Cour d'appel, 12 novembre 2019, Monsieur K. n. c/ La Société A
Abstract🔗
Contrat de travail – Licenciement pour faute grave – Motif valable (non) – Caractère abusif (oui)
Résumé🔗
Il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs de rupture et également de la gravité de la faute alléguée à l'appui de cette décision. La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables à un salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis. Il est par ailleurs loisible à l'employeur d'évaluer la gravité du comportement global d'un salarié en faisant également état de ses manquements antérieurs, même ayant déjà fait l'objet d'une sanction disciplinaire. Les altercations, agressions physiques et voies de fait, voire même les injures et propos vexatoires tenus par un salarié à l'encontre d'un autre membre du personnel qui se produisent sur le lieu et pendant le temps de travail peuvent être considérés comme une faute grave privative des indemnités de rupture lorsque l'attitude de la victime des violences apparait exempte de tout reproche et lorsque le contexte de leur commission peut avoir une incidence sur l'image et donc la bonne marche de l'entreprise. Si les premiers juges n'ont pas estimé opportun de prendre en compte cette main courante, il résulte néanmoins du procès-verbal d'audition de Monsieur n K. par les services de police dressé le 6 octobre 2015 que celui-ci, rappelant ces épisodes précédents, qu'il qualifiait de « faits de harcèlement » en relation avec sa nationalité indienne, évoquait alors la volonté de trois de ses collègues de travail, prénommés Mika, é.et f. de le pousser à bout pour aboutir à son licenciement. En outre, l'incident litigieux du mois d'octobre 2015 apparaît être lui-même survenu à l'initiative de l'un de ces trois collègues de travail, é. V. reconnu coupable de violences ayant provoqué une incapacité totale de travail de 6 jours sur la personne de n K. celui-ci ayant été frappé au niveau de la cage thoracique. En tout état de cause, si les éléments de la cause paraissent révéler un mauvais climat de travail entre les différents salariés, aucune des pièces produites ne permet en revanche d'établir la réalité du comportement violent et agressif imputé à Monsieur K. dans la lettre de licenciement, ni même les répercussions alléguées sur la bonne marche de l'entreprise, alors au contraire qu'il s'induit de la procédure pénale ayant abouti au jugement rendu par le Tribunal correctionnel 19 avril 2016 que Monsieur n K. déjà malmené sur son lieu de travail depuis au moins deux mois, a été victime de violences physiques commises volontairement sur sa personne par un collègue de travail, desquelles est résultée une incapacité totale de travail de 6 jours. Outre les motifs dubitatifs énoncés dans le jugement déféré en ce qui concerne l'origine de l'altercation du mois d'octobre 2015, il résulte de l'ensemble de ces éléments que la preuve du comportement inadapté de Monsieur K.et son incidence sur la bonne marche de l'entreprise n'apparaissent pas établies. Il s'ensuit que le jugement du 14 février 2019 sera réformé en ce qu'il a été retenu que le licenciement de Monsieur n K. apparaissait fondé sur la faute grave de ce dernier.
Par application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts, en sorte qu'il y a lieu d'admettre la réparation du préjudice moral subi par Monsieur n K. au titre de cette légèreté blâmable .En considération d'un tel contexte, comme du sentiment légitime d'injustice ressentie par Monsieur n K. victime sur le plan pénal de la rixe du 6 octobre 2015, il convient de condamner l'employeur à réparer le préjudice qui en est résulté en allouant à ce dernier la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2019
En la cause de :
- Monsieur K. n., né le 15 août 1974 à Jalandhar (Inde), de nationalité indienne, livreur, demeurant et domicilié X1à Cap-d'Ail (06320 - France) ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° 16-BAJ-16, par décision du Bureau du 22 octobre 2015
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- La Société Anonyme Monégasque A, exploitant sous l'enseigne B, prise en la personne de son Administrateur Délégué en exercice, domicilié et demeurant en cette qualité au siège social de la société sis X2 à Monaco (98000) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 14 février 2019 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 3 avril 2019 (enrôlé sous le numéro 2019/000095) ;
Vu les conclusions déposées les 21 juin 2019 et 8 octobre 2019 par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la Société Anonyme Monégasque A ;
Vu les conclusions déposées le 24 juillet 2019 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Monsieur K. n.;
À l'audience du 15 octobre 2019, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur K. n. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 14 février 2019.
Considérant les faits suivants :
Monsieur n K. a été employé par contrat à durée indéterminée le 9 octobre 2007 par Monsieur g. G. en qualité de livreur commis de cuisine.
La société anonyme monégasque A - B ayant racheté le fonds de commerce de la « C » le 25 février 2013, le contrat de travail de Monsieur n K. a été repris pour se poursuivre aux mêmes conditions avec ce nouvel employeur.
Monsieur n K. a été licencié pour faute grave aux termes d'un courrier recommandé avec accusé de réception du 6 octobre 2015.
Monsieur n K. a saisi le bureau de conciliation du Tribunal du travail le 9 mai 2016 à l'effet de voir :
- dire et juger que son licenciement n'est fondé ni sur une faute grave, ni sur un motif valable et qu'il revêt un caractère abusif,
- condamner de ce fait la SAM A à lui payer les sommes suivantes :
3.764,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
376,41 euros à titre d'indemnité sur préavis,
6.022,59 euros à titre d'indemnité de licenciement,
25.000 euros à titre de dommages et intérêts.
À défaut de toute conciliation, le dossier a été renvoyé devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail.
Suivant jugement en date du 14 février 2019, le Tribunal du travail a dit que le licenciement de Monsieur n K. par la SAM A - B reposait sur un motif valable et ne présentait pas de caractère abusif, tout en déboutant Monsieur n K. de l'ensemble de ses demandes.
Les premiers juges ont retenu en substance être dans l'impossibilité de déterminer si Monsieur K. était à l'origine de l'altercation litigieuse ; ils ont en revanche estimé que le comportement inadapté de ce salarié perturbant la bonne marche de l'entreprise caractérisait « la gravité de la faute reprochée » et permettait de dire que le licenciement repose sur un motif valable ; excluant toute faute de l'employeur, les premiers juges ont exclu l'hypothèse d'un motif fallacieux de rupture et tout abus qui aurait pu être commis dans la mise en œuvre proprement dite du licenciement.
Suivant exploit en date du 3 avril 2019, n K. a interjeté appel du jugement susvisé signifié le 5 mars 2019 à l'effet de voir réformer en toutes ses dispositions la décision rendue le 14 février 2019 par le Tribunal du travail et, voir la Cour, statuant à nouveau :
- juger que le licenciement notifié à Monsieur n K. le 6 octobre 2015 n'est ni fondé sur une faute grave ni sur un motif valable et qu'il revêt un caractère abusif,
- condamner de ce fait la société A au paiement des sommes suivantes :
3.764,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
376,41 euros à titre d'indemnité sur préavis,
6.022,59 euros à titre d'indemnité de licenciement,
25.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la société A aux entiers dépens d'appel.
Au soutien de son appel et aux termes de l'ensemble de ses écritures judiciaires n K. soutient que :
- son licenciement n'est fondé ni sur une faute grave, ni sur un motif valable, puisqu'il a lui-même été victime de harcèlement sur son lieu de travail avant de subir pour la première fois en juillet 2015 les violences d'un autre salarié qu'il a immédiatement signalé à la sûreté publique,
- ayant alors fait l'objet d'une mise à pied conservatoire de 2 jours, il a voulu jouer l'apaisement en ne donnant aucune suite à cette sanction juste avant d'être licencié le 6 octobre 2015,
- s'il lui a été fait grief de ne pas avoir contesté cette première sanction tirée de sa mise à pied conservatoire de 2 jours, il précise qu'il est de nationalité indienne et maîtrise mal le français, en sorte qu'il n'en avait compris ni le sens ni la portée,
- la deuxième altercation qui a eu lieu après ce premier incident a donné lieu à son licenciement alors même qu'il était une nouvelle fois victime d'une agression émanant d'un autre salarié,
- il précise que seul ce second agresseur Monsieur V. a été cité devant le Tribunal correctionnel pour l'avoir attrapé par le cou et frappé au niveau de la cage thoracique avant d'être reconnu coupable du délit de coups et blessures volontaires,
- son propre rôle a été uniquement passif puisqu'il a subi une agression tant verbale que physique,
- l'employeur a produit en première instance aux débats diverses attestations établies en sa faveur par ses propres salariés et si le Tribunal du travail qui en a mesuré la portée, leur valeur probante apparaît nulle puisque de tels témoins étaient placés dans un lien de subordination avec l'employeur,
- leurs avis sont d'autant plus subjectifs qu'ils ont un intérêt direct au litige dans la mesure où il s'était lui-même déjà plaint d'être l'objet d'un véritable harcèlement de la part de l'ensemble des collègues de la boucherie,
- lesdits témoignages devront dès lors être écartés des débats,
- il a été licencié alors même qu'aucun reproche n'avait jamais été fait sur son travail dont la qualité a au contraire été reconnue tant par ses propres collègues que par la clientèle de la boucherie,
- l'employeur a commis une erreur en mettant fin à son contrat de travail dès lors qu'il lui appartenait de rapporter la preuve de la réalité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture pour faute grave,
- la décision infondée de licenciement prise à son encontre l'a privé du montant des indemnités légales auxquelles il pouvait prétendre et dont il réclame le bénéfice en cause d'appel et a généré pour lui un préjudice important, d'ordre moral et financier, qu'il évalue à 25.000 euros.
La Société A-B, intimée, conclut pour sa part à titre principal à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.
À titre subsidiaire, en cas de réformation du jugement entrepris, la société A-B entend voir dire qu'il n'y a pas lieu d'octroyer des dommages et intérêts à Monsieur K. qui ne justifie ni de l'abus commis par l'employeur, ni de son préjudice. A titre infiniment subsidiaire, la société intimée soutient qu'il ne saurait lui être alloué une réparation supérieure à 4.435,45 euros.
La société A-B fait valoir pour l'essentiel que :
- c'est légitimement que le Tribunal n'a pas prononcé la nullité des attestations au regard des dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile alors en outre que les premiers juges ont appréhendé avec circonscription certains témoignages,
- la décision entreprise a à bon droit mis en exergue que le tribunal ne pouvait déterminer qui était à l'origine de l'altercation litigieuse, que la lettre de licenciement mettait en évidence un comportement inadapté de Monsieur K. suite à une nouvelle dispute non contestée et que le harcèlement dont celui-ci se plaint n'était pas établi,
- l'argumentation du salariée relative à son absence de maîtrise de la langue française apparaît inopérante en l'état des pièces produites et qu'il a parfaitement compris les directives de son employeur en modifiant ses tâches, qu'il s'est présenté à la sûreté publique pour le dépôt d'une main courante 9 juillet 2015 sans interprète et qu'il a respecté les termes d'une mise à pied conservatoire en ne se présentant pas à son travail les 14 et 15 juillet 2015 en sorte qu'il a nécessairement saisi le sens et la portée de la mise à pied disciplinaire reçue le 10 juillet 2015, - le Tribunal du travail a parfaitement mis en exergue l'absence de caractère abusif du licenciement par des motifs qui ne sont pas susceptibles d'être remis en cause,
- l'appelant persiste dans sa demande de réparation, sans justifier de son préjudice, ni du montant réclamé alors même que dès le mois de mai 2016 il a retrouvé un emploi en qualité de pizzaiolo et qu'il n'est donc resté que six mois sans profession,
- en tout état de cause, l'appelant ne pourra prétendre obtenir une somme supérieure à la réparation de cette perte financière qui ne saurait excéder 4.435,45 euros, la fin de son contrat de pizzaiolo ne concernant pas la société A mais seulement le propriétaire de la pizzeria qui l'employait.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que l'appel a été formé dans des conditions de forme et de délai prévues par le Code de procédure civile et doit être déclaré recevable ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites que Monsieur n K. livreur commis de cuisine à la société A-B a été licencié pour faute grave par lettre du 6 octobre 2015 faisant état des circonstances suivantes :
« (...) Ce jour, dans nos locaux situés X à Monaco, un différend s'est produit entre vous et Monsieur V é.
Aux environs de 9 h 00, une dispute puérile s'est déroulée entre vous deux ce qui a occasionné une altercation physique violente dans la cuisine de nos locaux.
Votre violente dispute s'est produite dans la cuisine située derrière le comptoir, alors que l'établissement était ouvert à la clientèle. Est-il nécessaire de vous préciser les conséquences de votre attitude sur celle-ci ?
Monsieur J f. a dû fermer les portes de la cuisine à cause des nuisances sonores que vous avez infligées à notre clientèle.
Malgré les nombreuses remarques orales que nous avons pu avoir à votre encontre, votre comportement, nuisible au bon fonctionnement de notre société, a désormais des conséquences encore plus graves (...) ».
Que ledit courrier de licenciement faisait également état d'une altercation antérieure dans les termes ci-après :
« (...) Nous vous remémorons également qu'en date du 10 juillet 2015, une mise à pied disciplinaire de deux jours pour les mêmes faits vous avez été remise en main propre.
Cette sanction n'a donc pas été suffisante pour que vous ressaisissiez ?
Votre comportement agressif met en danger nos équipes, vous travaillez dans un environnement où des objets coupants et dangereux sont à votre disposition, et vous ne savez pas contrôler vos excès de colère.
Votre conduite et vos agissements nuisent également à l'image de marque de notre société au sein de la Principauté de Monaco.
Aussi au regard des éléments mentionnés ci-dessus, nous sommes au regret de vous informer par la présente, que nous avons décidé de procéder à votre licenciement. Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien, même temporaire, dans l'entreprise (...) ».
Attendu qu'il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs de rupture et également de la gravité de la faute alléguée à l'appui de cette décision ;
Attendu que la faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables à un salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis ;
Qu'il est par ailleurs loisible à l'employeur d'évaluer la gravité du comportement global d'un salarié en faisant également état de ses manquements antérieurs, même ayant déjà fait l'objet d'une sanction disciplinaire ;
Attendu que les altercations, agressions physiques et voies de fait, voire même les injures et propos vexatoires tenus par un salarié à l'encontre d'un autre membre du personnel qui se produisent sur le lieu et pendant le temps de travail peuvent être considérés comme une faute grave privative des indemnités de rupture lorsque l'attitude de la victime des violences apparait exempte de tout reproche et lorsque le contexte de leur commission peut avoir une incidence sur l'image et donc la bonne marche de l'entreprise ;
Attendu que force est en premier lieu de constater que les premiers juges ont tenu compte de diverses attestations d'employés de la boucherie -pour la plupart très imprécises et non circonstanciées- qui se trouvaient donc placés dans un lien de dépendance et de subordination avec l'employeur ;
Que lesdits témoignages de Monsieur p. R. et m. C. ne sauraient ainsi à eux seuls étayer la gravité des motifs invoqués ;
Que s'agissant de l'attestation établie par Monsieur f. J. employé de la boucherie, les premiers juges ont à bon droit estimé qu'il convenait d'en apprécier la teneur avec la plus grande réserve dès lors qu'une altercation s'était produite au mois de juillet 2015 entre ce témoin et Monsieur n K. celle ayant précisément donné lieu à la première sanction prononcée à l'encontre de l'appelant ;
Que s'agissant du différend -précisément qualifié de faute grave- survenu avec Monsieur é. V. force est ici de constater qu'aux termes d'un jugement en date du 19 avril 2016, Monsieur é. V. a lui-même été déclaré coupable d'avoir à Monaco, le 6 octobre 2015, volontairement occasionné des blessures, commis des violences ou voies de fait, desquelles il est résulté une incapacité totale de travail de six jours, sur la personne de Monsieur n K. en l'attrapant par le cou et en le frappant au niveau de la cage thoracique et a été en conséquence condamné à la peine de 1.000 euros d'amende ;
Qu'il n'est pas contesté que l'employeur a alors reçu les deux salariés concernés à son bureau de Beausoleil aux environs de 15 heures avant même que Monsieur n K. ne se voie refuser l'accès à son poste de travail à 16 h 15 lorsqu'il lui a été demandé de quitter immédiatement et définitivement les lieux en raison de son licenciement ;
Attendu que l'employeur a, à l'appui de sa décision, également pris en compte l'avertissement précédemment prononcé à l'encontre de Monsieur n K. le 10 juillet 2015, pour en déduire le comportement inadapté de ce dernier ;
Mais attendu qu'en cas de rixe, il est impératif de déterminer d'une part si le salarié est à l'origine de l'altercation et de vérifier d'autre part l'impact de celle-ci sur le fonctionnement de l'entreprise ;
Qu'à cet égard, les premiers juges ont, par des motifs dénués d'équivoque, constaté être « dans l'impossibilité de déterminer qui de Monsieur n K. ou de Monsieur é. V. est à l'origine de l'altercation litigieuse ... » ;
Que force est en outre de préciser que la précédente altercation avec un autre employé de la boucherie prénommé f. avait donné lieu de la part de l'appelant à l'établissement d'une main courante déposée auprès de la Sûreté Publique le 9 juillet 2015 dans des termes particulièrement circonstanciés, faisant état non seulement d'une agression verbale, mais également d'un coup de poing au niveau de l'oreille gauche ;
Que ladite main courante, mentionnant qu'une caméra de vidéosurveillance du magasin avait filmé l'intégralité de l'altercation, s'est trouvée confortée dans sa teneur par le certificat médical établi le même jour aux urgences du Centre Hospitalier Princesse Grace portant précisément comme diagnostic un traumatisme auriculaire gauche sans lésion nécessitant des soins pendant 8 jours ;
Que si les premiers juges n'ont pas estimé opportun de prendre en compte cette main courante, il résulte néanmoins du procès-verbal d'audition de Monsieur n K. par les services de police dressé le 6 octobre 2015 que celui-ci, rappelant ces épisodes précédents, qu'il qualifiait de « faits de harcèlement » en relation avec sa nationalité indienne, évoquait alors la volonté de trois de ses collègues de travail, prénommés Mika, é. et f. de le pousser à bout pour aboutir à son licenciement ;
Qu'en outre, l'incident litigieux du mois d'octobre 2015 apparaît être lui-même survenu à l'initiative de l'un de ces trois collègues de travail, é. V. reconnu coupable de violences ayant provoqué une incapacité totale de travail de 6 jours sur la personne de n K. celui-ci ayant été frappé au niveau de la cage thoracique ;
Qu'en tout état de cause, si les éléments de la cause paraissent révéler un mauvais climat de travail entre les différents salariés, aucune des pièces produites ne permet en revanche d'établir la réalité du comportement violent et agressif imputé à Monsieur K. dans la lettre de licenciement, ni même les répercussions alléguées sur la bonne marche de l'entreprise, alors au contraire qu'il s'induit de la procédure pénale ayant abouti au jugement rendu par le Tribunal correctionnel 19 avril 2016 que Monsieur n K. déjà malmené sur son lieu de travail depuis au moins deux mois, a été victime de violences physiques commises volontairement sur sa personne par un collègue de travail, desquelles est résultée une incapacité totale de travail de 6 jours ;
Attendu qu'outre les motifs dubitatifs énoncés dans le jugement déféré en ce qui concerne l'origine de l'altercation du mois d'octobre 2015, il résulte de l'ensemble de ces éléments que la preuve du comportement inadapté de Monsieur K. et son incidence sur la bonne marche de l'entreprise n'apparaissent pas établies ;
Qu'il s'ensuit que le jugement du 14 février 2019 sera réformé en ce qu'il a été retenu que le licenciement de Monsieur n K. apparaissait fondé sur la faute grave de ce dernier ;
Attendu que l'employeur auquel incombe la charge de cette preuve ne justifie pas du motif qui résulterait selon lui de la faute grave fondant sa décision de rupture, en sorte que l'appelant sera reçu en ses demandes tendant à l'octroi des indemnités légales suivantes :
- 3.764,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 376,41 euros à titre d'indemnité sur préavis,
- 6.022,59 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
Attendu qu'il incombe par ailleurs à Monsieur n K. qui excipe du caractère abusif du licenciement de démontrer que son employeur a méconnu les dispositions légales applicables lors de la mise en œuvre de la rupture ou que les conditions matérielles ou morales de son licenciement ont présenté un caractère fautif voire même révélé l'intention de nuire ou la légèreté blâmable de l'employeur ;
Attendu que s'il n'est pas en l'espèce démontré par l'appelant que le motif invoqué, même non valable, ait présenté un caractère fallacieux, c'est-à-dire ait procédé de la volonté de tromperie et de nuisance de l'employeur, il est néanmoins établi par les pièces de la procédure que la mise à pied immédiate de Monsieur n K. a été mise en œuvre dans la plus grande précipitation, en quelques heures, sans aucune vérification sur l'origine de la rixe survenue dans les locaux ni le rôle exact de ce salarié ;
Attendu que par application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts, en sorte qu'il y a lieu d'admettre la réparation du préjudice moral subi par Monsieur n K. au titre de cette légèreté blâmable ;
Attendu qu'en considération d'un tel contexte, comme du sentiment légitime d'injustice ressentie par Monsieur n K. victime sur le plan pénal de la rixe du 6 octobre 2015, il convient de condamner l'employeur à réparer le préjudice qui en est résulté en allouant à ce dernier la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que les entiers dépens de l'instance demeureront à la charge de la société A qui succombe ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel,
Au fond y fait droit et, réformant le jugement rendu par le Tribunal du travail le 14 février 2019 dit et juge que le licenciement de Monsieur n K. par la société A-B ne repose ni sur un motif valable, ni sur une faute grave et présente un caractère abusif,
Condamne la société A-B à payer à Monsieur n K. les sommes de :
3.764,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
376,41 euros à titre d'indemnité sur préavis,
6.022,59 euros à titre d'indemnité de licenciement,
10.000 euros à titre de dommages-intérêts,
Condamne la société A-B aux entiers dépens, distraits au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur é. SENNA, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 12 NOVEMBRE 2019, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général.