Cour d'appel, 26 mai 2020, Mademoiselle c. C. c/ La société A.

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Abstract🔗

Demande de publication judiciaire – Compétence - Droits de la personnalité – Atteinte – Préjudice – Réparation  

Résumé🔗

S'agissant d'une publication émanant d'un éditeur dont l'établissement est en France, les juridictions monégasques ne sont compétentes, quant au préjudice, que pour le dommage subi en Principauté de Monaco. C'est à bon droit que le Tribunal s'est reconnu compétent pour statuer sur la demande de publication judiciaire et a justement indiqué qu'au regard de l'étendue de ses attributions, qui n'est pas celle du lieu d'édition du magazine « B. », cette éventuelle publication ne pourrait concerner que les magazines à paraître sur le territoire monégasque, la décision étant confirmée de ce chef.

En droit, que si le principe du droit à réparation est acquis dès lors que l'atteinte est établie, il appartient néanmoins à l'appelante de prouver l'étendue du préjudice qu'elle lui a causée. Le montant de la réparation accordée en indemnisation d'une atteinte aux droits de la personnalité est uniquement fonction du préjudice, dont l'évaluation est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes ainsi que des éléments invoqués et établis depuis la parution. Au cas particulier, que le dommage subi par l'appelante résulte de la diffusion sur le territoire monégasque d'informations et de photographies attentatoires à sa vie privée et à son droit à l'image. En effet, la notoriété de c.C. liée à son statut de membre de la famille Y régnante, si elle attire la curiosité du public à son égard, ne la prive pas cependant de protection face à des immixtions illicites dans sa sphère intime. Le préjudice qui en résulte doit au cas d'espèce s'apprécier au regard du trouble apporté par l'évocation non consentie de ses sentiments, de sa surprise lors d'un séjour de vacances à caractère privé, de la surveillance dont elle fait l'objet qui ne constitue aucunement la contrepartie de la notoriété, de son refus justifié des empiètements réitérés sur sa vie privée, plusieurs fois matérialisé, notamment par les multiples condamnations antérieures de la société éditrice du magazine, de la place donnée à cette publication qui occupe quasiment toute la page de couverture, de l'exposition continue de sa vie privée, l'article litigieux s'inscrivant d'ailleurs dans le sillage de précédentes publications, notamment celle du magazine « B. » du cc, sur sa nouvelle relation amoureuse non encore dévoilée par elle, pour livrer des détails de sa vie sentimentale qui vont au-delà de ce que l'intérêt du public peut justifier au regard de son appartenance à ZZ et enfin du sentiment d'acharnement et d'impuissance à protéger sa vie privée qui en résulte. Si la diffusion sur le territoire monégasque peut paraître limitée au regard du faible nombre d'exemplaires vendus, un examen des chiffres révèle pourtant que sur les 1.558 magazines réservés à la vente à Monaco, 1.147 ont été achetés, soit au cas particulier que près de 74 % du stock ont été écoulés, ce qui témoigne de la présence d'un fort lectorat en Principauté pour ce qui concerne les membres de la famille Y alors que l'impact de la présentation du magazine en kiosque ne saurait être occulté, la couverture et les titres à sensation évoquant la vie intime de c.C. étant précisément de nature à attirer l'attention des passants, même dénués d'intention d'achat. Il doit être néanmoins relevé que le ton utilisé n'est pas malveillant et que les images ne sont pas dévalorisantes, que l'article publié n'est pas à l'origine de la révélation de l'existence du couple, -bien que la circonstance que l'information relative à la relation sentimentale de c.C. avec d.R. ait été précédemment divulguée ne légitime aucunement la réitération de cette révélation au demeurant très récente-, que les propos critiques tenus par certains lecteurs du 15 au 22 mars à l'endroit de l'appelante ne sont pas liés à la publication en cause parue postérieurement la semaine du 28 avril au 4 mai 2017, et enfin, que c.C. ne verse aucun élément objectif établissant qu'elle a subi de grosses répercussions sur sa vie privée. En revanche, en l'absence de production d'éléments de nature à établir que la publication litigieuse a altéré son image et sa réputation d'un point de vue professionnel et que les annonceurs actuels ou futurs se sont ou pourraient se détourner d'elle, c.C. n'est pas fondée à invoquer en l'espèce un préjudice d'ordre économique et professionnel. En définitive, en considération des éléments susvisés, exclusifs de la publication en ligne de l'article litigieux dont les juridictions n'ont pas été saisies par c.C. le préjudice moral ainsi subi par elle du fait des graves atteintes à sa vie privée et à son image doit être raisonnablement réparé par l'octroi d'une somme de 10.000 euros.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 26 MAI 2020

En la cause de :

  • - Mademoiselle c. C., née le 3 août 1986 à Monte-Carlo (Principauté de Monaco), de nationalité monégasque, Femme de lettres et entrepreneur, demeurant X1 98000 Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Alain TOUCAS, avocat au barreau de Paris ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - La société dénommée « A. », S. N. C. éditrice de B., au capital de 3.000.000 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Nanterre sous le numéro X, dont le siège social est X2, 92624 Gennevilliers, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Luc BROSSOLET, avocat au barreau de Paris ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 20 décembre 2018 (R. 1761) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 29 mars 2019 (enrôlé sous le numéro 2019/000094) ;

Vu les conclusions déposées le 12 juillet 2019 par Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur, au nom de la société dénommée « A. » ;

Vu les conclusions déposées le 8 octobre 2019 par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Mademoiselle c. C.;

À l'audience du 21 janvier 2020, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Mademoiselle c. C. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 20 décembre 2018.

Considérant les faits suivants :

Le 14 juin 2017 c. C. a saisi le Tribunal de première instance pour voir dire et juger que la publication de la société A. dans le numéro aa du magazine B., daté du bb a gravement porté atteinte au respect de sa vie privée et à son droit à l'image, et obtenir, sa condamnation à réparer son préjudice par l'allocation de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, l'interdiction de la republication, sous tout support, physique et immatériel, en tout ou partie, des clichés photographiques listés dans son assignation, reproduits dans le magazine litigieux et que soit ordonnée une mesure d'insertion sur la totalité de la page de couverture du prochain numéro de « B. » faisant état de sa condamnation.

Suivant jugement en date du 20 décembre 2018, le Tribunal de première instance a statué ainsi qu'il suit :

« - se déclare compétent pour réparer le préjudice éventuellement subi par c. C. du fait de la diffusion à Monaco du magazine litigieux par voie de presse papier,

- se déclare compétent pour connaître de la demande de publication judiciaire,

- se déclare incompétent pour le surplus,

- condamne la société en nom collectif A. à payer à c. C. la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des atteintes à sa vie privée et à son image résultant de la publication du magazine B. n° aa du bb en Principauté de Monaco,

- déboute c. C. du surplus de ses demandes,

- condamne la société en nom collectif A. aux dépens du présent jugement, avec distraction au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont pour l'essentiel relevé que :

  • - les critères de compétence sont réunis pour que les juridictions monégasques statuent sur le préjudice allégué et la publication judiciaire demandée,

  • - l'article magazine B. n° aa illustré par des clichés photographiques non autorisés montrant la demanderesse dans des moments intimes de sa vie privée et révélant le voyage effectué avec d. R. caractérise une atteinte grave à la vie privée et à l'image de c. C. nullement justifiée par l'information légitime du public,

  • - l'évocation d'une relation sentimentale entre c. C. et d. R. n'est en revanche pas fautive au regard des articles parus antérieurement dans la presse internationale sur ce sujet,

  • - la simple constatation de l'atteinte au respect de la vie privée et à l'image par voie de presse ouvre droit à un principe de réparation,

  • - le préjudice moral subi par c. C. doit être apprécié au regard de divers éléments tenant au caractère sensationnel de la couverture du magazine litigieux, à la nature des informations d'ordre intime divulguées, aux moyens mis en œuvre pour la prendre en photo, à son absence de complaisance à l'égard des médias, aux multiples condamnations antérieures de la société A., à la diffusion limitée à Monaco du magazine B. n° aa au fait que la relation sentimentale entre c. C. et d. R. avait été divulguée quelques semaines auparavant dans la presse internationale, à l'absence de caractère malveillant des propos tenus et à l'absence de caractérisation d'un préjudice professionnel, faute de justification,

  • - il peut être chiffré à la somme de 5.000 euros de dommages-intérêts à la charge de la société A..

Suivant exploit en date du 29 mars 2019, c. C. a interjeté appel du jugement susvisé, non signifié, dont elle a sollicité l'infirmation partielle, et demande à la Cour, au visa des articles 22, 23 et 24 du Code civil monégasque, de l'article 22 de la Constitution monégasque et des pièces versées aux débats, de :

  • - recevoir c. C. en son appel du jugement rendu le 20 décembre 2018 par le Tribunal de première instance de Monaco, et la dire bien fondée,

  • - confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu fautive la publication dans le n° aa de l'hebdomadaire « B. » des photographies et les textes évoqués ci-dessus, la SNC « A. » (A.) et constaté que A. avait porté atteinte à la vie privée de c. C. et aux droits dont elle dispose sur son image,

  • - infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en ce qui concerne l'évaluation du préjudice subi par c. C. mais également en statuant à tort que la reprise d'une information attentatoire à la vie privée devenait licite et n'était plus fautive après une première diffusion,

Et statuant à nouveau,

  • - constater l'extrême gravité des fautes commises par A. qui s'est rendue coupable d'une grave immixtion dans la vie privée de c. C. à travers des clichés volés particulièrement intimes de l'appelante,

  • - condamner la société A. à payer à c. C. la somme de 50.000 euros de dommages-intérêts au titre de la réparation du préjudice subi pour les très graves atteintes portées à sa vie privée et aux droits dont elle dispose sur son image,

  • - condamner la société A. à payer à c. C. la somme de 20.000 euros de dommages-intérêts au titre de la réparation du préjudice subi pour les très graves atteintes portées à sa vie privée et aux droits dont elle dispose sur son image,

  • - interdire la publication nouvelle sur tout support, physique et immatériel, en tout ou partie, des clichés photographiques volés représentant c. C. reproduits dans le n° aa du magazine B. à l'encontre de la société A., sous astreinte de 10.000 euros par jour, par numéro, par infraction constatée, à compter de la signification de la décision à intervenir :

    • cliché volé reproduit au centre de la page de couverture,

    • cliché volé reproduit en haut à gauche de la page de couverture,

    • cliché volé reproduit en haut à gauche de la page 18,

    • cliché volé reproduit en bas à gauche de la page 18,

    • cliché volé reproduit en haut à droite de la page 18,

    • cliché volé reproduit au centre de la page 19,

    • cliché volé reproduit en haut à gauche de la page 20,

    • cliché volé reproduit en haut à droite de la page 20,

  • - ordonner, aux frais de la société A., sous astreinte de 10.000 euros par numéro de retard, une mesure d'insertion en totalité de la page de couverture du prochain numéro du magazine B. suivant la signification de la décision à intervenir, sans aucun cache, de manière parfaitement apparente, et en particulier sans qu'elle soit recouverte d'aucun dispositif de nature à en réduire la visibilité. La mesure de publication judiciaire sera libellée dans les termes suivants :

    « PUBLICATION JUDICIAIRE

    À la demande de Mademoiselle c. C.

    Par arrêt en date du ..., la Cour d'appel de MONACO a condamné la société A. à réparer le préjudice causé à c. C. par la publication dans le numéro aa daté du bb de l'hebdomadaire B. d'un nouvel article portant gravement atteinte au respect de sa vie privée et aux droits dont elle dispose sur son image »,

  • - dire que les termes « publication judiciaire » et « à la demande de Mademoiselle c. C. » seront en caractères majuscules noirs sur fond blanc d'au moins 1,5 cm de hauteur, que le texte sera rédigé en corps 12 et que ladite publication sera entourée d'un trait continu de couleur noire d'au moins 0,5 cm d'épaisseur formant cadre,

  • - ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

  • - condamner la société A. aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation de droit.

Aux termes de cette assignation et de ses conclusions en date du 8 octobre 2019, c. C. qui reproche au Tribunal d'avoir alloué des dommages-intérêts inférieurs à ceux habituellement alloués pour la grave atteinte à sa vie privée qu'il a consacrée, soutient essentiellement que :

  • - l'atteinte au respect de la vie privée et au droit à l'image est caractérisée et n'est d'ailleurs pas contestée par la société A.,

  • - la rediffusion de cette relation sentimentale par le magazine « B. » est également fautive car soumise à une autorisation spéciale non consentie en l'espèce,

  • - l'atteinte s'apprécie au jour de la publication de l'article, date à laquelle les protagonistes n'avaient pas révélé officiellement leur relation sentimentale,

  • - la seule constatation des atteintes à son droit au respect de la vie privée et à son droit à l'image ouvre droit à réparation, sans qu'il soit besoin à la victime de rapporter la preuve d'un quelconque préjudice,

  • - le préjudice subi est grave du fait de la révélation brutale d'une liaison,

  • - son préjudice est aggravé par la traque permanente menée par le magazine B., le harcèlement et l'exposition continue de sa vie privée qui créent un sentiment d'insécurité et modifient l'attitude de son entourage, éléments dont n'a pas tenu compte le Tribunal dans son évaluation du préjudice,

  • - de telles atteintes créent chez elle de la souffrance, un sentiment de dépossession de son intimité et d'exaspération : elle ne peut mener une vie normale sans être traquée,

  • - le préjudice doit également tenir compte du caractère sensationnel de la couverture visible en kiosque, sans qu'il ne soit minimisé par le faible nombre d'exemplaires,

  • - il ne doit pas être minimisé par la publication antérieure de ce séjour dans un autre magazine,

  • - il est aggravé par les révélations incessantes sous la forme d'un feuilleton amoureux, des commentaires dénigrant des lecteurs et la réitération des faits par la société A. malgré de nombreuses condamnations antérieures,

  • - les premiers juges ont minoré sans raison valable le préjudice subi en jugeant que l'évocation d'une relation sentimentale ne pouvait être considérée comme fautive,

  • - ils n'ont pas tenu compte de l'audience représentée par le site internet du magazine B.,

  • - le préjudice économique et professionnel sera retenu car son image, associée à des marques qui la sponsorisent et dont elle est l'égérie, a une valeur patrimoniale qui ne peut être dévoyée.

La société A. a, par conclusions du 12 juillet 2019, relevé appel incident et demande à la Cour de :

Sur la compétence :

  • - dire et juger que la Cour n'est compétente que pour réparer le dommage éventuellement résulté pour c. C. en Principauté de Monaco, de l'article critiqué,

  • - constater que c. C. ne distingue pas entre le préjudice qui serait résulté pour elle de l'article litigieux sur l'ensemble du territoire de la communauté européenne de celui qui serait éventuellement résulté de sa diffusion en Principauté de Monaco,

  • - constater que c. C. ne distingue pas non plus entre le préjudice moral et le préjudice économique qu'elle sollicite,

  • - dire et juger que la Cour n'est pas compétente pour ordonner une mesure de publication judiciaire dans un journal français,

Sur les dommages allégués :

  • - la recevoir en son appel incident et l'y déclarer bien fondée,

  • - constater que la preuve des préjudices revendiqués n'est pas rapportée,

  • - en conséquence, n'allouer d'autre réparation que de pur principe à c. C. et la débouter de ses demandes plus amples,

  • - la condamner aux entiers dépens distraits au profit de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur, sur sa due affirmation.

L'intimée fait valoir au soutien de ses prétentions que :

  • - la compétence des juridictions monégasques est limitée à la réparation du dommage éventuellement subi en Principauté, où la diffusion de l'hebdomadaire a été résiduelle,

  • - ces juridictions sont incompétentes pour imposer la publication d'un communiqué dans un journal français,

  • - la motivation du Tribunal est contradictoire en ce qu'il semble exclure la réparation du préjudice sur le territoire européen mais en tient compte en retenant au titre du dommage le nombre important de lecteurs de ce site,

  • - sa motivation est en outre erronée car cette publication n'est pas poursuivie par c. C.

  • - les premiers juges commettent une erreur de droit en retenant que la réparation doit être proportionnelle à la faute commise et que le préjudice est inhérent à l'atteinte, alors que la preuve de l'étendue du dommage doit être rapportée par celui qui l'invoque,

  • - l'appréciation du préjudice se fait au jour où la juridiction statue, date à laquelle le couple est désormais marié,

  • - l'article dénoncé n'est pas celui qui a révélé l'existence du couple,

  • - la réitération des articles n'est un facteur d'aggravation du préjudice que s'il est démontré en quoi le caractère répétitif des articles induit un préjudice moral aggravé,

  • - c'est à l'appelante de démontrer le préjudice important qu'elle allègue,

  • - c. C. prétend être dans l'impossibilité de mener une vie normale sans fournir aucune preuve de faits précis,

  • - elle n'établit pas davantage l'existence du préjudice économique et professionnel qu'elle invoque au motif que les clichés publiés galvauderaient son image, laquelle est associée à des marques dont elle est l'égérie,

  • - c. C. n'est pas une personne discrète,

  • - la publication des autres articles n'entre pas dans l'appréciation du préjudice qui résulte de la seule publication fautive à Monaco où la diffusion a été restreinte,

  • - le couple a officialisé sa relation en juin 2017, soit trois mois après l'article incriminé,

  • - les demandes d'interdiction et de publication judiciaire, ni motivées, ni justifiées, ne sauraient être accueillies.

Elle sera en conséquence accueillie en son appel incident et il ne sera alloué à c. C. qu'une réparation de pur principe.

En réponse à cette argumentation, c. C. a fait valoir dans le dernier jeu de ses écritures judiciaires que :

Sur la compétence : que le site internet est accessible depuis Monaco, que le fait dommageable est subi à la fois en France et à Monaco en sorte que les juridictions monégasques sont compétentes pour ordonner une mesure de publication judiciaire dans un journal français.

Sur le dommage subi : que la seule constatation de l'atteinte ouvre droit à réparation dès lors qu'une souffrance morale ne donne pas nécessairement lieu à des manifestations extérieures visibles, que le fait qu'elle soit désormais mariée ne lui ôte pas ce droit, qu'elle se plaint d'un préjudice aggravé du seul chef de « B. » en l'état du caractère répétitif des articles qui lui sont consacrés, alors qu'elle n'a jamais fait preuve de complaisance envers les organes de presse concernant sa vie privée au regard des actions judiciaires entreprises par elle pour faire respecter ses droits de la personnalité.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que les appels régularisés dans les formes et délais prescrits sont réguliers et recevables ;

Attendu que les dispositions non appelées du jugement, aux termes desquelles le Tribunal s'est déclaré compétent pour réparer le préjudice éventuellement subi par c. C. du fait de la diffusion à Monaco du magazine litigieux et a rejeté la demande de condamnation pour les frais non compris dans les dépens, sont définitives ;

Attendu que les dispositions contenues dans le dispositif des écrits judiciaires de la société A. tendant à voir la Cour « constater » différents points ne constituent nullement des demandes mais des moyens ;

  • Sur la compétence quant à la demande de publication judiciaire :

Attendu que s'agissant d'une publication émanant d'un éditeur dont l'établissement est en France, les juridictions monégasques ne sont compétentes, quant au préjudice, que pour le dommage subi en Principauté de Monaco ;

Que c'est dès lors à bon droit que le Tribunal s'est reconnu compétent pour statuer sur la demande de publication judiciaire et a justement indiqué qu'au regard de l'étendue de ses attributions, qui n'est pas celle du lieu d'édition du magazine « B. », cette éventuelle publication ne pourrait concerner que les magazines à paraître sur le territoire monégasque, la décision étant confirmée de ce chef ;

  • Sur les atteintes :

Attendu que les premiers juges ont à tort considéré que l'article incriminé n'emportant aucune exclusivité s'agissant de l'évocation de la nouvelle relation sentimentale entre c. C. et d. R. sa publication ne pouvait être considérée comme fautive, alors que cette divulgation n'avait pas été autorisée par l'intéressée, qui n'avait elle-même fait aucune déclaration à ce propos ;

  • Sur le préjudice :

Attendu que le droit à réparation résulte incontestablement de la démonstration faite par le Tribunal, et au demeurant non critiquée, de ce que la publication de l'article incriminé traitant de faits relevant de la vie privée de c. C. assorti de photos prises à l'insu de l'intéressée, a porté atteinte par voie de presse au respect de la vie privée et à l'image dont dispose c. C.;

Qu'en cause d'appel, seul est en discussion le montant de l'indemnisation revenant à c. C.;

Attendu, en droit, que si le principe du droit à réparation est acquis dès lors que l'atteinte est établie, il appartient néanmoins à l'appelante de prouver l'étendue du préjudice qu'elle lui a causée ;

Que le montant de la réparation accordée en indemnisation d'une atteinte aux droits de la personnalité est uniquement fonction du préjudice, dont l'évaluation est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes ainsi que des éléments invoqués et établis depuis la parution ;

Attendu, au cas particulier, que le dommage subi par l'appelante résulte de la diffusion sur le territoire monégasque d'informations et de photographies attentatoires à sa vie privée et à son droit à l'image ;

Qu'en effet, la notoriété de c. C. liée à son statut de membre de la famille Y régnante, si elle attire la curiosité du public à son égard, ne la prive pas cependant de protection face à des immixtions illicites dans sa sphère intime ;

Que le préjudice qui en résulte doit au cas d'espèce s'apprécier au regard du trouble apporté par l'évocation non consentie de ses sentiments, de sa surprise lors d'un séjour de vacances à caractère privé, de la surveillance dont elle fait l'objet qui ne constitue aucunement la contrepartie de la notoriété, de son refus justifié des empiètements réitérés sur sa vie privée, plusieurs fois matérialisé, notamment par les multiples condamnations antérieures de la société éditrice du magazine, de la place donnée à cette publication qui occupe quasiment toute la page de couverture, de l'exposition continue de sa vie privée, l'article litigieux s'inscrivant d'ailleurs dans le sillage de précédentes publications, notamment celle du magazine « B. » du cc sur sa nouvelle relation amoureuse non encore dévoilée par elle, pour livrer des détails de sa vie sentimentale qui vont au-delà de ce que l'intérêt du public peut justifier au regard de son appartenance à ZZ et enfin du sentiment d'acharnement et d'impuissance à protéger sa vie privée qui en résulte ;

Que si la diffusion sur le territoire monégasque peut paraître limitée au regard du faible nombre d'exemplaires vendus, un examen des chiffres révèle pourtant que sur les 1.558 magazines réservés à la vente à Monaco, 1.147 ont été achetés, soit au cas particulier que près de 74 % du stock ont été écoulés, ce qui témoigne de la présence d'un fort lectorat en Principauté pour ce qui concerne les membres de la famille Y alors que l'impact de la présentation du magazine en kiosque ne saurait être occulté, la couverture et les titres à sensation évoquant la vie intime de c. C. étant précisément de nature à attirer l'attention des passants, même dénués d'intention d'achat ;

Qu'il doit être néanmoins relevé que le ton utilisé n'est pas malveillant et que les images ne sont pas dévalorisantes, que l'article publié n'est pas à l'origine de la révélation de l'existence du couple, -bien que la circonstance que l'information relative à la relation sentimentale de c. C. avec d. R. ait été précédemment divulguée ne légitime aucunement la réitération de cette révélation au demeurant très récente-, que les propos critiques tenus par certains lecteurs du 15 au 22 mars à l'endroit de l'appelante ne sont pas liés à la publication en cause parue postérieurement la semaine du 28 avril au 4 mai 2017, et enfin, que c. C. ne verse aucun élément objectif établissant qu'elle a subi de grosses répercussions sur sa vie privée ;

Qu'en revanche, en l'absence de production d'éléments de nature à établir que la publication litigieuse a altéré son image et sa réputation d'un point de vue professionnel et que les annonceurs actuels ou futurs se sont ou pourraient se détourner d'elle, c. C. n'est pas fondée à invoquer en l'espèce un préjudice d'ordre économique et professionnel ;

Attendu en définitive qu'en considération des éléments susvisés, exclusifs de la publication en ligne de l'article litigieux dont les juridictions n'ont pas été saisies par c. C. le préjudice moral ainsi subi par elle du fait des graves atteintes à sa vie privée et à son image doit être raisonnablement réparé par l'octroi d'une somme de 10.000 euros ;

Que le jugement déféré sera dès lors réformé sur ce point et il convient de condamner la société A. à payer à c. C. ladite somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ainsi subi, la société éditrice étant par conséquent déboutée des fins de son appel incident ;

Attendu, sur les mesures complémentaires demandées, qui trouvent leur fondement dans les dispositions de l'article 24 du Code civil, que la publication d'un extrait de la décision et l'interdiction de republication de certaines photographies à titre de réparations complémentaires n'apparaissent pas nécessaires et proportionnées aux faits en cause, en l'état des circonstances du litige, caractérisées par une absence de malveillance et la divulgation d'informations non fallacieuses concernant une relation sentimentale déjà révélée par d'autres articles, le couple étant aujourd'hui marié ; que la décision est donc confirmée de ce chef ;

Attendu que la demande d'exécution provisoire est sans objet en cause d'appel ;

Attendu que le surplus de la décision rendue le 20 décembre 2018 par le Tribunal de première instance sera également confirmé et les parties déboutées de toutes prétentions contraires ;

Et attendu que la société A., qui succombe essentiellement, supportera les dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels,

Confirme le jugement rendu le 20 décembre 2018 par le Tribunal de première instance en ce qu'il s'est déclaré compétent sur la demande de publication judiciaire et a consacré le droit à réparation de c. C.

Le réforme en ce qu'il a condamné la société A. à payer à c. C. la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des atteintes à sa vie privée et à son image,

Condamne la société A. à payer à c. C. la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des atteintes à ses droits de la personnalité, résultant de la publication du magazine « B. », n° aa du bb en Principauté de Monaco,

Dit que la demande d'exécution provisoire est sans objet en cause d'appel,

Condamne la société A. aux dépens d'appel distraits au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique du 26 MAI 2020, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de justice.

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