Cour d'appel, 26 mai 2020, La SA A. c/ Madame m-j. L.
Abstract🔗
Contrat de travail – Sanctions disciplinaires – Conditions – Licenciement – Motif valable (non) – Caractère abusif (oui)
Résumé🔗
En application de la règle non bis in idem, un même fait fautif ne peut faire l'objet de deux sanctions successives dès lors que l'employeur avait connaissance de l'ensemble des faits lors du prononcé de la première sanction. Le comportement fautif du salarié doit se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire, fait qui lui est imputable et constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail. Le Tribunal a justement relevé que les termes généraux de l'avertissement ne permettaient pas de déterminer précisément la date et le nombre de faits fautifs sur lesquels celui-ci était fondé. Les parties s'accordent néanmoins sur le fait qu'au moins un des virements litigieux en cause a servi de base à l'avertissement. A cet égard, l'employeur étant informé de l'ensemble des faits imputés à la salariée, a fait le choix en connaissance de cause de lui infliger un simple avertissement, et a ainsi épuisé son pouvoir disciplinaire. Il ne pouvait pas prononcer ultérieurement un licenciement pour les mêmes faits parfaitement connus avant la date de notification de la première sanction. Dans ces conditions, les premiers juges ont justement déclaré le licenciement de m-j.L. dépourvu de motif valable et lui ont alloué la somme de 80.794 euros correspondant à l'indemnité de licenciement conventionnelle telle que prévue aux articles 38 à 40 de la convention collective monégasque du travail du personnel des banques avec intérêts au taux légal à compter de la décision et celle de 15.198 euros au titre de l'indemnité de préavis de trois mois, outre les congés payés afférents à hauteur de 1.519,80 euros, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2016.
Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, qu'il appartient à celui qui réclame des dommages-intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné. En application de l'article 13 de la Loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts. Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision ou en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal. Le licenciement non fondé sur un motif valable peut ne pas être considéré comme abusif. Le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque. Si en l'espèce, le grief énoncé dans la lettre de licenciement n'était pas valable, au soutien de son appel incident, l'intimée ne démontre pas avoir été licenciée pour un autre motif que celui figurant dans la lettre de licenciement, ni la volonté de nuire ou de tromper de l'employeur. Ainsi, l'allégation de l'intimée selon laquelle ce dernier était animé de la volonté de l'évincer pour en faire un bouc-émissaire n'est nullement corroborée par les éléments produits et par suite la salariée n'établit pas les circonstances fautives ayant pu conduire à la décision de la licencier. Par suite, les premiers juges ont justement considéré qu'aucune faute de l'employeur ne pouvait fonder l'indemnisation d'un préjudice matériel résultant du licenciement.
C'est par des motifs exacts et pertinents et non contredits par les moyens développés par les appelantes, que le Tribunal a considéré que l'employeur avait fait preuve de légèreté blâmable en faisant un usage excessif de son pouvoir disciplinaire, ce qui conférait au licenciement un caractère abusif dans la mesure où le motif non valable de rupture en lien avec l'avertissement démontrait que l'employeur avait agi avec légèreté dès lors que disposant de l'ensemble des éléments lui permettant de prendre une sanction en adéquation avec les faits reprochés à la salariée, ce dernier avait agi en deux temps, espacés de plusieurs mois plaçant la salariée dans une position de défiance à l'égard de ses collègues. Par ailleurs, s'agissant de la demande indemnitaire formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, celle-ci ne peut concerner que l'indemnisation du préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui résulte d'un abus dans la prise de décision en son principe qui en l'espèce n'est pas caractérisé. Au cas d'espèce, au vu des circonstances de la cause, cet abus commis par l'employeur dans les conditions de mise en œuvre du licenciement sera indemnisé à hauteur de la somme de 80.000 euros en réparation du préjudice moral.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 26 MAI 2020
En la cause de :
- 1 / La SA A., société anonyme de droit français, dont le siège social est situé X2 à 59000 Lille (France), immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Lille, sous le numéro X, prise en la personne de son Président du conseil d'administration en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;
2 / La SA B., société de droit français, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le numéro X, en sa succursale située X3 à 98000 Monaco, prise en la personne de son Directeur délégué en exercice, demeurant à ladite adresse ;
Ayant toutes deux élu domicile en l'Étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTES,
d'une part,
contre :
- Madame m-j. L., née le 5 août 1961 à Nice (06000), de nationalité française, conseillère en banque, domiciliée X1à Nice (06000) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 19 avril 2018 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 12 juin 2018 (enrôlé sous le numéro 2018/000158) ;
Vu les conclusions déposées les 27 novembre 2018, 30 avril 2019 et 5 novembre 2019 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame m-j. L.;
Vu les conclusions déposées les 27 février 2019, 31 juillet 2019 et 10 janvier 2020 par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom des deux SA A. ;
À l'audience du 14 janvier 2020, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par les deux SA A. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 19 avril 2018.
Considérant les faits suivants :
Le 13 août 2001, m-j. L. était embauchée par la société A. de Monaco en qualité de conseillère clientèle.
Suite à l'émission de trois ordres de transferts de fonds réalisés le 10 mars 2015, l'employeur lui notifiait un avertissement le 1er juin 2015.
Le 25 juin 2015, m-j. L. était placée en arrêt de travail jusqu'au 13 décembre 2015.
Par courrier en date du 12 octobre 2015, l'employeur l'informait que la prolongation de son absence n'était pas sans conséquence en termes d'organisation et de charge de travail pour la succursale.
Lors de sa reprise, le 14 décembre 2015, m-j. L. était auditionnée par le service du contrôle permanent de la société A. à l'issue de quoi, l'employeur lui notifiait sa mise à pied conservatoire à effet immédiat.
Le 28 janvier 2016, elle adressait un courrier à son employeur afin de dénoncer sa situation et l'absence de nouvelle, qu'elle renouvelait le 5 février 2016 par l'intermédiaire de son conseil.
Par courrier en date du 3 février 2016, l'employeur l'informait de la prolongation de sa mise à pied conservatoire et de sa convocation devant le conseil de discipline.
Le 21 mars 2016, le conseil de discipline rendait un avis avec voix partagées.
Le 18 avril 2016, la commission paritaire de l'A. M. A. F ne confirmait pas la sanction de l'employeur et rendait un avis partagé.
La société A. notifiait à m-j. L. par courrier daté du 29 avril 2016 son licenciement pour faute grave en ces termes :
«(...) La présente fait suite à la séance tenue le 18 avril 2016 de la Commission Paritaire appelée à se prononcer sur la sanction du second degré envisagée à votre égard. Initialement, nous avons convoqué le Conseil de Discipline, le 21 mars 2016, dont le résultat de la consultation a abouti à un partage de voix, soit une voix contre le licenciement, une abstention et deux voix favorables. Conformément à l'alinéa 8 de l'article 27 de la Convention Collective monégasque du personnel des Banques, il en est résulté la saisine de la Commission Paritaire qui n'a pu se départager.
Nous vous rappelons que vous avez été recrutée par notre Établissement le 13 août 2001 en qualité de Conseillère Clientèle, puis vous avez été nommée Classe VII, le 1er mars 2014.
Comme l'ensemble du personnel de notre Établissement, vous avez été soumise au strict respect des procédures en vigueur, dont l'une des finalités est l'encadrement des activités dans le souci constant d'une maîtrise des risques et du respect de la conformité.
Vous n'étiez pas sans savoir que notre Succursale, comme les Établissements bancaires de la Place, a engagé vis-à-vis de ses clients italiens une action d'incitation à régulariser leur situation fiscale dans les cas où ils détiendraient des actifs non déclarés.
Une campagne proactive a été menée avec la mise en place d'une procédure de « Tax Overview » puis de « Volontary Disclosure ».
En appui des rendez-vous et contacts téléphoniques, des courriers ont été adressés en ce sens à tous les clients de nationalité italienne non-résidents à Monaco, leur indiquant qu'en cas de refus de leur part de régulariser leur situation à l'égard de l'Administration de leur Etat, la relation de compte serait dénoncée par la Banque.
Par ailleurs, les retraits espèces des clients italiens non-résidents étaient contingentés.
Cette campagne a débuté en octobre 2014 ; elle a été particulièrement active en 2015 à la suite de la conclusion par la Principauté de Monaco d'un accord avec la République d'Italie.
Le 19 mars 2015, le Service de Lutte Anti-Blanchiment (LAB) vous a demandé, par mail, des justificatifs concernant trois virements datant du 10 mars 2015, que vous aviez rédigés en faveur d'un de vos clients italien, résident à Monaco, M. «S».
Vous ne répondrez à ce mail du Service LAB que le 3 avril 2015, en justifiant ces virements comme étant des contreparties de «cessions de créances» devant entraîner une plus-value pour l'un des clients, et des ventes de tableaux pour les deux autres.
Le 13 mai 2015, à la suite d'une première réclamation d'un de vos clients de nationalité italienne, nous avons dû constater que vous êtes intervenue entre deux de vos clients de nationalité italienne, l'un résident à Monaco : M. «S», et l'autre résident en Italie : M. «M», à l'occasion d'une opération présentée comme un rachat de créances pour un montant de 239.000 E, qui se révélera douteuse.
À la suite de la réclamation de ce client, M. «M», quant à l'opération de rachat de créance, et exigeant une intervention de notre part ou de la vôtre auprès de votre autre client, M. «S», vous avez nié toute implication dans cette affaire entre vos deux clients. Mais, du fait du constat que vous êtes intervenue dans la relation entre Messieurs M. «S» et «M» à l'occasion d'une transaction douteuse, vous avez fait l'objet d'une sanction d'avertissement, le 1er juin 2015.
Or, le 7 août 2015, alors que vous étiez en arrêt de travail pour maladie, un autre de vos clients de nationalité italienne et non résident à Monaco : M. «BA», a été reçu en votre absence par une autre Conseillère Clientèle qui assurait la gestion du portefeuille de vos clients durant votre absence.
M. «BA» souhaitait bénéficier, comme cela semblait avoir été prévu, d'un retrait de 40.000 E sur le compte de M. «S». Votre collègue qui suppléait votre absence a refusé cette opération.
M. «BA» a été reçu à plusieurs reprises par des membres de la Direction de la Banque, les 11 et 25 août 2015 ; il a expliqué avoir été mis en relation avec M. «S» par votre intermédiaire afin de clôturer son compte bancaire en transférant le solde au profit de M. «S» qui devait assurer sa restitution en espèces, moyennant le paiement d'une commission.
M. «BA» a avoué avoir fait preuve d'une attitude irresponsable dans le but d'échapper à la «Voluntary Disclosure», mais il indique avoir été mis en confiance car l'opération a été réalisée à votre initiative, et qu'il vous faisait entièrement confiance.
Sur la totalité des fonds versés à M. «S», M. «BA» indique avoir subi une perte de 70.910 E.
Puis, le 18 septembre 2015, c'est une autre de vos clientes italienne et non résidente, Mme -Br qui a été reçue par Mme Cu. et M. Co. : elle leur a fait part de ce qu'elle a été mise en relation, par votre intermédiaire, avec M. «S» et qu'elle était toujours dans l'attente des remises d'espèces qu'elle aurait dû recevoir de M. «S» moyennant une commission, et ce depuis le 10 mars 2015.
Nous avons constaté que vous aviez dissimulé à la Banque, non seulement la nature des opérations douteuses qui se déroulaient entre certains de vos clients, mais également les conflits nés entre ces mêmes clients.
Devant la gravité des faits, le Contrôle Interne de la Banque a été saisi en août 2015. Au terme d'un premier rapport du 8 septembre 2015, il a souhaité vous entendre sur les faits ci-dessus constatés. Cet entretien n'a pu avoir lieu qu'à votre retour de maladie, soit le 14 décembre 2015.
Suite aux investigations menées par le Contrôle Interne, ainsi qu'à son entretien avec vous, le recueil et la synthétisation des nombreuses données ont justifié que vous soyez dispensée de présence jusqu'au 25 janvier 2016, dispense qui a dû être prorogée jusqu'au 8 février 2016, en attente de la fin de la procédure de contrôle.
Le 26 janvier 2016, le Contrôle Interne a édité un rapport complémentaire, incluant en annexe les déclarations recueillies lors de votre entrevue du 14 décembre 2015, et indiquant que la justification des opérations que vous aviez réalisées n'était pas probante, ni sur le fond ni sur la forme.
Il résulte de ce qui précède, que vous avez dissimulé au Service Compliance ainsi qu'à votre hiérarchie, des informations qui allaient à l'encontre des instructions d'encouragement à la «Voluntary Disclosure».
Vous avez dissimulé la véritable finalité des virements effectués le 10 mars 2015, à savoir des remises d'espèces, réclamées par trois de vos clients, M. «M», M. «BA» et Mme «BI».
Vous avez volontairement omis d'avertir vos collègues et votre hiérarchie de la situation qui existait entre certains de vos clients de nationalité italienne.
Ces pratiques de dissimulation constituent une faute grave, Votre grade de Cadre Classe VII implique de votre part une attention toute particulière et la gestion rigoureuse des flux dans la prévention du risque de blanchiment.
En conséquence des griefs qui vous sont faits, à savoir la dissimulation de mise en relation de client et d'opérations douteuses pouvant entraîner la responsabilité de la Banque, et après avis partagé des membres de la Commission Paritaire quant à votre révocation, par la présente, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave privative de préavis et d'indemnité.
Notre courrier du 3 février 2016 indique, compte-tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, que nous avons été amenés à prononcer votre mise à pied immédiate à titre conservatoire, avec le maintien de votre rémunération durant toute la durée de la procédure (...) ».
Par requête en date du 6 mai 2016, m-j. L. a saisi le Tribunal du travail des demandes suivantes :
« - dire et juger le licenciement abusif,
- indemnité de licenciement conventionnelle : 80.794,00 euros,
- indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 15.198,00 euros,
- indemnité compensatrice de congés payés relative au préavis : 1.519,80 euros,
- dommages et intérêts dus au titre de la rupture abusive du contrat de travail et du préjudice moral et financier qui en découle : 500.000,00 euros (...)».
Par jugement en date du 19 avril 2018, le Tribunal du travail a statué comme suit :
- dit que le licenciement de m-j. L. ne repose pas sur une cause valable et revêt un caractère abusif,
- condamne la SA A., société de droit étranger, à payer à m-j. L. les sommes suivantes :
- 80.794 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
-15.198 euros à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents à hauteur de 1.519,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2016 date de réception au greffe de la requête,
- 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision,
- ordonne la délivrance par la SA A., société de droit étranger, à m-j. L. dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision, des documents sociaux modifiés conformes à la décision,
- déboute les parties du surplus de ses demandes,
- condamne la SA A., société de droit étranger, aux dépens.
Par acte en date du 12 juin 2018 et par conclusions des 27 février et 31 juillet 2019 et 10 janvier 2020, les deux SA A. ont formé appel de ce jugement pour demander à la Cour de :
recevoir les requérantes en leur appel, les dire bien fondées et y faire entièrement droit,
dire et juger que les pièces n° 105, 106, 108, 108 bis et 108 ter communiquées par Madame m-j. L. sont irrecevables et seront écartées des débats,
infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
En conséquence et statuant à nouveau,
dire et juger que le licenciement pour faute grave prononcé le 29 avril 2016 à l'encontre de Madame m-j. L. repose sur un motif valable,
dire et juger que le licenciement mis en œuvre par la société A. à l'encontre de Madame m-j. L. ne revêt aucun caractère abusif,
débouter en conséquence Madame m-j. L. de toutes ses demandes, prétentions et plus amples conclusions,
condamner Madame m-j. L. aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris tous frais et accessoires, tels que frais de greffe et d'enregistrement, d'huissier, procès-verbaux de constat, sommations, frais d'expertise et de traduction éventuels, dont distraction au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit.
Elles font essentiellement valoir que :
- le rejet des pièces n° 105, 106, 108, 108 bis et 108 ter est fondé sur le non-respect par l'intimée des conditions posées par le calendrier de procédure fixé par la Cour pour la production de nouvelles pièces,
- dès 2014, la société A. a mis en place en interne une formation concernant les risques encourus par les établissements bancaires et les clients, en cas de non-déclaration des avoirs détenus par des non-résidents,
- eu égard aux nombreuses formations diligentées, m-j. L. devait connaitre parfaitement la procédure de régularisation fiscale, ses limites et ses failles,
- le 10 mars 2015 et en dépit des nouveaux processus de contrôle mis en place, sans autorisation de sa hiérarchie, m-j. L. a émis trois ordres de transferts de fonds à partir des comptes de trois personnes différentes, sans lien les unes avec les autres, au profit d'une quatrième personne,
- le 19 mars 2015, le service Lutte Anti blanchiment (L. A. B.), ayant observé des transferts suspects et non autorisés, lui a demandé en vain les pièces justificatives afférentes aux trois virements opérés tous en faveur de la même personne,
- relancée le 3 avril 2015, elle ne répondait que 3 semaines plus tard,
- à la suite de la réclamation d'un premier client, le 13 mai 2015, un avertissement était infligé à m-j. L. le 1er juin 2015 que celle-ci n'a pas contesté,
- le 7 août 2015, un autre client concerné par ces opérations faisait état d'une réclamation, suivie du troisième client quelques semaines plus tard,
- compte-tenu de ces réclamations, elle a compris l'ampleur du procédé mis en place par m-j. L. lors des opérations du 10 mars 2015,
- cette dernière a dissimulé ou a été à l'initiative de manœuvres en vue d'éviter la régularisation fiscale de certains clients non-résidents, en cachant délibérément l'existence de litiges entre les parties et la véritable contrepartie des virements du 10 mars 2015,
- compte-tenu de sa position, m-j. L. n'avait pas besoin des directives ou autres autorisations du Service compliance pour agir,
- ses évaluations sont sans lien avec les agissements du 10 mars 2015 qui lui reprochés,
- les attestations qu'elle a produit ont été obtenues frauduleusement puisque m-j. L. a dû utiliser à des fins privées des informations et documents appartenant à son employeur et ce sans aucune autorisation et qu'elle a utilisé les informations couvertes par le secret bancaire, à savoir les coordonnées des clients de la société A. pour se rapprocher d'eux et leur demander des attestations contre leur banque,
- de plus, sur les quinze attestations produites, neuf d'entre elles présentent une signature différente sur l'attestation et sur le document d'identité,
- en toute hypothèse, celles-ci ne démontrent pas l'absence de faute de m-j. L.
Sur la gravité de la faute :
- la salariée a manqué à son devoir d'informer sa direction en dissimulant à sa hiérarchie :
des informations qui allaient à l'encontre des instructions de régularisation fiscale des non-résidents,
la véritable finalité des virements effectués le 10 mars 2015,
les litiges existant entre les clients,
- par ces actes d'omission et de dissimulation, elle a commis une faute grave et s'est rendue complice des manœuvres mises en place pour éluder l'impôt.
Sur l'absence de double sanction :
- la chronologie des faits démontre qu'il n'existe pas de double sanction,
- la première réclamation d'un client a abouti à une première sanction : un avertissement concernant le manque de distance avec les parties ; les nouvelles réclamations d'autres clients ont abouti à la deuxième sanction : son licenciement pour faute grave,
- l'analyse faite par le Tribunal est inexacte dans la mesure où l'avertissement ne concernait que le virement de M. M dès lors qu'il était fait état de « deux clients de la banque »,
- ce n'est qu'à la suite des réclamations des autres clients qu'elle a eu connaissance du caractère illicite des virements bancaires opérés le 10 mars 2015,
- la salariée n'a jamais fait état de difficultés rencontrées avec ces clients,
- à ce stade, l'employeur ne pouvait prendre conscience du caractère litigieux des deux autres opérations,
- ce n'est que le 26 janvier 2016, que l'employeur était complétement informé des agissements de la salariée,
- il existe des faits nouveaux révélés postérieurement à l'avertissement caractérisé par son abstention à fournir des éléments d'information sur la situation existant entre certains de ses clients et son rôle d'intermédiaire entre eux pour plusieurs transactions,
- la découverte d'autres virements équivoques antérieurs au 10 mars 2015 qui laissent songeur.
Sur le caractère abusif du licenciement :
- le fait de licencier m-j. L. ne réduit pas la responsabilité de l'employeur qui reste responsable des actes commis par ses préposés dans le cadre de leurs fonctions,
- lors de son audition le 14 décembre 2015, m-j. L. était en droit de refuser l'audition et de se faire assister, le cas échéant,
- le Conseil de discipline s'est prononcé à la majorité des voix exprimées pour la sanction de m-j. L.
- les avis rendus par le conseil de discipline et l'AMAF sont consultatifs de sorte que l'employeur n'est pas lié,
- le fait même d'avoir consulté le Conseil de discipline, puis la Commission atteste de ce que la décision de l'employeur a été murement réfléchie et qu'elle n'était pas empreinte ni de brutalité, ni de légèreté blâmable,
- l'article 27 de la Convention collective des banques a été respecté,
- le point de départ du délai d'un mois à prendre en compte est la « constatation de la faute professionnelle » établie par le rapport du Contrôleur et non pas, les faits du 10 mars 2015,
- l'intimée n'apporte pas la preuve d'une faute de l'employeur, ni d'un dommage en lien avec la faute qui lui est imputée.
Par conclusions des 27 novembre 2018, 30 avril et 5 novembre 2019, m-j. L. appelante incidente, demande à la Cour de :
Sur la validité du motif du licenciement :
confirmer la décision du Tribunal du travail en ce qu'il a considéré que le motif de licenciement n'était pas valable en raison du principe de non cumul des sanctions,
À défaut,
dire et juger que les griefs reprochés à Madame L. ne caractérisent pas une faute grave,
dire et juger que le licenciement de Madame L. repose sur un motif non valable,
En conséquence,
condamner la société anonyme de droit français A. et la société anonyme de droit français B. en sa succursale de Monaco à payer à Madame L. la somme de 80.794,00 euros aux titres de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
condamner la société anonyme de droit français A. et la société anonyme de droit français B. en sa succursale de Monaco à payer à Madame L. la somme de 15.198,00 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (3 mois),
condamner la société anonyme de droit français A. et la société anonyme de droit français B. en sa succursale de Monaco à payer à Madame L. la somme de 1.519,80 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés relative au préavis.
Sur le caractère abusif du licenciement :
- confirmer la décision du Tribunal du travail en ce qu'il a considéré le licenciement comme abusif,
Par substitution de motifs et complétant,
- dire et juger que la société anonyme de droit français A. et la société anonyme de droit français B. en sa succursale de Monaco ont commis un abus tant dans la prise de décision de rompre le contrat de travail que dans les conditions de la mise en œuvre du licenciement,
En conséquence,
- condamner la société anonyme de droit français A. et la société anonyme de droit français B. en sa succursale de Monaco à payer à Madame L. la somme de 500.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- dire et juger que les condamnations porteront intérêts à compter de la citation devant le bureau de conciliation,
- ordonner la remise de l'ensemble des bulletins de salaire régularisés ainsi que régularisation de la situation auprès de l'ensemble des organismes sociaux,
- condamner la société anonyme de droit français A. et la société anonyme de droit français B. en sa succursale de Monaco aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Elle fait essentiellement valoir :
Sur le motif du licenciement :
- compte-tenu de la pression accrue ces dernières années de la part des Etats sur les établissements bancaires, les normes sont devenues de plus en plus strictes et ont rendu sa tâche, comme celle de tous les chargés de clientèle, de plus en plus difficile et pesante,
- le 2 mars 2015, la Principauté de Monaco a signé avec l'Italie un accord d'échange de renseignements en matière fiscale,
- au sein de la société A., tout virement ou transfert était remis au service des Flux qui l'examinait et pouvait solliciter du conseiller ou du Service Compliance des explications sur l'opération,
- le Service Compliance était informé de toutes les opérations au sein de la banque,
- elle était soumise aux mêmes règles et contrôles que ses collègues de la part du Service Compliance,
- tous les chargés de clientèle étaient sensibilisés à la problématique des clients dits « non compilant », et particulièrement à celle des clients résidents italiens,
- la société A. n'a pas mis en place un support efficient au profit de ses chargés de clientèle,
- au moment des faits, le Service Compliance manquait lui aussi d'une formation adéquate lui permettant de dispenser conseil et support de manière diligente et précise auprès des chargés de clientèle,
- l'information relative à la signature de l'accord italo-monégasque était diffusée par le Service Compliance le vendredi 6 mars 2015, sans que des directives strictes soient données aux chargés de clientèle,
- les précisions sollicitées par les chargés de clientèle arrivaient avec beaucoup de retard et à maintes reprises des conseillers ont signalé l'approximation des consignes qui leur étaient fournies,
- ce n'est que le 27 mai 2015 qu'une instruction a été diffusée par le Service Compliance relative au cas précis dans lequel se trouvaient ses trois clients à l'origine des trois opérations du 10 mars 2015,
- lorsqu'une opération sollicitée par un chargé de clientèle paraissait en contradiction avec ces règles, l'opération était refusée, ce qui n'a pas été le cas des trois opérations litigieuses,
- l'employeur lui reproche de ne pas avoir respecté des règles de compliance qui n'existaient pas au jour des opérations litigieuses,
- ces opérations ont donné lieu à un avertissement de sorte que le caractère de gravité et d'impossibilité de maintenir la salariée dans ses fonctions fait défaut,
- le contrôle interne, saisi par le directeur de la succursale de Monaco, Monsieur C. dans un courriel du 25 août 2015, concluait, après avoir analysé les faits, à son absence de compromission,
- elle a produit son dossier professionnel qui fait état de l'entière satisfaction d'employeur sur ses états de service, lequel est défaillant dans son obligation de rapporter la preuve de la faute grave,
- le grand nombre d'attestations établies par d'anciens clients témoigne du profond respect qu'ils ont pour elle,
- elle n'a pas enfreint le secret bancaire en acceptant des attestations de ses clients,
- la procédure disciplinaire initiée par l'employeur s'est fondée exclusivement sur les trois opérations réalisées le 10 mars 2015,
- ces faits ont déjà été sanctionnés par l'avertissement notifié le 1er juin 2015,
- aucun agissement nouveau de sa part n'est intervenu postérieurement à cet avertissement et peu importe à cet égard, que les deux autres clients BI et BA se soient manifestés dans le courant de l'été 2015.
Sur le caractère abusif du licenciement :
- en la licenciant pour faute grave, la société A. visait deux objectifs :
tenter de transférer sa responsabilité sur une salariée qui aurait agi sur son initiative personnelle,
la remplacer à moindre coût,
- l'abus du droit de licencier résulte manifestement du recours à un motif fallacieux dissimulant les intentions de l'employeur même si la preuve lui est quasiment impossible à rapporter,
- la combinaison des fautes constitue un abus au sens large dans la prise de décision,
- son éviction lors de la reprise après son arrêt maladie démontre la brutalité et la légèreté blâmable dont a fait preuve l'employeur à son égard,
- la procédure disciplinaire menée à son encontre visait à la sacrifier comme bouc-émissaire,
- l'article 27 de la Convention collective des banques n'a pas été respecté,
- elle a subi un très grave préjudice tant sur un plan professionnel et financier que moral qui doit être indemnisé intégralement à hauteur de 500.000 euros,
- depuis son licenciement, elle cherche activement un nouveau travail, ne perçoit qu'une indemnité chômage de 3.413 euros et se retrouve dans une situation financière précaire tout en étant toujours demandeur d'emploi.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les appels régulièrement formés sont recevables ;
Attendu que les pièces nouvelles n° 105, 106, 108, 108 bis et 108 ter produites par l'intimée le 30 avril 2019 ainsi que les pièces nouvelles n° 110 à 116 produites le 5 novembre 2019 n'apparaissent pas exclusivement liées à la justification de son préjudice comme autorisées suivant calendrier de procédure fixé contradictoirement à l'audience du 23 avril 2019 ;
Que le non-respect des dispositions prescrites par le calendrier de procédure doit conduire à faire droit à la demande de rejet de ces pièces formées par les appelantes ;
Sur la validité du motif de rupture :
Attendu qu'en application de la règle non bis in idem, un même fait fautif ne peut faire l'objet de deux sanctions successives dès lors que l'employeur avait connaissance de l'ensemble des faits lors du prononcé de la première sanction ;
Que les appelantes soutiennent qu'il n'y avait pas en l'espèce, cumul de sanctions dans la mesure où l'avertissement ne concernait que le virement entre Monsieur M et Monsieur S, que le licenciement a fait suite à la plainte de deux autres clients concernant deux autres virements du même jour dont elle ignorait le caractère litigieux au moment de la délivrance de l'avertissement et la dissimulation d'informations par la salariée ;
Qu'il est constant que par courrier du 1er juin 2015, m-j. L. a fait l'objet d'un avertissement que celle-ci n'a pas contesté, en ces termes :
« En effet, le risque est élevé qu'en cas de litige entre les parties, la conséquence puisse être une tentative de procédure à l'encontre de notre Établissement.
Nous avons été amenés à vous rappeler que le respect des procédures est une obligation étant destinée à limiter les risques opérationnels et de contrepartie.
Nous sommes persuadés que vous tiendrez compte de cet avertissement et que vous mettrez tout en œuvre pour prévenir les risques précités (...) » ;
Que le comportement fautif du salarié doit se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire, fait qui lui est imputable et constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail ;
Que par courrier en date du 29 avril 2016, la salariée a ensuite été licenciée pour faute grave en lui reprochant pour l'essentiel d'avoir :
- dissimulé la véritable finalité des virements effectués le 10 mars 2015, à savoir des remises d'espèces, réclamées par trois de ses clients,
- volontairement omis d'avertir ses collègues et sa hiérarchie de la situation qui existait entre certains de ses clients de nationalité italienne ;
Que par ailleurs, la lettre de licenciement contient un rappel de l'avertissement du 1er juin 2015, non contesté par la salariée, en ces termes :
« Le 13 mai 2015, à la suite d'une première réclamation d'un de vos clients de nationalité italienne, nous avons dû constater que vous êtes intervenue entre deux de vos clients de nationalité italienne, l'un résident à Monaco : M. «S», et l'autre résident en Italie : M. «M», à l'occasion d'une opération présentée comme un rachat de créances pour un montant de 239.000 euros, qui se révélera douteuse.
À la suite de la réclamation de ce client, M. «M», quant à l'opération de rachat de créance, et exigeant une intervention de notre part ou de la vôtre auprès de votre autre client, M. «S», vous avez nié toute implication dans cette affaire entre vos deux clients. Mais, du fait du constat que vous êtes intervenue dans la relation entre Messieurs M. «S» et «M» à l'occasion d'une transaction douteuse, vous avez fait l'objet d'une sanction d'avertissement, le 1er juin 2015 (...) » ;
Que le Tribunal a justement relevé que les termes généraux de l'avertissement ne permettaient pas de déterminer précisément la date et le nombre de faits fautifs sur lesquels celui-ci était fondé ;
Que les parties s'accordent néanmoins sur le fait qu'au moins un des virements litigieux en cause a servi de base à l'avertissement ;
Attendu qu'au cas d'espèce, les trois ordres de virement litigieux ont été effectués le même jour par la salariée au profit du même bénéficiaire, lequel devait par la suite rétrocéder les sommes aux auteurs des virements, moyennant une commission, la finalité de ces opérations étant de permettre à ces derniers d'éluder l'impôt ;
Que le service compliance de la banque lui a demandé par courriels des 19 mars et 3 avril 2015 des explications relatives aux trois virements litigieux et non sur un seul d'entre eux ;
Que l'employeur a ainsi adressé à m-j. L. le 19 mars 2015 le courriel suivant :
« Bonjour m-j.,
Peux-tu nous fournir une explication sur :
- les virements entrants du 10 mars correspondant au solde avant clôture de 3 comptes de clients NR italiens ouverts dans nos livres,
- les retraits espèces consécutifs.
Nous te rappelons que ce client a retiré 197.000 euros depuis début 2015. Merci pour ton retour . » ;
Qu'en l'absence de réponse, un rappel lui était adressé par courriel en ces termes :
« m-j.
Je reviens vers toi concernant le fonctionnement de ce compte.
Peux-tu nous expliquer le lien entre les donneurs d'ordre des virements et M.... Merci également de justifier les retraits suivant les arrivées de fonds.
Merci pour ta réponse . » ;
Que m-j. L. y a répondu par courriel du 26 mars 2015, accompagné de pièces justificatives suivi d'un courriel du 3 avril 2015 et complété par un courriel du 17 avril 2015 ;
Qu'il apparaît ainsi que le 3 avril 2015, la société A. a disposé des informations précises concernant ces virements du 10 mars 2015 ;
Qu'en outre, Monsieur M s'est rapproché de la société A. dès le mois d'avril 2015 afin de tenter de trouver un accord pour la restitution de la somme qu'il avait virée au profit de Monsieur S ;
Que l'employeur, en sa qualité de professionnel, n'a pu ignorer le caractère suspect des deux autres virements réalisés le même jour au profit de Monsieur S et ce, notamment eu égard aux nouvelles règles applicables suite à la signature le 2 mars 2015 de l'accord d'échange de renseignements en matière fiscale entre Monaco et l'Italie ;
Que la connaissance des faits fautifs par l'employeur doit s'entendre de l'information exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits imputés au salarié, qui résulte en l'espèce, autant de ses demandes d'explications visant l'ensemble des virements litigieux que des explications détaillées fournies par la salariée pour chacun des trois virements en cause ;
Que la réclamation d'un premier client a nécessairement alerté la banque quant aux deux autres virements effectués le même jour au profit du même bénéficiaire, tenant notamment les retraits espèces effectués par Monsieur S ;
Que le cadre des investigations entreprises par l'employeur et leur durée s'étalant sur plus de deux mois avant l'avertissement démontrent qu'il a prescrit des vérifications sur les trois virements en cause dès lors que ceux-ci étaient susceptibles de mettre en cause sa responsabilité contractuelle et ce nonobstant l'absence de plainte de tous les clients concernés ;
Qu'il apparaît ainsi que les deux sanctions successives prises par l'employeur reposent sur les mêmes faits que sont les trois virements effectués par la salariée le 10 mars 2015 sans que contrairement à ce que soutiennent les appelantes, aucun fait nouveau n'ait été porté à sa connaissance après la délivrance de l'avertissement ; qu'au demeurant aucun élément ne permet d'établir que d'autres virements antérieurs émanant des clients Madame BI et Monsieur BA étaient susceptibles d'être litigieux étant relevé que l'employeur n'établit pas l'existence d'autres opérations réalisées par l'intimée ait fait l'objet d'une enquête par le service compliance ;
Que par ailleurs, la dissimulation d'informations par la salariée que les appelantes présentent comme un fait fautif nouveau est étroitement liée à l'émission de ces trois virements en sorte que ces faits, à les supposer établis, étaient connus de l'employeur au moment de l'avertissement ;
Que l'avertissement infligé, en des termes généraux, à m-j. L. le 1er juin 2015 comprenait les trois opérations litigieuses du 10 mars 2015 ;
Qu'à cet égard, l'employeur étant informé de l'ensemble des faits imputés à la salariée, a fait le choix en connaissance de cause de lui infliger un simple avertissement, et a ainsi épuisé son pouvoir disciplinaire ;
Qu'il ne pouvait pas prononcer ultérieurement un licenciement pour les mêmes faits parfaitement connus avant la date de notification de la première sanction ;
Que dans ces conditions, les premiers juges ont justement déclaré le licenciement de m-j. L. dépourvu de motif valable et lui ont alloué la somme de 80.794 euros correspondant à l'indemnité de licenciement conventionnelle telle que prévue aux articles 38 à 40 de la convention collective monégasque du travail du personnel des banques avec intérêts au taux légal à compter de la décision et celle de 15.198 euros au titre de l'indemnité de préavis de trois mois, outre les congés payés afférents à hauteur de 1.519,80 euros, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2016 ;
Qu'en conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef ;
Sur le caractère abusif du licenciement :
Attendu que constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, qu'il appartient à celui qui réclame des dommages-intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné ;
Qu'en application de l'article 13 de la Loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts ;
Que le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision ou en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal ;
Que le licenciement non fondé sur un motif valable peut ne pas être considéré comme abusif ;
Que le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque ;
Que si en l'espèce, le grief énoncé dans la lettre de licenciement n'était pas valable, au soutien de son appel incident, l'intimée ne démontre pas avoir été licenciée pour un autre motif que celui figurant dans la lettre de licenciement, ni la volonté de nuire ou de tromper de l'employeur ;
Qu'ainsi, l'allégation de l'intimée selon laquelle ce dernier était animé de la volonté de l'évincer pour en faire un bouc-émissaire n'est nullement corroborée par les éléments produits et par suite la salariée n'établit pas les circonstances fautives ayant pu conduire à la décision de la licencier ;
Que par suite, les premiers juges ont justement considéré qu'aucune faute de l'employeur ne pouvait fonder l'indemnisation d'un préjudice matériel résultant du licenciement ;
Que le jugement sera confirmé de ce chef ;
Attendu que c'est par des motifs exacts et pertinents et non contredits par les moyens développés par les appelantes, que le Tribunal a considéré que l'employeur avait fait preuve de légèreté blâmable en faisant un usage excessif de son pouvoir disciplinaire, ce qui conférait au licenciement un caractère abusif dans la mesure où le motif non valable de rupture en lien avec l'avertissement démontrait que l'employeur avait agi avec légèreté dès lors que disposant de l'ensemble des éléments lui permettant de prendre une sanction en adéquation avec les faits reprochés à la salariée, ce dernier avait agi en deux temps, espacés de plusieurs mois plaçant la salariée dans une position de défiance à l'égard de ses collègues ;
Que par ailleurs, s'agissant de la demande indemnitaire formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, celle-ci ne peut concerner que l'indemnisation du préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui résulte d'un abus dans la prise de décision en son principe qui en l'espèce n'est pas caractérisé ;
Qu'au cas d'espèce, au vu des circonstances de la cause, cet abus commis par l'employeur dans les conditions de mise en œuvre du licenciement sera indemnisé à hauteur de la somme de 80.000 euros en réparation du préjudice moral ;
Qu'en conséquence, le jugement sera réformé en ce sens et sera confirmé en ce qu'il a ordonné la délivrance de documents sociaux modifiés, étant observé qu'il convient de le compléter dès lors que les condamnations prononcées n'ont été mises qu'à la charge de la SA A., société de droit français alors que la demande visait également la société A. (MONACO), société de droit français dont la personnalité juridique n'est discutée par aucune des parties ;
Attendu que les appelantes qui succombent seront condamnées aux dépens ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels,
Fait droit à la demande formée par la SA A. et la SA B. (MONACO) aux fins de rejet des pièces nouvelles n° 105, 106, 108, 108 bis, 108 ter et 110 à 116 produites par m-j. L.
Réforme le jugement du Tribunal du travail du 19 avril 2018 en ce qu'il a condamné la SA A. à payer à m-j. L. la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts,
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Condamne conjointement la SA A. et la SA B. (MONACO) à payer à m-j. L. la somme de 80.000 euros à titre de dommages-intérêts,
Le confirme pour le surplus,
Condamne la SA A. aux entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation de droit,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 26 MAI 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.