Cour d'appel, 2 juillet 2019, Monsieur f. R. c/ La SAM A
Abstract🔗
Contrat de travail – Licenciement économique – Conditions – Motif valable (non) – Caractère abusif (oui)
Résumé🔗
En droit, la rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié mais procédant de la nécessité de supprimer un ou plusieurs emplois et de restructurer l'entreprise caractérise un licenciement économique. Si l'employeur dispose incontestablement de toutes les prérogatives pour organiser comme il l'entend son entreprise, les juridictions n'ayant en aucune façon le pouvoir de s'immiscer dans sa gestion ni donc d'apprécier l'opportunité ou la pertinence de ses décisions organisationnelles, elles ont néanmoins l'obligation de contrôler la réalité du motif économique invoqué, en vérifiant d'une part la nécessité économique de la réorganisation mise en œuvre et, d'autre part l'effectivité de la suppression du poste du salarié concerné. A cet égard que la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture incombant à l'employeur, il appartenait en l'espèce à la SAM A d'établir que le licenciement était fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié mais résultait d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise. Par des motifs que la Cour adopte, les premiers juges ont légitimement jugé que la réorganisation de l'entreprise, bien que relevant du pouvoir de direction de l'employeur, ne peut être mise en œuvre au détriment de l'emploi dans le cadre de simples choix d'organisation ou de gestion que ne nécessiteraient pas les difficultés financières ou la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. Le Tribunal du travail a de manière pertinente relevé qu'il appartenait à l'employeur d'expliquer en quoi la suppression de ce poste était de nature à prévenir d'éventuelles difficultés économiques ou permettre de relancer le groupe, ce qu'il n'a pas fait en sorte que le licenciement ne reposait pas sur un motif valable.
Par application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts, à la condition que le préjudice soit consécutif à la faute commise. Il incombe au salarié qui prétend être indemnisé de démontrer l'abus commis par son employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de résiliation lequel peut provenir de l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou s'induire de la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles la rupture a été mise en œuvre. L'allégation d'un motif fallacieux de rupture ne se confond pas avec l'invocation d'un motif non valable, mais consiste pour l'employeur à faire état de façon déloyale de motifs spécieux destinés à tromper. Ainsi que les premiers juges l'ont exactement rappelé, que le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal ; qu'à défaut, seul le préjudice résultant des conditions de mise en œuvre de la rupture, qui est distinct de la perte de l'emploi causé par la décision elle-même, peut être réparé. En l'espèce, le licenciement qualifié d'économique masque en réalité, en l'absence de difficultés économiques réelles et en l'état de l'augmentation concomitante des effectifs de ce même service, la volonté de la SAM A de se séparer de f.R. dans le cadre du remaniement du département marketing/communication lors duquel l'employeur n'a pas proposé à ce salarié un autre poste malgré ses aptitudes professionnelles en ce domaine. Ainsi la suppression de poste de f.R. n'est pas intervenue en raison de quelques difficultés économiques de la SAM A, ni parce que le maintien de ce poste ne se justifiait plus, mais parce que l'employeur ne souhaitait plus le maintenir dans ses effectifs. En alléguant à l'encontre de f.R .un motif fallacieux de rupture, la SAM A a fait un usage abusif de son droit de rupture ouvrant droit à la réparation du préjudice matériel découlant de l'abus dans la prise de décision. De plus, la SAM A a fait preuve de brutalité en licenciant f.R. sans lui avoir soumis à l'avance - en dépit de son niveau de responsabilités au sein de son service et de son ancienneté ainsi que l'a justement relevé le Tribunal du travail -, la note actant la nouvelle organisation marketing communication jeux en date du 28 octobre 2013, de sorte que f.R. n'avait aucun moyen d'anticiper la décision de rupture qu'aucune circonstance objective n'exigeait.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 2 JUILLET 2019
En la cause de :
- Monsieur f. R., né le 10 mai 1960 à Milan (Italie), de nationalité française, demeurant et domicilié X1 à Nice (06100 - France) ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° XX, par décision du Bureau du 21 décembre 2017
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- La SAM A, dont le siège social se trouve X2 à Monaco (98000), prise en la personne de son Président du Conseil d'Administration en exercice, Monsieur j-l. B. demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 19 octobre 2017 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 16 avril 2018 (enrôlé sous le numéro 2018/000125) ;
Vu les conclusions déposées les 3 juillet 2018 et 26 mars 2019 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SAM A ;
Vu les conclusions déposées les 4 décembre 2018 et 16 janvier 2019 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Monsieur f. R.;
À l'audience du 23 avril 2019, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur f. R. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 19 octobre 2017.
Considérant les faits suivants :
f. R. a été embauché par la SAM A le 1er juillet 2003 en qualité de Responsable Commercial à la direction des ventes hôtelières.
Le 1er août 2012 il a été affecté au poste de « Chargé de projet évènementiel au Département marketing des jeux casino » avant d'être nommé « Chargé de promotions/ventes » au même service le 1er janvier 2013.
Il est licencié par lettre du 6 novembre 2013 pour motif économique avec suppression de poste due à une restructuration du service.
f. R. a saisi le 21 mai 2014 le bureau de conciliation du Tribunal du travail et en l'absence de conciliation, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement du Tribunal du travail.
Suivant jugement du 19 octobre 2017, le Tribunal du travail a :
- dit que le licenciement de f. R. par la SAM A n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif,
- condamné la SAM A à verser à f. R. la somme de 35.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- débouté f. R. du surplus de ses demandes,
- condamné la SAM A aux dépens.
Au soutien de cette décision, les premiers juges ont en substance estimé que l'employeur ne justifiait ni de la nécessité économique de la réorganisation opérée, ni du lien de causalité entre la restructuration jugée nécessaire et la suppression de poste de f. R. et que la légèreté blâmable et la précipitation dont avait fait preuve l'employeur dans sa décision de licencier conféraient à la rupture un caractère abusif à l'origine d'un préjudice moral qu'ils ont réparé par l'allocation de la somme de 35.000 euros.
Suivant exploit en date du 16 avril 2018, f. R. a interjeté appel partiel du jugement susvisé dont il a sollicité la réformation pour voir dire et juger le licenciement abusif en raison des motifs fallacieux invoqués par la SAM A et de la méconnaissance de son droit à la priorité de réembauche, et en conséquence, la voir condamner à indemniser son préjudice chiffré à la somme de 400.000 euros ainsi qu'à lui verser la somme de 50.000 euros de dommages-intérêts du fait du préjudice moral causé par l'appel qu'il a dû interjeter, la SAM A étant enfin condamnée aux dépens distraits au profit de Maître Frank MICHEL.
Aux termes de cet exploit et de ses conclusions en date des 4 décembre 2018 et 15 janvier 2019 l'appelant a sollicité d'être reçu et déclaré bien fondé en son appel et de voir en conséquence :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable et revêt un caractère abusif, et a condamné la SAM A à lui verser la somme de 35.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
Statuant à nouveau :
- réformer le jugement en ce que son préjudice matériel et financier n'a pas été réparé, en condamnant la SAM A à des dommages-intérêts complémentaires à hauteur de 400.000 euros, qui seront octroyés en sus de ceux alloués au titre du préjudice moral subi,
- condamner dès lors la SAM A à lui régler la somme de 400.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et financier subi,
Si par impossible il n'était pas fait droit à cette demande :
- dire et juger que les motifs fallacieux invoqués par la SAM A l'ont privé de son droit à la priorité de réembauche, que ce soit dans un poste de son département ou relativement au poste de responsable commercial à la Direction des ventes dont a bénéficié v C L. recrutée en externe,
- constater que le licenciement revêt un double caractère abusif qui induit une volonté de l'employeur de lui nuire et une mise en œuvre avec précipitation et légèreté,
- condamner en conséquence la SAM A au paiement de la somme de 400.00 euros à titre de dommages-intérêts au regard du motif fallacieux combiné à l'intention de nuire dont il a été victime,
En tout état de cause :
- condamner la SAM A à 50.000 euros de dommages-intérêts supplémentaires du fait du préjudice moral causé par l'appel qu'il a dû interjeter, la SAM A étant enfin condamnée aux dépens.
Il fait valoir pour l'essentiel que :
- en matière de licenciement économique, il appartient à l'employeur d'établir les difficultés économiques alléguées, leur caractère durable et de justifier en quoi la suppression de poste a contribué à la sauvegarde de l'entreprise,
- la SAM A a réalisé de très importants investissements démontrant ainsi l'absence de difficultés financières,
- elle ne produit aucun élément comptable probant,
- la restructuration du département marketing des jeux s'est accompagnée de la suppression de trois postes, un seul licenciement, le sien, et la création de cinq postes dont l'embauchage s'est fait en externe,
- il n'a ainsi pas été licencié pour motif économique, la SAM A ayant créé parallèlement à son départ cinq nouveaux postes dans le service qu'elle venait de restructurer, sans rapporter la preuve au demeurant de la nécessité de cette restructuration,
- aucun des cinq postes créés au département marketing n'apparaît sur le registre d'entrée et sortie du personnel,
le licenciement repose donc sur un faux motif,
- en outre la SAM A a usé de stratagèmes trahissant la volonté de nuire au salarié,
- elle l'a fictivement affecté au poste de Chargé de promotion/ventes, en apparence isolé dans sa catégorie mais regroupant en réalité les fonctions qu'il occupait auparavant en sa qualité de responsable commercial de la direction des ventes hôtelières qu'il avait été obligé de quitter en raison de profondes divergences avec sa responsable hiérarchique,
- il appartenait donc, de par ses fonctions relatives à des tâches marketing, à la même catégorie professionnelle que ses autres collègues du Département marketing et n'aurait jamais dû se voir licencier pour le cas où il aurait été prioritaire sur un autre collègue,
- il n'a bénéficié d'aucun bilan de compétence contrairement à d'autres salariés qui se sont vus proposer un accompagnement professionnel pour approfondir les leurs,
- la mise en place d'une nouvelle stratégie commerciale et marketing ne constitue pas en soi un motif économique de licenciement,
- la SAM A ne rapporte pas la preuve que les fonctions de chargé de promotions/ventes ont migré vers le poste de chargé d'animation,
- l'employeur a multiplié les créations, suppressions et changements d'intitulés de poste en vue de dérouter ses salariés,
- la SAM A a sciemment organisé et programmé sa mutation parce qu'elle entendait le licencier en prétextant une restructuration, adoptant un comportant fallacieux,
- la SAM A n'a pas respecté la priorité d'embauche applicable au salarié licencié pendant une durée de douze mois, alors que concomitamment à son licenciement cinq nouveaux postes au département marketing communication ont été ouverts et qu'il disposait de compétences en ce domaine,
- par courriel du 11 décembre 2013, il a confirmé sa volonté de bénéficier d'une priorité de réembauchage, mais cependant le poste de Responsable commercial à la direction des ventes qui s'est libéré en début d'année 2014 ne lui a pas été proposé, bien que compatible avec sa qualification professionnelle,
- le licenciement a été mis en œuvre de manière abusive au regard de la légèreté et de la précipitation dont a fait preuve l'employeur et revêt en outre un caractère abusif en l'état des motifs fallacieux, dans l'intention de lui nuire, mis à jour, s'est fait de manière brutale puisqu'il n'a pas, au préalable, bénéficié d'un entretien avec l'employeur,
- il a subi un préjudice financier et moral important qui seront tous deux réparés en application de l'article 13 de la loi n° 729 sur le contrat de travail qui n'opère aucune distinction entre le préjudice matériel et le préjudice moral qu'il convient de réparer à l'occasion d'une rupture abusive.
La SAM A, intimée, a relevé appel partiel de la décision aux termes de ses conclusions en date des 3 juillet 2018 et 26 mars 2019.
Elle sollicite la confirmation de la décision en ce qu'elle a débouté le salarié de sa demande d'indemnisation des prétendus préjudices matériel et financier et l'infirmation pour le surplus, f. R. étant débouté de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions, aux motifs essentiellement que :
- s'agissant du motif de licenciement, le Tribunal du travail a mal apprécié les éléments qui lui avaient été soumis dès lors que les difficultés économiques qui résultent de multiples éléments comptables (compte de l'exercice 2012/2013, rapport annuel de septembre 2013, résultats négatifs de 2015/2016) ne font pas de doute,
- des mesures de restructuration ont été nécessaires et un plan de départs volontaires pour l'exercice 2013/2014 qui a concerné 56 personnes, ainsi qu'un plan social dans le cadre des travaux de la société C en 2014 qui a concerné 74 personnes, ont été menés concomitamment à la restructuration du service Marketing avec la suppression de 3 postes,
- le licenciement est valable car la création de cinq nouveaux postes n'est pas de nature à remettre en cause la régularité du licenciement en l'état de la suppression effective du poste occupé par f. R. et du fait qu'aucun de ces postes, majoritairement ciblés marketing, ne correspondait aux compétences de f. R.
- elle verse les fiches des postes de chargé de projet évènementiel et de chargé de promotions/ventes qui mettent en évidence les différences des deux missions,
- elle a respecté son obligation de réembauchage dès lors qu'il ne s'agissait pas d'emplois équivalents à celui occupé par le salarié et que l'ordre des priorités d'embauche prime sur la priorité de réembauchage,
- en l'absence d'abus dans la prise de décision, f. R. ne peut prétendre à l'indemnisation de prétendus préjudices matériel et financier conséquence de la perte de l'emploi, d'autant que le calcul opéré pour l'évaluer est purement fantaisiste et n'est étayé par aucune pièce,
- le licenciement est dénué de caractère abusif en l'absence d'obligation de tenir un entretien préalablement au licenciement et de la convention signée avec la société B afin d'assister f. R. dans sa recherche d'emploi, qui exclut toute brutalité d'autant plus que le salarié, qui ne s'est jamais présenté aux rendez-vous fixés par cette société, n'a fait aucun effort pour rechercher un nouvel emploi ce qui le prive de toute indemnisation.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les appels du jugement, signifié le 9 avril 2018, ont été formés dans les conditions de délais et de forme prescrites par le Code de procédure civile et doivent être déclarés recevables ;
Que par l'effet dévolutif de l'appel, la Cour est amenée à statuer sur l'entier litige ;
Sur la validité du licenciement :
Attendu que f. R. a été licencié suivant lettre du 6 novembre 2013 pour suppression de poste due à une restructuration pour cause économique ;
Que la décision de rupture de l'employeur est ainsi fondée sur un motif étranger à la personne du salarié concerné ;
Attendu, en droit, que la rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié mais procédant de la nécessité de supprimer un ou plusieurs emplois et de restructurer l'entreprise caractérise un licenciement économique ;
Attendu que si l'employeur dispose incontestablement de toutes les prérogatives pour organiser comme il l'entend son entreprise, les juridictions n'ayant en aucune façon le pouvoir de s'immiscer dans sa gestion ni donc d'apprécier l'opportunité ou la pertinence de ses décisions organisationnelles, elles ont néanmoins l'obligation de contrôler la réalité du motif économique invoqué, en vérifiant d'une part la nécessité économique de la réorganisation mise en œuvre et, d'autre part l'effectivité de la suppression du poste du salarié concerné ;
Attendu à cet égard que la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture incombant à l'employeur, il appartenait en l'espèce à la SAM A d'établir que le licenciement était fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié mais résultait d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise ;
Qu'à cet égard, par des motifs que la Cour adopte, les premiers juges ont légitimement jugé que la réorganisation de l'entreprise, bien que relevant du pouvoir de direction de l'employeur, ne peut être mise en œuvre au détriment de l'emploi dans le cadre de simples choix d'organisation ou de gestion que ne nécessiteraient pas les difficultés financières ou la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ;
Attendu que pour établir que le licenciement de f. R. reposait sur un motif valable, il incombait dès lors à la SAM A de démontrer non seulement le caractère concomitant du licenciement de ce salarié avec la restructuration de l'entreprise et la nécessité économique de cette réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, mais encore le caractère effectif de la suppression du poste concerné ;
Que les éléments de la cause sont constitués :
- d'un article de presse non daté faisant état d'une baisse de résultats entre 2008 et 2011,
- d'un document intitulé « Information financière 3ème trimestre 2013/2014 » qui met en évidence une amélioration du chiffre d'affaires de la société-mère (358.452 millions d'euros contre 303.110 millions l'année précédente) et du groupe consolidé dont le chiffre d'affaires s'élève au cumul des neuf premiers mois de l'exercice à 407 millions d'euros contre 346,5 millions d'euros précédemment, soit une hausse de 17 %, et pour le seul dernier trimestre une hausse de près de 20 % par rapport à l'exercice précédent,
du rapport annuel de 2012/2013 réalisé par la SAM A,
- d'un document de référence 2014 réalisé par la SAM A, dont certaines pages sont partiellement illisibles, qui révèle que de 2008 à 2013 le groupe a connu une dégradation régulière de ses résultats et qu'enfin au cours de l'exercice 2013/2014 un redressement de la performance opérationnelle a pu être enregistré, le résultat net social s'élevant à 18,3 millions d'euros contre une perte de 30,4 millions d'euros pour l'exercice précédent, soit une amélioration de 48,7 millions d'euros ;
Qu'ainsi, il est manifeste que lors de la rupture du contrat de travail, le résultat de l'activité était excédentaire, contrairement à l'exercice précédent ;
Que si la SAM A a rencontré une dégradation de ses résultats, c'était antérieurement au licenciement mais nullement concomitamment ;
Qu'en outre, l'employeur n'a, dans son courrier du 25 novembre 2013 adressé à l'inspecteur du travail, nullement fait état de difficultés économiques qui l'auraient contraint à licencier son salarié, mais s'est borné à indiquer que la réorganisation de la société S avait pour but de répondre aux nouveaux enjeux économiques de l'activité jeux dont les objectifs exigeaient une démarche commerciale plus active et plus concurrentielle ;
Attendu par ailleurs, quant à la réalité des solutions prises pour remédier aux difficultés alléguées, que sur les 3 suppressions de postes décidées au sein du service marketing, seul un licenciement a été prononcé, celui de f. R. tandis que cinq nouveaux postes ont été créés lors de ladite restructuration et ont été pourvus, en sorte que la SAM A n'a pas réduit le nombre de salariés, ni les charges de ce service ;
Qu'ainsi la preuve n'est pas rapportée de la nécessité de supprimer le poste de f. R.;
Attendu qu'au regard de l'ensemble de ces circonstances, le Tribunal du travail a de manière pertinente relevé qu'il appartenait à l'employeur d'expliquer en quoi la suppression de ce poste était de nature à prévenir d'éventuelles difficultés économiques ou permettre de relancer le groupe, ce qu'il n'a pas fait en sorte que le licenciement ne reposait pas sur un motif valable ;
Attendu que la décision entreprise sera confirmée sur ce point ;
Sur le caractère abusif du licenciement :
Attendu que par application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts, à la condition que le préjudice soit consécutif à la faute commise ;
Attendu qu'il incombe au salarié qui prétend être indemnisé de démontrer l'abus commis par son employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de résiliation lequel peut provenir de l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou s'induire de la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles la rupture a été mise en œuvre ;
Que l'allégation d'un motif fallacieux de rupture ne se confond pas avec l'invocation d'un motif non valable, mais consiste pour l'employeur à faire état de façon déloyale de motifs spécieux destinés à tromper ;
Attendu, ainsi que les premiers juges l'ont exactement rappelé, que le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal ; qu'à défaut, seul le préjudice résultant des conditions de mise en œuvre de la rupture, qui est distinct de la perte de l'emploi causé par la décision elle-même, peut être réparé ;
Qu'en l'espèce, le licenciement qualifié d'économique masque en réalité, en l'absence de difficultés économiques réelles et en l'état de l'augmentation concomitante des effectifs de ce même service, la volonté de la SAM A de se séparer de f. R. dans le cadre du remaniement du département marketing/communication lors duquel l'employeur n'a pas proposé à ce salarié un autre poste malgré ses aptitudes professionnelles en ce domaine ;
Qu'ainsi la suppression de poste de f. R. n'est pas intervenue en raison de quelques difficultés économiques de la SAM A, ni parce que le maintien de ce poste ne se justifiait plus, mais parce que l'employeur ne souhaitait plus le maintenir dans ses effectifs ;
Qu'en effet il résulte de la fiche, produite par la SAM A, que le poste de chargé de promotions/ventes est défini de la manière suivante :
« Le chargé de promotions et ventes a pour mission de faire augmenter les ventes d'un produit, par l'élaboration de la stratégie promotionnelle des « produites » la conception, le lancement et l'analyse d'opérations promotionnelles.
Sa mission relève du marketing opérationnel : il a pour objectif de « doper » les ventes. Pour cela, il doit concevoir des offres et des opérations. Son rôle est de les mettre en œuvre et de réaliser dans son secteur géographique et dans son domaine (type de marché, de produit, de clientèle), la politique commerciale définie par la direction des jeux.
Principales responsabilités :
- élaborer la stratégie promotionnelle sur le secteur d'activité des machines à sous,
- faire de la veille sur les opérations promotionnelles du marché, en particulier celles de la concurrence,
- suivre les opérationnelles mises en place,
- concevoir des supports de communication,
- gérer un budget promotion,
- dresser des bilans de campagnes promotionnelles,
- collaborer étroitement avec les pôles animation, études/segmentation (et animation programme players club),
- s'assurer de la bonne communication vis-à-vis de sa hiérarchie, de son équipe et également des intervenants fonctionnels internes et externes ... » ;
Que force est de relever que ce poste comporte des missions et compétences similaires au poste occupé par f. R. avant son licenciement ;
Qu'en outre le directeur des ressources humaines de la SAM A indiquait à l'inspecteur du travail que le pôle marketing opérationnel sera constitué de 3 postes, pour lesquels la SAM A estimait nécessaire de recruter des personnes ayant la formation ou au moins l'expérience du poste ;
Que de plus, malgré le changement de dénomination de ce service, aucun élément objectif ne vient démontrer une spécialisation accrue dans le domaine du marketing de ce département ;
Que par ailleurs une salariée qui travaillait dans la cellule animation avec f. R. s'est vue proposer des reclassements dans l'organigramme, tandis que des personnes travaillant déjà dans un service s'apparentant au pôle rentabilité client et pilotage budgétaire ont vu leur mission repositionnée ;
Que pour sa part, f. R. a été quant à lui évincé sans qu'aucun reclassement ne lui soit proposé, sans que ses fonctions ne soient repositionnées et ce alors que la nouvelle organisation mise en place le 28 octobre 2013, qui mettait en avant la nécessité d'organiser des actions promotionnelles, correspondait parfaitement aux tâches qui lui étaient dévolues en tant que chargé des promotions/ ventes au regard de la fiche de poste susvisée ;
Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces considérations que le licenciement est faussement fondé sur la nécessité d'une restructuration en raison de prétendues difficultés économiques, alors que la SAM A, qui a supprimé trois postes, n'a finalement licencié que l'intéressé après avoir repositionné deux des salariés, tout en créant dans le même temps cinq nouveaux postes, dont ceux de responsable de marketing opérationnel et de responsable conquête fidélisation qui correspondaient aux compétences de f. R. ou pour lesquels à tout le moins un accompagnement ou un bilan de compétences, à l'instar de ses autres collègues, auraient pu lui être proposés ;
Qu'il s'évince de telles circonstances que le motif invoqué par l'employeur à l'appui de la rupture du contrat de travail n'est pas celui pour lequel f. R. a été réellement licencié et n'a été imaginé que pour évincer son salarié de l'entreprise, alors que dans les faits ses tâches ont été confiées à d'autres personnes ;
Qu'en alléguant à l'encontre de f. R. un motif fallacieux de rupture, la SAM A a fait un usage abusif de son droit de rupture ouvrant droit à la réparation du préjudice matériel découlant de l'abus dans la prise de décision ;
Que de plus, la SAM A a fait preuve de brutalité en licenciant f. R. sans lui avoir soumis à l'avance - en dépit de son niveau de responsabilités au sein de son service et de son ancienneté ainsi que l'a justement relevé le Tribunal du travail -, la note actant la nouvelle organisation marketing communication jeux en date du 28 octobre 2013, de sorte que f. R. n'avait aucun moyen d'anticiper la décision de rupture qu'aucune circonstance objective n'exigeait ;
Attendu, enfin sur la priorité de réembauchage, qu'en cas de licenciement pour suppression d'emploi, le salarié concerné a droit, durant six mois, à une priorité de réembauchage, dans le cas où l'employeur recruterait du personnel à la même catégorie professionnelle, sans pouvoir faire échec à l'ordre de priorité d'embauchage prévu par l'article 5 ;
Mais attendu qu'aucune violation des dispositions de l'article 7 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 ne peut être reprochée à la SAM A dès lors qu'au cas particulier la personne embauchée au poste de Directeur commercial en février 2014 était prioritaire à f. R. du fait de sa résidence en commune limitrophe, ce qui n'est pas discuté par ce dernier, et que l'argument développé par lui, selon lequel les articles 5 et 7 de la loi n'auraient vocation à s'appliquer qu'entre salariés issus d'une compression d'emploi ou entre salariés extérieurs à l'entreprise ne résulte d'aucune disposition de la loi ;
Attendu en définitive que licencié pour un motif fallacieux et avec brutalité, f. R. est en droit de prétendre à l'indemnisation de ses préjudices moral et matériel subis consécutivement au licenciement ;
Attendu que celui-ci demande l'allocation de la somme de 400.000 euros au titre de son préjudice matériel sur la base du tableau de calcul établi par la société G, qui a évalué ce préjudice à la somme de 333.452,15 euros, à laquelle s'ajoute la perte des allocations CAF et d'une mutuelle santé, outre une indemnité compensant la méconnaissance par la SAM A des dispositions relatives à la priorité de réembauche ;
Mais attendu que f. R. ne produit aucun élément se rapportant à sa situation matérielle actuelle, de sorte que la Cour, qui ignore s'il est toujours ou non demandeur d'emploi, et dans l'hypothèse où il aurait retrouvé un travail, la date de son embauche et le montant de sa rémunération, n'est pas en mesure d'apprécier le retentissement financier du licenciement ;
Qu'en outre, aucune violation des dispositions de l'article 7 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 n'a été commise par la SAM A ;
Qu'il convient donc en conséquence de débouter l'appelant de ce chef de préjudice, le jugement étant confirmé par substitution de motifs ;
Attendu, s'agissant du préjudice moral, que le refus opposé par f. R. de suivre le plan d'accompagnement proposé par la SAM A s'avère dénué d'incidence sur ce préjudice qui résulte de la mise en œuvre de la rupture dans les conditions précitées dont la réparation a été justement chiffrée à la somme de 35.000 euros au regard de l'âge de f. R. au moment de la rupture (53 ans) et de son ancienneté de 10 ans au sein de l'entreprise ;
Que le jugement déféré sera donc confirmé de ces chefs ;
Attendu que les dépens d'appel seront compensés entre les parties qui succombent chacune respectivement en leur appel ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels principal et incident,
Les disant mal fondés,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 octobre 2017 par le Tribunal du travail,
Ordonne la compensation totale des dépens.
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Madame Claire GHERA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 2 JUILLET 2019, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général.