Cour d'appel, 4 mars 2019, d. L. et le Ministère Public c/ e G. et m. D.
Abstract🔗
Diffamation par voie de presse - Question préjudicielle de constitutionnalité - Question pertinente (oui) - Question de l'existence de l'infraction - Question sérieuse (non) - Liberté de manifester ses opinions - Liberté absolue (non) - Sanctions exorbitantes (non) - Pouvoir modérateur du juge - Conformité à la CEDH - Restriction prévue par la loi - But légitime - protection de la réputation - Sanction dissuasive portant atteinte à la liberté d'expression (non) - Pouvoir d'individualisation de la peine du juge
Diffamation par voie de presse - Publication d'un article sur les dysfonctionnements de la justice monégasque - Débat d'intérêt général - Absence d'imputation de faits précis - Jugement de valeur reposant sur une base factuelle - Relaxe
Résumé🔗
Les prévenus, poursuivis pour diffamation et complicité de diffamation, soulèvent, à titre de question préjudicielle, la conformité à la Constitution des articles 22 et 23 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression sanctionnant la diffamation, et plus particulièrement à son article 23 relatif à la liberté de manifester ses opinions en toutes matières. Une telle question ne peut donner lieu à sursis à statuer qu'à la double condition qu'il s'agisse, d'une part, d'une question sérieuse et digne d'être prise en considération et, d'autre part, d'une question pertinente, c'est-à-dire dont la réponse est nécessaire au jugement sur le fond, dont le sort du litige dépend. En l'espèce, les premiers juges ont justement considéré que le moyen était pertinent dès lors que l'existence de l'infraction dépend de la constitutionnalité des articles litigieux. Cependant, s'agissant du caractère sérieux de la question, il convient de relever que la liberté de manifester ses opinions en toutes matières n'est pas absolue, la Constitution autorisant « la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés ». En outre, le postulat selon lequel les sanctions encourues en répression des délits de presse sont exorbitantes n'est pas vérifié dès lors que les textes critiqués doivent être appréciés au regard des dispositions générales du Code pénal relatives à l'atténuation des peines qui permettent au juge, si les circonstances paraissent atténuantes, de réduire l'emprisonnement et l'amende, pouvoir modérateur du juge consacré par la jurisprudence. En conséquence, le caractère sérieux de la question n'apparaissant pas établi, il convient de confirmer le jugement rejeter la demande de sursis à statuer aux fins de question préjudicielle.
S'agissant de la conformité de ces mêmes dispositions à la Convention européenne des droits de l'homme, son article 10 consacrant la liberté d'expression permet également sa restriction et sa sanction à la condition qu'elle soit prévue par la loi, qu'elle soit strictement nécessaire dans une société démocratique et qu'elle tende vers l'un des buts qu'il énumère limitativement. Or, en l'espèce, l'ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression est bien prévue par la loi et poursuit un but légitime, à savoir la protection de la réputation et des droits d'autrui, étant précisé qu'en raison de l'exiguïté du territoire de la Principauté de Monaco et de sa densité démographique en rapport, toute publication a immédiatement un retentissement national. Particulièrement, la sanction pénale de la diffamation commise, notamment à l'encontre d'une personne physique exerçant, comme en l'espèce, certaines fonctions d'intérêt public, est justifiée par un besoin social impérieux dans un État de droit de garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. De même, c'est vainement que les prévenus invoquent le caractère dissuasif des peines encourues qui serait attentatoire à la liberté d'expression dès lors que le juge pénal dispose d'un pouvoir général d'individualisation des peines. Il convient donc de confirmer le rejet de la demande.
Les deux prévenus, directeur de la publication et journaliste, sont poursuivis pour diffamation à la suite de la parution d'un article intitulé « Z ». Cependant, l'article participait d'un débat d'intérêt général puisqu'il traitait de la justice monégasque, de ses possibles dysfonctionnements, et plus particulièrement de la visite du GRECO (Groupe d'États contre la Corruption), émanation du Conseil de l'Europe, à l'occasion d'une évaluation portant sur la thématique « Prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs ». Si les expressions employées, telles que « mélange des genres », « nébuleuse de sociétés », « plus embarrassant », peuvent constituer une critique générale, être imagée, ou bien accrocheuse, aucune d'elles ne contient ni ne révèle l'imputation d'un fait suffisamment précis et déterminé susceptible d'être l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire. De même, la question posée dans l'article sur le lien existant entre le rôle de gardien des lois à Monaco de la partie civile et son rôle d'arbitre dans de potentiels conflits privés ne contient pas d'imputation d'un fait précis mais relève d'une critique subjective s'inscrivant dans un débat d'intérêt général. Par ailleurs, s'agissant des sociétés qu'elle gère, la partie civile affirme à tort que l'expression « nébuleuse de sociétés » employée suggère « une activité dissimulée ou occulte ». Si les limites de la critique admissible sont plus larges pour des fonctionnaires agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles, comme en l'espèce, que pour de simples particuliers, il reste que l'écrit litigieux n'impute pas à la partie civile de faits précis portant atteinte à son honneur et à sa considération, les propos incriminés relatifs à un potentiel conflit d'intérêts étant constitutifs d'un jugement de valeur reposant sur une base factuelle suffisante et avérée et demeurant dans les limites admissibles de la liberté d'expression. La relaxe des prévenus sera donc confirmée.
Motifs🔗
COUR D'APPEL CORRECTIONNELLE
ARRÊT DU 4 MARS 2019
En la cause de :
d. L., né le 19 février 1948 à SAINT-DENIS (93), de nationalité française, AA de Monaco, demeurant « X1 », X1 à MONACO (98000), constitué partie civile,
ABSENT, représenté par Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, chez lequel il a élu domicile et plaidant par Maître Luc BROSSOLLET, avocat au Barreau de Paris ;
Et du :
MINISTÈRE PUBLIC ;
APPELANTS/INTIMÉS
Contre :
1- e G., né le 3 mai 1976 à PARIS (17ème) (75), de nationalité française, de p. et de m-c.e GU. Président directeur général et directeur de publication, domicilié ès qualités au siège du journal « BB », sis X2 à PARIS (75015) ;
Prévenu de :
DIFFAMATION PAR VOIE DE PRESSE ;
2- m. D., née le 4 novembre 1978 à NANCY (54), de nationalité française, de p. et de e. SA. journaliste, domiciliée ès qualité au siège du journal « BB », sis X2 à PARIS (75015) ;
Prévenue de :
- COMPLICITÉ DE DIFFAMATION PAR VOIE DE PRESSE ;
ABSENTS aux débats, représentés par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, chez lequel ils ont élu domicile et plaidant par Maître Renaud LE GUNEHEC, avocat au Barreau de Paris;
INTIMÉS/APPELANTS
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTE DE MONACO,
jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 17 décembre 2018 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par application de l'article 377 du Code de procédure pénale par le Tribunal correctionnel le 10 juillet 2018 ;
Vu l'appel interjeté le 18 juillet 2018 par Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, substituant Maître Charles LECUYER, avocat, pour d. L. partie civile, uniquement sur les dispositions civiles, par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur pour e G. et m. D. prévenus, le 19 juillet 2018 et par le Ministère Public le 24 juillet 2018 à titre incident ;
Vu l'ordonnance présidentielle en date du 15 octobre 2018 ;
Vu les citations, suivant exploits, enregistrés, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 24 octobre 2018 ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les conclusions de Maître Charles LECUYER, avocat, pour d. L. partie civile, en date du 14 décembre 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, pour e G. et m. D. prévenus, en date du 17 décembre 2018 ;
Ouï Françoise CARRACHA, Conseiller, en son rapport ;
Ouï Maître Luc BROSSOLLET, avocat au Barreau de Paris autorisé par le Président à assister d. L. partie civile, en ses moyens d'appel et plaidoiries ;
Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Renaud LE GUNEHEC, avocat au Barreau de Paris, régulièrement autorisé par Madame le Président à assister e G. et m. D. prévenus, en ses moyens d'appel et plaidoiries, par lesquels il sollicite la relaxe de ses clients ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoirement rendu en application de l'article 377 du Code de procédure pénale en date du 10 juillet 2018, le Tribunal correctionnel, dans une procédure opposant d. L. partie civile à e G. et m. D. prévenus respectivement de diffamation par voie de presse et complicité de diffamation par voie de presse, a, sous les préventions :
1) e G. :
« Pour avoir, à MONACO, à compter du 27 décembre 2016 jusqu'au 23 juin 2017, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, en qualité de directeur de publication, par tout moyen de communication au public par voie électronique, en l'espèce le site internet BB. diffamé d. L. à raison de ses fonctions ou de sa qualité de dépositaire de l'autorité publique, en l'espèce AA de Monaco, par une ou plusieurs allégations ou une ou plusieurs imputations d'un ou plusieurs faits qui porte(nt) atteinte à son honneur ou à sa considération, en l'espèce en publiant et en diffusant les propos suivants dont m. D. journaliste au sein du journal « BB », est l'auteur : « Conflits d'intérêts au sommet de l'institution judiciaire ? ».
« Ce n'est pas le seul exemple de mélange des genres au sommet de l'institution judiciaire. L'actuel AA monégasque, d. L. chargé de veiller à la constitutionnalité des lois cumule, lui, différentes casquettes. Professeur à l'université de Nice et avocat honoraire au barreau de Paris, il est également à la tête d'une nébuleuse de sociétés. Si quasiment toutes ont été dissoutes ou placées en liquidation avant son entrée en fonction, le 16 juillet 2012, la société de droit anglais H, a continué à être active jusqu'à la mi-2015. ».
Plus embarrassant, le AA a récemment porté sur les fonts baptismaux une nouvelle boite de conseil. Il y a six mois, il lançait la SAS G avec une autre éminence monégasque, le professeur niçois r B. membre du Conseil d'Etat de la Principauté depuis 2011. A en croire les statuts déposés au greffe, cette société a pour objet le conseil « pour favoriser la conclusion d'un accord négocié dans le cadre d'une transaction ou d'un arbitrage » ou « pour assister des opérateurs dans la prise de décision en vue du meilleur développement de leurs activités économiques, sociales, sportives ou culturelles ». Le premier exercice de cette jeune pousse n'était pas encore achevé, on ne saura pas combien les deux fondateurs empochent pour les conseils et arbitrages effectués en marge de leurs autres attributions.
Interrogé par BBfr, d. L. explique : « La SAS G est une société spécialisée dans l'arbitrage, une activité dérivée de mes fonctions juridictionnelles. » Quel lien existe entre son rôle de gardien des lois à Monaco et son rôle d'arbitre dans de potentiels conflits privés ? On ne le saura pas. Mais on apprend qu'il a récemment ajouté une nouvelle corde à son arc, puisqu'il vient d'être nommé au Tribunal du sport à Genève... Un joli sujet d'investigation pour un futur rapport du Greco, la publication de celui consacré à la justice monégasque étant prévue pour juin prochain ».
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 15, 21, 23, 26, 27, 35, 36, 37, 39 et 58 de la loi 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique, ainsi que par l'article 26 du Code pénal,
2) m. D. :
« Pour s'être, à MONACO, à compter du 27 décembre 2016 jusqu'au 23 juin 2017, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, rendue complice du délit de diffamation par voie de presse ou par voie électronique envers un fonctionnaire public ou un dépositaire ou agent de l'autorité publique ou à raison de ses fonctions ou de sa qualité de dépositaire de l'autorité publique et ce, au préjudice de d. L. en l'espèce AA de Monaco, en étant l'auteur d'une ou plusieurs allégations ou imputations d'un ou plusieurs faits qui porte(nt) atteinte à son honneur ou à sa considération publiées ou diffusées sur le site internet BB. en l'espèce en étant l'auteur des propos suivants :
« Conflits d'intérêts au sommet de l'institution judiciaire ? ».
« Ce n'est pas le seul exemple de mélange des genres au sommet de l'institution judiciaire. L'actuel AA monégasque, d. L. chargé de veiller à la constitutionnalité des lois cumule, lui, différentes casquettes. Professeur à l'université de Nice et avocat honoraire au barreau de Paris, il est également à la tête d'une nébuleuse de sociétés. Si quasiment toutes ont été dissoutes ou placées en liquidation avant son entrée en fonction, le 16 juillet 2012, la société de droit anglais H, a continué à être active jusqu'à la mi-2015. ».
Plus embarrassant, le AA a récemment porté sur les fonts baptismaux une nouvelle boite de conseil. Il y a six mois, il lançait la SAS G avec une autre éminence monégasque, le professeur niçois r B. membre du Conseil d'Etat de la Principauté depuis 2011. A en croire les statuts déposés au greffe, cette société a pour objet le conseil « pour favoriser la conclusion d'un accord négocié dans le cadre d'une transaction ou d'un arbitrage » ou « pour assister des opérateurs dans la prise de décision en vue du meilleur développement de leurs activités économiques, sociales, sportives ou culturelles ». Le premier exercice de cette jeune pousse n'était pas encore achevé, on ne saura pas combien les deux fondateurs empochent pour les conseils et arbitrages effectués en marge de leurs autres attributions.
Interrogé par BBfr, d. L. explique : « La SAS G est une société spécialisée dans l'arbitrage, une activité dérivée de mes fonctions juridictionnelles. » Quel lien existe entre son rôle de gardien des lois à Monaco et son rôle d'arbitre dans de potentiels conflits privés ? On ne le saura pas. Mais on apprend qu'il a récemment ajouté une nouvelle corde à son arc, puisqu'il vient d'être nommé au Tribunal du sport à Genève... Un joli sujet d'investigation pour un futur rapport du Greco, la publication de celui consacré à la justice monégasque étant prévue pour juin prochain »,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 41 à 43 du Code pénal et par les articles 15, 21, 23, 26, 27, 35, 36, 37, 39 et 58 de la loi 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique, ainsi que par l'article 26 du Code pénal,
- dit n'y avoir lieu à question préjudicielle,
- relaxé m. D. et e G. des fins de la poursuite, sans peine ni dépens ;
Sur l'action civile :
- a reçu d. L. en sa constitution de partie civile mais l'a débouté au fond ;
- a condamné, enfin, d. L. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'Ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats.
Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, substituant Maître Charles LECUYER, avocat, pour d. L. partie civile a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 18 juillet 2018.
Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, pour e G. et m. D. prévenus, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date 19 juillet 2018.
Le Ministère Public a interjeté appel incident de ladite décision le 24 juillet 2018.
Considérant les faits suivants :
Le 23 juin 2017, régularisée le 27 juin 2017, d. L. AA de Monaco, déposait une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation envers un citoyen dépositaire de l'autorité publique, délit prévu par les articles 21 et 23 de la Loi n° 1.299 du 15 juillet 2005, aux motifs qu'il estimait que le contenu de l'article intitulé « La justice monégasque sur le gril », annoncé par le chapeau « Mélange des genres, opacité, petites affaires entre amis ... La justice de Monaco n'est pas exempte de tout reproche. Le Conseil de l'Europe s'en émeut », paru sur le site internet du journal « BB » le 27 décembre 2016, comportait de graves diffamations à son égard, à raison de la diffusion des propos suivants :
« Conflits d'intérêts au sommet de l'institution judiciaire ?
Ce n'est pas le seul exemple de mélange des genres au sommet de l'institution judiciaire. L'actuel AA monégasque, d. L. chargé de veiller à la constitutionnalité des lois cumule, lui, différentes casquettes. Professeur à l'université de Nice et avocat honoraire au barreau de Paris, il est également à la tête d'une nébuleuse de sociétés. Si quasiment toutes ont été dissoutes ou placées en liquidation avant son entrée en fonction, le 16 juillet 2012, société de droit anglais H, a continué à être active jusqu'à la mi-2015.
Plus embarrassant, le AA a récemment porté sur les fonts baptismaux une nouvelle boite de conseil. Il y a six mois, il lançait la SAS G avec une autre éminence monégasque, le professeur niçois r B. membre du Conseil d'Etat de la Principauté depuis 2011. A en croire les statuts déposés au greffe, cette société a pour objet le conseil « pour favoriser la conclusion d'un accord négocié dans le cadre d'une transaction ou d'un arbitrage » ou « pour assister des opérateurs dans la prise de décision en vue du meilleur développement de leurs activités économiques, sociales, sportives ou culturelles ». Le premier exercice de cette jeune pousse n'était pas encore achevé, on ne saura pas combien les deux fondateurs empochent pour les conseils et arbitrages effectués en marge de leurs autres attributions.
Interrogé par BBfr, d. L. explique : « La SAS G est une société spécialisée dans l'arbitrage, une activité dérivée de mes fonctions juridictionnelles. » Quel lien existe entre son rôle de gardien des lois à Monaco et son rôle d'arbitre dans de potentiels conflits privés ? On ne le saura pas. Mais on apprend qu'il a récemment ajouté une nouvelle corde à son arc, puisqu'il vient d'être nommé au Tribunal du sport à Genève... Un joli sujet d'investigation pour un futur rapport du Greco, la publication de celui consacré à la justice monégasque étant prévue pour juin prochain ».
Le 11 juillet 2017, le Procureur Général délivrait des réquisitions aux fins d'informer du même chef pour la période allant du 27 décembre 2016 au 23 juin 2017.
Le 13 décembre 2017, e G. Directeur de la Publication du journal « BB », et m. D. rédactrice de l'article incriminé publié dans l'hebdomadaire en question, étaient respectivement inculpés du chef du délit dénoncé et de complicité de ce dernier.
Lors de son interrogatoire, m. D. confirmait être l'auteur de l'article concerné. Toutefois, elle soulignait l'importance du journalisme d'investigations destiné à informer les citoyens sur des sujets tels que les dessous du fonctionnement de la Justice. Enfin, elle relatait l'existence de démarches que d. L. avait effectuées, en amont du dépôt de sa plainte, à son endroit via un intermédiaire et ce, aux fins de faire retirer ou corriger le contenu de l'article, ce qui était constitutif, à ses yeux, d'une tentative de pression de sa part.
Lors de son interrogatoire, e G. reconnaissait avoir été le Directeur de Publication du Journal « BB », au sens de l'article 35 de la Loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique, lorsque l'article litigieux rédigé par m. D. avait été publié et diffusé sur le site internet du journal « BB », à savoir BB. .
Par ailleurs, il s'interrogeait non seulement sur la constitutionnalité des textes réprimant le délit qui lui était reproché au vu de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme en matière de droit de la presse mais également sur le sens de la démarche judiciaire de d. L. En effet, e G. remettait au juge d'instruction un courrier daté du 5 juillet 2017, notamment adressé à son attention par d. L. et aux termes duquel ce dernier semblait enclin à rechercher un arrangement suite à la parution de l'article jugé diffamatoire.
Le magistrat instructeur, « dans la mesure où ces éléments n'ont pas été obtenus à l'occasion d'investigations menées en vue de se prononcer sur la véracité, ou non, des allégations du ou des faits qualifiés de diffamatoires par la partie civile et qu'ils ne portent pas davantage sur la preuve de l'existence, ou non, de ces mêmes faits » versait à l'instruction un certain nombre de pièces issues d'une autre procédure d'information.
Par ordonnance du 26 mars 2018, le Juge d'instruction ordonnait le renvoi devant le Tribunal correctionnel d e G. du chef de diffamation par voie de presse ou par voie électronique envers un fonctionnaire public ou un dépositaire ou agent de l'autorité publique et de m. D. du chef de complicité de ce même délit.
Le casier judiciaire monégasque d e G. ne comporte aucune condamnation. Son casier français fait état de deux condamnations à des peines d'amende avec sursis prononcées par la Chambre des appels correctionnels de Paris le 18 mai 2017 pour diffamation envers un fonctionnaire public ou un dépositaire ou agent de l'autorité publique (faits du 30 juin 2014) et le 29 juin 2017 pour diffamation envers un particulier (faits du 25 juin 2015).
Le casier judiciaire monégasque de m. D. ne comporte aucune condamnation. Son casier judiciaire français fait état de trois condamnations à des peines d'amende, dont deux avec sursis, prononcées par le Tribunal correctionnel de Paris les 16 novembre 2012, 18 décembre 2014 et 2 juin 2015 pour des faits de complicité de diffamation envers particuliers par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique.
Par jugement contradictoirement rendu conformément à l'article 377 du Code de procédure pénale le 10 juillet 2018 le Tribunal correctionnel disait n'y avoir lieu à question préjudicielle, relaxait m. D. et e G. des fins de la poursuite, recevait d. L. en sa constitution de partie civile mais l'en déboutait au fond et condamnait celui-ci aux frais.
Pour statuer ainsi le Tribunal a considéré, s'agissant de la question préjudicielle portant sur la conformité des articles 22 de la Loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique avec la Constitution du 17 décembre 1962, que le moyen soulevé n'était pas suffisamment sérieux et qu'il n'y avait donc pas lieu à renvoyer l'affaire devant le Tribunal Suprême pour que lui soit soumis la question de la constitutionnalité de la loi n° 1.299, en retenant les éléments suivants :
« L'éventuelle non-conformité de ce texte avec la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme n'a pas pour conséquence l'inconstitutionnalité de la loi.
Il est en outre admis de manière parfaitement constante que les juges du fond sont les juges naturels de la conventionalité des lois, la Convention s'appliquant directement en droit interne. Ainsi, ladite jurisprudence, si elle regrette régulièrement le recours à la procédure pénale en matière de diffamation par voie de presse et considère qu'une sanction pénale, quelle qu'elle soit, peut être un frein à l'exercice de la liberté d'expression, n'a pas considéré que l'existence même d'une loi permettant la répression pénale doit être écartée, mais que les sanctions prononcées sont une atteinte à ce droit et doivent être utilisées avec parcimonie.
Il est donc bien visé par cette jurisprudence les sanctions prononcées par les juridictions internes d'un pays et non l'existence même d'un texte répressif.
En outre, la Cour Européenne des Droits de l'Homme a admis que des peines d'emprisonnement puissent, dans des cas particuliers, être infligées, même si la tendance actuelle de sa jurisprudence est de pousser les états à dépénaliser la diffamation par voie de presse.
C'est donc au juge répressif, dans le cas d'espèce, d'estimer si, au vu de la jurisprudence européenne, les faits poursuivis doivent recevoir une sanction. ».
Sur le fond, le Tribunal a retenu que le sujet traité par l'article incriminé participait d'un débat d'intérêt général en ce qu'il concernait la justice monégasque, ses possibles dysfonctionnements, et plus particulièrement la visite du GRECO dans le cadre de son 4ème cycle d'évaluation et des éléments présentés comme des potentiels conflits d'intérêts entre les fonctions de AA et les autres fonctions exercées par son Président actuel.
S'agissant du délit reproché, le Tribunal a considéré que si les termes utilisés dans l'article litigieux, tels que « nébuleuse », ou « empochent », de même que les expressions « mélange des genres » et « plus embarrassant » étaient connotés, ils n'emportaient cependant pas imputation d'un fait précis, de sorte que ces propos, bien que rédigés sur un ton manifestement provoquant, étaient un jugement de valeur, lequel pouvait être considéré comme protégé par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme au titre de la liberté d'opinion et de la liberté d'expression, à condition qu'il reposât sur une base factuelle suffisante.
Il a jugé que la base factuelle sur laquelle les prévenus s'étaient fondés pour porter un jugement de valeur et mettre en exergue de potentiels conflits d'intérêts était totalement avérée au regard des différentes activités exercées par d. L. AA
Il a considéré au vu du rapport du GRECO, établi postérieurement aux faits, le 13 juillet 2017, que cet organisme recommandait « que la nomination des membres du Tribunal Suprême s'appuie sur une procédure transparente et des critères objectifs adéquats et de les doter de règles adéquates en matière d'incompatibilités, ainsi que de conflits d'intérêts et autres obligations liées à l'intégrité » ;
Le Tribunal en a conclu que la préoccupation sur les éventuels conflits d'intérêts était réelle et donc que les prévenus étaient de bonne foi lorsqu'ils ont dénoncé cette possible source de conflits, nonobstant l'utilisation d'un ton provoquant dans l'article litigieux .
Les premiers juges ont enfin reçu d. L. en sa constitution de partie civile et l'ont débouté de ses demandes au vu des relaxes prononcées.
Par acte d'appel du 18 juillet 2018, Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, substituant Maître Charles LECUYER, avocat, et celui de d. L. partie civile, relevait appel uniquement des dispositions civiles de cette décision.
Le 19 juillet 2018, Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur et celui de e G. et de m. D. interjetait appel du jugement du 10 juillet 2018.
Le Procureur général relevait appel, à titre incident de ce jugement, le 24 juillet 2018, à l'encontre d e G. et de m. D.
Aux termes de conclusions déposées le 17 décembre 2018 d. L. demande à la Cour de l'accueillir en sa constitution de partie civile et de condamner in solidum e G. et m. D. à lui payer une somme de 30.000 € en réparation du préjudice moral qu'ils lui ont causé en commettant à son endroit, en leur qualité respective d'auteur et de complice, le délit de diffamation envers un dépositaire de l'autorité publique.
Il sollicite en outre leur condamnation in solidum à lui payer une somme de 10.000 € au titre des frais de justice engagés pour assurer la défense de ses intérêts et aux dépens.
À l'appui de ses demandes, d. L. fait valoir essentiellement les éléments suivants :
- le sens général de l'article est accusatoire, construit sur un mode propre à jeter le discrédit sur l'ensemble de la justice monégasque, et, par voie de conséquence, particulièrement sur lui ;
- son cas est traité par la journaliste comme un « exemple de mélange des genres au sommet de l'institution judiciaire », mélange des genres dont le GRECO, émanation du Conseil de l'Europe se serait ému ;
- contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, l'article ne constitue pas un simple jugement de valeur. Rédigé sous forme de question de manière purement rhétorique, il vise le conflit d'intérêts au singulier et l'envisage au présent, la journaliste qualifiant cette situation d'embarrassante ;
- le Tribunal ne devait pas prendre en considération le rapport du GRECO celui-ci, postérieur à l'article, ne pouvant dès lors être pris en compte ni dans l'appréciation de la diffamation ni dans celle de la bonne foi ;
- la base factuelle n'est pas avérée, aucun élément de fait ne permettant de le présenter comme ayant eu une activité dissimulée, ce que suggère plus que fortement le terme « nébuleuse » utilisé par l'article ;
- l'expression « nébuleuse de sociétés » ne saurait être un simple jugement de valeur des lors qu'elle ne se rapporte pas à une situation factuelle que le lecteur est à même d'appréhender ;
- la mauvaise foi est manifeste : l'enquête des journalistes n'a pas révélé un seul cas de conflit d'intérêt avéré ; l'article laisse entendre que son cas serait isolé et même nouveau alors que depuis la création en 1910 du Tribunal Suprême, la totalité ou la quasi-totalité de ses membres exercent parallèlement d'autres fonctions ;
- l'intention de nuire est d'autant plus caractérisée que la mission du GRECO, qui est le sujet de l'article, n'était en aucun cas motivée par ses activités auxquelles cet organisme ne s'est pas intéressé ;
- cet article toujours en ligne continue de lui nuire injustement ; il est donc bien-fondé à solliciter une somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
Suivant conclusions du 17 décembre 2018 e G. et m. D. demandent à la Cour de :
infirmer le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Monaco le 10 juillet 2018 en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à question préjudicielle ;
surseoir à statuer ;
renvoyer e G. et m. D.à se pourvoir devant le Tribunal Suprême de Monaco pour former un recours en appréciation de validité des articles 22 et 23 de la loi 1.299 du 15 juillet 2005.
À défaut, sur le fond :
confirmer le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Monaco le 10 juillet 2018 ;
renvoyer des fins de la poursuite e G. et m. D.;
débouter d. L. de l'ensemble de ses demandes ;
statuer ce que de droit sur les dépens.
Ils font valoir principalement les éléments suivants :
- la question préjudicielle portant sur la conformité à la Constitution des articles 22 et 23 de la Loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression est sérieuse et pertinente ;
- en effet, la loi monégasque non seulement prévoit des peines exorbitantes en répression des délits de presse, mais prévoit des peines minimum y compris une peine d'emprisonnement minimum, sanctions dissuasives qui, même simplement encourues, sont manifestement attentatoires à la liberté d'expression et de l'information et heurtent les principes constitutionnels figurant aux articles 2 et 23 de la Constitution ;
- pour avoir écrit un article critique sur la justice monégasque, sur fond de mission à Monaco d'un organisme du conseil de l'Europe tel que le GRECO, et pour s'être interrogés sur les activités parajudiciaires de Monsieur L. ils encourent une peine minimum de 3 mois de prison et/ ou 18.000 € d'amende ;
- la Cour d'appel doit constater que compte tenu des peines encourues, particulièrement dissuasives et de nature à intimider la presse et la dissuader d'enquêter et d'écrire, l'article 22 et plus particulièrement l'article 23 de la loi du 15 juillet 2005 sont de toute évidence incompatibles avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
- sur le fond, aucun élément extrinsèque ni intrinsèque n'est de nature à conférer aux propos poursuivis le caractère diffamatoire ; la construction de l'article ne permet en rien de caractériser l'imputation d'un fait précis à l'encontre de d. L.;
- les éléments extrinsèques de l'article ne visent pas la partie civile ;
- s'agissant du passage poursuivi, l'ensemble des informations concernant les activités de d. L. sont vraies et reposent sur une base factuelle vérifiée et vérifiable par n'importe quel internaute ;
- les informations divulguées dans l'article sur les activités de d. L. sont publiques et l'expression « nébuleuse de sociétés » ne renferme aucune imputation précise ;
- l'interrogation sur de « potentiels conflits d'intérêts » n'est par définition pas l'imputation d'un fait précis, relève du jugement de valeur et s'appuie sur une base factuelle avérée et même non contestée ;
- l'article relève du droit de critique lequel est exclusif de toute diffamation ;
- à titre purement subsidiaire, tous les critères de la bonne foi sont réunis : l'article poursuit un but légitime d'information dans le cadre d'un débat sur un sujet d'intérêt général ; il est fondé sur une base factuelle parfaitement avérée ; le contradictoire a été respecté ; il est rédigé dans des termes neutres et prudents et il n'y a aucune animosité personnelle de la journaliste à l'encontre de d. L. ;
- Les demandes indemnitaires de la partie civile ne sont pas justifiées et leur montant est particulièrement exorbitant à l'encontre d'un organe de presse.
À l'audience le conseil de la partie civile a développé oralement ses conclusions écrites.
Le Ministère Public a requis la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré qu'il n'y avait pas lieu à question préjudicielle. Il a souligné que si le moyen était pertinent, la perspective de sanctions ne caractérisait pas l'élément sérieux susceptible de soumettre la question préjudicielle et de surseoir à statuer.
Il a soutenu que les articles 22 et 23 de la loi susvisée ne sont pas incompatibles avec les dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Il a requis l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a relaxé les prévenus, et a demandé à la Cour de les déclarer coupables des faits reprochés en considérant que le titre racoleur de l'article, les éléments sortis de leur contexte, le recours au rapport du GRECO constituaient des éléments intrinsèques et extrinsèques de diffamation compte tenu des insinuations formulées, l'appréciation subjective faite par la journaliste et les propos tenus ayant porté atteinte à l'honneur de d. L. Il a requis la condamnation d e G. et de m. D.à la peine de 3.000 € d'amende chacun.
Le conseil des prévenus a soutenu oralement les conclusions déposées devant la Cour.
SUR CE,
Attendu que les appels, principal et incident, relevés dans les formes et délais prescrits par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale, sont réguliers et recevables ;
Sur la question préjudicielle :
Attendu qu'en application de l'article 90-A 2° de la Constitution de la Principauté du 17 décembre 1962, modifiée par la loi n° 1.249 du 2 avril 2002, en matière constitutionnelle, le Tribunal Suprême statue souverainement notamment « sur les recours en annulation, en appréciation de validité et en indemnité ayant pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution, et qui ne sont pas visés au paragraphe B du présent article » ;
Qu'au titre des libertés et droits fondamentaux garantis par la Constitution, l'article 23 énonce que « la liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toutes matières sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés » ;
Que la question de la conformité d'un texte législatif dont dépend la solution du litige à une disposition du Titre III de la Constitution est une question préjudicielle dont le juge répressif doit renvoyer l'examen au Tribunal Suprême par la voie du recours en appréciation de validité prévu au paragraphe A-2°de l'article 90 précité de la Constitution ;
Attendu que la question préjudicielle soulevée par les prévenus sur la conformité des articles 22 et 23 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression à la Constitution et plus particulièrement à l'article 23 relatif à la liberté de manifester ses opinions en toutes matières, ne peut donner lieu à sursis à statuer qu'à la double condition qu'il s'agisse d'une part d'une question sérieuse et digne d'être prise en considération, d'autre part d'une question pertinente, c'est-à-dire que la réponse à cette question soit nécessaire au jugement sur le fond, que le sort du litige en dépende ;
Qu'il est soutenu par les prévenus que l'article 22 de la loi du 15 juillet 2005 prévoit une peine minimum de trois mois d'emprisonnement ainsi qu'une amende minimum de 18.000 euros en cas de diffamation et que ces sanctions, même simplement encourues, et a fortiori lorsqu'elles sont prononcées, sont manifestement attentatoires à la liberté d'expression et de l'information, et heurtent les principes constitutionnels figurant aux articles 2 et 23 de la Constitution ;
Que les premiers juges ont, à juste titre, considéré que le moyen était pertinent, car de l'existence de la constitutionnalité des articles 22 et 23 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 dépend directement l'existence de l'infraction ;
Que s'agissant du caractère sérieux de la question il doit être observé que la liberté de manifester ses opinions en toutes matières n'est pas absolue, l'article 23 de la Constitution la garantissant, « sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés » ;
Que le postulat selon lequel les sanctions encourues en répression des délits de presse sont exorbitantes, n'est pas vérifié dès lors que les dispositions des articles 22 et 23 de la loi du 15 juillet 2005 doivent être appréciées au regard des dispositions générales du Code pénal relatives à l'atténuation des peines telles que prévues par l'article 392 alinéas 2 et 3, qui permettent au juge, si les circonstances paraissent atténuantes, de réduire l'emprisonnement même au-dessous de six jours et l'amende même au-dessous de celle prévue au chiffre 1 de l'article 26, et énoncent que ces dispositions sont applicables à toutes les peines édictées même par des lois ou ordonnances spéciales en matières criminelle et correctionnelle ;
Que d'ailleurs ce pouvoir modérateur du juge est consacré par la jurisprudence (Cour d'appel, 14 mai 2018) ;
Qu'en considération de ces éléments, le caractère sérieux de la question n'apparaît pas établi, de sorte que celle-ci n'est pas digne d'être prise en considération, et qu'il est ainsi justifié de confirmer la décision déférée et de dire n'y avoir lieu de surseoir à statuer aux fins de question préjudicielle sur l'appréciation de la validité des articles 22 et 23 de la loi 1.299 du 15 juillet 2005 à la Constitution ;
Sur le contrôle de conventionnalité des articles 22 et 23 de la loi 1.299 du 15 juillet 2005 au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme :
Attendu que la Convention européenne des droits de l'homme a en Principauté de Monaco une force infra-constitutionnelle mais supra-législative ;
Attendu qu'aux termes de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme : « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire » ;
Qu'en application des principes dégagés par la Cour européenne des droits de l'homme, la liberté de la presse joue un rôle fondamental et essentiel dans le bon fonctionnement d'un Etat de droit ;
Que si la presse ne doit pas franchir certaines limites, concernant notamment la protection de la réputation et des droits d'autrui, il lui incombe de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général, y compris celles qui se rapportent à l'administration de la justice ;
Attendu que la liberté de la presse peut être restreinte à condition que la restriction ou la sanction soit prévue par la loi, qu'elle soit strictement nécessaire dans une société démocratique et qu'elle tende vers l'un des buts limitativement énumérés par l'article 10 alinéa 2 de la Convention susmentionnée ;
Attendu en l'occurrence que l'ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression est prévue par la loi, à savoir les articles 21, 22, 23 et 24 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 et qu'elle poursuit la protection de la réputation et des droits d'autrui, l'un des « buts légitimes » reconnus par le paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention ;
Attendu qu'en raison de l'exiguïté du territoire de la Principauté de Monaco et de sa densité démographique en rapport, toute publication a immédiatement un retentissement national ;
Que particulièrement dans ce contexte, la sanction pénale de la diffamation commise notamment à l'encontre d'une personne physique exerçant certaines fonctions d'intérêt public, en l'espèce celle de AA est justifiée par un besoin social impérieux dans un Etat de droit de garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ;
Attendu qu'e G. et m. D. font valoir que les articles 22 et 23 de la loi du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression sont des dispositions anti-conventionnelles, en ce qu'elles prévoient en matière de diffamation des peines privatives de liberté et/ou des amendes extraordinairement élevées, y compris des peines minimums (3 mois à deux ans d'emprisonnement et 18.000 à 90.000 euros d'amende) ;
Qu'en droit pénal le juge dispose dans l'exercice de son office d'un pouvoir général d'individualisation des peines ;
Que ce pouvoir modérateur est consacré par les dispositions de l'article 392 du Code pénal, qui l'autorise, si les circonstances paraissent atténuantes, même en cas de récidive, à réduire l'emprisonnement même au-dessous de six jours et l'amende même au-dessous de celle prévue au chiffre 1 de l'article 26, de sorte qu'il ne peut être conclu en la matière à l'existence de « peine plancher » ;
Que les prévenus qui soulignent le caractère exorbitant des peines encourues et par suite leur effet dissuasif, attentatoire à la liberté d'expression, ne démontrent d'ailleurs pas que de telles peines aient été prononcées par la justice monégasque ;
Que les textes répressifs des articles 22 et 23 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 ne peuvent être considérés isolément sans référence à l'article 392 du Code pénal qui énonce expressément que les dispositions qui autorisent le Tribunal correctionnel à réduire l'emprisonnement et l'amende dans les conditions susvisées, sont applicables à toutes les peines édictées même par des lois ou ordonnances spéciales ;
Que les juridictions répressives interprètent cette disposition comme ayant une portée générale (Cour d'appel, 14 mai 2018) ;
Que ces dispositions qui donnent au tribunal correctionnel un pouvoir d'individualisation des sanctions prononcées en la matière ne permettent pas de considérer les textes répressifs des articles 22 et 23 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 comme étant incompatibles avec l'article 10 de la CEDH ;
Qu'il convient donc de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a jugé dans ses motifs « qu'il n'y avait pas non plus lieu à considérer que cette loi serait contraire à l'article 10 de la Convention Européenne des droits de l'homme et ne saurait être appliquée à la cause » (page 9) ;
Qu'y ajoutant, il y a lieu de rejeter la demande des prévenus tendant à voir déclarer les articles 22 et 23 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 incompatibles avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Sur le fond :
Attendu que l'article 21 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 énonce que « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne, d'un groupe de personnes liées par la même appartenance au sens de l'article 24 ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation.
La publication directe par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne, un groupe de personnes liées par la même appartenance au sens de l'article 24 ou un corps, non expressément nommés mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure » .
Selon les articles 22 et 23 de cette même loi est punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et de l'amende prévue au chiffre 4 de l'article 26 du Code pénal ou de l'une de ces deux peines seulement, la diffamation commise, par la voie de la presse ou par l'un des moyens énoncés à l'article 15, à raison de leurs fonctions ou de leurs qualités, envers un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public, temporaire ou permanent, un membre élu du Conseil National ou du Conseil communal, un Ministre d'un culte rémunéré par l'État ou un témoin à raison de sa déposition ;
Attendu que pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ;
Qu'en l'occurrence, l'article de presse incriminé par la plainte avec constitution de partie civile de d. L. rédigé par m. D. journaliste, a été publié le 27 décembre 2016 par e G. responsable de la publication, sur le site BB. sous le titre « Z » ;
Que d. L. déplore que le jugement déféré n'ait pas tenu compte de la première partie de cet article pour apprécier le caractère diffamatoire des propos tenus à son encontre ;
Que les autres éléments de l'article ont trait à l'évocation du procès à Marseille de la tour Odéon, à la venue à Monaco entre le 21 et le 25 novembre 2016 du GRECO, émanation du Conseil de l'Europe, dans le cadre de son « passage en revue des quarante-neuf pays membres autour de thématiques anti-corruption », et à l'évocation d'un précédent article du Point de 2014 concernant un ancien Procureur général de Monaco j-p. D. lequel a utilisé son droit de réponse, publié en fin d'article ;
Que toutefois ces éléments extrinsèques ne visent pas d. L.à titre personnel et s'avèrent inopérants pour caractériser l'imputation d'un fait précis à son encontre ;
Que le Tribunal a souligné à juste titre que l'article participait d'un débat d'intérêt général, en ce qu'il traitait dans son ensemble de la justice monégasque, de ses possibles dysfonctionnements, et plus particulièrement de la visite du GRECO à l'occasion de son 4ème cycle d'évaluation portant sur la thématique « prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs » ;
Que sous l'intertitre rédigé sous forme interrogative « Conflit d'intérêts au sommet de l'institution judiciaire ? », le passage poursuivi concernant d. L. AA monégasque, évoque un « mélange des genres au sommet de l'institution judiciaire », fait état d'un cumul de « différentes casquettes », d'une « nébuleuse de sociétés » quasiment toutes dissoutes ou placées en liquidation avant son entrée en fonction, et « plus embarrassant » de la création d'une autre société, la SAS G, dont la journaliste indique l'objet social relatif notamment à l'arbitrage et s'interroge sur les liens entre le rôle de d. L. en tant que gardien des lois à Monaco et son rôle d'arbitre dans de potentiels conflits privés.
Que si chacune des expressions suivantes employées peut soit constituer une critique générale, « mélange des genres », ou être imagée « nébuleuse de sociétés » ou bien encore accrocheuse « plus embarrassant », aucune d'elles ne contient ni ne révèle cependant l'imputation d'un fait suffisamment précis et déterminé susceptible d'être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire ;
Que compte tenu de la tonalité générale de l'article et de son contexte, l'interrogation de la journaliste sur l'existence d'un potentiel conflit d'intérêts entre les fonctions de AA et les autres fonctions exercées par son Président actuel, s'inscrit dans un débat d'intérêt général et relève d'un jugement de valeur ;
Que la Cour européenne des droits de l'homme considère qu'en cas de jugement de valeur, la proportionnalité de l'ingérence dépend de l'existence d'une base factuelle suffisante sur laquelle reposent les propos litigieux, faute de quoi le jugement de valeur pourrait se révéler excessif ;
Qu'en l'occurrence, les éléments factuels concernant les différentes activités de d. L. en tant que professeur à l'université de Nice et avocat honoraire au barreau de Paris sont vérifiés, s'agissant d'informations publiques ;
Que concernant les sociétés à la tête desquelles s'est trouvé d. L. l'article précise « qu'elles ont été quasiment toutes dissoutes ou placées en liquidation avant son entrée en fonction », ce qui constitue également une information publique confirmée, les quatre sociétés françaises ayant été dissoutes avant qu'il ne prenne ses fonctions de AA en 2012 et les opérations de dissolution de la société de droit britannique H ayant été achevées en novembre 2015 ;
Qu'à cet égard le terme « nébuleuse de sociétés » peut imager la diversité des objets sociaux de ces sociétés, s'agissant d'activités juridiques, de locations de terrains et autres biens immobiliers, d'agences immobilières, d'activités de conseil pour les affaires et autres conseil de gestion, et ne suggère pas, comme le soutient la partie civile, « une activité dissimulée ou occulte », étant observé que les éléments d'information relatifs aux dites sociétés sont accessibles à tout internaute ;
Que s'agissant de la « nouvelle corde à son arc » évoquée par l'article, il est également publiquement avéré que d. L. a été nommé arbitre au Tribunal arbitral du sport de Genève ;
Que l'extrait KBIS de la SAS G confirme, comme l'indique la journaliste dans son article que cette société, immatriculée au registre et du commerce de Paris, a pour Président d. L. et pour Directeur général r B. et qu'elle a pour activités principales « d'apporter en France ou à l'étranger toute assistance à des opérateurs pour faciliter la conclusion d'un accord négocié dans le cadre d'une transaction, amiable composition, arbitrage à caractère financier, commercial ou économique, ainsi que dans la prise de décision intéressant leur activité en vue du meilleur développement de leurs activités économiques, sociales, sportives ou culturelles » ;
Qu'il est établi qu'à la date de la publication de l'article, le premier exercice de cette société n'était pas achevé et que son chiffre d'affaire n'était pas connu, ce que mentionne l'article ;
Qu'au sujet de cette société d. L. interrogé par BB fr a déclaré, ainsi que le relate l'article : « La SAS G est une société spécialisée dans l'arbitrage, une activité dérivée de mes fonctions juridictionnelles » ;
Que d. L. n'a pas contesté ses propos dans le courrier qu'il a adressé à e G. le 5 juillet 2017, ni lors de son dépôt de plainte ;
Qu'il explique dans ses conclusions s'être ainsi « prononcé sur la nature des fonctions de juge et d'arbitre comparables en ce qu'elles consistent à juger, sans pour autant admettre qu'étant AA de Monaco et arbitre par le biais d'une société française, il serait en conflit d'intérêts » ;
Qu'il doit être observé sur ce point que la question posée dans l'article à la suite de la déclaration de d. L. sur le lien existant entre le rôle de gardien des lois à Monaco et son rôle d'arbitre dans de potentiels conflits privés, ne contient pas d'imputation d'un fait précis, mais relève d'une critique subjective s'inscrivant dans un débat d'intérêt général ;
Qu'il est constant qu'en application de l'article 10 § 2 précité de la Convention européenne des droits de l'homme, les limites de la critique admissible sont plus larges pour des fonctionnaires agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles, comme en l'espèce, que pour de simples particuliers ;
Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'écrit litigieux n'impute pas à d. L. de faits précis portant atteinte à son honneur et à sa considération, que les propos incriminés relatifs à un potentiel conflit d'intérêts sont constitutifs d'un jugement de valeur, reposent sur une base factuelle suffisante et avérée et demeurent dans les limites admissibles de la liberté d'expression ;
Qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a relaxé e G. et m. D. des faits de diffamation et de complicité de diffamation reprochés ;
Attendu que le jugement déféré doit recevoir également confirmation en ce qu'il a reçu la constitution de partie civile de d. L. et l'a débouté de ses demandes en l'état de la relaxe intervenue ;
Attendu que les frais du présent arrêt doivent être laissés à la charge de d. L.;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard de toutes les parties,
Reçoit les appels, principal et incidents, formés à l'encontre du jugement rendu le 10 juillet 2018 par le Tribunal correctionnel ;
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer aux fins de question préjudicielle sur l'appréciation de la validité des articles 22 et 23 de la loi 1.299 du 15 juillet 2005 à la Constitution ;
Y ajoutant,
Rejette la demande des prévenus tendant à voir déclarer les articles 22 et 23 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 incompatibles avec l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Confirme le jugement rendu le 10 juillet 2018 par le Tribunal correctionnel de Monaco en ce qu'il a relaxé m. D. et e G. des fins de la poursuite et débouté d. L. de ses demandes ;
Condamne d. L. aux frais du présent arrêt ;
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le dix-sept décembre deux mille dix-huit, qui se sont tenus devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Madame Claire GHERA, Conseiller, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur général, assistés de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Madame Claire GHERA, Conseiller, magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013, relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du quatre mars deux mille dix-neuf par Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, faisant fonction de Président, assistée de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur général, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013.