Cour d'appel, 26 mars 2019, Madame p. M. c/ Monsieur k. r. T. et Madame e l. T. née H.
Abstract🔗
Baux d'habitation - État des locaux - Dégradations dues à un cas de force majeure - Réparations à la charge du locataire (non) - Restitution tardive imputable au locataire (non)
Résumé🔗
Les dégradations résultant du dégât des eaux lié à des perturbations climatiques importantes relèvent d'un cas de force majeure, de sorte que les travaux ne peuvent être mis à la charge des preneurs, qui n'ont commis aucune faute dans la survenance du sinistre. De même, le retard dans la restitution des lieux, dû aux travaux de réfection nécessités par le dégât des eaux, n'est pas imputable aux locataires qui ne sont pas redevables d'une indemnité à ce titre.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 26 MARS 2019
En la cause de :
- Madame p. M., née le 8 juin 1957 à Lecce (Italie), Administrateur de société, de nationalité monégasque, demeurant X1 à Monaco (98000) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
1/ Monsieur k. r. T., né le 15 janvier 1966 à Londres (Grande-Bretagne), de nationalité britannique, directeur de société, demeurant X2- Royaume-Uni ;
2/ Madame e l. T. née H. le 10 mars 1974 à Saint Albans (Grande-Bretagne), sans profession, de nationalité britannique, demeurant X2- Royaume-Uni ;
Ayant tous deux élu domicile en l'Étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉS,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 1er février 2018 (R. 2709) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 29 mars 2018 (enrôlé sous le numéro 2018/000114) ;
Vu les conclusions déposées les 29 mai 2018 et 4 décembre 2018 par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de Monsieur k. r. T. et de Madame e l. T. née H. ;
Vu les conclusions déposées le 9 octobre 2018 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de Madame p. M.;
À l'audience du 19 février 2019, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par Madame p. M. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 1er février 2018.
Considérant les faits suivants :
Par acte sous seing privé du 21 mai 2014, enregistré à MONACO le 2 juin 2014, p. M. a donné à bail à k. T. et à e. H. épouse T. un appartement portant le numéro XX, situé au 4ème étage de l'immeuble « Y », X1 à MONACO, pour une durée de deux années avec prise d'effet au 15 janvier 2014, en renouvellement d'un premier bail à loyer signé le 7 février 2011, et courant du 15 janvier 2011 au 14 janvier 2014.
Il était précisé dans le contrat qu'à l'expiration du bail, celui-ci serait renouvelé pour une durée d'un an, sauf préavis de trois mois notifié par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception.
Le prix de la location était fixé à la somme annuelle de 336.000 euros, payable par trimestre et par anticipation dans les cinq premiers jours de chaque trimestre.
Lors de la prise à bail de l'appartement, un dépôt de garantie de 168.000 euros a été versé par les époux T.
Par courrier du 28 juillet 2015, les époux T. ont fait part à la bailleresse de leur volonté de ne pas renouveler à échéance leur contrat de bail, et si possible de le résilier par anticipation, dans l'hypothèse où un nouveau locataire rentrerait dans les lieux avant le terme du bail.
Par courriers du 4 août puis du 14 septembre 2015, p. M. accusait réception de la demande des locataires et leur rappelait les termes de leur engagement contractuel, leur faisant par ailleurs signer une demande de relocation irrévocable.
Le 17 septembre 2015, un pré-état des lieux de sortie était dressé, en présence des locataires, par la bailleresse et la SARL A, entreprise en charge des travaux de remise en état de l'appartement.
Dans la nuit du 3 au 4 octobre 2015, un important dégât des eaux se produisait au sein de l'appartement loué par les époux T. suite à des pluies torrentielles s'étant abattues sur Monaco.
Le 6 octobre 2015, p. M. adressait aux preneurs une convocation pour un état des lieux de sortie fixé au 1er décembre 2015, ainsi qu'un devis de remise en état de l'appartement d'un montant de 57.964,57 euros.
Le 7 octobre 2015, un constat amiable du sinistre était dressé.
Le 16 octobre 2015, p. M. rappelait aux preneurs par une lettre recommandée que, conformément aux termes du contrat de bail, ceux-ci avaient pris l'engagement d'exécuter en lieu et place du bailleur toutes les réparations qui pourraient être nécessaires dans les lieux loués.
Le 28 octobre 2015, le conseil de p. M. mettait en demeure les époux T. d'avoir à remettre intégralement en état les lieux loués avant le 1er décembre 2015.
Par courrier en réponse du 9 novembre 2015, le conseil juridique des locataires indiquait à la bailleresse que les époux T. faisaient toutes diligences pour faire avancer les travaux de la façon la plus efficace et rapide possible, en respectant toutefois les procédures des compagnies d'assurance.
Le 17 novembre 2015, p. M. adressait aux époux T. deux devis établis par la SARL A : un devis daté du 1er octobre 2015, ramené à un montant de 40.801,87 euros avec une remise commerciale de 5 %, et un devis daté du 9 novembre 2015 d'un montant de 49.538,39 euros pour la remise en état de l'appartement suite au sinistre lié au dégât des eaux.
p. M. précisait dans son courrier que les travaux de remise en état de l'appartement devaient s'achever le 15 janvier 2016 et que les époux T. devaient régler une indemnité d'indisponibilité des lieux équivalente au montant des loyers pour la période du 1er décembre 2015 au 15 janvier 2016, date d'achèvement des travaux.
Par lettre du 27 novembre 2015, les locataires précisaient à leur bailleresse que leur compagnie d'assurance avait refusé la mise en œuvre des travaux avant la réalisation d'une expertise contradictoire le 9 décembre 2015.
Le 1er décembre 2015, les époux T. ont remis les clés au mandataire de p. M. et un état des lieux de sortie contradictoire a été dressé.
Le 9 décembre 2015, l'expertise était réalisée au contradictoire des assureurs des parties.
Le 6 janvier 2016, le conseil juridique des époux T. adressait à p. M. une mise en demeure d'avoir à leur restituer le loyer (28.000 euros) et les charges (3.550 euros) du mois de décembre 2015, réglés par anticipation, le dépôt de garantie (168.000 euros), sous déduction des sommes que les locataires pourraient devoir au bailleur hors dégât des eaux.
Par courrier recommandé en date du 29 janvier 2016, le conseil de p. M. informait les époux T. que le loyer et les charges seraient remboursés sous huitaine, que les travaux de remise en état de l'appartement, qu'ils résultent ou non du dégât des eaux survenu dans la nuit du 3 au 4 octobre 2015, seraient intégralement à leur charge, et que les dommages immatériels consécutifs au retard dans la remise en état des lieux après la fin du bail seraient également retenus sur le dépôt de garantie.
Le 4 février 2016, le conseil juridique des époux T. confirmait à la bailleresse l'accord de ses clients pour prendre à leur charge les travaux liés uniquement à la jouissance du bien, à l'exception de ceux résultant du dégât des eaux, y compris les pertes de loyers et charges en découlant.
Le 15 février 2016, p. M. leur adressait un chèque de remboursement du loyer et des charges payés par avance au titre du mois de décembre 2015, d'un montant de 31.550 euros.
Le 3 mars 2016, p. M. envoyait à ses anciens locataires un décompte définitif de sortie des lieux, faisant apparaître un solde créditeur de 26.464,18 euros, soit le montant du dépôt de garantie, déduction faite des loyers et charges perdus pour la période du 1er décembre 2015 au 14 janvier 2016 (60.000 euros), des travaux de remise en état suite au dégât des eaux (49.538,39 euros), des travaux de remise en état hors dégât des eaux (31.287,43 euros), du prix de l'émetteur de parking non restitué (160 euros), et du coût de l'état des lieux de sortie (550 euros).
Le 8 avril 2016, la bailleresse adressait aux preneurs un chèque d'un montant de 26.464,18 euros en règlement du solde dû sur le dépôt de garantie.
Par exploit d'huissier délivré le 11 novembre 2016, k. T. et e. T. ont fait assigner p. M. devant le Tribunal de première instance, en vue de voir celle-ci condamnée à leur verser les sommes de 109.538,39 euros au titre du solde du dépôt de garantie et 30.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices moral et financier subis pour faire valoir leurs droits et obtenir le remboursement des sommes abusivement retenues par la bailleresse.
Par jugement contradictoire du 1er février 2018, le Tribunal de première instance a statué ainsi qu'il suit :
« condamne p. M. à verser à k. T. et e. H. épouse T. la somme de 80.944,63 euros,
déboute les époux T. de leur demande accessoire en dommages et intérêts,
déboute p. M. de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,
condamne p. M. aux dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ».
Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu que :
- les travaux de remise en état suite au dégât des eaux relevaient d'un cas de force majeure et ne pouvaient pas être mis à la charge des preneurs, qui n'avaient, en outre, commis aucune faute dans la survenance du sinistre,
- il ne pouvait être reproché aux époux T. un manque de réactivité à l'origine du retard dans les travaux de réfection de l'immeuble,
- la cause du retard dans la remise en état de l'appartement résidait dans le dégât des eaux survenu le 3 octobre 2015, constituant une cause étrangère,
- dès lors, sur le dépôt de garantie à hauteur de 168.000 euros versé par les preneurs, la bailleresse aurait dû restituer la somme de 136.002,57 euros (soit 168.000 euros moins la somme de 31.287,43 euros correspondant aux travaux résultant de l'usure normale de l'appartement du fait de son occupation par les locataires, la somme de 160 euros de frais d'émetteur parking et la somme de 550 euros correspondant au coût du procès-verbal d'état des lieux dressé par l'huissier),
Par exploit d'appel et assignation délivré le 29 mars 2018, p. M. a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de cet exploit et des conclusions qu'elle a déposées le 9 octobre 2018, p. M. demande à la Cour de :
- la déclarer recevable en son appel et la disant bien fondée,
- réformer le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 1er février 2018 (R. 2709) en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté les époux T. de leur demande accessoire en dommages-intérêts,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que les époux T. doivent être tenus pour responsables du retard dans l'exécution des travaux de remise en état de l'appartement,
- dire et juger que c'est à juste titre qu'elle a retenu sur le dépôt de garantie des sommes de :
loyers et charges perdus pour la période du 1er décembre 2015 au 14 janvier 2016 : 60.000 euros,
travaux de remise en état suite dégât des eaux : 49.538,39 euros,
travaux de remise en état hors dégât des eaux : 31.287,43 euros,
émetteur parking non rendu : 160 euros,
état des lieux de sortie 550 euros,
- débouter les époux T. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- dire et juger que les époux T. s'accordent avoir reçu de sa part la somme de 11.163,44 euros en remboursement de l'indemnité différée d'assurances,
- condamner in solidum les époux T. à lui payer la somme de 10.000 euros, toutes causes de préjudices confondus, avec toutes conséquences de droit,
- à titre subsidiaire, si par impossible et statuant à nouveau, la Cour d'appel devait confirmer le jugement entrepris et entrer en voie de condamnation à son encontre,
- dire et juger que le Tribunal de première instance n'a pas pris en compte le règlement par ses soins de la somme de 11.163,44 euros au profit de Monsieur et Madame T.
- ramener sa condamnation à verser à Monsieur et Madame T. la somme de 69.781,19 euros,
En tout état de cause,
- condamner les époux T. aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
L'appelante fait grief au jugement entrepris :
- d'avoir, par une mauvaise appréciation des faits de l'espèce et une mauvaise interprétation du contrat de bail, estimé à tort que les époux T. ne pouvaient pas être tenus pour responsables du retard pris dans la remise en état de l'appartement,
- d'avoir considéré qu'elle ne pouvait pas retenir la somme de 60.000 euros au titre des loyers et charges perdus pour la période nécessaire aux travaux de remise en état du 1er décembre 2015 au 14 janvier 2016, alors qu'une telle indemnisation présente un caractère compensatoire (de la perte de jouissance que la bailleresse aurait dû percevoir si les locataires avaient agi de manière diligente et n'avaient pas retardé la mise en œuvre des travaux de réfection) et indemnitaire, puisque destinée à réparer le préjudice causé par les locataires, consécutif au retard dans la mise en œuvre de ces travaux,
- d'avoir considéré à tort qu'elle devait être condamnée à restituer aux locataires la somme de 80.944,63 euros alors qu'elle leur avait déjà réglé la somme de 11.163,44 euros au titre de l'indemnité différée,
- et enfin de ne pas avoir fait droit à sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 10.000 euros en réparation de ses préjudices alors que, par leur attitude procédurale, les époux T. lui ont occasionné des tracas et l'ont contrainte à exposer des frais pour faire valoir ses droits.
Aux termes de conclusions déposées le 29 mai 2018 et de conclusions récapitulatives et responsives déposées le 4 décembre 2018, k. et e. T. demandent à la Cour de :
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Madame p. M. comme étant inopérantes et sans fondement,
- leur donner acte de leur accord pour déduire la somme de 11.163,44 euros du montant de la condamnation mise à la charge de Madame M. selon jugement en date du 1er février 2018 (R.2709),
Ce faisant,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation mise à la charge de Madame M. qu'il convient de ramener à la somme de 69.781,19 euros,
- voir condamner reconventionnellement Madame p. M. à leur payer la somme de 10.000 euros à titre de légitimes dommages-intérêts pour appel abusif et manifestement vexatoire,
- condamner reconventionnellement Madame M. à leur payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier subi,
- s'entendre enfin Madame p. M. condamner aux entiers frais et dépens de l'instance dont distraction au profit de Monsieur le Bâtonnier Yann LAJOUX, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Les époux T. font valoir en substance les éléments suivants :
- les travaux de remise en état résultant du dégât des eaux ne peuvent pas leur être imputés : aucune faute n'a été relevée à leur encontre, et la preuve est rapportée que ce dégât est dû à une force majeure, cause exonératoire de responsabilité,
- le contrat de bail ne contient aucune disposition dérogatoire à l'article 1570 du Code civil quant à la force majeure,
- les dommages immatériels consécutifs au dégât des eaux ne peuvent pas davantage leur être imputés,
- sur ce point, ils ont toujours agi de manière diligente pour faire face à leurs obligations contractuelles, en faisant établir un pré-état des lieux dès le 17 septembre 2015, et en libérant totalement les lieux à la fin du mois de septembre 2015, laissant ainsi à la SARL A le temps nécessaire pour effectuer les travaux dont la durée, avant le dégât des eaux, était estimée à dix jours ouvrables,
- le retard dans l'accomplissement des travaux est exclusivement dû au dégât des eaux, les travaux de remise en état n'ayant pu être initiés qu'après séchage de l'appartement,
- en vertu des articles 1002 et 1003 du Code civil, ils ne peuvent être condamnés au paiement de dommages-intérêts dès lors que l'inexécution n'est pas de leur fait et provient d'une cause étrangère,
- leur bailleresse leur a réglé la somme de 11.163,44 euros au titre de l'indemnité différée payée par la compagnie d'assurance de sorte que cette somme doit bien être déduite du quantum de la condamnation à paiement de p. M.
- leur bailleresse, qui a fait preuve de mauvaise foi et dont l'appel est abusif et injustifié, doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts et condamnée à les indemniser.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que l'appel, relevé conformément aux dispositions édictées par le Code de procédure civile, est recevable ;
Sur la remise en état de l'appartement :
Attendu que l'article 1570 du Code civil énonce que s'il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci doit rendre la chose telle qu'il l'a reçue, suivant cet état, excepté ce qui a péri ou a été dégradé par vétusté ou force majeure ;
Que l'article 1571 du même Code dispose que le preneur répond des dégradations et des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute ;
Attendu qu'au cas d'espèce, le contrat de bail contient, en page 2, la clause suivante intitulée « Dépôt de garantie » :
« Une somme équivalente à six mois de loyer doit être déposée entre les mains du Bailleur à titre de dépôt de garantie. Ce dépôt de garantie, non productif d'intérêts, sera restitué au locataire après son départ, au plus tard dans les trois mois, après déménagement et remise des clés, si les locaux sont rendus en l'état dans lequel le Bailleur est en droit de les recevoir, conformément aux conditions générales du bail et sous déduction de toutes sommes que le locataire pourrait devoir au Bailleur et ce, pour quelque cause que ce soit. Il est bien précisé que ce dépôt de garantie ne constituera pas un loyer d'avance et ne pourra en aucune façon servir le paiement d'une quelconque période locative précédant le départ. Ces sommes s'entendent notamment : des loyers et charges forfaitaires impayés, du coût des travaux de remise en état des lieux » ;
Que le contrat de bail contient, en page 3, une clause « Charges et conditions - État des lieux d'entrée et de sortie », libellée comme suit :
« Lors de l'entrée et de la sortie des lieux, un état des lieux contradictoire est et sera établi par un huissier de justice, choisi par le Bailleur, aux frais exclusifs du preneur.
Le Preneur prendra les lieux loués en parfait état au moment de l'entrée en jouissance, ce que le Preneur reconnaît expressément par la signature des présentes.
Il devra les rendre en parfait état sans qu'il puisse être tenu compte de la vétusté, et ce quel que soit le temps de la location écoulé.
Pour assurer le contrôle comme l'exécution de cette obligation, le Preneur s'engage, au minimum 6 semaines avant la fin du bail, à faire dresser un pré-état des lieux avec le Bailleur ou son représentant avant toute suspension des abonnements d'eau et d'électricité, pour permettre le contrôle du fonctionnement de toutes les installations électriques, sanitaires, chauffage et climatisation etc.... et établir la liste des travaux de remise en état, réparation, réfection, remplacement, que le Preneur s'engage à exécuter, à ses frais exclusifs, pour l'état des lieux de sortie avec huissier.
Seule la SARL A mandatée par le Bailleur pour l'exécution des travaux.
Dans le cas où, à la fin du bail, il serait constaté un retard quelconque dans ladite remise en état, le Preneur serait tenu de régler, sur la base du dernier loyer, une indemnité journalière de retard et, en outre, il serait responsable de tous les dommages pour perte de location ou trouble de jouissance quelconque . » ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que les époux T. ont, conformément aux dispositions du bail, versé un dépôt de garantie d'un montant de 168.000 euros, équivalant à six mois de loyer ;
Que, dans la nuit du 3 au 4 octobre 2015, un important dégât des eaux s'est produit au sein de l'appartement dont les intimés sont locataires ;
Que, selon le rapport établi le 13 avril 2016 par la société B mandaté par la société C, assureur des époux T. dont les conclusions ne sont pas contestées par l'appelante, il apparaît que ce dégât des eaux était consécutif aux fortes pluies ayant, en outre, engorgé une descente commune ;
Qu'en effet, après avoir rappelé le caractère exceptionnel de ce phénomène pluvieux, ayant fait l'objet « d'une couverture médiatique en France », l'expert a ainsi conclu :
« Les descentes collectives se sont engorgées lors de pluies exceptionnelles, plus de 70 mm en moins d'une heure dans la ville voisine, aucun défaut d'entretien de l'assuré n'a été prouvé par mon contradicteur.
Les eaux reçues viennent non seulement du risque assuré mais aussi des terrasses du 6ème et des voisins du 4ème . » ;
Qu'il ressort de ce rapport d'expertise que l'appartement dont les époux T. sont locataires, situé au quatrième étage en duplex haut 4-5ème étage de l'immeuble « Y », a subi le déversement des trop-pleins des terrasses du sixième étage ;
Qu'en raison du caractère exceptionnel de ce phénomène météorologique, dont l'extériorité, l'irrésistibilité et l'imprévisibilité ne sont pas utilement contestées par l'appelante, les premiers juges, ont, à bon droit, considéré qu'il s'agissait d'un événement présentant toutes les caractéristiques de la force majeure ;
Qu'en outre, il n'est pas davantage contesté qu'aucun défaut d'entretien ne peut être imputé aux époux T.;
Que le fait que lors du dégât des eaux survenu dans la nuit du 3 au 4 octobre 2015, les locataires aient été absents de l'appartement ne peut pas leur être imputé à faute ;
Qu'aucune autre faute ne peut leur être reprochée ;
Qu'il apparaît, dès lors, que les conditions prescrites par les articles 1570 et 1571 précités, tenant à l'absence de faute du locataire et à l'existence de la force majeure, sont remplies ;
Attendu que, par ailleurs, le contrat de bail énonce, dans un paragraphe intitulé « Charges et conditions - État des lieux d'entrée et de sortie », que le preneur devra rendre les lieux loués en parfait état sans qu'il puisse être tenu compte de la vétusté, et ce quel que soit le temps de la location écoulé ;
Que du reste, au regard de cette disposition, les époux T. ne discutent pas la soustraction par leur bailleresse de la somme de 31.287,43 euros du montant du dépôt de garantie, correspondant aux travaux de remise en état de l'appartement, hors dégât des eaux ;
Que cependant, le contrat de bail ne contient aucune disposition contraire à l'article 1570 du Code civil quant à la force majeure ;
Que dès lors, au regard de l'ensemble des éléments qui précèdent tenant d'une part, au caractère de force majeure du dégât des eaux, d'autre part, à l'absence de faute commise par les preneurs dans la survenance des dégradations consécutives à ce dégât, il y a lieu de débouter p. M. de sa demande tendant à voir retenir sur le dépôt de garantie la somme de 49.538,39 euros correspondant aux travaux de remise en état de l'appartement suite au dégât des eaux ;
Sur le paiement des loyers et charges après le 1er décembre 2015 :
Attendu que l'article 1002 du Code civil énonce que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement des dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ;
Que l'article 1003 de ce Code énonce qu'il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts, lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il s'était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ;
Attendu qu'en l'occurrence, le contrat de bail dispose, en sa page 3, dans un paragraphe intitulé « Charges et conditions - État des lieux d'entrée et de sortie » : « Dans le cas où, à la fin du bail, il serait constaté un retard quelconque dans ladite remise en état, le Preneur serait tenu de régler, sur la base du dernier loyer, une indemnité journalière de retard et, en outre, il serait responsable de tous les dommages pour perte de location ou trouble de jouissance quelconque » ;
Qu'il n'est pas contesté que des travaux de réfection ont été entrepris dans l'appartement en cause, qui n'a pas pu être reloué avant le 15 janvier 2016 ;
Que, de ce fait, p. M. a retenu, sur le dépôt de garantie, la somme de 60.000 euros au titre des loyers et charges perdus pour la période de remise en état du 1er décembre 2015 au 14 janvier 2016 ;
Mais attendu qu'il apparaît que les époux T. ont quitté les lieux loués à la fin du mois de septembre 2015 et que, dès le 17 septembre 2015, ils ont établi un pré-état des lieux, permettant ainsi à la bailleresse de solliciter un devis auprès de la SARL A ;
Que d'ailleurs, selon ce devis établi le 6 octobre 2015, la durée prévisible des travaux à effectuer, avant la survenance du dégât des eaux, était d'une dizaine de jours ;
Qu'ainsi, les travaux de remise en état auraient pu être terminés bien avant le 1er décembre 2015, de surcroît, dans un logement vide de tout occupant depuis la fin du mois de septembre ;
Qu'il apparaît, en outre, que les locataires ont, dès le 8 octobre 2015, soit deux jours à peine après l'établissement du devis, fait valoir leurs observations, que la SARL A retenues, les intégrant dans son nouveau devis établi le 17 novembre 2015 ;
Que les époux T. ne peuvent nullement être tenus pour responsables du délai s'étant écoulé entre le 8 octobre 2015 et le 17 novembre 2015 ;
Qu'il ressort, par ailleurs, de différents échanges de mails entre le représentant des époux T. et le représentant de la propriétaire que les intimés se sont montrés réactifs pour que les travaux soient organisés au plus tôt ;
Que sur ce point, aucun défaut de diligence ne peut être reproché aux intimés ;
Que bien au contraire, il ressort des débats et des pièces versées à la procédure que le retard dans la réalisation des travaux de remise en état de l'appartement était exclusivement imputable au dégât des eaux ;
Qu'en effet, aux termes d'un courrier écrit par p. M. aux époux T. le 17 novembre 2015 relatif, notamment au planning d'exécution des travaux de remise en état, une phase n° 2 a été prévue, préalablement aux travaux proprement dits, pour l'assèchement de l'appartement, effectué par la société D, ayant débuté le 13 novembre 2015 et devant durer, selon le prestataire, quinze jours, pour s'achever le 29 novembre 2015 ;
Que le courrier précise ensuite que la durée des travaux ne pourra pas être inférieure à un mois et demi, « compte tenu du phasage des tâches, des temps de séchage à respecter et des nombreux jours fériés que comptent décembre et janvier », et que « si la société D nous livre, comme convenu, l'appartement le 29 novembre 2015, la phase 3 s'étalera jusqu'au 15 janvier 2016 » ;
Que le sinistre du 3 octobre 2015, qui constitue une cause étrangère et ne peut être imputé aux époux T. a engendré outre des travaux d'assèchement, une remise en service de l'ascenseur intérieur ;
Qu'il en résulte que le démarrage différé des travaux était dû à la survenance du dégât des eaux constituant un cas de force majeure, et non à un défaut de diligence ou à la mauvaise volonté des époux T.;
Que dès lors, p. M. est mal fondée en sa demande d'indemnité ;
Attendu qu'enfin, p. M. qui succombe en son appel, est tout aussi mal fondée en sa demande de dommages-intérêts à hauteur de la somme de 10.000 euros ;
Attendu que le jugement déféré sera confirmé, sauf sur le quantum de la condamnation de p. M. laquelle devra être ramenée à la somme de 69.781,19 euros, les époux T. s'accordant avoir reçu de leur bailleresse la somme de 11.163,44 euros ;
Sur les dommages-intérêts pour appel abusif :
Attendu que l'exercice d'une voie de recours est un droit ; Que l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus, sauf démonstration, non rapportée au cas d'espèce, d'une faute ou d'une intention malveillante ;
Que, dans ces conditions, les époux T. seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour appel abusif ;
Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral :
Attendu que la demande formée par les époux T. tendant à la condamnation de p. M. à leur payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts « en réparation du préjudice moral et financier subi », non autrement motivée et justifiée, doit être rejetée ;
Sur les dépens :
Attendu que succombant en cause d'appel, p. M. doit supporter les entiers dépens, distraits au profit de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare recevable l'appel formé par p. M. contre le jugement rendu le 1er février 2018 par le Tribunal de première instance,
Confirme le jugement entrepris, sauf sur le montant de la condamnation mise à la charge de p. M. qui sera ramenée à la somme de 69.781,19 euros,
Déboute k. T. et e. H. épouse T. de leur demande de dommages-intérêts pour appel abusif,
Les déboute aussi de leur demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier subi,
Condamne p. M. aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, assistés de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 26 MARS 2019, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général.