Cour d'appel, 10 mars 2020, La SAM A. c/ L'État de Monaco et autres
Abstract🔗
Faillites - Admission des créances - Recevabilité de l'appel formé par la société en liquidation des biens (non)
Résumé🔗
En application de l'article 530 alinéa 1er du Code de commerce, dès l'ouverture de la procédure de liquidation des biens et pendant toute sa durée, les actions relatives au patrimoine du débiteur ne peuvent être exercées que par le syndic. L'appel formé par la société en liquidation des biens contre la décision d'admission d'une créance est donc irrecevable.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 10 MARS 2020
En la cause de :
- La Société Anonyme Monégasque dénommée A., immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le numéro X, dont le siège social est sis X1 98000 Monaco, agissant poursuites et diligences de Monsieur o. M. qui suite au décès de Monsieur c. H. a été désigné en qualité de représentant de la société dans le cadre des opérations de la procédure de liquidation de biens et des procédures judiciaires en cours, domicilié ès-qualités audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Frédéric ROMETTI, avocat au barreau de Nice ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
- 1/ L'ÉTAT DE MONACO, représenté au sens de l'article 153, 1° du Code de procédure civile par Monsieur le Ministre d'État, demeurant Palais du Gouvernement, Place de la Visitation à Monaco, étant pour ce dans les bureaux de la Direction des Affaires Juridiques sis 13 avenue des Castelans à Monaco ;
Et en tant que de besoin :
2/ Monsieur le Directeur des Services Fiscaux de la Principauté de Monaco, étant en ses bureaux, « Le Panorama », 57 rue Grimaldi à Monaco ;
Ayant tous deux élu domicile en l'Étude de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
3/ Monsieur j-p SA., pris en sa qualité de syndic de la liquidation des biens de la SAM A., demeurant en cette qualité 9 avenue des Castelans, 98000 Monaco ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° 474-BAJ-19, par décision du Bureau du 8 juillet 2019
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
4/ Madame le Procureur Général près la Cour d'Appel de Monaco, en ses bureaux au Palais de Justice, rue Colonel Bellando de Castro, audit Monaco ;
COMPARAISSANT EN PERSONNE
INTIMÉS,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 22 novembre 2018 (R. 1127) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 11 janvier 2019 (enrôlé sous le numéro 2019/000061) ;
Vu les conclusions déposées les 3 avril 2019 et 3 décembre 2019 par Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, au nom de l'ÉTAT DE MONACO ;
Vu les conclusions déposées les 28 mai 2019 et 5 novembre 2019 par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de la Société Anonyme Monégasque dénommée A. ;
Vu les conclusions déposées les 7 octobre 2019 et 21 janvier 2020 par le ministère public ;
Vu les conclusions déposées le 22 janvier 2020 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur j-p SA. ;
À l'audience du 28 janvier 2020, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties, le ministère public entendu ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par la Société Anonyme Monégasque dénommée A. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 22 novembre 2018.
Considérant les faits suivants :
Créée en 1967 par c. H. la SAM A. avait pour objet des prestations de services informatiques et de technologies, avant de développer à compter de 2004 une activité d'achat et de revente en gros de composants informatiques.
Suite à une procédure de vérification fiscale initiée le 3 mai 2007 en matière de TVA, cette société s'est vue notifier le 28 septembre 2007 un redressement par la Direction des Services Fiscaux de Monaco, pour un montant de 104.698.110 euros.
Par jugement en date du 7 janvier 2010, le Tribunal de première instance a constaté la cessation des paiements de la SAM A. exerçant son activité sous l'enseigne « B. », désigné j-p SA. en qualité de syndic, fixé provisoirement au 1er décembre 2007 la date de cessation des paiements et prononcé la liquidation des biens de cette société.
Par courrier en date du 19 janvier 2010, l'ÉTAT DE MONACO, agissant par ses services fiscaux (recette principale des taxes) a produit au passif de la société pour un montant de 104.698.110 euros à titre privilégié tandis que Maître J. S., alors avocat-défenseur, a produit pour un montant de 209.896,29 euros à titre chirographaire.
Déposé le 17 avril 2015, l'état des créances a été arrêté par ordonnance du 19 mai 2015, avec mention de la réclamation de la SAM A. à l'encontre de ces deux productions.
Par ordonnance rendue le 20 avril 2016, le juge commissaire, statuant à titre provisionnel en application des dispositions de l'article 471 du Code de commerce, ordonnait la jonction des deux procédures enregistrées sous les numéros 207/SAM/588 et 214/SAM/588, déclarait la SAM A. recevable en ses réclamations, constatait que l'ÉTAT DE MONACO disposait d'un titre exécutoire ne pouvant plus être contesté, admettait l'ÉTAT DE MONACO au passif de la liquidation des biens de la SAM A. à hauteur de la somme de 104.698.110 euros au titre du redressement fiscal du 28 septembre 2007, constatait que Maître J. S. avait été désintéressé par l'ÉTAT DE MONACO de sa créance à hauteur de 209.896 euros et disait n'y avoir lieu d'admettre cette créance au passif.
Saisi par application des dispositions de l'article 472 du Code de commerce, le Tribunal de première instance a, par jugement rendu le 22 novembre 2018 :
- ordonné la jonction des instances enrôlées sous les numéros 2015/607 et 2016/642,
- déclaré la SAM A. recevable en ses contestations,
- prononcé l'admission définitive de l'ÉTAT DE MONACO au passif de la liquidation des biens de la SAM A., pour les sommes de :
* 104.698.110 euros à titre privilégié,
* 209.896,29 euros à titre chirographaire,
- ordonné qu'il en sera fait mention en marge des créances de ladite liquidation des biens à la diligence du greffier en chef,
- ordonné l'enrôlement des dépens, y compris ceux réservés par l'ordonnance du 20 avril 2016, en frais privilégiés de liquidation de biens.
Pour statuer ainsi, le Tribunal, après avoir prononcé dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice la jonction des procédures enregistrées qui présentent d'évidents liens de connexité, a retenu en substance que :
1) concernant la recevabilité des réclamations formées par la SAM A. :
- suite au décès de c. H. o. M. a été désigné en qualité de représentant de la société dans le cadre des opérations de la procédure de liquidation des biens et des procédures judiciaires en cours et a, à ce titre comparu en personne avec la simple assistance d'un conseil français,
- si le prononcé de la liquidation de biens entraîne le dessaisissement du débiteur en application des dispositions de l'article 530 du Code de commerce, ce principe connait des limites permettant au débiteur d'agir seul, notamment pour la défense de droits à caractère personnel ou s'agissant de sa participation à la procédure collective,
- il est ainsi admis à formuler des réclamations à l'encontre de l'admission d'une production au passif en vertu de l'article 470 du Code de commerce,
- ce texte, nonobstant son positionnement dans la nomenclature du Code de commerce, par l'autonomie qu'il confère au débiteur, est dérogatoire de l'assistance obligatoire du débiteur en cessation des paiements par le syndic énoncé par l'article 441 du Code précité,
- il n'y a donc pas lieu d'exclure l'application pleine et entière des dispositions de l'article 470 susvisé, en cas, comme en l'espèce, de prononcé de la liquidation des biens ab initio,
2) sur le bien-fondé de ses réclamations :
- la réclamation formée par la SAM A. porte sur l'existence même de la créance de l'ÉTAT DE MONACO et le bien-fondé du redressement fiscal qui lui a été notifié le 28 septembre 2017,
- au visa de l'article 62 de l'ordonnance souveraine du 29 avril 1828 sur l'enregistrement modifiée par la loi n° 1.285 du 15 juillet 2004 applicable pour le recouvrement des arriérés de TVA, la SAM A. a fait l'objet d'une contrainte à hauteur de 104.698.110 euros décernée par le Directeur des Services Fiscaux le 3 décembre 2007, visée et déclarée exécutoire par le Président du Tribunal de première instance le 6 décembre 2007, signifiée à la société concernée par acte d'huissier en date du 13 décembre 2007, sans que celle-ci ne formule de contestation,
- l'ÉTAT DE MONACO dispose dès lors d'un titre exécutoire à l'encontre de la SAM A. qui n'est plus recevable à en contester le contenu,
- la SAM A., qui considère que le fait de conditionner la recevabilité de la contestation formée contre cette imposition au paiement de cette somme par application des disposions de l'article 62 alinéa 2 de l'ordonnance du 29 avril 1828, serait contraire à l'article 6 §1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme qui garantit l'accès au juge, ne peut être suivie dans son argumentaire dès lors que :
* de jurisprudence constante de la Cour Européenne, des limitations peuvent être apportées à ce droit si elles poursuivent un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi de façon à ne pas atteindre le droit d'accès dans sa substance même,
* si au regard du montant important de l'imposition contestée, le fait de conditionner la recevabilité de la contestation à son paiement préalable pourrait aboutir à priver le réclamant de son droit, effectif et concret, de contester cette imposition, le juge national est le juge naturel de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme en application du principe de subsidiarité, et cet instrument n'a pas pour effet de priver les Etats membres de la possibilité d'imposer des voies de contestations impératives aux justiciables,
* le droit d'accès au juge peut, au contraire, donner lieu à des limitations, car il appelle de par sa nature même une règlementation par l'État,
* il appartenait ainsi à la SAM A. de faire opposition à la contrainte en application de l'article 62 alinéa 3 de l'ordonnance du 29 avril 1828 et de délivrer assignation au fond devant le Tribunal de première instance aux fins de solliciter la décharge de son imposition et d'invoquer, dans ce cadre procédural, une ingérence de l'État dans son droit d'accès au juge si elle devait être déclarée irrecevable du fait d'une absence de consignation de la somme litigieuse,
* elle n'a pas exercé cette voie de recours et elle ne démontre nullement en avoir été empêchée par un cas de force majeure, le décès de son dirigeant ne pouvant recevoir un effet juridique,
- en l'état de cette carence et suite à l'ouverture de la procédure collective, la SAM A. ne peut invoquer la violation de l'article 6 §1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme au stade de la réclamation contre l'état des créances,
- au vu de la contrainte décernée et déclarée exécutoire, il y a lieu d'admettre à titre privilégié au passif de la liquidation de la SAM A. la créance de l'ÉTAT DE MONACO à hauteur de 104.698.110 euros au titre du redressement fiscal du 28 septembre 2007,
- la déclaration de créance chirographaire de Maître J. S. est fondée sur un état de frais réglé par l'ÉTAT DE MONACO qui se trouve donc subrogé dans ses droits pour l'admission de cette créance,
- du fait de l'admission de l'ÉTAT DE MONACO, rien ne s'oppose à son admission en qualité de subrogé de son avocat-défenseur, alors que la contestation élevée par la SAM A. tenait au lien entre la créance fiscale de celui-ci et l'état de frais en question, afférent au jugement d'ouverture de la procédure collective.
Par exploit du 11 janvier 2019, la SAM A. a interjeté appel parte in qua à l'encontre du jugement précité.
Aux termes de son assignation et de conclusions déposées les 28 mai 2019 et 5 novembre 2019, la SAM A. a demandé à la Cour de :
- la recevoir en son appel partiel et le déclarer bien fondé,
- réformer ledit jugement en ce qu'il a prononcé l'admission définitive de l'ÉTAT DE MONACO au passif de la liquidation des biens ouverte à son endroit pour les sommes de 104.698.110 euros à titre privilégié et 209.896,29 euros à titre chirographaire,
Statuant à nouveau,
1) - In limine litis et à titre principal, ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale actuellement en cours, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et en application du principe selon lequel le Criminel tient le Civil en l'état,
Si par extraordinaire la Cour n'ordonnait pas le sursis à statuer,
2) - constater que la procédure prévue à l'article 62 de l'ordonnance souveraine du 29 avril 1828 viole l'article 6§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme,
En conséquence,
- dire et juger qu'elle n'était pas en mesure de contester la contrainte délivrée par l'ÉTAT DE MONACO,
3)- constater que l'ÉTAT DE MONACO ne justifie pas de sa créance ni de la faute de la SAM A.,
- constater qu'aucune fraude fiscale n'a été commise sur le territoire monégasque,
- dire et juger que la SAM A. avait vérifié que ses fournisseurs et ses clients étaient régulièrement assujettis à la TVA et justifie avoir pris toutes les mesures raisonnables à cet effet,
En conséquence,
- réformer le jugement de première instance en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de Madame le juge commissaire à la liquidation des biens de la SAM A. ayant admis la créance de l'ÉTAT DE MONACO au passif de la liquidation des biens ouverte à son endroit à hauteur de 104.698.110 euros au titre du redressement fiscal du 28 septembre 2007,
- prononcer le rejet de la créance de l'ÉTAT DE MONACO du passif de la liquidation des biens ouverte à son endroit,
4) - constater que la créance de J. S., dans les droits duquel est subrogé l'ÉTAT DE MONACO, est constituée des honoraires taxés forfaitairement sur la base du recouvrement de la créance de la Recette principale des taxes,
- dire et juger que la créance de J. S., dans les droits duquel est subrogé l'ÉTAT DE MONACO, est privée d'assiette de taxation, en raison du rejet de la créance de la Recette principale des taxes du passif de liquidation des biens,
En conséquence,
- réformer le jugement de première instance et rejeter la créance de J. S. du passif de la liquidation des biens de la société A.,
En tout état de cause,
- confirmer le jugement du 22 novembre 2018 pour le surplus,
- débouter l'ÉTAT DE MONACO de l'ensemble de ses fins, demandes et conclusions,
- condamner les parties succombantes aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Au soutien de ses prétentions liminaires tendant au prononcé d'un sursis à statuer, elle fait valoir qu' une instruction pénale est en cours, afin notamment de déterminer si la société A. était ou non intégrée à un réseau organisé de carrousel de TVA ayant conduit au redressement fiscal à l'origine de l'inscription provisoire de la créance contestée au passif de sa liquidation des biens, de sorte que l'issue de cette procédure est de nature à remettre en cause sa participation aux faits dénoncés et par la même la décision que la Cour pourrait être amenée à rendre dans le cadre de la présente procédure.
Elle en déduit qu'il ne peut être statué sur l'admission à titre définitif de cette créance tant que « l'issue du procès pénal n'aura pas relevé les responsabilités des parties et l'implication supposée de la société A. dans cette opération frauduleuse », d'autant que de nouvelles mesures d'instruction ont été sollicitées par le Parquet, de nature à l'exonérer de toute responsabilité et à anéantir le fondement de la créance dont s'agit.
Invoquant l'identité des faits et l'influence de cette procédure sur la solution du litige, elle se prévaut des dispositions de l'article 3 alinéa 2 du Code de procédure pénale pour asseoir sa demande de sursis à statuer, relevant que sa demande se trouve fondée sur des éléments nouveaux dont elle n'avait pas connaissance au moment de ses premières conclusions d'appel.
Elle expose que la Cour dispose en tout état de cause du pouvoir d'ordonner d'office un sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
Toujours à titre liminaire, elle considère être recevable en sa contestation, relevant que le système exigeant de payer la somme réclamée avant de pouvoir en contester le fondement constitue un déni du droit à un procès équitable.
Elle estime que le juge de première instance, s'il a reconnu partiellement cette atteinte portée à son droit d'accès au juge, n'en a pas tiré les conséquences, lui renvoyant l'initiative d'une procédure hasardeuse qui n'est pas prévue par les dispositions de l'article 62 de l'ordonnance du 29 avril 1828.
Elle en déduit que la rédaction du texte précité l'a empêchée de contester la contrainte délivrée par les services fiscaux et que la conséquence directe de cette impossibilité pour le contribuable de former opposition est l'inopposabilité de toute prescription puisque les délais n'ont pu commencer à courir.
Elle salue la mémoire de c. H. qui gérait ses entreprises avec charisme, passion, dévouement et une parfaite probité, dans le plus profond respect et dévouement pour la Principauté.
Elle soutient également sa recevabilité à agir seule au regard des dispositions de l'article 470 du Code de commerce.
Au fond, elle affirme qu'aucune faute n'est démontrée à son encontre et que la Recette principale des taxes ne justifie pas de sa créance ni de son préjudice.
Elle ajoute qu'aucune fraude fiscale n'a été commise sur le territoire monégasque et que le préjudice subi sur le territoire français est en cours de réparation au regard des décisions de justice rendues par les juridictions françaises à l'égard des sociétés C., D. et E.
Elle fait état de l'imbrication des régimes de TVA et se référant au régime applicable à l'importation en Europe de biens ou services, en déduit que seul l'État français a été victime d'un délit de non déclaration et non-paiement de la TVA du fait des fournisseurs de la société A..
Elle prétend qu'elle était parfaitement en règle avec les dispositions régissant la TVA à Monaco, soutenant que le client final des livraisons, s'agissant d'une société belge ou espagnole, bénéficiait d'un numéro de TVA intracommunautaire et pouvait de ce fait, en l'absence de contrôle plus poussé, se prévaloir du régime des livraisons intracommunautaires exonérées.
Elle soutient qu'elle a procédé aux vérifications qu'elle était en droit d'obtenir de ses fournisseurs, de sorte que si fraude il y avait, elle était pour elle indécelable, se prévalant à cet égard de la jurisprudence « Abacus » et de l'analyse opérée par le Conseil d'état.
Elle relève que l'acquiescement de c. H. alors président de la société A., à la demande de liquidation des biens sollicitée par le Directeur des Services Fiscaux, ne saurait en aucun cas constituer une reconnaissance implicite de la dette fiscale de l'État monégasque.
Elle considère que, si la contestation de la créance fiscale était juridiquement impossible en l'état des dispositions de l'article 62 alinéa 2 de l'ordonnance du 29 avril 1828, sa demande visant à voir statué sur le bien-fondé de cette prétendue créance est recevable dans le cadre de la procédure de liquidation de biens dont l'un des effets est la suspension de l'exigibilité des sommes dues.
Enfin, elle réfute l'argumentation de la partie adverse aux termes de laquelle elle aurait volontairement participé à un carrousel de TVA et poursuivi une activité de négoce qui ne répondait pas à une logique commerciale et économique.
Pour justifier de la réalité des transactions auxquelles elle participait, elle explicite les étapes de traitement d'une livraison qu'elle illustre par 4 dossiers.
Elle explique le recours à une banque étrangère pour la réalisation de ces opérations par une contrainte technique liée à la rapidité de paiement.
Pour répondre à l'irrecevabilité dans son action soulevée par j-p SA., elle fait valoir que bien que se trouvant dessaisie par l'effet de la liquidation de biens du droit d'administrer ou de disposer de son patrimoine propre, elle « dispose de droits propres aux fins d'accepter ou contester et procéder à la vérification des créances », alors au demeurant qu'elle a informé le syndic à plusieurs reprises de son opposition à l'admission de la créance des services fiscaux.
Par conclusions déposées le 22 janvier 2020, j-p SA. agissant ès-qualité de syndic à la liquidation de biens de la SAM A. a formé appel incident et demandé à la Cour de :
- constater que la SAM A. n'est pas assistée d'un syndic dans le cadre de sa contestation de l'état des créances,
En conséquence,
À titre principal,
- réformer le jugement du Tribunal de première instance du 22 novembre 2018,
- dire et juger que l'action de la SAM A. en contestation de l'admission au passif de la créance de la Direction des Services Fiscaux est irrecevable,
À titre subsidiaire, si la Cour d'appel venait à considérer que l'action de la SAM A. est recevable,
- dire et juger que l'appel formé par celle-ci est irrecevable,
À titre très subsidiaire, si la Cour d'appel venait à considérer que la SAM A. est recevable à faire appel du jugement précité,
- constater qu'il entend s'en rapporter à la décision de la Cour d'appel pour ce qui concerne la demande de sursis à statuer,
En tout état de cause,
- condamner la SAM A. aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Il objecte que la SAM A. est irrecevable en son action aux motifs que :
- si le débiteur dispose d'un droit autonome de formuler des réclamations, la recevabilité de ces dernières est conditionnée à l'assistance du syndic, par application conjuguée des articles 530 et 441 du Code de commerce,
- la société A. a initié et poursuivi la présente action en contestation de l'admission de la créance au passif, sans jamais être assisté de son syndic, lequel a par ailleurs indiqué ne pas reprendre pour son compte la contestation soulevée à laquelle il s'est même opposé, de sorte qu'il appartenait à la société précitée de solliciter du juge commissaire l'autorisation de se faire assister d'un syndic ad hoc pour les besoins de la cause, ce dont elle ne justifie pas,
- la désignation d o. M. en qualité de représentant de la société suite au décès de c. H. n'est pas de nature à pallier l'absence d'assistance d'un syndic.
Il soutient subsidiairement qu'elle est irrecevable en son appel faute d'être assistée du syndic alors qu'il n'entend pas reprendre à son compte les demandes formées par la société, de sorte qu'il lui appartenait de solliciter du juge commissaire la nomination d'un syndic ad hoc .
Par conclusions en réponse déposées les 3 avril et 3 décembre 2019, l'ÉTAT DE MONACO a demandé à la Cour de :
À titre principal, in limine litis,
- constater que la SAM A. a pris seule l'initiative d'interjeter appel du jugement rendu le 22 novembre 2018, sans l'assistance de j-p SA., syndic à la liquidation,
Par conséquent,
- déclarer qu'en application de l'article 530 du Code de commerce, la SAM A. est irrecevable en son appel,
À titre subsidiaire, in limine litis,
- débouter la SAM A. de sa demande de sursis à statuer,
Sur le fond,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- débouter la SAM A. de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SAM A. aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Il fait valoir que préalablement à la demande de sursis à statuer formulée par la SAM A. dans ses écritures du 5 novembre 2019, il avait soulevé le 3 avril 2019 une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel interjeté par cette dernière sans l'assistance de son syndic à la liquidation, qui devra donc être tranchée en premier lieu.
Se fondant sur les dispositions de l'article 530 du Code de commerce, il souligne qu'au cas d'espèce le syndic n'a en aucun cas assisté la SAM A. dans le recours exercé et qu'il saurait d'autant moins faire sienne la voie de recours ainsi régularisée qu'il a obtenu une décision conforme à ses demandes.
Il en déduit qu'aucune régularisation de la procédure n'est envisageable à cet égard.
Par ailleurs, il s'oppose à la demande de sursis à statuer, relevant que la SAM A. ne produit aucun document de nature à justifier de l'existence d'une instruction pénale en cours, ni de la nature des faits qui sont reprochés dans ce cadre, pas plus qu'elle ne démontre en quoi cette procédure pourrait avoir une influence sur la décision civile à intervenir.
Au fond, il souligne que la SAM A. développe les mêmes arguments que ceux soumis au juge commissaire et au Tribunal de première instance, dont la motivation, à laquelle il se réfère, est exempte de toute critique.
Il affirme la participation délibérée de la SAM A. à un circuit de fraude organisée, dès lors qu'au regard des nombreuses anomalies figurant dans les documents afférents aux 4 commandes passées au cours de l'année 2005 représentant à peine 1,59 % de son chiffre d'affaire, elle aurait dû procéder à des vérifications quant à la réalité de l'activité de ses fournisseurs, ce qu'elle n'a pas fait.
Il soutient encore qu'en application conjuguée des articles 62-6, 44-2 et 42 II-1a) du Code des taxes, la SAM A. ne pouvait pas déduire la TVA comme elle l'a fait, de sorte qu'en procédant à des déductions de TVA grevant les factures fictives émises par ses fournisseurs français, elle a causé un préjudice à l'État monégasque, constitué du manque à gagner qu'il aurait dû percevoir de sa part au titre de la TVA, assorti de pénalités de retard, précisément chiffré à la somme de 104.698.110 euros.
Concernant l'admission de la créance produite par son conseil, dans les droits duquel il se trouve subrogé après paiement, il souligne qu'elle est constituée de son état de frais, qui n'est nullement assimilable à des honoraires.
Par conclusions déposées les 7 octobre 2019 et 21 janvier 2020, Madame le Procureur général a demandé à la Cour de déclarer l'appel recevable et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision qui sera prise par le juge d'instruction à l'issue des investigations qu'il mène dans le cadre de l'information ouverte à son cabinet.
Elle considère :
- d'une part, que le dessaisissement du débiteur prévu par l'article 530 du Code de commerce trouve des limites notamment dans la sphère de l'exercice de droits à caractère personnel ou de sa participation à la procédure collective,
- d'autre part, qu'il est incontestable qu'un juge d'instruction monégasque est en charge d'un dossier relatif à une fraude à la TVA, qui s'est en effet enrichi en juin 2019, de réquisitions supplétives du parquet, que cette information est manifestement couverte par le secret de l'instruction et que les investigations, longues et complexes eu égard à leur nature, devraient éclairer la Cour,
- enfin, que les arguments développés au fond par le tribunal sont pertinents et parfaitement motivés, de sorte qu'elle entend les reprendre à son compte pour poursuivre la confirmation de la décision.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l'appel :
Attendu que la SAM A. a relevé appel d'un jugement ayant prononcé l'admission définitive de la créance de l'ÉTAT DE MONACO au passif de la procédure collective ouverte à son endroit ;
Que la recevabilité de cet appel est contestée, tant par l'ÉTAT DE MONACO que le syndic, au motif qu'il a été régularisé sans « l'assistance » du syndic ;
Que j-p SA. agissant ès-qualité de syndic à la liquidation, fonde expressément cette irrecevabilité sur l'application conjuguée des articles 441 et 530 du Code de commerce ;
Attendu que l'article 441 du Code de commerce énonce que « le jugement qui constate la cessation des paiements emporte de plein droit, à compter de sa date, assistance obligatoire du débiteur par le syndic pour tous les actes concernant l'administration et la disposition de ses biens.
Tout acte patrimonial accompli par le débiteur seul est inopposable à la masse.
À peine d'irrecevabilité, les actions et voies d'exécution relatives au patrimoine du débiteur, tant en demande qu'en défense, ne peuvent être exercées ou poursuivies qu'avec l'assistance du syndic, même pour l'application de l'article 461 » ;
Attendu que l'article 530 alinéa 1er du Code de commerce, dispose quant à lui que « dès l'ouverture de la procédure de liquidation des biens, le débiteur est dessaisi » ;
Qu'il s'évince de ces dispositions que dès lors que la procédure ouverte sur cessation des paiements du débiteur conduit au prononcé d'une liquidation des biens, l'assistance obligatoire du débiteur par le syndic cède le pas à sa représentation par ce dernier ;
Que ces deux textes ne sont pas d'application cumulative mais alternative, selon le degré de gravité de la situation économique du débiteur en procédure collective ;
Qu'ainsi, dès l'ouverture de la procédure de la liquidation des biens et pendant toute sa durée, les actions relatives au patrimoine du débiteur ne peuvent être exercées que par le syndic ;
Attendu que la qualité du débiteur à exercer une voie de recours s'apprécie au jour où elle a été formée ;
Attendu qu'en l'espèce, le Tribunal a constaté l'état de cessation des paiements de la SAM A. et prononcé simultanément sa liquidation des biens par jugement rendu le 7 janvier 2010 ;
Qu'il s'ensuit que le 11 janvier 2019, jour de la régularisation du présent appel, la SAM A. se trouvait en état de liquidation des biens, le jugement déclaratif étant exécutoire par provision aux termes de l'article 572 du Code de commerce ;
Que certes, l'article 470 de ce même code autorise le débiteur à participer aux opérations de la procédure collective en formulant notamment une réclamation contre l'état des créances ;
Que toutefois ce texte ne déroge pas aux dispositions d'ordre public de l'article 530 précité ;
Que dès lors, l'instance d'appel en contestation de créance doit être exercée dans les conditions ci-dessus prévues, par une action du syndic ;
Que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Que si le débiteur a pu prendre seul, à titre conservatoire, l'initiative d'interjeter appel du jugement ayant prononcé l'admission de créance contestée afin d'empêcher cette décision d'acquérir l'autorité de la chose jugée, encore fallait-il que le syndic, mis en cause dans l'instance d'appel, régularise cette voie de recours en la reprenant à son compte ;
Qu'au cas présent, j-p SA. agissant ès-qualité de syndic liquidateur, loin de s'associer à cette contestation, indique au contraire s'y opposer et conclut à l'irrecevabilité de l'appel ainsi formé ;
Que face à cette divergence d'appréciation procédurale, la SAM A. ne justifie pas avoir sollicité du juge commissaire la désignation d'un syndic ad hoc, pour les besoins de la procédure qu'il souhaitait poursuivre ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence, de déclarer la SAM A. irrecevable en son appel ;
Sur les dépens :
Attendu que les dépens d'appel devront être employés en frais privilégiés de procédure collective ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare la SAM A. irrecevable en son appel à l'encontre du jugement rendu le 22 novembre 2018 par le Tribunal de première instance,
Ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Madame Claire GHERA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 10 MARS 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général.