Cour d'appel, 30 avril 2019, Madame m. M. divorcée R. c/ la société à responsabilité limitée dénommée E. SARL

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Abstract🔗

Procédure civile - Communication des pièces - Demande de communication de pièces complémentaires - Manifestation de la vérité - Obligation de diligence

Résumé🔗

Aux termes de l'article 431, alinéa 1 du Code de procédure civile, les parties peuvent, pour justifier les demandes qui avaient été soumises au premier juge, invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

En l'espèce, il est constant que l'ensemble des pièces dont l'appelante demandait qu'elles lui soient communiquées dans sa lettre de mise en demeure de son conseil en date du 10 mars 2015, ont été produites par la société intimée suivant bordereaux de pièces en date des 27 octobre 2016 et 3 mai 2017.

Il est tout aussi constant que celle-ci n'a demandé à aucun moment la production de pièces complémentaires aux motifs que celles-ci pouvaient s'avérer utiles à sa défense alors qu'elle n'y avait plus accès.

Bien plus, l'appelante ne justifie pas avoir délivré en cours d'instance une sommation ou une demande expresse et précise à l'intimée d'avoir à lui communiquer des pièces comptables et financières complémentaires.

Si l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme implique l'obligation pour les parties de concourir à la manifestation de la vérité, il implique également l'obligation pour celles-ci d'être normalement diligentes tout au long de la procédure. Dans ces conditions, il convient de débouter l'appelante de sa demande de communication de pièces complémentaires et d'ordonner la réouverture des débats pour que les parties concluent au fond.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 30 AVRIL 2019

En la cause de :

- Madame m. M. divorcée R., née le 25 octobre 1954 à Monaco, de nationalité monégasque, domiciliée « X1 » - X1- 98000 Monaco ;

Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° 55-BAJ-15, par décision du Bureau du 19 février 2015

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- La société à responsabilité limitée dénommée E. SARL, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le numéro AA dont le siège social est sis X2- 98000 Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 25 janvier 2018 (R. 2568) ;

Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 19 avril 2018 (enrôlé sous le numéro 2018/000131) ;

Vu les conclusions déposées les 17 juillet 2018 et 27 novembre 2018 par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la société à responsabilité limitée dénommée E. SARL ;

Vu les conclusions déposées le 23 octobre 2018 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Madame m. M. divorcée R.;

À l'audience du 12 mars 2019, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel parte in qua relevé par Madame m. M. divorcée R. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 25 janvier 2018.

Considérant les faits suivants :

m. M. est associée fondatrice de la SARL E. créée en 2008, aux côtés de j-p. C. tous deux ayant été désignés par les statuts constitutifs comme étant les cogérants statutaires.

Aux termes d'un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire en date du 30 septembre 2013, m. M. a démissionné de ses fonctions de cogérante et a été embauchée le 1er octobre 2013 par la SARL E. selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de secrétaire comptable.

Lors d'une assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2014, m. M. a été nommée à nouveau cogérante de la SARL E. à compter du 1er octobre 2014, avant qu'il ne soit mis fin à ce second mandat selon procès-verbal d'assemblée générale du 6 mai 2015.

Par ordonnance rendue le 10 juillet 2015, le Juge des référés du Tribunal du travail a rejeté les demandes de m. M. visant à condamner la SARL E. à lui verser une somme provisionnelle au titre de ses salaires pour la période du 15 novembre 2014 au 30 avril 2016.

Par acte en date du 24 mai 2016, m. M. a fait assigner la SARL E. devant le Tribunal de première instance, aux fins de la voir condamnée à lui verser les sommes de :

  • 89.243,38 euros au titre des indemnités de gérance impayées pour l'exercice 2013,

  • 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices moraux et financiers subis. Par jugement en date du 25 janvier 2018, le Tribunal a statué comme suit :

  • déboute m. M. de sa demande en paiement par la SARL E. de la somme de 89.243,38 euros au titre des indemnités de gérance afférentes à l'exercice 2013,

  • condamne m. M. à verser à la SARL E. la somme de 5.500 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014,

  • déboute les parties de leur demande de dommages et intérêts,

  • condamne m. M. divorcée R. aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Par acte en date du 19 avril 2018 m. M. a formé appel parte in qua de ce jugement en ces termes :

  • accueillir Madame m. M. R. en son appel et y déclarer bien fondée,

  • confirmer le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 25 janvier 2018 en ce qu'il a retenu que Madame M. R. a démontré l'obligation de la SARL E. de lui verser la somme de 135.033,38 euros,

  • le réformer pour le surplus,

Et, statuant à nouveau,

  • condamner la SARL E. à verser à Madame M.R. la somme de 89.243,38 euros au titre des indemnités de gérance impayées pour l'exercice 2013,

  • condamner la SARL E. à payer à Madame M.R. la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,

  • débouter la SARL E. de l'ensemble de ses demandes,

  • condamner la SARL E. aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

aux motifs essentiellement que :

  • elle n'a pas perçu l'intégralité de l'indemnité de gérance d'un montant de 135.033,38 euros, votée en sa faveur pour l'exercice 2013 lors de l'assemblée générale annuelle du 30 juin 2014,

  • elle n'a perçu que la somme de 45.790 euros par virements bancaires intervenus entre le 30 janvier et le 30 septembre 2013, outre la remise de deux chèques de 2.745 euros le 30 octobre 2013 et 745 euros le 12 décembre 2013,

  • elle est créancière de la SARL E. à hauteur de la somme de 89.243,28 euros, l'emploi dans le procès-verbal d'assemblée générale du temps futur démontrant qu'elle n'avait pas reçu ces sommes au 30 juin 2014,

  • l'approbation annuelle des comptes sociaux par ses soins et l'absence de contestation antérieure du versement de ses indemnités de gérante ne permettent pas de prouver le versement de l'indemnité au titre de l'exercice 2013,

  • nombre de mouvements prétendument effectués par elle-même apparaissent sur l'extrait du troisième compte courant, qui ne lui était pas attribué,

  • la SARL E. ne rapporte pas la preuve d'une créance à son encontre d'un montant de 5.500 euros au titre du solde débiteur du compte courant d'associé.

Par conclusions en date du 17 juillet 2018 la SARL E. appelante incidente, sollicite la confirmation du jugement en ces termes :

  • confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de première instance du 25 janvier 2018, En conséquence,

  • débouter Madame M. R. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

  • condamner Madame M. R. au paiement de la somme de 5.500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014,

  • condamner Madame M.R. au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommage-intérêts pour appel abusif,

  • condamner Madame M. R. aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

aux motifs essentiellement que :

  • m. M. a reconnu dans le procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 30 juin 2014 avoir perçu l'intégralité du montant de son indemnité de gérance pour l'exercice 2013, en votant en faveur de l'approbation des comptes de la SARL E. pour l'exercice clos le 31 décembre 2013,

  • elle a fourni l'ensemble des documents comptables, juridiques et bancaires justifiant de la réalité du versement de cette indemnité de gérance litigieuse,

  • le versement de cette indemnité est établi par le bilan de la société, qui présente un solde nul pour le compte courant d'associé de m. M. au 31 décembre 2013,

  • le compte courant d'associé de m. M. est débiteur à hauteur de 5.500 euros depuis le 31 décembre 2014 et elle détient à son encontre une créance certaine, liquide et exigible de ce montant depuis cette date.

Par conclusions d'incident de non communication de pièces prises le 23 octobre 2018 au visa de l'article 274 du Code de procédure civile et de l'article 6 de la CEDH, m. M. sollicite de :

  • enjoindre à la SARL E. d'avoir à communiquer sans délai :

  • une copie des chèques tirés sur le compte « 455000 - Associés comptes courants », ainsi que les bordereaux de retrait d'espèces afférents audit compte,

  • une copie des rôles de mise en recouvrement correspondant aux paiements enregistrés sur le compte « 455100 - Principal »,

  • donner acte à Madame m. M. R. qu'elle se réserve le droit de conclure ultérieurement sur le fond,

  • réserver les dépens,

aux motifs essentiellement que :

  • elle est étrangère aux opérations apparaissant sur le compte « 455000 - Associés comptes courants » et en conteste en être à l'origine,

  • aucun des retraits d'espèces, virements bancaires, retraits aux distributeurs et paiements effectués au moyen d'une carte bancaire ou d'un chéquier ne peut avoir été effectué par elle puisqu'elle ne possédait aucun de ces moyens de paiement,

  • les débits enregistrés sur ce compte courant ne sont pas liés à des dépenses la concernant, mais correspondent en réalité à des achats effectués par Monsieur C. lui-même pour ses besoins personnels,

  • la SARL E. se garde de communiquer la copie des chèques tirés sur le compte bancaire de la société et les bordereaux de remise d'espèces,

  • il en va de même s'agissant du compte « 455100 - Principal » puisque la SARL E. allègue à tort que ces versements auraient servi à régler une dette qu'elle aurait générée au titre de la TVA due pour l'activité en nom personnel qu'elle exerçait sous l'enseigne « E. » avant de devenir associée de la SARL E. ce qui n'est absolument pas le cas,

  • là encore, ces assertions sont fausses et seule la production par l'intimée des rôles de mise en recouvrement permettrait de le démontrer,

  • l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme implique l'obligation pour les parties de concourir à la manifestation de la vérité, de même que le principe de l'égalité des armes qui suppose que les différentes parties au procès disposent des mêmes droits,

  • la SARL E. est seule en mesure de produire l'ensemble de ces justificatifs qui sont en sa possession et dont elle fait état dans la procédure à l'appui de ses prétentions,

  • elle n'a plus la qualité de cogérante de la SARL E. et n'a donc pas accès à ces documents et s'est en tout état de cause vue refuser leur transmission par l'établissement bancaire où sont ouverts les comptes de la société puisque Monsieur C. s'y est opposé.

Par conclusions en date du 27 novembre 2018, la SARL E. reprenant ses précédentes conclusions a conclu au rejet de la demande de production de pièces formée par l'appelante en faisant valoir que :

  • l'appelante était, de la création de la société E. jusqu'au 30 septembre 2013, puis entre le 1er octobre 2014 et le 6 mai 2015, respectivement cogérante puis gérante de cette société,

  • la SARL E. n'a pas manqué de communiquer les relevés bancaires de la société concernant l'exercice au titre duquel l'appelante réclame le paiement du solde de son indemnité de gérance,

  • à la date du 2 avril 2015 et au cours des périodes précitées, du fait de sa qualité de gérante de la SARL E. Madame M.R. a disposé d'un accès privilégié pour consulter les relevés bancaires de la société, mais également tous les éléments y afférents,

  • elle ne l'a pas fait et prétend à tort que l'accès à ces éléments à sa défense lui aurait été refusé,

  • dans la lettre de mise en demeure produite dans son acte d'appel et remontant à l'année 2015, ses demandes se limitaient qu'à la communication des bilans comptables au titre des années 2008 à 2014 et des procès-verbaux d'Assemblée.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que la recevabilité des appels régularisés dans les formes et délais légaux n'est pas discutée ;

Attendu qu'aux termes de l'article 431, alinéa 1 du Code de procédure civile, les parties peuvent, pour justifier les demandes qui avaient été soumises au premier juge, invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ;

Qu'en l'espèce, il est constant que l'ensemble des pièces dont l'appelante demandait qu'elles lui soient communiquées dans sa lettre de mise en demeure de son conseil en date du 10 mars 2015, ont été produites par la société intimée suivant bordereaux de pièces en date des 27 octobre 2016 et 3 mai 2017 ;

Que bien que contestant déjà en première instance être globalement l'auteur de tous les mouvements sur le compte courant d'associé « 455100 - Principal » et sur le compte courant d'associé « 455000 - Associés comptes courants » de la SARL E. pour l'exercice comptable 2013, il est tout aussi constant que celle-ci n'a demandé à aucun moment la production de pièces complémentaires aux motifs que celles-ci pouvaient s'avérer utiles à sa défense alors qu'elle n'y avait plus accès ;

Que bien plus, l'appelante ne justifie pas avoir délivré en cours d'instance une sommation ou une demande expresse et précise à l'intimée d'avoir à lui communiquer des pièces comptables et financières complémentaires ;

Qu'en outre, dans son acte d'appel, si celle-ci fait état de documents bancaires et fiscaux établissant selon elle qu'elle n'est pas l'auteur ou le bénéficiaire de certaines opérations apparaissant sur ces deux comptes courants, il n'apparaît pas que celle-ci ait formulé une demande quelconque en ce sens alors qu'il s'agit pourtant de documents nécessairement anciens remontant à l'année 2013 et qui sont parfaitement connus de l'appelante en sa qualité de cogérante associée majoritaire de la SARL E. de 2008 au 1er octobre 2013 et pour lesquels il n'est pas allégué qu'elle n'y avait pas accès lorsque m. M. a été nommée à nouveau cogérante de la SARL E. à compter du 1er octobre 2014 jusqu'au 6 mai 2015 ;

Que si l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme implique l'obligation pour les parties de concourir à la manifestation de la vérité, il implique également l'obligation pour celles-ci d'être normalement diligentes tout au long de la procédure ;

Que dans ces conditions, il convient de débouter l'appelante de sa demande de communication de pièces complémentaires et d'ordonner la réouverture des débats pour que les parties concluent au fond ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement, par arrêt mixte contradictoire,

Reçoit les appels,

Déboute m. M. de sa demande de communication de pièces complémentaires,

Ordonne la réouverture des débats à l'audience du MARDI 28 MAI 2019 pour que les parties concluent sur le fond,

Réserve les dépens.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 30 AVRIL 2019, par Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général adjoint.

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