Cour d'appel, 30 avril 2019, La Sarl A c/ La SAS B

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Abstract🔗

Lettre de change – Créance – Reconnaissance de dette (non) – Aveu judiciaire (oui)

Résumé🔗

Les premiers juges ont justement retenu que si la présomption de créance au motif de l'acceptation de la lettre de change par le tiré ne pouvait valoir reconnaissance de dette qu'envers la SAS C dont les parties admettent la qualité officieuse de tireur initial, en revanche le moyen développé par l'appelante d'une lettre de change honorée par chèque postérieurement à la présentation au paiement de l'effet de commerce litigieux devait valoir comme aveu judiciaire à l'égard de la SAS B tireur signataire.

La SARL A a justement été condamnée à régler à la SAS B la somme de 10.287,22 euros assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 26 juillet 2016, date de l'assignation valant mise en demeure et compte- tenu de cette condamnation celle-ci a justement été déboutée de sa demande indemnitaire.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 30 AVRIL 2019

En la cause de :

  • - La SARL A, immatriculée au R. C. I. de Monaco sous le numéro AA dont le siège social est X1 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - La Société par actions simplifiée de droit français B, dont le siège social se trouve X2- 13225 Marseille Cedex (France), prise en la personne de son Président en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Frédéric TOCQUET, avocat au barreau de Nice ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 1er février 2018 (R. 2706) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 3 avril 2018 (enrôlé sous le numéro 2018/000118) ;

Vu les conclusions déposées le 23 octobre 2018 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la Société par actions simplifiée de droit français B;

Vu les conclusions déposées le 13 décembre 2018 par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de la SARL A ;

À l'audience du 19 février 2019, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la SARL A à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 1er février 2018.

Considérant les faits suivants :

La société à responsabilité limitée monégasque A (anciennement « SCS G ») en qualité de Maître d'ouvrage délégué dans le cadre de la construction de six appartements situés au X3 à Roquebrune-Cap-Martin dénommée « Y », a conclu un marché de travaux avec la société par actions simplifiée de droit français C pour le lot n° 11 « Plomberie-Sanitaires-VMC-Climatisation ».

Le 31 décembre 2011, la SAS C a présenté une facture n°T à la SCS G pour un montant de 10.287,22 euros.

En règlement de ces travaux effectués pour le chantier des appartements « Y », la SAS C a émis le 17 février 2012 une lettre de change tirée sur son débiteur, la SCS G, sans mention du nom du bénéficiaire ni signature du tireur.

Dans le cadre de ce chantier, la SAS C s'est fournie auprès de la société par actions simplifiée de droit français B.

Connaissant des difficultés de paiement de ses factures, la SAS C a remis le 20 février 2012 à la SAS B ladite lettre de change en règlement d'une partie du solde débiteur de son compte professionnel.

À l'échéance du 30 avril 2012, la SAS B a présenté au paiement cette lettre de change laquelle est revenue avec la mention « tirage contesté », la SARL A contestant devoir une quelconque somme suite à l'abandon de chantier par la SAS C.

Par acte en date du 26 juillet 2016, la SAS B a assigné la SARL A devant le Tribunal de première instance aux fins d'obtenir le paiement de la somme de 10.287,22 euros assortie des intérêts de retard au taux légal à compter de la date d'échéance de la lettre de change et celle de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Par jugement en date du 1er février 2018, le Tribunal a statué comme suit :

  • - condamne la SARL A à payer à la SAS B la somme de 10.287,22 euros avec intérêts de retard au taux légal à compter du 26 juillet 2016,

  • - déboute la SAS B de sa demande accessoire en dommages et intérêts pour résistance abusive,

  • - déboute la SARL A de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêt pour procédure abusive,

  • - condamne la SARL A aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Par acte en date du 3 avril 2018 et par conclusions du 13 décembre 2018, la SARL A a formé appel de ce jugement en ces termes :

  • confirmer le jugement en date du 1er février 2018, en ce qu'il a jugé que la lettre de change créée le 17 février 2012 par la SAS C est irrégulière et ne vaut pas comme lettre de change conformément aux dispositions de l'article L.511-1 II du Code de commerce français,

  • le confirmer en ce qu'il a retenu qu'elle est dépourvue de toute valeur d'effet de commerce, avec perte des recours cambiaires prévus aux articles L. 511-38 et L. 511-44 du Code de commerce français,

  • le confirmer en ce qu'il a débouté la SAS B de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Pour le surplus,

  • recevoir la SARL A en son appel,

  • l'y déclarer bien fondée,

En conséquence,

  • réformer le jugement en toutes ses autres dispositions,

  • débouter la SAS B de son appel incident,

Statuant à nouveau,

  • débouter la SAS B de sa demande de condamnation de la SARL A au paiement d'une somme de 10.287,22 euros, outre les intérêts de retard au taux légal à compter de son assignation,

  • condamner la SAS B à payer à la SARL A la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

  • condamner la SAS B aux entiers dépens de première instance distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur aux droits duquel vient Maître Sarah FILIPPI, ès-qualités d'administrateur ad hoc, et d'appel distraits au profit de Maître Sarah FILIPPI, sous sa due affirmation,

aux motifs essentiellement que :

  • - la lettre de change est nulle en l'absence du nom du bénéficiaire et de la signature du tireur,

  • - la signature du tireur n'a été apposée par la SAS B que postérieurement à sa création,

  • - le montant correspondant à la facture n°U émise par l'intimée a déjà été payé par un chèque n°W établi le 6 juin 2012,

  • - le porteur a consenti à recevoir un chèque en paiement de la lettre de change initialement rejetée libérant par là même le tireur,

  • - s'agissant des sommes dues par la SAS C à la SAS B pour le chantier « Y », elle a pallié sa carence en payant le fournisseur du matériel utilisé sur le chantier,

  • - la SAS B a attendu plus de quatre ans pour présenter au paiement une lettre de change qui n'était plus causée,

  • - la lettre de change litigeuse a été créée au profit de la SAS C et ne peut donc valoir reconnaissance d'une dette qu'envers la société C et non au bénéfice de la SAS B

  • - la SAS B n'a jamais fait état de l'existence d'une facture impayée de la part de la société C et n'a jamais allégué qu'elle restait à lui devoir une facture,

  • - il n'y a pas de concordances entre les montants des deux factures à savoir celle de la société C du 31 décembre 2011 et celle de la SAS B du 6 juin 2012,

  • - le jugement est critiquable en ce qu'il s'est fondé sur un aveu judiciaire inexistant,

  • - la SAS B tente de se faire payer un solde débiteur de la SAS C.

Par conclusions du 23 octobre 2018, la SAS B appelante incidente, sollicite la confirmation du jugement en ces termes :

  • confirmer le jugement entrepris en ce qu'il retient malgré le défaut de validité de la lettre de change acceptée et quand bien même elle serait confirmée par la Cour, le principe de la reconnaissance de dette de la part de la SARL A à l'égard de la SAS B découlant de son acceptation et de sa déclaration dans ses conclusions judiciaires devant les premiers juges, que la lettre de change acceptée a été payée postérieurement à la présentation de l'effet de commerce, la SARL A a reconnu indirectement être débitrice de la SAS B pour le montant de 10.297,22 euros,

En conséquence,

  • confirmer le jugement en date du 1er février 2018 en ce qu'il a condamné la SARL A à payer à la société B la somme de 10.287,22 euros avec intérêts de retard au taux légal à compter du 26 juillet 2016,

  • le confirmer en ce qu'il a débouté la SARL A de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive,

  • le réformer en ce qu'il a débouté la société B de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

  • faisant droit à l'appel incident de ce chef, entendre la Cour condamner à ce titre la société B à régler la somme de 2.000 euros à la société B

  • condamner la SARL A aux entiers dépens d'appel distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Elle fait valoir en substance :

  • - sur la nullité de la lettre de change, en application de l'article L.511-1 du Code de commerce français, l'action intentée est fondée sur une présomption de créance découlant de l'acceptation par la société défenderesse de la lettre de change du 17 février 2012,

  • - la régularité d'une lettre de change s'apprécie au jour de l'échéance et de sa présentation par le porteur au paiement,

  • - la lettre de change comporte bien sa propre signature en tant que tireur,

  • - en l'espèce, celle-ci a une valeur de reconnaissance de dette à l'égard de la SARL A,

  • - la remise à un créancier d'une lettre de change acceptée ne nécessite aucune formalité particulière, peu important le créancier tireur final,

  • - le règlement d'un montant de 12.347,86 euros effectué par chèque le 6 juin 2012 ne correspond pas à la même facture,

  • - cette somme ne correspond pas au montant de la lettre de change acceptée de 10.287,22 euros, ni aux mêmes prestations,

  • - il n'est pas possible de revenir sur son aveu judiciaire fait en première instance.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que la recevabilité des appels régularisés dans les formes et délais légaux n'est pas discutée ;

Attendu que les dispositions du jugement ayant déterminé que la loi applicable à la lettre de change litigieuse était la loi française ne sont critiquées par aucune des parties et les dispositions qui l'ont considérée comme irrégulière et ne valant pas comme effet de commerce au sens des dispositions de l'article L.511-1 II du Code de commerce français mais seulement comme simple reconnaissance de dette de la part du tiré accepteur ne sont pas critiquées par l'appelante qui en demande la confirmation, ni par l'intimée au soutien de son appel incident lequel ne porte que sur sa demande indemnitaire pour résistance abusive ;

Qu'au final, seules sont en discussion devant cette Cour, les dispositions de la demande principale en ce qu'elles portent sur l'existence ou non d'une présomption de créance ;

Attendu que sur ce point, la SARL A affirme en cause d'appel que le montant de 12.347,86 euros correspond à une facture déjà payée par chèque n°W établi le 6 juin 2012 et que la SAS B ne rapporte pas la preuve du montant de la créance figurant sur la lettre de change ;

Que la SAS B soutient quant à elle que la présomption de créance découle de l'acceptation par la SCS G de la lettre de change litigieuse en tant que tiré et du fait qu'elle soutienne avoir soldé sa dette ;

Qu'en l'espèce, que la SCS G indique que cette lettre de change a été émise pour payer le solde d'une facture de la SAS C, portant sur des prestations réalisées par cette dernière pour le chantier des appartements Y et indique avoir commis une erreur en refusant d'honorer la lettre de change litigieuse, la SAS B ayant consenti à recevoir un chèque en paiement du montant de la lettre de change initialement rejetée ;

Que l'appelante a pallié la carence de la SAS C, insolvable, en se substituant à elle afin de payer le fournisseur, à savoir la SAS B;

Que la remise de cette lettre de change le 20 février 2012 à la SAS B par la SAS C est la preuve de l'existence d'une créance de cette dernière envers la SARL A ;

Qu'il ressort de l'examen des factures versées aux débats que la somme de 10.287,22 euros indiquée sur la lettre de change litigieuse correspond à la facture n°T du 31 décembre 2011 du lot n° 11 portant sur des travaux de plomberie et sanitaire alors que la facture n°U du 20 juin 2012 d'un montant de 12.347,86 euros est relative à des travaux de climatisation ;

Que le fait que la lettre de change ait été émise en paiement de travaux de plomberie du lot n° 11 est corroboré par la proposition de paiement établie le 17 février 2012 ;

Que les premiers juges ont justement retenu que si la présomption de créance au motif de l'acceptation de la lettre de change par le tiré ne pouvait valoir reconnaissance de dette qu'envers la SAS C dont les parties admettent la qualité officieuse de tireur initial, en revanche le moyen développé par l'appelante d'une lettre de change honorée par chèque postérieurement à la présentation au paiement de l'effet de commerce litigieux devait valoir comme aveu judiciaire à l'égard de la SAS B tireur signataire ;

Qu'en effet, l'appelante en déclarant, bien qu'elle tente de revenir sur la portée de cet aveu, que cette lettre de change avait été payée postérieurement a reconnu indirectement être débitrice de la SAS B pour un montant de 10.287,22 euros ;

Qu'il apparaît en tout état de cause que le chèque n°W émis le 6 juin 2012 par la SCS G à l'ordre de la SAS B ne correspond ni au montant ni aux mêmes prestations et ne peut donc avoir eu pour conséquence de libérer le tiré et ce, peu important qu'aucune mise en demeure de payer n'ait été adressée jusqu'à l'assignation ;

Qu'en conséquence, la SARL A a justement été condamnée à régler à la SAS B la somme de 10.287,22 euros assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 26 juillet 2016, date de l'assignation valant mise en demeure et compte- tenu de cette condamnation celle-ci a justement été déboutée de sa demande indemnitaire ;

Attendu que la SAS B ne démontre pas l'existence de la mauvaise foi ou d'une erreur dolosive commise par l'appelante, a justement été déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Attendu que la SARL A, qui succombe en son appel, supportera la charge des dépens de la présente instance.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels,

Les déclare mal fondés,

Confirme le jugement rendu le 1er février 2018 par le Tribunal de première instance en toutes ses dispositions appelées,

Condamne la SARL A aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, assistés de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 30 AVRIL 2019, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général adjoint.

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