Cour d'appel, 12 mars 2019, Madame a. S. épouse F. c/ Monsieur m. F.
Abstract🔗
Divorce - Mesures provisoires - Devoir de secours - Pension alimentaire (non) - Appréciation de la situation patrimoniale respective des conjoints
Résumé🔗
Aucune erreur d'appréciation, ni contradiction de motifs n'apparait s'induire de la décision du premier juge qui a justement observé d'une part que l'épouse se trouve dans une situation financière délicate, ses ressources couvrant à peine ses charges fixes, et d'autre part que les facultés contributives de son époux demeurent très limitées en raison de la diminution très importante de ses revenus consécutive à son arrêt maladie. L'époux établi être dans une position de surendettement et il ne saurait être tenu compte de la décision à intervenir du comité médical au titre de laquelle il devrait selon l'appelante percevoir le double de ses revenus actuels dont il n'est en l'état justifié ni de la réalité, ni de la teneur. Eu égard aux besoins de l'appelante, mais aussi aux facultés du débiteur d'aliments, la décision entreprise sera dès lors confirmée en ce que la demanderesse a été déboutée de sa demande de pension alimentaire au titre du devoir de secours.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 12 MARS 2019
En la cause de :
- Madame a. S.épouse F., née le 24 avril 1963 à Monaco, de nationalité monégasque, retraitée de la fonction publique, demeurant à Monaco (98000) - « X1 » - X1 autorisée à résider seule suivant Ordonnance Présidentielle du 9 novembre 2017 ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n°XX, par décision du Bureau du 23 novembre 2017,
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
- Monsieur m. F., né le 13 mai 1961 à Belfort (Territoire-de-Belfort), de nationalité française et demeurant chez Monsieur p. P.- X2 - 06000 Nice, dans l'ordonnance du 29 novembre 2017 ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n°YY, par décision du Bureau du 25 janvier 2018,
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉ,
d'autre part,
LA COUR,
Vu l'ordonnance de non-conciliation rendue par le magistrat conciliateur, le 29 novembre 2017 (R. 1427) ;
Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 26 décembre 2017 (enrôlé sous le numéro 2018/000078) ;
Vu les conclusions déposées les 27 mars 2018, 26 juin 2018, 20 novembre 2018 et 5 février 2019 par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur m. F.;
Vu les conclusions déposées les 8 mai 2018, 2 octobre 2018 et 18 décembre 2018 par Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de Madame a. S.épouse F.;
À l'audience du 12 février 2019, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La cause ayant été débattue hors la présence du public ;
La Cour statue sur l'appel parte in qua relevé par Madame a. S. épouse F. à l'encontre d'une ordonnance de non-conciliation du magistrat conciliateur du 29 novembre 2017.
Considérant les faits suivants :
Madame a. S. a contracté mariage par devant l'officier d'État civil de la ville de Monaco le 25 août 2012 avec Monsieur m. F. les époux étant soumis au régime légal monégasque de la séparation de biens.
Aucun enfant n'est issu de cette union.
Le 26 octobre 2017, Madame a. S. victime d'une fracture enfoncement-séparation plateau tibial externe et ayant dû subir une opération sous anesthésie générale à la suite de coups portés par son époux déposait plainte contre ce dernier pour blessures volontaires sur conjoint ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 8 jours en l'espèce deux mois, faits prévus et réprimés par l'article 239 alinéa 3 du Code pénal.
Le 31 octobre 2017, sur requête du Parquet général, le Président du Tribunal de première instance rendait une ordonnance de protection sur le fondement de l'article 24-1 du Code civil avec interdiction à Monsieur m. F. d'entrer par quelque moyen que ce soit, y compris les communications électroniques, en relation avec Madame a. S. et de paraître ou résider au X1 à Monaco, domicile conjugal.
Au terme d'une requête en date du 9 novembre 2017, Madame a. S. déposait une demande en divorce aux fins de voir prononcer le divorce avec son époux sur le fondement de l'article 197-1 du Code civil, le comportement de celui-ci étant constitutif d'une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune.
Madame a. S. sollicitait par ailleurs, sur le fondement des dispositions de l'article 200 - alinéa 2 du Code civil, l'autorisation de vivre seule au domicile conjugal et de faire changer les serrures sans avoir à remettre un double de clés à son époux.
Suivant ordonnance en date du 9 novembre 2017, le Président du Tribunal autorisait Madame a. S. à résider seule au domicile conjugal situé X1 et faisait défense a son mari de venir l'y troubler pour quelque cause que ce soit.
Suivant ordonnance de non-conciliation en date du 29 novembre 2017, le juge conciliateur a :
- constaté le maintien de la demande en divorce,
- autorisé a. S. à assigner m. F. par-devant le Tribunal aux fins de sa demande en divorce,
- autorisé les époux à résider séparément :
a. S. au domicile conjugal, sis « X1 », X1 à Monaco,
m. F. hors du domicile conjugal, chez M. p. P.- X2 à Nice,
- attribué à a. S. la jouissance exclusive de l'appartement ayant constitué le domicile conjugal,
- fait interdiction aux époux de se troubler mutuellement à leur domicile respectif, par quelque moyen que ce soit et pour quelque cause que ce soit ; à défaut de quoi ils seront autorisés à faire cesser ce trouble par toute voie de droit appropriée et si besoin avec le concours de la force publique,
- constaté l'accord des époux quant à :
1) la reprise par m. F. de ses effets personnels suivants :
ses vêtements,
ses documents administratifs,
ses documents afférents à sa formation dispensée par le CNED,
ses recueils de poésies,
ses codes numériques.
Et ce par l'intermédiaire d'un tiers, g. R. qui se présentera au domicile conjugal à la date convenue au préalable avec l'épouse.
2) l'attribution à l'épouse de la jouissance du véhicule Z immatriculé WW à charge pour elle de régler les échéances du crédit y afférent,
- débouté a. S. de sa demande de pension alimentaire au titre du devoir de secours,
- réservé les dépens en fin de cause.
Suivant exploit en date du 26 décembre 2017, Madame a. S. a interjeté appel « parte in qua » de l'ordonnance rendue le 29 novembre 2017 par le magistrat conciliateur en ce qu'elle l'a déboutée des fins de sa demande alimentaire au titre du devoir de secours.
Elle entend voir la Cour, statuant à nouveau :
- condamner Monsieur m. F. à lui verser la somme de 1.500 euros payable chaque mois, au plus tard le 5, au titre de la pension alimentaire, et ce, de manière rétroactive depuis la date de la citation en conciliation, soit le 14 novembre 2017,
- dire et juger que le montant de la pension alimentaire susvisée sera révisé annuellement en fonction des variations de l'indice mensuel à la consommation des ménages urbains, série France entière, publié par l'INSEE,
- condamner Monsieur m. F. aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de cet appel partiel et dans ses conclusions ultérieures, Madame a. S. fait grief à l'ordonnance déférée d'avoir fondé la décision prise sur des motifs imprécis, contradictoires et hypothétiques.
Elle observe en premier lieu que Monsieur F. aurait dû faire état auprès du juge conciliateur de la réalité de sa situation administrative dès lors que si ses revenus s'élèvent provisoirement à la somme de 1.467,19 euros, ils s'élèveront en réalité à la somme de 2.905,33 euros à compter de l'avis du comité médical devant statuer sur le congé longue maladie dont il bénéficie dans les semaines à venir.
Il est fait par ailleurs reproche aux premiers juges d'avoir tranché le litige sans procéder à l'analyse des documents soumis et en se bornant à énoncer une simple affirmation non justifiée.
Il est également fait grief à la décision déférée de faire état de motifs contradictoires en ce que le Premier juge relève que les revenus de son mari connaissent une diminution drastique alors qu'il est par ailleurs constaté qu'il a perçu une somme de 43.510 euros dont la dissipation n'est pas justifiée.
La prise en considération des frais que Monsieur F. va nécessairement exposer pour se reloger caractérise selon l'appelante un motif hypothétique relevant d'une simple supposition du premier juge, alors même que son époux est en réalité hébergé chez son frère.
L'appelante précise encore qu'à l'issue de la décision du comité médical son mari percevra le double de ses propres revenus et dispose en outre d'une épargne importante.
Elle fait par ailleurs valoir qu'elle a 54 ans et qu'en sa qualité de retraitée elle ne perçoit qu'un arrérage de retraite de 1.421,75 euros, que son état de santé est très préoccupant du fait du comportement violent de son époux, et qu'elle se trouve locataire de l'appartement occupé et ne dispose d'aucun bien immobilier et d'aucune épargne, alors même qu'elle est obligée d'assumer une saisie sur sa pension de retraite de 322 euros par mois apurant une dette contractée pour l'achat d'un précédent véhicule accidenté puis détruit outre le solde d'un prêt au titre de l'achat du véhicule BMW qui lui a été attribué, soit 580 euros par mois qu'elle ne peut assumer seule.
Elle observe en définitive que son endettement global s'élève à ce jour à 88.294,87 euros et que sa situation n'est pas simplement délicate mais inextricable, ses ressources ne couvrant pas ses charges.
Monsieur m. F. intimé, entend pour sa part voir confirmer l'ordonnance de non-conciliation en date du 29 novembre 2017 en toutes ses dispositions et condamner Madame a. S. aux dépens d'appel.
Il expose en substance, aux termes de l'ensemble de ses écritures judiciaires, que :
- eu égard à la situation respective des époux, il n'y a pas lieu au règlement d'une pension alimentaire au profit de l'appelante au titre d'un devoir de secours, celle-ci étant retraitée de la fonction publique et percevant une retraite mensuelle de 1.421,75 euros, outre une aide nationale au logement,
- il est professeur des écoles à demi-traitement à compter du 15 novembre 2017 dans l'attente de l'avis du comité médical pour bénéficier d'un congé longue maladie et perçoit actuellement un salaire brut mensuel de 1.467,19 euros,
- il est colocataire avec son frère d'un appartement situé à Nice, chacun d'eux devant régler chaque mois la somme de 420 euros et il doit faire face à de nombreuses dettes contractées pendant le mariage au titre desquelles il a dû saisir la commission de surendettement des particuliers des Alpes-Maritimes,
- il verse à cet égard aux débats non seulement ses nombreuses quittances de loyer mais aussi un courrier de la commission de surendettement en date du 2 mai 2018 qui a retenu une mensualité de remboursement de 178 euros.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que l'appel formé dans les conditions de forme et de délai prévues par le Code de procédure civile doit être déclaré recevable ;
Attendu que cet appel ne porte que sur le chef de l'ordonnance rendue par le magistrat conciliateur ayant refusé de faire droit à la demande de pension alimentaire formée par l'épouse en sorte que le surplus de la décision apparaît à ce jour définitif ;
Attendu que par application des dispositions de l'article 202-1 du Code civil, le juge conciliateur et, par voie de conséquence la juridiction du second degré, statue dans le cadre des mesures provisoires, sur les demandes d'aliments présentées par les époux au titre du devoir de secours prévu à l'article 181 du Code civil ;
Attendu que le créancier d'aliments doit justifier de la réalité de ses propres besoins, la demande étant appréciée en fonction des facultés contributives du débiteur ;
Attendu que le Premier juge a légitimement observé qu'au titre des mesures provisoires ordonnées durant l'instance en divorce, les besoins du créancier d'aliments s'entendent de ceux nécessités par la vie courante en tenant compte, dans une certaine mesure, du train de vie des époux ;
Attendu que la créancière d'aliments et appelante, a. S. justifie être actuellement âgée de 54 ans et retraitée ;
Qu'il est également établi qu'elle perçoit une pension de retraite d'un montant mensuel de 1.421 euros, ainsi qu'une allocation mensuelle au titre de l'aide au logement s'élevant à 166 euros ;
Attendu qu a. S. de nationalité monégasque, dispose d'un logement loué par l'administration des domaines dont le loyer en principal s'élève à la somme mensuelle de 640,21 euros outre 141 euros de charges auquel s'ajoute le montant mensuel des frais de parking de 76 euros ;
Attendu que l'appelante justifie en cause d'appel de charges correspondant aux échéances de remboursement d'un crédit automobile d'un montant de 580 euros outre des arrérages d'une saisie s'élevant à 322,21 euros par mois, soit selon décompte établi par ses soins un montant de dépenses mensuelles excédant la somme de 2.000 euros ;
L'appelante établit par ailleurs être redevable envers l'Administration des Domaines d'une somme de 7.191,62 euros au titre d'arriérés de loyer au titre desquels elle a été mise en demeure de s'acquitter des sommes dues dès le mois de décembre 2017 ;
Attendu par ailleurs que le débiteur d'aliments, Monsieur m. F. est âgé de 56 ans et n'exerce plus son métier de professeur des écoles depuis qu'il est en arrêt maladie ; qu'à ce titre, il apparaît être rémunéré avec un demi traitement depuis le 15 novembre 2017, soit un salaire mensuel brut actuel 1.467,19 euros ;
Qu'il justifie être colocataire avec son frère d'un appartement situé à Nice au titre duquel il acquitte chaque mois la somme de 420 euros de loyer et il établit être dans une position de surendettement, la commission de surendettement des particuliers des Alpes-Maritimes ayant fixé le 2 mai 2018 le montant de la mensualité de remboursement à sa charge à la somme de 178 euros ;
Qu'en revanche, m. F. ne démontre pas avoir dépensé le reliquat de la somme de 43.510 euros provenant de la vente de son bien immobilier perçue le 12 juin 2017, soit une somme de 13.510 euros après le partage de 30.000 euros entre ses deux fils et celui de Madame F.;
Attendu qu'il ne saurait pas davantage être tenu compte de la décision à intervenir du comité médical au titre de laquelle Monsieur F. devrait selon l'appelante percevoir le double de ses revenus actuels dont il n'est en l'état justifié ni de la réalité, ni de la teneur ;
Attendu qu'aucune erreur d'appréciation, ni contradiction de motifs n'apparait en définitive s'induire de la décision du premier juge qui a justement observé d'une part que l'épouse se trouve dans une situation financière délicate, ses ressources couvrant à peine ses charges fixes, et d'autre part que les facultés contributives de m. F. demeurent très limitées en l'état de la diminution très importante de ses revenus depuis le 15 novembre 2017 ;
Attendu qu'eu égard aux besoins de l'appelante, mais aussi aux facultés du débiteur d'aliments, la décision entreprise sera dès lors confirmée en ce que Madame a. S. a été déboutée de sa demande de pension alimentaire au titre du devoir de secours ;
Attendu que les dépens d'appel demeureront à la charge de l'appelante ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel,
Au fond, déboute Madame a. S. de l'ensemble de ses demandes,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 29 novembre 2017 par le juge conciliateur,
Laisse les dépens d'appel à la charge de Madame a. S. distraits au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 12 MARS 2019, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général adjoint.