4 décembre 2015 constituait une cession de créance que la HSBC détenait à l'encontre de la SCI V. en sa qualité de prêteur d'une somme de 12.000.000 euros, au profit de la BARCLAYS BANK PLC qui en est le cessionnaire moyennant le prix de 12.000.000 euros dont cette dernière lui a donné expressément quittance ;

  • les autres opérations, savoir la conversion de la grosse nominative en grosse à ordre et la quittance du prix de cession sont conséquentes à cette cession de créance ;

  • en application des dispositions de l'article 4 de l'Ordonnance du 29 avril 1828, la cession de créance entre dans le champ des actes susceptibles d'être soumis au droit proportionnel ;

  • si à l'occasion de la modification de la loi n° 580 du 29 juillet 1953, la loi n° 1.285 du 15 juillet 2004 a supprimé de la liste des actes assujettis l'expression « cession de créance », il n'en demeure pas moins que cette même loi n° 1.285 dans ses articles 11-9° (sic) et 16° définit des catégories d'actes assujettis qui comprennent nécessairement les cessions de créances, en sorte que l'État de Monaco disposait d'une double option pour l'enregistrement : celle de taxer la quittance, ou celle de taxer la valeur de l'obligation dans le contrat ;

  • l'État de Monaco a retenu la présence à l'acte d'une quittance d'un montant de 12.000.000 euros, au titre du prix de la cession de créance ;

  • contrairement à ce que soutient la SCI V. la notion de quittance visée à l'article 11-9° se réfère à toute quittance et n'est pas limitée à la matière des rentes ou des redevances.

Par exploit d'appel et d'assignation délivré le 9 avril 2019 la SCI V. a fait appel du jugement rendu par le Tribunal de première instance le 10 janvier 2019 et signifié le 11 mars 2019.

La SCI V., aux termes de cet exploit et des conclusions récapitulatives et responsives n° 2 déposées le 10 janvier 2020, demande à la Cour de :

  • l'accueillir en son appel et l'y déclarer bien fondée,

  • confirmer le jugement du 10 janvier 2019 uniquement en ce qu'il a déclaré la compétence du Tribunal de première instance et débouté l'État de Monaco de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

Pour le surplus,

  • réformer le jugement du 10 janvier 2019 en toutes ses dispositions,

  • dire et juger illégale la taxation au taux de 1% de l'acte du 4 décembre 2015 soumis à la formalité de l'enregistrement le 10 décembre 2015,

  • dire et juger nulle la décision de l'État de Monaco du 7 janvier 2016 de rejet du recours gracieux initié par elle,

  • condamner l'État de Monaco à lui restituer la somme de 120.000 euros en principal, hors intérêt, au titre du droit indûment perçu,

  • condamner l'État de Monaco à lui payer un intérêt de retard au taux mensuel de 0,4% (soit au taux annuel de 4,8%) sur la somme de 120.000 euros,

  • condamner l'État de Monaco à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts,

  • débouter l'État de Monaco de toutes demandes, fins et conclusions,

  • condamner l'État de Monaco aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

La SCI V. au soutien de ses demandes fait valoir en substance que :

  • ni la cession de créance, ni la quittance, accessoire à l'acte du 4 décembre 2015, ne sont expressément mentionnées dans la loi n° 580 du 29 juillet 1953 comme étant soumises à un droit proportionnel, en sorte qu'en application de l'article 2 de cette loi c'est un droit fixe et unique de dix euros qui devrait s'appliquer ;

  • l'acte de substitution de prêteurs du 4 décembre 2015, justement qualifié par le Tribunal de première instance de cession de créance, n'est pas taxable en tant que tel au taux de 1 % lors de l'enregistrement, le Tribunal de première instance ayant fait une lecture erronée de l'article 9,16° de la loi n° 580 du 29 juillet 1953, modifiée par la loi n° 1.285 du 15 juillet 2004 ;

  • l'article 29 de la loi n° 1.285 précitée a supprimé au chiffre 16° de l'article 9 de la loi n° 580 la taxation au droit proportionnel de 1 % des transports, cessions et délégations de créances à terme ;

  • la quittance, accessoire de l'acte de cession de créance du 4 décembre 2015, n'est pas non plus taxable au taux de 1% lors de l'enregistrement, dès lors qu'il résulte de la lecture de l'article 9,11° de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 que la seule présence du terme « quittance » dans un acte n'entraîne pas de droit l'application d'un droit d'enregistrement de 1 %, dès lors qu'aucune rente ni redevance de toute nature n'est visée à l'acte ;

  • en application de l'article 11 de l'ordonnance du 29 avril 1828, qui n'a pas été abrogé comme ne contenant aucune disposition contraire à celles de la loi n° 580 du 29 juillet 1953, la mention de quittance, accessoire de l'acte, ne pouvait légalement donner lieu à l'assujettissement de l'acte litigieux à un droit d'enregistrement de 1 % ;

  • conformément à l'article 2 de la loi n° 580, le seul droit applicable était un droit fixe de 10 euros qu'elle ne conteste pas devoir payer au titre de l'enregistrement de l'acte constatant conversion de grosse nominative en grosse à ordre et cession de créance ;

  • en l'absence avérée de dispositions indépendantes donnant ouverture, les unes au droit proportionnel, les autres à un droit fixe, il n'y a pas lieu d'appliquer les dispositions de l'article 21 de la loi n°580 dont se prévaut l'État de Monaco ;

  • l'acquittement par le notaire, sur injonction du service de l'enregistrement, du droit proportionnel de 1 %, ne signifie pas que ce droit soit effectivement dû ;

  • la privation du montant des droits indûment perçus lui a causé un préjudice ainsi que le fait d'avoir dû engager des frais pour faire valoir ses droits, ce qui justifie l'octroi de dommages-intérêts.

L'ÉTAT DE MONACO suivant conclusions n° 2 récapitulatives et en réponse déposées le 12 novembre 2019 demande à la Cour de :

  • débouter la SCI V. de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,

  • confirmer le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 10 janvier 2019,

  • réformer ledit jugement uniquement en ce qu'il l'a débouté de sa demande en paiement d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts et, statuant à nouveau, condamner la SCI V. au paiement de la dite somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts,

  • condamner la SCI V. aux entiers dépens tant de première instance que d'appel en ce compris tous frais et accessoires, tels que frais d'huissier etc.., dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Au soutien de ces demandes, l'État de Monaco fait valoir principalement que :

  • en application de l'article 30 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953, les dispositions de l'article 9-11° de la loi n° 580 prévalent celles de l'article 11 de l'ordonnance du 29 avril 1828 que cette loi a abrogées implicitement ;

  • il est faux de prétendre comme le fait la SCI V. que la loi n° 580 ne porterait « que sur les quittances de rentes ou redevances de toute nature », dès lors que l'article 9-11 de la loi n° 580 indique « les quittances, remboursements ou rachats de rente ou redevances de toute nature », ce qui démontre qu'il n'y a pas dans le texte de loi la préposition « de » après « quittances », mais une virgule ;

  • contrairement à ce que soutient la SCI V. l'acte de cession de créance du 4 décembre 2015 comporte bien des dispositions indépendantes donnant ouverture à la perception d'un droit fixe de 10 euros pour la cession de créance et la conversion de grosse nominative en grosse à ordre, et à celle d'un droit proportionnel de 1 %, pour la quittance, conformément aux dispositions de l'article 21 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 ;

  • l'État de Monaco qui disposait d'une double option pour l'enregistrement, savoir taxer la quittance ou la valeur de l'obligation dans le contrat a choisi de retenir la présence à l'acte d'une quittance d'un montant de 12.000.000 euros au titre de la cession de créance ;

  • il est fondé en sa demande de dommages-intérêts sur le fondement des articles 234 du Code de procédure civile et 1229 du Code civil.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

1. - Attendu que les appels principal et incident régulièrement formés à l'encontre du jugement du 10 janvier 2019 doivent être déclarés recevables ;

2. - Attendu que la disposition de ce jugement relative à la déclaration de compétence à raison de la matière ne fait l'objet d'aucune critique des parties et doit par conséquent être confirmée ;

3. - Attendu que suivant les dispositions de l'article 2 de l'ordonnance du 29 avril 1828 sur l'enregistrement, le timbre, les droits de greffe et les hypothèques, « les droits d'enregistrement sont fixes ou proportionnels, suivant la nature des actes et mutations qui y sont assujettis » ;

Que l'article 2 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 portant aménagement des droits d'enregistrement et d'hypothèques énonce que « Tous les actes qui ne sont pas soumis aux droits proportionnels visés par la présente loi ou par un autre texte sont soumis à un droit unique et fixe de dix euros, à l'exception des actes expressément exonérés par la loi. » ;

Attendu qu'en l'occurrence la SCI V. reproche aux premiers juges d'avoir rejeté sa contestation relative à l'application par la Direction des services fiscaux d'un droit d'enregistrement proportionnel de 1 % à l'acte du 4 décembre 2015 par lequel la BARCLAYS BANK s'est substituée à la HSBC PRIVATE BANK (Monaco) dans le prêt de 12.000.000 euros que celle-ci lui avait accordé par acte du 13 décembre 2010 et pour lequel elle avait déjà été taxée à hauteur de 1 %, soit à la somme de 120.000 euros ;

Qu'il s'évince des dispositions précitées de l'article 2 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 que les actes assujettis à un droit proportionnel doivent être expressément visés par la loi ;

Qu'il résulte des conclusions des parties que celles-ci, conformément à l'analyse faite par les premiers juges, s'accordent pour considérer que l'acte du 4 décembre 2015 a opéré une cession de la créance détenue par la HSBC PRIVATE BANK à l'encontre de la SCI V. au profit de la BARCLAYS BANK PLC, ce, sans novation ni modification du prêt d'origine ;

Qu'il convient donc de vérifier si les cessions de créance sont soumises par la loi n° 580 du 29 juillet 1953 ou par un autre texte à un droit proportionnel ;

Que si initialement la loi n° 580 du 29 juillet 1953, en son article 9-16°, visait les cessions de créance comme étant assujetties au droit proportionnel, ces dispositions ont cependant été abrogées par l'article 29 de la loi n° 1.285 du 15 juillet 2004 qui a supprimé, au chiffre 16 de l'article 9 de ladite loi n° 580, la taxation au droit proportionnel de 1% des transports, cessions et délégations de créances à terme ;

Que cette analyse est également partagée par la Direction des services fiscaux ainsi que cela résulte des termes du courrier du 7 janvier 2016 du Directeur des services fiscaux en réponse à la demande de restitution de la somme de 120.000 euros faite par la SCI V. qui « confirme que la loi n° 1.285 du 15 juillet 2004, venant modifier la loi n° 580 du 29 juillet 1953, a supprimé de la liste des actes relevant du droit proportionnel les cessions de créances (art. 9-16°) » ;

Que l'État de Monaco admet que l'acte de cession de créance n'ouvre pas droit à la perception d'un droit proportionnel puisqu'il indique dans ses conclusions du 12 novembre 2019 (page 13) que « l'acte de cession de créance du 4 décembre 2015 comporte bien des dispositions indépendantes donnant ouverture à la perception d'un droit fixe de 10 euros pour la cession de créance et la conversion de grosse nominative en grosse à ordre, et à celle d'un droit proportionnel de 1 % pour la quittance (...)  » ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les premiers juges, ayant justement analysé l'acte du 4 décembre 2015 comme ayant opéré une cession de créance, ne pouvaient valablement considérer, à la faveur d'une lecture erronée des dispositions de l'article 9-16 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 modifié par la loi n° 1.285, que cet acte pouvait être assujetti à un droit proportionnel de 1% au titre de la valeur de l'obligation dans le contrat au motif que « l'article 11 9° et 16° (sic) définit des catégories d'actes assujettis qui comprennent nécessairement les cessions de créances » ;

Attendu que la taxation litigieuse a été opérée en considération de la quittance contenue dans l'acte du 4 décembre 2015, le Directeur des services fiscaux précisant dans le courrier précité du 7 janvier 2016, c'est sur une exacte application de l'article 9 de la loi n° 580 du 29 juillet 1953, modifiée que [la] Direction a procédé à l'enregistrement d'un acte contenant clairement indication que les parties se sont donnés mutuellement quittance du paiement du prix de cession fixé à 12.000.000 euros qui a donné lieu à perception du droit proportionnel au taux de 1 % ;

Que selon les dispositions de l'article 9-11° de la loi n°580 du 29 juillet 1953 sont taxables au droit proportionnel de 1 % :

« les quittances, remboursements ou rachats de rentes ou redevances de toute nature ; les retraits exercés en vertu de réméré par actes publics, dans les délais stipulés, pourvu qu'ils n'excèdent pas cinq années, ou faits sous signature privée avant la promulgation de la présente loi, lorsque la somme remboursée n'excède pas cent cinquante francs et présentés à l'enregistrement avant l'expiration de ces délais, et tous autres actes et écrits portant libération de sommes et valeurs mobilières, lorsque la libération n'est pas le résultat d'un abandon de biens meubles ou immeubles, non enregistrés. » ;

Attendu que s'agissant de l'assujettissement des quittances au droit d'enregistrement il convient de rappeler les dispositions de l'article 11 de l'ordonnance du 29 avril 1828 selon lesquelles « Dans le cas de transmission de biens, la quittance donnée ou l'obligation consentie par le même acte, pour tout ou partie du prix entre les contractants, ne peut être sujette à un droit particulier d'enregistrement.  » ;

Que l'État de Monaco écarte ces dernières dispositions de l'ordonnance de 1828 aux motifs qu'elles auraient été implicitement abrogées par la loi postérieure n° 580 du 29 juillet 1953 qui dispose en son article 30 que « toutes dispositions contraires à la présente loi sont et demeurent abrogées » ;

Qu'il résulte de l'article 4 de l'ordonnance du 29 avril 1828 que le droit proportionnel est établi pour les obligations, libérations et pour les transmissions de propriété, d'usufruit ou de jouissance de biens meubles et immeubles, soit entre vifs, soit par décès, sauf les exceptions établies par la présente ;

Qu'en application de l'article 11 de cette même ordonnance, dans le cas d'une transmission de bien, le législateur a entendu préciser que la quittance donnée par le même acte pour tout ou partie du prix entre les contractants ne pouvait être sujette à un droit particulier d'enregistrement ;

Que ces dispositions ont pour effet d'éviter une double taxation : celle sur la transmission du bien et celle sur la quittance de la somme formant le prix de la transmission ;

Que selon l'article 4 de l'ordonnance modifiée par la loi n° 1.285 du 15 juillet 2004, la loi n° 580 du 29 juillet 1953 portant aménagement des droits d'enregistrement et d'hypothèques, a eu pour objet notamment de fixer les quotités du droit proportionnel ;

Que l'article 2 de cette loi n° 580, énonce que tous les actes qui ne sont pas soumis aux droits proportionnels visés par la présente loi ou par un autre texte sont soumis à un droit unique et fixe de 10 euros, à l'exception des actes expressément exonérés par la loi ;

Que les dispositions de l'article 9-11° de cette loi qui au chapitre « Droits d'enregistrement » listent parmi les actes et mutations soumis au droit proportionnel de 1 % « les quittances, remboursements ou rachats de rentes ou redevances de toute nature » n'apparaissent pas contraires à la volonté du législateur exprimée antérieurement de ne soumettre à aucun droit particulier d'enregistrement la quittance spécifique désignée à l'article 11 de l'ordonnance de 1828 ;

Que la syntaxe et la ponctuation utilisées dans la phrase « les quittances, remboursements ou rachats de rentes ou redevances de toute nature ; les retraits exercés en vertu de réméré par actes publics... » ne permettent pas de conclure comme le soutient l'État de Monaco que la taxation concerne les quittances de toute nature, mais laissent plutôt entendre que sont seulement visées « les quittances de rentes ou redevances de toute nature » ;

Qu'en tout état de cause, à supposer que le législateur de 1953 en fixant les quotités du droit proportionnel ait entendu soumettre toutes les quittances à la taxation d'un droit proportionnel, il est surprenant que la loi postérieure n° 1.285 du 15 juillet 2004 ait expressément supprimé la taxation des cessions de créance (article 9-16°) tout en laissant perdurer la taxation de la quittance du prix de cession (article 9-11°) ;

Qu'enfin il convient d'observer que la loi n° 1.285 du 15 juillet 2004 a été présentée lors de l'exposé des motifs du projet de loi comme l'aboutissement d'un « toilettage » de la législation relative à l'enregistrement issue de l'ordonnance du 29 avril 1828 et des lois modificatives ultérieures ;

Que cette loi du 15 juillet 2004 a abrogé purement et simplement plusieurs articles de l'ordonnance du 29 avril 1828, dont notamment l'article 12, mais a laissé intactes les dispositions de l'article 11 de ladite ordonnance, ni trouvant manifestement aucune contrariété avec d'autres dispositions ;

Qu'en considération de l'ensemble de ces éléments, l'État de Monaco ne peut valablement soutenir que les dispositions de l'article 9-11° de la loi n° 580 du 29 juillet 1953 prévalent sur celles de l'article 11 de l'ordonnance du 29 avril 1828 qui auraient été implicitement abrogées ;

Qu'en conséquence, l'acte du 4 décembre 2015 et la quittance qu'il contient doivent être examinés en considération des dispositions précitées de l'article 11 de l'ordonnance de 1828 ;

Que cet acte constate la cession par la banque HSBC de la créance détenue à l'encontre de la SCI V. à la BARCLAYS repreneur de cette créance, sans novation ni modification du prêt d'origine, et la quittance par le créancier d'origine de la somme reçue du nouveau créancier de la SCI V. ;

Qu'il apparaît que la quittance stipulée à la clause « Prix » de l'acte, qui constate que le prix de la cession de créance a été payé, est dépendante de l'acte principal, en ce que le premier créancier reconnaît qu'il a été désintéressé par le nouveau créancier, libérant ainsi le débiteur, la SCI V. de toute dette envers lui ;

Que cette quittance donnée dans l'acte du 4 décembre 2015, est un élément accessoire de celui-ci, et n'a été consentie qu'en contrepartie de la transmission de bien que constitue la cession de créance ;

Que le prêt initial a déjà été soumis au droit proportionnel de 1% lors de son enregistrement en 2010 ;

Que la quittance donnée par l'acte de 2015 qui a opéré la transmission de la créance a eu pour seul objet de justifier du paiement du prix de la cession ;

Que par conséquent, en application des dispositions de l'article 11 précité de l'ordonnance du 29 avril 1828, cette quittance ne pouvait être assujettie à un droit proportionnel d'enregistrement de 1 % ;

Que la loi n° 1.285 du 15 juillet 2004 ayant supprimé de la liste des actes relevant du droit proportionnel les cessions de créances, l'acte du 4 décembre 2015 était en application de l'article 2 de la loi n°580 précité soumis à un droit fixe de 10 euros pour la cession de créance et la conversion de grosse nominative en grosse à ordre ;

Que l'acte du 4 décembre 2015 ne contenant aucune disposition soumise à un droit proportionnel, il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 21 de la loi n° 580 ;

Que la décision déférée doit donc être infirmée en ce qu'elle a considéré que l'État de Monaco pouvait taxer au taux de 1% la quittance lors de l'enregistrement de l'acte du 4 décembre 2015 et en ce qu'elle a débouté la SCI V. de sa demande ;

Qu'en l'état de l'irrégularité du droit proportionnel d'enregistrement de 1% perçu par la Direction des services fiscaux de la Principauté au titre de la soumission à la formalité de l'acte du 4 décembre 2015, enregistré le 10 décembre 2015, il convient de condamner l'État de Monaco à restituer la somme de 120.000 euros à la SCI V. au titre du droit indûment perçu ;

Que la SCI V. ne justifie pas des textes lui permettant de revendiquer un intérêt de retard au taux mensuel de 0,4 % soit au taux annuel de 4,8 % ;

Qu'en application des dispositions de l'article 1745 du Code civil, la somme due portera intérêts au taux légal ;

Que selon l'article 1008 du Code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal et ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, excepté dans les cas où la loi les fait courir de plein droit ;

Qu'en l'occurrence, il n'est pas justifié d'une sommation de payer ;

Que la SCI V. a saisi le Tribunal Suprême par requête du 9 février 2016, au contradictoire de l'État de Monaco, d'une demande d'annulation de la décision de Monsieur le Directeur des services fiscaux et d'une demande de condamnation de l'État de Monaco à lui payer la somme de 120.000 euros ;

Qu'il s'ensuit que les intérêts moratoires réclamés par la SCI V. sont dus à compter de la requête présentée devant le Tribunal Suprême le 9 février 2016 au contradictoire de l'État de Monaco, valant sommation de payer au sens de l'article 1008 du Code civil ;

4. - Attendu que la SCI V. faisant valoir qu'elle a été injustement privée de la faculté de disposer du montant des droits indûment perçus par la Direction des services fiscaux et qu'elle a dû engager des frais pour faire valoir ses droits, sollicite une somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Que cependant la SCI V.ne caractérise pas un préjudice distinct du retard de paiement indemnisé par les intérêts moratoires de la somme due ;

Qu'elle n'allègue pas d'une faute de l'État monégasque susceptible d'ouvrir droit à des dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1229 du Code civil ;

Que la décision déférée doit être confirmée en ce qu'elle a débouté la SCI V.de sa demande de dommages-intérêts ;

5. - Attendu que l'État de Monaco, condamné à restitution, n'est pas fondé en sa demande de dommages-intérêts du fait de l'action engagée par la SCI V. ;

Que la décision déférée doit être confirmée en ce qu'elle l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts ; 6. - Attendu que l'État de Monaco, partie perdante, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevables les appels principal et incident formés contre le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 10 janvier 2019,

Confirme le jugement du 10 janvier 2019 en ce qu'il s'est déclaré compétent, a débouté la SCI V. de sa demande de dommages-intérêts et a débouté l'État de Monaco de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts,

L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau,

Constate l'irrégularité du droit proportionnel d'enregistrement de 1% perçu par la Direction des services fiscaux de la Principauté au titre de la soumission à la formalité de l'acte du 4 décembre 2015, enregistré le 10 décembre 2015,

Condamne l'État de Monaco à restituer à la SCI V. la somme de 120.000 euros, au titre du droit d'enregistrement indûment perçu, ce, avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 2016,

Condamne l'État de Monaco aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 26 MAI 2020, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

  • Consulter le PDF