Cour d'appel, 18 février 2020, Monsieur a. C. c/ La S. A. M. A.

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Abstract🔗

Contrat de travail - Licenciement pour motif personnel - Principe de conciliation obligatoire - Irrecevabilité des demandes non soumises à conciliation - Faute grave (non) - Validité du motif de licenciement (oui) - Caractère abusif du licenciement (non) - Dommages et intérêts (non)

Résumé🔗

Les seules prétentions du salarié, engagé en qualité de plombier-chauffagiste, effectivement portées à la connaissance de l'employeur par la requête introductive sont présumées avoir fait l'objet de la tentative de conciliation. Les prétentions complémentaires relatives au paiement d'un rappel de salaire et de congés payés sur rappel de salaire ainsi qu'à l'annulation de deux mises à pied disciplinaires n'ont pas fait l'objet d'un débat contradictoire, ce qui n'a pas permis la tentative de conciliation. Les demandes complémentaires litigieuses sont donc déclarées irrecevables.

Le salarié a été licencié pour faute grave en raison de la récurrence de son comportement indiscipliné, qui lui a déjà valu deux mises à pied disciplinaires. Les éléments d'appréciation soumis à la cour permettent d'établir que le licenciement fondé sur l'appréciation générale du comportement souvent inadapté de ce salarié repose sur un motif valable mais non sur une faute grave. Le salarié a ainsi droit au paiement des indemnités de rupture.

Si le salarié argue du caractère abusif de son licenciement, la cour relève qu'il ne repose pas sur un motif fallacieux et que l'employeur n'a fait preuve d'aucune précipitation, légèreté blâmable ou brutalité. La cour rejette en conséquence les prétentions indemnitaires du salarié.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 18 FEVRIER 2020

En la cause de :

  • - Monsieur a. C., technicien d'exploitation, demeurant X1 06300 Nice ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Hervé CAMPANA avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;

APPELANT,

d'une part,

contre :

  • - La S. A. M. A., dont le siège social est X2 98000 Monaco, prise en la personne de son Président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 28 juin 2018 ;

Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 21 décembre 2018 (enrôlé sous le numéro 2019/000057) ;

Vu les conclusions déposées les 6 mars 2019 et 18 juin 2019 par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la S. A. M. A. ;

Vu les conclusions déposées les 30 avril 2019 et 8 octobre 2019 par Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur a. C.;

À l'audience du 14 janvier 2020, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel parte in qua relevé par Monsieur a. C. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 28 juin 2018.

Considérant les faits suivants :

Monsieur a. C. est entré au sein de la société anonyme monégasque A. (ci-après SAM A.) le 1er avril 2006, sous contrat à durée indéterminée après avoir effectué des missions d'intérim pour cette société à compter du 1er août 2004 en qualité de plombier chauffagiste.

Aux termes d'un courrier en date du 15 septembre 2015, Monsieur a. C. a été licencié pour faute grave.

Suivant requête reçue le 4 décembre 2015, Monsieur a. C. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

  • - indemnité de préavis : 4.500 euros,

  • - congés payés sur préavis : 450 euros,

  • - indemnité de congédiement : 4.500 euros,

  • - certificat de travail conforme sous astreinte de 20 euros par jour de retard,

  • - indemnité de licenciement avant déduction de l'indemnité de congédiement : 10.000 euros,

  • - dommages et intérêts pour licenciement abusif : 50.000 euros,

  • - intérêts au taux légal,

  • - exécution provisoire.

Lors de l'audience de conciliation, Monsieur a. C. a modifié ses demandes de la manière suivante :

  • - demande de rappel de salaire : 3.000 euros,

  • - congés payés sur rappel de salaire : 300 euros,

  • - annulation mise à pied d'un jour - septembre 2013 : 200 euros,

  • - annulation mise à pied de deux jours - février 2015 : 300 euros.

À défaut de conciliation, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Monsieur a. C. a déposé des conclusions les 2 juin 2016, 2 mars et 5 octobre 2017 dans lesquelles il demande au Tribunal de :

  • « - annuler la mise à pied de septembre 2013,

  • - condamner la SAM A. au paiement de la somme de 200 euros en réparation du préjudice,

  • - annuler la mise à pied des 17 et 18 février 2015,

  • - condamner la SAM A. au paiement de la somme de 300 euros en réparation du préjudice,

  • - en conséquence, condamner la SAM A. à lui régler les sommes suivantes :

Au titre du rappel de salaire :

  • 821,94 euros au titre du complément de la prime d'ancienneté outre 82,19 euros de congés payés y afférents,

  • 664,21 euros au titre du complément du 13ème mois,

  • - donner acte de ce que la SAM A. a délivré un bulletin de salaire pour mars 2015 pour la somme de 489,32 euros en avril 2016,

Au titre du licenciement :

  • * à titre principal :

    • 3.922,29 euros bruts à titre d'indemnité de préavis,

    • 392,23 euros bruts pour congés payés y afférents,

    • 3.791,54 euros à titre d'indemnité de congédiement,

    • 9.099,72 euros au titre de l'indemnité de licenciement, soit la somme de 5.308,18 euros après déduction de l'indemnité de congédiement,

  • *à titre subsidiaire en reconnaissance de l'ancienneté de Monsieur a. C. au 2 août 2014 :

    • 3.951,22 euros bruts à titre d'indemnité de préavis,

    • 395,12 euros bruts pour congés payés y afférents,

    • 4.583,41 euros à titre d'indemnité de congédiement ramené à 4.500 euros,

    • 10.668 euros au titre de l'indemnité de licenciement, ramené à 10.000 euros soit la somme de 5.500 euros après déduction de l'indemnité de congédiement,

    • 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

  • - ordonner à la SAM A. de délivrer à Monsieur a. C. un certificat de travail conforme portant comme date de sortie le 17 novembre 2015 et ce sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter du jugement prononçant ladite condamnation,

  • - dire que les sommes dues devront être réglées avec intérêts au taux légal à compter de la requête en justice pour celles dues à titre de rappel de salaire et à compter du jugement à intervenir pour les autres,

  • - débouter la SAM A. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

  • - déclarer recevables les attestations de Messieurs P. (pièce n° 30), B. (pièce n° 31), S. (pièce n° 32),

  • - ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

  • - condamner, enfin, la SAM A. en tous les dépens distraits au profit de Maître Hervé CAMPANA, sous sa due affirmation ».

Le Tribunal du travail a, par jugement en date du 28 juin 2018 :

  • - déclaré irrecevables les demandes complémentaires présentées par Monsieur a. C. devant le bureau de conciliation,

  • - dit que le licenciement de Monsieur a. C. par la SAM A. repose sur un motif valable mais n'est pas fondé sur une faute grave et n'est pas abusif,

  • - condamné la SAM A. à payer à Monsieur a. C. les sommes suivantes :

    • 3.922,29 euros brut (trois mille neuf cent vingt-deux euros et vingt-neuf centimes) à titre d'indemnité de préavis, outre celle de 392,23 euros (trois cent quatre-vingt-douze euros et vingt-trois centimes) au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2015 date de la réception au greffe de la requête introductive d'instance et exécution provisoire,

    • 3.791,54 euros (trois mille sept cent quatre-vingt-onze euros et cinquante-quatre centimes) à titre d'indemnité de congédiement, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2015 date de la réception au greffe de la requête introductive d'instance,

  • - débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

  • - condamné la société A. aux dépens.

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont en substance constaté que les demandes complémentaires du salarié étaient irrecevables faute d'avoir fait l'objet du préalable obligatoire de conciliation imposé par la loi, tandis que le comportement de cet employé apprécié globalement n'était pas susceptible de constituer une faute grave mais justifiait le licenciement au regard des rappels à l'ordre précédemment adressés par son employeur sur son comportement inadapté. Les premiers juges ont par ailleurs relevé qu'il n'était pas démontré que le licenciement serait intervenu pour une autre cause que celle visée dans la lettre de licenciement ou aurait été mis en œuvre précipitamment avec une légèreté blâmable ou une quelconque brutalité.

Suivant exploit en date du 21 décembre 2018, Monsieur a. C. interjetait appel parte in qua dudit jugement signifié le 23 novembre 2018 à l'effet de voir la Cour confirmer le jugement du Tribunal du travail en ce qu'il a :

  • dit qu'il ne reposait pas sur une faute grave,

  • condamné la société A. au paiement des sommes de 3.922,29 euros à titre d'indemnité de préavis outre 392,22 euros au titre des congés payés y afférents avec intérêts au taux légal,

  • 3.791,54 euros à titre d'indemnité de congédiement,

  • aux entiers dépens.

Le réformer pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

  • - dire que les demandes complémentaires formées devant le bureau de jugement sont recevables,

En conséquence,

  • - annuler la mise à pied de septembre 2013,

  • - condamner la SAM A. au paiement de la somme de 200 euros en réparation du préjudice,

  • - annuler la mise à pied des 17 et 18 février 2015,

  • - condamner la SAM A. au paiement de la somme de 300 euros en réparation du préjudice,

  • - condamner la SAM A. à lui régler les sommes suivantes :

Au titre du rappel de salaire :

  • 821,94 euros au titre du complément de la prime d'ancienneté outre 82,19 euros de congés payés y afférents,

  • 664,21 euros au titre du complément du 13ème mois,

  • donner acte de ce que la SAM A. a délivré un bulletin de salaire pour mars 2015 pour la somme de 489,32 euros en avril 2016,

Au titre du licenciement :

  • - dire que le licenciement ne repose pas sur un motif valable et est abusif,

À titre principal :

  • - condamner la SAM A. au paiement de la somme de 9.099,72 euros au titre de l'indemnité de licenciement, soit la somme de 5.308,18 euros après déduction de l'indemnité de congédiement,

À titre subsidiaire en reconnaissance de l'ancienneté de Monsieur C. au 2 août 2014 :

  • 3.951,22 euros bruts à titre d'indemnité de préavis,

  • 395,12 euros bruts pour congés payés y afférents,

  • 4.583,41 euros à titre d'indemnité de congédiement ramené à 4.500 euros,

  • 10.668 euros au titre de l'indemnité de licenciement, ramené à 10.000 euros soit la somme de 5.500 euros après déduction de l'indemnité de congédiement,

  • - condamner la SAM A. au paiement de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

  • - ordonner à la SAM A. de délivrer à Monsieur a. C. un certificat de travail conforme portant comme date de sortie le 17 novembre 2015 et ce sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter du jugement prononçant ladite condamnation,

  • - dire que les sommes dues devront être réglées avec intérêts au taux légal à compter de la requête en justice pour celles dues à titre de rappel de salaire et à compter du jugement à intervenir pour les autres,

  • - débouter la SAM A. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

  • - condamner, enfin, la SAM A. en tous les dépens distraits au profit de Maître Hervé CAMPANA, sous sa due affirmation.

Au soutien de son appel, et aux termes de l'ensemble de ses écritures, a. C. expose en substance que :

  • - les premiers juges ont à tort estimé que les demandes complémentaires formées au stade du préliminaire de conciliation étaient irrecevables dès lors que l'employeur aurait été défaillant et avait été ainsi privé de la possibilité de concilier sur les demandes complémentaires,

  • - la société a néanmoins été représentée par son conseil lorsque celui-ci a manifesté par courrier son intention de ne pas se concilier en s'abstenant de se présenter à l'audience, une telle abstention ne pouvant lui porter préjudice et rendant légitimes les demandes complémentaires formées au stade de la conciliation,

  • - les demandes de rappel de salaires sont donc fondées à concurrence de 821,94 euros au titre du complément de la prime d'ancienneté outre 82,19 euros des congés payés afférents et 664,21 euros au titre du complément du 13ème mois,

  • - il s'est vu injustement infliger deux mises à pied peu de temps avant son licenciement qui ont été rappelées dans la lettre de rupture du 15 septembre 2015 et dont le bien-fondé n'apparaît pas démontré,

  • - il a toujours exécuté son travail dans le respect des consignes générales édictées par l'employeur et la mise à pied d'un jour au mois de septembre 2013 est totalement injustifiée dès lors qu'il était d'usage d'entreprise que les agents ne pouvant pas finir leurs plateaux-repas conservent ce qu'il restait dans le petit frigo de l'atelier pour le consommer plus tard et l'emporter à la fin de leur service, ce qui s'est en réalité produit le jour des faits litigieux,

  • - les attestations de Messieurs P. et B. sont régulières et conformes aux dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile et permettent d'établir qu'il n'a pas volé de nourriture en sorte que la sanction infligée n'était pas fondée,

  • - sur la mise à pied des 17 et 18 février 2015, invoquant des retards répétés, des absences injustifiées et le défaut d'application des consignes, les seules plaintes reposent sur les propos rapportés par les salariés de la société A., les attestations et témoignages étant contredits par les déclarations de Messieurs S. et F.

  • - il a en réalité été licencié pour faute grave sous un prétexte fallacieux après son arrêt de travail suivi d'une reprise avec déclaration d'aptitude restreinte, l'employeur ne souhaitant pas s'embarrasser avec un technicien d'exploitation de 56 ans devant éviter le port de charges lourdes et les mouvements forcés,

  • - l'attestation de Monsieur S. est conforme aux dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile et confirme qu'il a toujours donné satisfaction à l'ensemble de ses employeurs, faisant preuve d'un comportement exemplaire auprès de la société A. et étant un collègue apprécié de tous,

  • - il n'a pas été convoqué à la réunion invoquée par l'employeur dont la date n'était au demeurant pas indiquée et il n'a eu connaissance de cette réunion que le matin même suite à un appel téléphonique alors qu'il se trouvait sur le lieu d'exécution de son travail, les premiers juges ayant estimé que le retard à cette dernière réunion apparaissait excusable,

  • - son licenciement pour faute grave n'apparaît donc pas justifié ni ne repose sur un motif valable, les avertissements infligés peu de temps avant la rupture ne traduisant que la volonté de l'employeur de l'exclure de l'entreprise et ne permettant pas d'établir un changement de comportement de sa part,

  • - il est donc fondé à obtenir l'indemnité de licenciement correspondant à une somme de 5.308,18 euros outre les indemnités complémentaires qui lui sont dues et des dommages-intérêts au titre de la rupture abusive de son contrat de travail,

  • - il s'est vu notifier son licenciement pour un motif fallacieux après avoir fait l'objet d'un véritable harcèlement moral et avoir subi des pressions permanentes de la part de son employeur qui ne désirait simplement pas son retour dans l'entreprise à la fin de son arrêt maladie,

  • - il est toujours pris en charge par Pôle Emploi à ce jour et subit un préjudice matériel important auquel s'ajoute le préjudice moral lié au caractère brutal de la rupture.

La SAM A., intimée, entend pour sa part voir confirmer le jugement rendu par le Tribunal du travail le 28 juin 2018 en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes complémentaires de Monsieur C. et en ce qu'il a dit que le licenciement n'était pas abusif.

Relevant par ailleurs appel incident, la SAM A. entend voir réformer ce jugement en ce qu'il a dit que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave.

La société intimée demande à la Cour aux termes de l'ensemble de ses écritures, de :

  • - dire et juger que le licenciement de Monsieur C. est fondé sur une faute grave.

À titre subsidiaire, si la Cour réformait le jugement entrepris et déclarait recevables les demandes complémentaires du salarié devant le bureau de conciliation, débouter celui-ci de l'ensemble de ses prétentions de ce chef en ce qu'elles sont infondées.

Si la Cour confirmait le jugement entrepris en jugeant que le licenciement n'est pas fondé sur une faute grave, le confirmer en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur un motif valable et débouter le salarié de toutes ses demandes, fins et conclusions de ce chef.

À titre infiniment subsidiaire, si la Cour réformait le jugement entrepris en jugeant que le licenciement de Monsieur C. est abusif, le débouter des fins de sa demande de dommages-intérêts infondée et de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Si par extrême impossible le principe d'un préjudice était admis, juger qu'il ne saurait être alloué à Monsieur C. une somme supérieure à 6.379,41 euros à titre de dommages-intérêts.

  • - Condamner Monsieur C. aux entiers dépens.

La SAM A. fait valoir au soutien de ses demandes :

Sur l'irrecevabilité des demandes complémentaires formées par Monsieur C. devant le bureau de conciliation :

  • - elle n'était pas représentée lors de la séance du bureau de conciliation le 11 janvier 2016 et elle n'a constitué avocat que devant le bureau de jugement du Tribunal du travail ayant auparavant comparu en personne,

  • - elle a fait état d'un motif légitime d'ordre professionnel l'empêchant de comparaître à l'audience de conciliation et n'avait alors connaissance que des demandes portées sur le préliminaire de conciliation résultant de la requête du 2 décembre 2015 formée par le salarié,

  • - les nouvelles demandes formées devant le bureau de conciliation hors le contradictoire de l'employeur n'ont donc pas été soumises au préalable obligatoire issu de l'article 1er de la loi n° 446 sur le Tribunal du travail, les premiers juges ayant à bon droit relevé d'office leur irrecevabilité,

Sur la faute grave reprochée au salarié licencié :

  • - il n'est pas nécessaire que l'un des faits retenus constitue en lui-même une faute grave mais ce sont les faits pris dans leur ensemble qui permettent de caractériser la gravité du comportement du salarié licencié,

  • - non content d'être en retard lors de la réunion du 10 septembre 2015 à 8 heures, Monsieur C. a adopté un ton arrogant et insolent choquant l'ensemble des intervenants y compris de délégués du personnel ayant dû intervenir, une telle insubordination apparaissant établie par les témoignages concordants de toutes les personnes présentes ce jour-là,

  • - les manquements antérieurs de Monsieur C. avaient donné lieu à mise à pied disciplinaire sanctionnant une sortie de nourriture de la cafétéria au préjudice de l'hôtel Colombus ayant dégradé l'image de l'entreprise et perturbé le fonctionnement normal de celle-ci puisque l'employeur s'est trouvé dans l'obligation de modifier la composition des équipes présentes sur ce site,

  • - alors qu'il était par ailleurs affecté aux immeubles de la dalle de Fontvieille, Monsieur C. était régulièrement en retard à sa prise de fonction le matin et pour un rendez-vous programmé à l'avance traitant de la sécurité, n'appliquant pas davantage les consignes générales de l'entreprise concernant le port de charges lourdes,

  • - contrairement aux prétentions de l'appelant, son licenciement n'a aucun lien avec l'état de santé du salarié ni avec son inaptitude partielle liée à des restrictions préconisées par la médecine du travail, la preuve n'étant pas rapportée de ce que le licenciement serait intervenu pour une autre cause que celles visées dans la lettre de rupture,

  • - le harcèlement moral qu'il invoque n'est pas établi, la preuve d'aucun élément identifiable portant atteinte à la dignité de la personne et créant un environnement intimidant, hostile ou humiliant n'étant rapportée en l'espèce,

  • - les sanctions disciplinaires infligées n'ont jamais fait de la part de Monsieur C. de la moindre contestation avant la présente procédure et aucun abus de droit ne peut être reproché à l'employeur dans la mise en œuvre du licenciement, le salarié ayant été convoqué à un entretien préalable par courrier recommandé du 10 septembre 2015 lequel s'est tenu en présence d'une déléguée du personnel et aucune précipitation ou légèreté blâmable ne pouvant être retenue,

  • - la matérialité des faits reprochés au salarié apparaît amplement démontrée puisque Monsieur C. a dégradé l'image de l'entreprise auprès d'un important client, tout en accumulant des manquements aux règles de la discipline, en réitérant de nombreux retards et en se rendant coupable d'un acte d'insubordination et d'un comportement insultant envers son employeur,

  • - les sommes réclamées sont en tout état de cause fantaisistes, Monsieur C. ayant été rempli de ses droits de ces chefs et ne justifiant pas de l'importance du préjudice invoqué à l'appui de sa demande de dommages-intérêts.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que les appels tant principal qu'incident ont été formés dans les conditions de forme et de fond prescrites par le Code de procédure civile et doivent être déclarés recevables ;

Attendu que la régularité des attestations produites en première instance par Monsieur C. n'est plus contestée en cause d'appel en sorte que le jugement apparaît définitif sur ce point ;

  • Sur la recevabilité des demandes complémentaires présentées par Monsieur a. C. :

Attendu que la société A. a adressé un courrier au bureau de conciliation du Tribunal du travail le 8 janvier 2016 ainsi libellé :

« Madame le Président,

Dans le cadre de l'affaire m'opposant à Monsieur a. C. dont le préliminaire de conciliation est fixé au lundi 11 janvier 2016, je vous informe, par la présente, qu'étant empêché pour des raisons professionnelles, je ne pourrai être présent.

Par ailleurs, dans le cadre de cette affaire, aucune conciliation ne saurait être envisagée ... » ;

Attendu que cette société n'était alors informée que des demandes formulées par requête du 4 décembre 2015 aux termes desquelles Monsieur a. C. avait saisi le Tribunal du travail en conciliation des prétentions suivantes :

  • indemnité de préavis : 4.500 euros,

  • congés payés sur préavis : 450 euros,

  • indemnité de congédiement : 4.500 euros,

  • certificat de travail conforme sous astreinte de 20 euros par jour de retard,

  • - indemnité de licenciement avant déduction de l'indemnité de congédiement : 10.000 euros,

  • - dommages et intérêts pour licenciement abusif : 50.000 euros,

  • - intérêts au taux légal,

  • - exécution provisoire ;

Que force est de constater que lors de l'audience de conciliation, Monsieur a. C. a modifié ses demandes de la manière suivante :

  • - demande de rappel de salaire : 3.000 euros,

  • - congés payés sur rappel de salaire : 300 euros,

  • - annulation mise à pied d'un jour - septembre 2013 : 200 euros,

  • - annulation mise à pied de deux jours - février 2015 : 300 euros ;

Attendu que conformément aux dispositions de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le bureau de jugement du Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum ;

Que si le demandeur peut, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifier ses demandes devant le bureau de conciliation, l'alinéa 2 du même article précise que si les parties restent en désaccord, un procès-verbal de non-conciliation sera dressé ;

Qu'il résulte de telles dispositions légales que le bureau de jugement, ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation et ce, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, en application des textes susvisés et ce, à l'effet de permettre aux défendeurs de prendre position de façon éclairée lors de la tentative de conciliation sur l'ensemble des demandes qui sont présentées ;

Attendu que les premiers juges ont à bon droit déduit de telles dispositions légales que lorsque le défendeur ne comparaît pas à l'audience de conciliation, et ce, quelle que soit la raison de ce défaut de comparution, seules les prétentions du demandeur effectivement portées à la connaissance du défendeur par la requête introductive sont présumées avoir fait l'objet de la tentative de conciliation ;

Qu'en effet, les prétentions complémentaires n'ont dans cette hypothèse pas fait l'objet d'un débat contradictoire, ce qui n'a pas permis à l'autre partie de se concilier ou non sur celle-ci ;

Attendu en définitive que par application du principe de la conciliation obligatoire sur toutes les demandes présentées devant le Tribunal du travail, la décision entreprise sera confirmée en ce que les demandes complémentaires de Monsieur a. C. ont été déclarées irrecevables ;

  • Sur le motif de la rupture :

Attendu que la charge de la preuve de la réalité et de la validité des motifs de licenciement invoqués à l'appui de sa décision, et notamment de la faute grave alléguée incombe à l'employeur ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites que Monsieur a. C. a été licencié par lettre du 15 septembre 2015 pour le motif suivant :

« Monsieur,

Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d'une faute grave, ce dont nous vous avons fait part lors de notre entretien le 14 septembre 2015, lors duquel vous vous étiez assisté de Mme G. et en présence de MM. M. et B.

À la suite de problèmes techniques sur différents sites de l'unité dont vous faites partie, le responsable de département a convoqué l'ensemble de l'équipe pour jeudi 8 h 00 au siège de l'entreprise.

Vous êtes arrivé avec un quart d'heure de retard. M. M. vous en a fait la remarque, le ton ayant monté, il vous a demandé de sortir de la salle de réunion.

En effet, votre comportement indiscipliné est récurrent.

Vous avez fait l'objet de deux mises à pied pour un comportement similaire.

  • - la première mise à pied d'un jour est intervenue en septembre 2013 « pour non-respect des consignes de discipline générale sur votre site d'accueil », ce qui a conduit au changement de votre affectation,

  • - la deuxième mise à pied de deux jours en février 2015 « pour non application des consignes données par votre hiérarchie ».

Cette conduite remet en cause nos relations contractuelles.

Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave, conformément aux dispositions de l'article 4.7 « Discipline générale » alinéa 5 « les sanctions » de notre règlement intérieur.

Compte-tenu de la gravité de votre faute votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ... » ;

Attendu que tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis caractérise la faute grave pouvant justifier le départ immédiat du salarié de l'entreprise ;

Qu'il est à cet égard loisible à l'employeur d'apprécier cette gravité à travers l'évaluation globale du comportement de son salarié, en tenant compte notamment des fautes et manquements antérieurement commis, éventuellement déjà sanctionnés ;

Attendu que si les premiers juges ont à tort qualifié de cause réelle et sérieuse de licenciement, terminologie juridique procédant du droit français mais appréhendée en droit du for sous le vocable de « motif valable », ils ont néanmoins justement estimé que l'insubordination d'un salarié, son refus de collaborer ou d'exécuter les directives de l'employeur voire de suivre la discipline de l'entreprise, peuvent rendre légitime la rupture du contrat de travail ;

Qu'il est non moins constant que les employés sont tenus d'adopter un comportement courtois envers leur employeur, l'ensemble de leurs supérieurs hiérarchiques et leurs collègues et n'ont pas la possibilité d'abuser de leur liberté d'expression en tenant des propos injurieux, insultants ou diffamatoires ;

Attendu que la société A. fait en l'espèce grief à Monsieur a. C. d'avoir adopté un comportement indiscipliné récurrent ;

Que l'employeur fait en premier lieu état, pour en justifier, de deux mises à pied disciplinaires précédemment infligées à Monsieur a. C. les 17 septembre 2013 et 5 février 2015, étant d'une part constaté que ces sanctions n'ont fait l'objet d'aucune contestation de la part de ce salarié et, étant d'autre part relevé que l'employeur avait indiqué lors de la notification de ces sanctions que si de tels incidents venaient à se reproduire il serait amené à rompre le contrat de travail de Mr C. ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites qu'une première mise à pied disciplinaire d'une journée a été infligée le 17 septembre 2013 à ce salarié pour avoir sorti de la nourriture de la cafétéria au préjudice d'un client de l'employeur, l'hôtel Colombus, de tels faits ayant été constatés par le directeur financier et des ressources humaines de l'hôtel ;

Que l'attestation de Monsieur M. responsable du département exploitation maintenance de l'entreprise corrobore la réalité des faits constatés quant à l'épisode de soustraction de nourriture survenue au cours de l'été 2013 ;

Que la seconde mise à pied disciplinaire de 2 jours a été notifiée le 5 février 2015 au titre d'absences ou de retards récurrents sur le lieu de travail, notamment lors de rendez-vous programmés par anticipation, un tel manque de ponctualité ayant eu pour effet de désorganiser le planning de l'équipe d'intervention ;

Attendu que les témoignages de Monsieur c. B. responsable d'équipe d'une part et d'autre part de Monsieur d. B. directeur de l'entreprise A. apparaissent suffisamment précis et circonstanciés pour établir non seulement la réalité et la répétition de tels manquements mais également l'attitude impertinente de cet employé ;

Attendu qu'il s'induit enfin de l'attestation établie par Monsieur o. M. Technicien d'exploitation chez A., que le jeudi 10 septembre 2015 alors qu'une réunion d'équipe devait avoir lieu dès 8 h 00, Monsieur a. C. est arrivé avec 1/4 d'heure de retard sans s'excuser, ni se justifier, Monsieur M. lui faisant alors remarquer que ce manque de ponctualité s'avérait très gênant pour le bon déroulement de la réunion ;

Que Monsieur M. délégué du personnel, rapporte que Monsieur a. C. ne s'est pas excusé et n'a pas tenu compte de cette remarque adoptant un ton arrogant, ce qui l'a alors incité à lui demander de quitter immédiatement la réunion, provoquant une réaction déplacée de ce salarié qui l'a pris de haut en lui disant de faire attention à sa façon de parler ;

Attendu que si cet incident s'inscrit dans la continuité des manquements précédents en ce qui concerne le manque de ponctualité habituelle de Monsieur C. les premiers juges ont néanmoins à bon droit relevé qu'aucun élément n'était communiqué par l'employeur corroborant une convocation à cette réunion matinale tandis que l'attestation de Monsieur M. n'apparaissait pas assez circonstanciée en ce qui concerne les propos insultants attribués à Monsieur C. pour justifier une éviction immédiate de l'entreprise ;

Attendu qu'il apparaît en définitive que le licenciement de Monsieur a. C. repose sur un motif valable fondé sur l'appréciation générale du comportement souvent inadapté de ce salarié sans que la preuve d'une faute grave soit rapportée par l'employeur ;

Attendu que le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a été dit et jugé que le licenciement repose sur un motif valable mais n'est pas fondé sur une faute grave, Monsieur a. C. pouvant dès lors prétendre à l'indemnité de préavis prévue à l'article 11 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 d'un montant de 3.922,29 euros brut, outre les congés payés afférents d'un montant de 392,23 euros brut, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2015 date de la réception au greffe de la requête introductive d'instance ainsi qu'à l'indemnité de congédiement d'un montant de 3.791,54 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2015 date de la réception au greffe de la requête introductive d'instance, par application des dispositions de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ;

  • Sur le caractère abusif du licenciement :

Attendu que par application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts ;

Attendu que le salarié auquel incombe la charge de cette preuve peut en effet démontrer que le licenciement présente un caractère abusif, tel étant notamment le cas si le motif de la rupture apparaît fallacieux, si l'employeur a mis en œuvre la rupture du contrat de travail en omettant de respecter certaines dispositions légales, ou enfin si les conditions de sa notification ont été brutales ou révèlent une intention de nuire ou la légèreté blâmable de l'employeur ;

Attendu qu'il n'est pas en l'espèce démontré qu'un faux motif aurait été invoqué par l'employeur à l'appui de sa décision de licencier Monsieur a. C.;

Qu'en effet, le caractère valable des raisons avancées tenant au comportement général inadapté de ce salarié a été précédemment démontré, alors par ailleurs que ce dernier ne rapporte la preuve d'aucun autre motif distinct dont le but aurait été de le tromper ou de le priver de l'accès à certains droits ;

Qu'en définitive, l'analyse des pièces produites permet de constater que les premiers juges ont à bon droit estimé que le motif fallacieux, se caractérisant par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de l'employeur, n'était pas en l'espèce établi ;

Qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de confirmer de ce chef le jugement entrepris et en ce qu'il a en conséquence débouté le salarié de sa demande de réparation du préjudice matériel et financier ;

Attendu s'agissant par ailleurs des circonstances ayant présidé à la mise en œuvre du licenciement, qu'il résulte des pièces produites que a. C. a toujours été convoqué à un entretien préalable avant la notification de toutes les sanctions infligées et ce en présence d'un délégué du personnel ;

Que lors de la notification de la rupture, ce salarié n'a pas été davantage écarté brusquement de l'entreprise sans être entendu, ayant eu le temps de préparer sa défense et de faire entendre sa position avec l'assistance de Madame G. déléguée du personnel ;

Que la preuve d'aucune précipitation, légèreté blâmable ou brutalité de l'employeur n'apparaît dès lors rapportée et il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce que Monsieur a. C. a été débouté de sa demande de dommages et intérêts ;

Attendu que le jugement de première instance sera en définitive confirmé en toutes ses dispositions et les parties appelante principale et incidente déboutées des fins de leurs demandes respectives ;

Attendu que les dépens de l'instance d'appel seront laissés à la charge de a. C.;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels principal et incident,

Au fond déboute respectivement a. C. et la société A. des fins de leurs prétentions respectives,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 juin 2018 par le Tribunal du travail,

Condamne aux dépens d'appel Monsieur a. C. et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 18 FEVRIER 2020, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général.

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