Cour d'appel, 12 février 2019, Madame p.R. c/ La SA G
Abstract🔗
Maladie professionnelle - Prise en charge par l'assureur-loi (non) - Notion de rechute - Présomption d'imputabilité (non) - Absence de continuité des symptômes - Absence de lien avec la maladie professionnelle initiale
Résumé🔗
L'appelante, victime d'une maladie professionnelle à compter de mars 2012 (tendinopathie chronique des deux poignets) conteste le refus de la prise en charge par l'assureur-loi de la rechute déclarée le 5 novembre 2015. L'état de rechute se caractérise par la survenance de tout type de conséquences de la blessure initiale qui, après consolidation ou guérison apparente, oblige la victime à interrompre de nouveau son travail ou à subir des soins. Une rechute peut donc résulter d'une récidive ou d'une aggravation spontanée des lésions initiales de la victime, indépendante de toute cause extérieure, voire d'une dégradation de son état général en lien avec l'évolution physique imputable à la maladie professionnelle, à l'origine de nouveaux soins et traitements médicaux. Si les nouveaux troubles ne surviennent pas dans un temps voisin de l'accident ou de la maladie initiale, la présomption d'imputabilité édictée par l'article 2 de la loi n° 636 ne peut jouer et il incombe alors à la victime de rapporter la preuve de la modification de son état de santé et de la relation directe de causalité entre cet état et l'affection initiale. Or, en l'espèce, est établie l'absence de continuité des symptômes ou des soins depuis la déclaration initiale de la maladie professionnelle jusqu'aux nouveaux troubles invoqués, étant observé que la consolidation a été acquise le 29 août 2014 sans poursuite d'aucun traitement. En outre, l'expertise judiciaire, qui procède d'un travail sérieux et complet, a conclu que les troubles constatés (léger œdème du poignet gauche et légère rougeur de la main gauche) ne sont pas dus à une maladie professionnelle et les éléments médicaux communiqués par l'appelante ne permettent pas d'établir la relation directe et certaine entre la maladie professionnelle et ses symptômes. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise. En conséquence, il convient de confirmer le jugement qui a débouté l'appelante de ses demandes.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 12 FÉVRIER 2019
En la cause de :
- Madame p. R., née le 17 juillet 1957 à Palma di Montechiaro (Italie), de nationalité italienne, demeurant X1- 18033 Camporosso - Italie ;
Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
- La société de droit français dénommée G, Société anonyme dont le siège social est X2 - 92076 Paris la Défense Cédex, représentée par le Président de son Conseil d'Administration en exercice, domicilié en cette qualité audit siège et représentée en Principauté de Monaco par son agent général, m. G. immatriculé au Registre du Commerce et de l'Industrie sous le n°XX, domicilié en cette qualité BP 153 - X3 - 98003 Monaco Cédex ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 29 mars 2018 (R. 4051) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 26 avril 2018 (enrôlé sous le numéro 2018/000139) ;
Vu les conclusions déposées le 10 juillet 2018 par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de la société de droit français dénommée G ;
Vu les conclusions déposées le 23 octobre 2018 par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de Madame p. R.;
À l'audience du 8 janvier 2019, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par Madame p. R. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 29 mars 2018.
Considérant les faits suivants :
Madame p. R. a souffert à compter du 23 mars 2012 d'une maladie professionnelle relevant de la classification 57C des deux poignets (tendinopathie chronique), alors qu'elle était employée au service de la SAM H, dont l'assureur-loi est la SA G (la société R, régulièrement prise en charge et ayant entraîné une IPP de 15 % (consolidation au 24 août 2014), les parties s'étant conciliées aux termes d'ordonnances rendues par le juge chargé des accidents du travail les 12 septembre 2014 et 21 octobre 2015.
Suivant courrier en date du 21 avril 2016, l'assureur-loi a refusé de prendre en charge la rechute de la maladie professionnelle déclarée le 5 novembre 2015, sur la base des conclusions de son médecin-conseil, le docteur GI..
Le Juge chargé des accidents du travail a, aux termes d'une ordonnance du 10 mai 2016, désigné en qualité d'expert le Docteur DE PE. lequel a conclu dans son rapport du 3 juin 2016, que :
« La victime se présente avec une douleur des deux poignets, avec mobilité conservée. Un très léger œdème du poignet gauche non mesurable et une légère rougeur de la main gauche.
Aucun élément ne nous permet de dire qu'il s'agit d'une conséquence de sa maladie professionnelle et, nous pensons qu'il s'agit d'une maladie générale de type inflammatoire qui peut très bien être en rapport avec une manifestation articulaire de son syndrome auto-immun.
Les troubles constatés par le médecin traitant, selon certificat médical du 5 novembre 2015, ne sont pas une rechute de l'accident du travail du 23 mars 2012 et ne doivent pas être pris en charge par l'assureur-loi. Cette patiente a besoin d'un bilan général, d'une prise en charge rhumatologique et tous ces éléments doivent être pris en charge par le régime général.
En fait, la patiente était en arrêt de travail à plein temps du 5 novembre 2015 au 29 novembre 2015 et à mi-temps du 30 novembre 2015 au 30 janvier 2016.
La patiente a eu aussi une prolongation d'arrêt de travail à mi-temps du 1er février 2016 au 1er mai 2016.
Ces éléments ne sont pas dus à une maladie professionnelle.
Il n'y a pas à envisager de date de consolidation puisque je pense que la patiente ne présente pas une rechute de sa maladie professionnelle ».
La victime ayant contesté les conclusions de cet expert, le juge chargé des accidents du travail rendait une ordonnance de non-conciliation le 9 août 2016, renvoyant l'affaire devant le Tribunal de première instance.
Selon exploit en date du 28 juillet 2017, p. R. a fait assigner devant le Tribunal de première instance l'assureur-loi, la SA G, à l'effet de solliciter la désignation d'un collège d'experts composé d'un gastro-entérologue ou un médecin spécialisé dans les maladies digestives, ainsi qu'un médecin spécialisé en rhumatologie, avec la même mission que celle confiée au Docteur DE PE. et y ajoutant celle de déterminer si la maladie de Crohn est à l'origine de sa tendinopathie.
Par jugement en date du 29 mars 2018, le Tribunal de première instance a :
homologué, avec toutes conséquences de droit, le rapport de l'expert DE PE. en date du 3 juin 2016,
dit que l'épisode du 5 novembre 2015 ne constitue pas une rechute de la maladie professionnelle du 23 mars 2012,
condamné p. R. aux dépens.
Les premiers juges ont en substance retenu que l'expert judiciaire n'apparaissait pas avoir commis d'erreur, ni de lacunes justifiant l'instauration d'une nouvelle expertise, la présomption d'imputabilité n'ayant pas lieu de jouer à l'égard de l'épisode litigieux invoqué, à défaut de continuité avérée des soins ou symptômes et à défaut pour Madame R. de démontrer toute relation de causalité entre la maladie de Crohn et la maladie professionnelle.
Suivant exploit en date du 26 avril 2018, Madame p. R. a relevé appel du jugement susvisé à l'effet de voir la Cour le réformer en toutes ses dispositions et statuant à nouveau dire et juger n'y avoir lieu à homologation du rapport d'expertise du Docteur DE PE. en date du 3 juin 2016 et désigner tel nouvel expert qu'il appartiendra avec mission de décrire les lésions imputables à l'accident du travail du 5 novembre 2015.
L'appelante expose pour l'essentiel aux termes de l'ensemble de ses écritures judiciaires que :
- le 5 novembre 2015 alors qu'elle était en train de travailler elle a poussé de façon assez forte l'auto laveuse qu'elle manipulait et a immédiatement ressenti une forte douleur au niveau du poignet gauche,
- l'expert judiciaire ne pouvait donc valablement estimer que les lésions constatées après cet événement résultaient d'une maladie inflammatoire relevant du régime général,
- dans l'hypothèse où la maladie de Crohn devait être prise en considération à titre d'état antérieur, une telle pathologie ne pouvait selon elle avoir pour effet de minimiser ses droits conformément aux dispositions légales applicables aucune réduction de sa capacité de travail n'en résultant,
- cette maladie de Crohn n'a jamais induit la prescription d'un quelconque arrêt de travail pendant ses 25 ans d'activité et l'expert aurait dû s'interroger sur la nature des faits survenus le 5 novembre 2015 pour déterminer s'il s'agissait d'une rechute ou d'un nouvel épisode accidentel,
- il existe en réalité une cause extérieure exclusive de la notion de rechute à la douleur qu'elle a subie au poignet gauche,
- le travail a donc joué un rôle déterminant dans la survenance des troubles le 5 novembre 2015 et le juge en charge des accidents du travail a commis une confusion en évoquant la rechute de la maladie professionnelle alors même que le certificat médical du 5 novembre 2015 faisait état d'un accident du travail,
- le tribunal a enfin écarté à tort la présomption d'imputabilité pour exiger de sa part la preuve d'un lien direct et certain existant entre le nouveau trouble et la maladie professionnelle initiale.
La SA G, assureur-loi, intimée, entend quant à elle voir confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré en ce qu'il a homologué avec toutes conséquences de droit le rapport de l'expert DE PE. en date du 3 juin 2016 et voir débouter Madame R. de toutes ses demandes, fins et conclusions et la condamner aux entiers dépens.
Aux termes de l'ensemble de ses conclusions, la SA G fait valoir en réponse que :
- Madame R. a elle-même indiqué à l'expert judiciaire qu'elle était atteinte d'une maladie de Crohn, pathologie inflammatoire du tube digestif avec des retentissements généraux, laquelle avait été diagnostiquée 25 ans auparavant,
- l'I. R. M. du poignet gauche réalisée le 8 janvier 2016 a par ailleurs mis en évidence une légère arthrose au niveau de l'articulation radio carpienne outre une arthrose de la base du pouce gauche,
- les conclusions de l'expert DE PE. se sont avérées conformes à celles du médecin-conseil de l'assureur-loi en ce que la pathologie présentée par la victime en novembre 2015 n'a plus de lien de rattachement avec celle de ténosynovite relevant du tableau numéro 57 C des maladies professionnelles et correspond à une maladie générale de type inflammatoire pouvant être en rapport avec une manifestation articulaire d'un syndrome auto-immune relevant du régime général d'indemnisation,
- l'inflammation du poignet gauche apparaît donc être en relation avec une manifestation articulaire ce que confirme l'I. R. M. pratiquée le 8 janvier 2016 mettant en évidence une légère arthrose tant à la base du pouce gauche que de l'articulation radio carpienne.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que l'appel a été interjeté dans le respect des règles de forme et de délai édictées par le Code de procédure civile et doit être déclaré recevable ;
Attendu que l'état de rechute se caractérise par la survenance de tout type de conséquences de la blessure initiale qui, après consolidation ou guérison apparente, oblige la victime à interrompre de nouveau son travail ou à subir des soins ;
Qu'une rechute peut donc résulter soit d'une récidive ou d'une aggravation spontanée des lésions initiales de la victime, indépendante de toute cause extérieure, voire même d'une dégradation de son état général en lien avec l'évolution physique imputable à la maladie professionnelle, à l'origine de nouveaux soins et traitements médicaux ;
Attendu que si les nouveaux troubles ne surviennent pas dans un temps voisin de l'accident ou de la maladie initiale, la présomption d'imputabilité édictée par l'article 2 de la loi n° 636 ne peut jouer et il incombe alors à la victime de rapporter la preuve de la modification de son état de santé et de la relation directe de causalité entre cet état et l'affection initiale ;
Attendu qu'est en l'espèce établie l'absence de continuité des symptômes ou des soins depuis la déclaration initiale de la maladie professionnelle jusqu'aux nouveaux troubles invoqués, étant observé que la consolidation a été acquise le 29 août 2014, sans poursuite d'aucun traitement ;
Que l'expert DE PE. relève que les manifestations cliniques de Madame R. ne caractérisent pas des effets secondaires d'une maladie professionnelle mais procèdent d'un état pathologique inflammatoire pouvant être en rapport avec les manifestations rhumatismales de la maladie de Crohn ou d'une autre pathologie auto-immune ;
Qu'une telle analyse apparaît au demeurant conforme à celle réalisée le 5 février 2016 par le médecin-conseil de l'assureur-loi indiquant que l'I. R. M. du poignet gauche réalisée le 8 janvier 2016 révèle une arthropathie dégénérative radio carpienne avec une gêne douloureuse des 2 poignets et mains et surtout du côté gauche, sans lien symptomatologique avec les tendinites relevant initialement du tableau numéro 57 C en maladie professionnelle ;
Mais attendu qu'il est reproché à l'expert judiciaire par l'appelante de ne pas avoir tenu compte d'une part de l'effort initial de poussée sur l'auto laveuse évoquant un événement accidentel d'une part, ni d'avoir déterminé d'autre part la réalité du rôle causal de la maladie de Crohn diagnostiquée 25 ans auparavant ;
Que force est à cet égard de constater au vu des termes de l'ordonnance de non-conciliation établie le 10 mai 2016, que suivant courrier du 21 avril 2016 l'assureur-loi a bien contesté devoir prendre en charge, non les suites d'un accident du travail, mais les conséquences d'une rechute de la maladie professionnelle contractée le 23 mars 2012 ayant entraîné un taux d'IPP médical de 15 % ;
Qu'au demeurant, le moyen tiré de l'existence d'un épisode accidentel n'a jamais été soumis au juge des accidents du travail lors de l'instruction du dossier, ni même au Tribunal de première instance et Madame R. en établit d'autant moins le bien-fondé en cause d'appel qu'aux termes de l'ordonnance de conciliation du 21 octobre 2015 les parties s'étaient alors accordées sur la qualification de maladie professionnelle donnée à l'épisode du 23 mars 2012 ;
Attendu en outre que déterminer l'incidence d'un éventuel état pathologique préexistant, tel que pourrait l'être la maladie de Crohn, n'a d'intérêt, à l'effet de proscrire toute réduction de l'indemnisation due à la victime, que s'il est établi que les troubles constatés sont en rapport certain et direct avec la maladie professionnelle initiale, ce qui n'est indubitablement pas le cas en l'espèce ;
Qu'en effet, aucun élément critique d'ordre clinique ou médical ne permet de remettre en cause les résultats de l'I. R. M. susvisée et de démontrer que les nouveaux troubles d'ordre inflammatoire présenteraient un lien certain et direct de cause à effet avec les ténosynovites constitutives de la maladie professionnelle initialement prise en charge par l'assureur-loi ;
Que si les éléments médicaux communiqués par l'appelante, apparaissent exclure le rôle causal de la maladie de Crohn pour les « tendinites » ou la « tendinopathie » ils ne permettent pas d'établir la relation directe et certaine entre la maladie professionnelle et les symptômes présentés par la victime, en sorte qu'il ne saurait en être déduit une critique opérante des conclusions de l'expert judiciaire à cet égard ;
Attendu qu'il apparaît en définitive que le rapport du Docteur DE PE. procède d'un travail sérieux et complet, la preuve d'aucune erreur ou lacune n'apparaissant présentement rapportée de nature à justifier l'instauration d'une nouvelle mesure d'expertise ;
Attendu que le jugement rendu le 29 mars 2018 par le Tribunal de première instance sera dès lors confirmé en toutes ses dispositions et p. R. déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Attendu que l'appelante qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare l'appel recevable,
Au fond déboute Madame p. R. de l'ensemble de ses demandes et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 mars 2018 par le Tribunal de première instance,
Condamne Madame p. R. aux dépens d'appel et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat- défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Claire GHERA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 12 FEVRIER 2019, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général Adjoint.