Cour d'appel, 29 janvier 2019, La SAM B c/ Madame AAA

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Abstract🔗

Contrats et obligations - Contrat de gestion de portefeuille - Responsabilité du mandataire (oui) - Manquement à l'obligation précontractuelle d'information

Résumé🔗

La société mandatée pour la gestion de portefeuilles a manqué à son obligation précontractuelle d'information, puisqu'elle n'a pas vérifié l'expérience de la mandante en matière d'investissements. En l'absence de preuve d'autres fautes, le préjudice subi par la mandante est la perte de chance de ne pas contracter avec la société, préjudice évalué à 20 000 euros.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 29 JANVIER 2019

En la cause de :

  • - La SAM B - (B), Société Anonyme Monégasque dont le siège social est X1 à Monaco, prise en la personne de son Administrateur délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - Madame AAA, née le 2 octobre 1934 à Charleroi (Belgique), de nationalité belge, demeurant X1à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 6 octobre 2016 (R. 95) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 18 novembre 2016 (enrôlé sous le numéro 2017/000057) ;

Vu les conclusions déposées les 14 mars 2017, 7 novembre 2017 et 6 mars 2018 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de Madame AAA;

Vu les conclusions déposées les 20 juin 2017 et 23 janvier 2018 par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SAM B - (B) ;

À l'audience du 13 novembre 2018, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la SAM B - (B) à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 6 octobre 2016.

Considérant les faits suivants :

En 1998, Monsieur et Madame AAA ont confié la gestion de leur portefeuille à la banque de gestion G située en Principauté (G), où leurs avoirs étaient déposés.

BBB salarié de la banque Rothschild, était le gestionnaire de leurs comptes.

Le baron AAA est décédé le 30 mai 2005.

Le 17 mai 2006, AAA a signé trois mandats de gestion discrétionnaire avec la SAM B, autrement dénommée B, société créée et dirigée par BBB:

  • - un mandat rattaché au compte « F » n° X1, ouvert dans les livres de la G à Monaco,

  • - un mandat rattaché au compte « B » n° X2 ouvert dans les livres de la G à Monaco,

  • - un mandat rattaché au compte « C » n° X3 ouvert dans les livres de la G à Monaco.

Ces trois mandats ont fait l'objet d'avenants les 17 mai 2007, 15 septembre 2008 et 1er avril 2009.

Par lettre recommandée en date du 5 novembre 2009, AAA a mis fin aux mandats de gestion.

Par acte d'huissier du 28 mai 2015, elle a fait assigner la SAM B devant le Tribunal de première instance de Monaco, à l'effet d'obtenir, sur le fondement de la loi n° 1.194 du 19 juillet 1997 et de l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997, la réparation du préjudice résultant des fautes de l'intéressée (manquements à ses obligations de renseignement, d'information, de conseil, et non-respect du mandat), et sa condamnation au paiement des sommes de :

  • 812.832 euros au titre de son préjudice financier, outre intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 3 novembre 2014, et jusqu'à parfait paiement,

  • 50.000 euros au titre de son préjudice moral.

Par jugement contradictoire en date du 6 octobre 2016, le Tribunal de première instance a statué ainsi qu'il suit :

« - déclare la SAM B responsable de l'entier préjudice subi par AAA et ce, consécutivement au non-respect par cet établissement de gestion de ses obligations contractuelles,

- condamne la SAM B à payer à AAA la somme de 812.832 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2014, avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1009 du Code civil, ce au terme d'une année entière à compter de cette dernière date,

- déboute AAA de sa demande de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral,

- déboute la SAM B de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

- la condamne aux entiers dépens du présent jugement, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit,

- ordonne que lesdits dépens soient provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable . »

Pour statuer ainsi, le Tribunal a considéré que la société B n'avait pas rempli son obligation précontractuelle d'information, ni son obligation de conseil, qu'elle avait outrepassé son mandat en recourant à des produits dérivés et à effet de levier et que, dès lors, le préjudice de x AAA en lien direct avec le manquement de la société à son obligation d'information, pouvait être chiffré à la somme de 937.750 euros, montant reconnu expressément par la société de gestion comme constituant le préjudice de la demanderesse, dont il convenait de déduire des remboursements de parts de fonds déjà opérés.

Par exploit d'appel et assignation délivré le 18 novembre 2016, la société B MONACO a relevé appel de cette décision.

Aux termes de cet exploit et des conclusions qu'elle a déposées les 20 juin 2017 et 23 janvier 2018, la société appelante demande à la Cour, sur le fondement des articles 1002, 1011, 1016 et 1830 du Code civil monégasque, de :

- « réformer purement et simplement le jugement rendu par le Tribunal de première instance en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

- débouter Madame AAA de toutes ses demandes, fins et prétentions avec toutes conséquences de droit,

- reconventionnellement et en tout état de cause, vu l'article 382 du Code de procédure civile,

- condamner la demanderesse au principal au paiement d'une somme de 100.000 euros à titre de légitimes dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire et en réparation de tous les préjudices qu'elle lui a causés,

- à titre infiniment subsidiaire,

- ordonner une expertise judiciaire confiée à tel expert-comptable ou financier avec mission habituelle en cette matière, en particulier celle de déterminer si les allégations de Madame AAA sont fondées, les préjudices avérés, et en tant que de besoin le qualifier,

- en ce cas, donner acte à la SAM B de ce qu'elle se réserve le droit de conclure plus avant ensuite des conclusions dudit expert,

- condamner x AAA aux entiers dépens de l'instance lesquels comprendront tous frais et accessoires, frais d'huissier, d'expertises, et traductions éventuelles, dont distraction au profit de Monsieur le Bâtonnier Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

Au soutien de son appel, la SAM B fait valoir que :

  • - elle était tenue d'une obligation de moyens et non d'une obligation de résultat envers x AAA en sorte que, de ce seul chef, le jugement entrepris, qui a raisonné sur l'obligation de résultat en la contraignant à garantir intégralement le capital investi par la cliente, encourt la réformation,

  • - ce jugement encourt également la réformation en ce qu'il a retenu qu'elle aurait failli à son obligation d'information envers x AAA sur le fondement de l'article 5 de la loi n° 1.194 du 19 juillet 1997 et de l'article 5 de l'Ordonnance Souveraine n° 13.184 du 16 septembre 1997, faute d'avoir établi un profil de risque pour la cliente, alors que ces textes ont été abrogés en 2007 et n'étaient plus en vigueur au moment de la rupture contractuelle, en sorte que seules la loi du 7 septembre 2007 sur les activités financières et l'Ordonnance Souveraine du 17 septembre 2007, d'application immédiate aux contrats en cours, étaient applicables aux avenants signés le 1er avril 2009,

  • - en tout état de cause, les mandats successifs soumis à la signature de x AAA et régularisés par elle à plusieurs reprises, après 28 rendez-vous qui ont eu lieu entre le 16 mai 2006 et le 10 octobre 2009, répondent suffisamment aux prescriptions légales et réglementaires,

  • - elle estime avoir respecté l'obligation d'information mise à sa charge, dès lors qu'une fiche profil de la cliente a été établie dès l'entrée en relation le 17 mai 2006,

  • - la loi ne prévoit aucune sanction spécifique au non-respect de l'obligation d'information et, en l'absence de documents écrits, il appartient au juge de rechercher si, dans la réalité de la situation examinée, le prestataire de service a satisfait à son obligation d'information et s'il a pu apprécier le degré de compétence de son client,

  • - s'il est constant que la société de gestion qui propose des activités de gestion de portefeuille doit respecter ses obligations précontractuelles d'information en vérifiant si le client peut être considéré comme averti ou non, il est tout aussi constant que l'investisseur a le devoir de s'informer directement au cas où les éléments apportés ne lui paraîtraient pas suffisants à l'éclairer,

  • - le professeur de droit, Jean-Pierre GASTAUD, a rédigé une consultation le 12 juin 2017 aux termes de laquelle il indique que la société de gestion ne saurait être recherchée pour avoir manqué à son obligation d'information précontractuelle, x AAA étant plus avisée que le Tribunal ne l'a laissé entendre,

  • - les investissements engagés l'ont été sur trois comptes distincts, chacun obéissant à une logique de gestion propre, une telle répartition établissant d'ores et déjà une connaissance, par la cliente, des risques spéculatifs attachés à chacun des instruments financiers,

  • - chaque compte enregistrait des investissements sur des instruments financiers de nature différente, dont des fonds alternatifs et des produits structurés,

  • - la répartition en trois comptes et la distribution sont anciennes et participent d'un choix éclairé et réfléchi,

  • - enfin, la cliente investissait depuis 1998 par le biais de la gestion que procurait la banque Rothschild,

  • - s'il n'est pas contestable que le gestionnaire de portefeuille est tenu d'une obligation de conseil non seulement à la formation du mandat, mais aussi en tout au long de son exécution, il ne s'agit que d'une obligation de moyens,

  • - au cas particulier, on ne peut pas affirmer que x AAA ne mesurait pas les risques des prétendus Hedge Funds, car tous les documents qu'elle a signés, dès le profil de risque du 17 mai 2006, visaient expressément des placements en fonds alternatifs, conformément à la composition de son portefeuille F précédemment à son entrée en relation avec la société appelante, ce dont il faut déduire que l'intimée connaissait parfaitement l'existence de ces placements, qu'elle les maîtrisait pour y avoir eu recours de longue date et qu'elle souhaitait continuer à investir de la même manière,

  • - les avenants stipulaient expressément : « l'allocation des types d'actifs et instruments financiers... et leurs pourcentages sont définis par le client et la société de gestion ... »,

  • - tous les échanges de comptes rendus de visite versés aux débats confirment que les obligations d'information et de conseils ont amplement été respectées par la société appelante et que la cliente était en mesure de décider de ces placements, de leur devenir et de la stratégie financière à suivre,

  • - le Tribunal a donné à la lettre adressée le 13 novembre 2009 un objet qui n'est pas le sien, car il résulte de ce courrier que les placements critiqués n'ont pas été investis dans des Hedge Funds « single managers » mais dans des fonds de fonds alternatifs, ou fonds de Hedge Funds, avec un profil de risque très peu volatile, proche de celui d'un fonds obligataire,

  • - les fonds investis pour le compte de x AAA sont bien des fonds de fonds alternatifs, « multi-managers », multi-stratégies, et en aucun cas des produits toxiques ou hautement risqués,

  • - la société a respecté ses obligations contractuelles et a préservé les intérêts de sa cliente au regard des trois mandats initiaux du 17 mai 2006 qui sont des mandats discrétionnaires offrant la plus grande latitude au gestionnaire, au regard des avenants signés par la cliente en mai 2007, septembre 2008 et avril 2009, tous ces avenants ayant été arrêtés à son contradictoire, au regard encore des vingt-huit rendez-vous que cette dernière a eus avec la société, au regard du contexte économique dû à la crise financière de 2008 et des performances relatives par rapport à la chute des indices boursiers, au regard du fait que les placements n'ont pas été investis dans des fonds alternatifs mais dans des fonds de fonds alternatifs, nécessairement moins risqués,

  • - le jugement entrepris repose sur une confusion portant sur la nature des produits financiers évoqués et leurs spécificités. Les investissements en fonds de fonds alternatifs sont, en effet, des produits liquides, sans effet de levier, conformes aux mandats confiés à la société,

  • - en premier lieu, le fait que x AAA se soit opposée à une politique d'investissement dans des produits dits dérivés et à effet de levier révèle déjà une approche maîtrisée des instruments de marchés financiers, ce qui prouve qu'elle sait nécessairement distinguer les Hedge Funds (ou fonds alternatifs) des fonds de Hedge Funds (ou fonds de fonds alternatifs),

  • - le rapport d'audit des comptes de x AAA établi par le cabinet PWC le 23 mai 2017, confirme que la stratégie de la société B était conforme aux intérêts de la cliente, et était même la meilleure au cours de la période de crise,

  • - ce rapport confirme également que les investissements réalisés n'étaient ni interdits par les documents contractuels signés par la cliente, ni toxiques, mais étaient, au contraire, les plus stables au cours de cette période de crise,

  • - la société a étudié les positions de ses clients ayant opté pour une stratégie comparable à celle de x AAA entre 2009/2013 et ce jour, et cette étude démontre que les investissements devaient être conservés car ils ont tous repris leur valeur puis ont performé,

  • - les produits dérivés n'ont rien à voir avec les fonds de fonds alternatifs auxquels la société appelante avait recours, contrairement à ce que tente de faire croire x AAA

  • - cette dernière a été destinataire pendant plus de deux ans de relevés de compte qu'elle n'a jamais contestés, elle a été reçue en rendez-vous de nombreuses fois et son portefeuille, avant d'être transféré à la SAM B, présentait déjà des investissements substantiels dans des fonds alternatifs, et ne peut plus contester la gestion,

  • - aucune faute ne peut être reprochée à la société appelante au titre d'un prétendu non-respect des mandats discrétionnaires que lui avait confiés la cliente,

  • - en effet, les fonds de Hedge Funds litigieux sont toujours restés des investissements liquides, ce que confirme le rapport d'audit du 23 mai 2017,

  • - il n'est pas établi que la société B aurait outrepassé son mandat car elle n'a jamais eu recours à des produits dérivés ou à effet de levier, pas plus qu'elle n'a réalisé au-delà des seuils contractuels définis de placement dans des Hedge Funds,

  • - lorsqu'elle a pris en charge la gestion des portefeuilles de x AAA jusqu'alors confiée à la banque Edmond de Rothschild, ce portefeuille très risqué comportait, notamment, un panachage d'obligations de très mauvaise qualité, des produits structurés ainsi que des Hedge Funds,

  • - x AAA était, non seulement informée de la composition de ces placements, mais elle était aussi directement impliquée dans la gestion de ses actifs diversifiés, influençant même la stratégie menée par la société sur ces divers comptes et son compte,

  • - en effet, en premier lieu, les investissements en fonds alternatifs étaient autorisés par les mandats régularisés pour les comptes FELICIE, BARONNE AAA et BRUXELLES,

  • - en second lieu, x AAA a signé des profils de risque des mandats de gestion successifs et réitérés auprès de la société de 2006 à 2009, ce qui laisse présumer d'une part, qu'elle a reçu une information suffisante, d'autre part, que pendant toute cette période, elle n'a pas eu le moindre doute sur la consistance de ses investissements et en avait toute satisfaction,

  • - x AAA n'était pas novice en matière de placements financiers puisque depuis 1998 au moins, elle était titulaire au sein de la banque Rothschild, de portefeuilles contenant une grande variété de produits financiers,

  • - les rapports de visites ou d'entretiens téléphoniques démontrent que l'intimée était informée de la nature de ses investissements, en particulier ceux réalisés en fonds de fonds dont elle décidait de la proportion dans un portefeuille global, et qu'elle ne pouvait ignorer les risques inhérents à ces produits, qui ont été exposés lors des entretiens,

  • - la lettre qui lui a été écrite le 13 novembre 2009 n'est pas une reconnaissance de responsabilité mais une proposition commerciale,

  • - x AAA est souvent intervenue dans la gestion de ses investissements et a même généré des moins-values,

  • - si un préjudice devait lui être reconnu, ce ne pourrait être qu'une perte de chance.

Par conclusions déposées les 14 mars 2017, 7 novembre 2017 et 6 mars 2018, x AAA demande à la Cour de :

« - confirmer le jugement de première instance en date du 6 octobre 2016 en toutes ses dispositions,

- débouter la SAM B de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamne la SAM B aux entiers dépens distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

x AAA fait valoir, en substance, que :

  • - la loi du 19 juillet 1997 et son Ordonnance souveraine d'application du 16 septembre 1997, sont applicables aux mandats de gestion du 17 mai 2006, précisant toutefois que les dispositions de l'article 5 alinéa 2 de cette loi sont reprises à l'article 17 de l'Ordonnance Souveraine de 2007,

  • - la société de gestion n'a pas exécuté son obligation de se renseigner sur l'expérience et leur situation financière de sa cliente, le profil de risque du 17 mai 2006, désormais produit, n'établissant nullement la recherche qui aurait dû être menée par cette société pour établir l'expérience de sa cliente ni le degré de connaissance de celle-ci en matière d'investissement,

  • - la société ne saurait exciper de la présence de fonds alternatifs dans un ancien portefeuille de la cliente ni du fait qu'elle ait déjà confié un mandat de gestion de portefeuille à un établissement financier pour en déduire que celle-ci disposait de l'expérience et de la connaissance de ce type de produit,

  • - l'obligation d'information ne se limite pas à l'ouverture du compte mais perdure durant toute la relation, son étendue ne se trouvant réduite que lorsque le client est averti, la preuve de cette qualité n'étant pas rapportée au cas d'espèce,

  • - la documentation contractuelle de la SAM B ne comporte aucune information sur les risques des produits,

  • - la société insiste sur le fait qu'elle a accordé 28 rendez-vous à sa cliente, sans pour autant en rapporter la preuve,

  • - la société est également soumise à une obligation de conseil sur la gestion retenue par sa cliente, à laquelle elle a contrevenu en investissant des sommes considérables dans les fonds alternatifs, ce qui est démontré par l'augmentation progressive de la part des fonds alternatifs dans les portefeuilles de x AAA ainsi que par l'examen de la documentation contractuelle et des relevés de portefeuille qui révèle des carences, ainsi que des informations contradictoires et mensongères, notamment quant à la garantie des produits,

  • - la société a reconnu l'inadéquation de sa gestion et sa responsabilité, notamment à l'occasion de l'avenant du 9 avril 2009 et de la lettre qu'elle a écrite le 13 novembre 2009 à sa cliente,

  • - le Tribunal a reconnu, à juste titre, que la société appelante avait commis une faute lourde en faisant croire à x AAA que les fonds étaient garantis,

  • - le délai de 30 jours fixé contractuellement pour ratifier les relevés de portefeuille n'instaure qu'une présomption,

  • - la société de gestion a violé l'interdiction d'investir sur les produits à effet de levier,

  • - le moyen soulevé en défense par la société de gestion selon lequel ces produits seraient des fonds alternatifs ne faisant pas appel à l'effet de levier, ou des fonds de fonds alternatifs, n'est pas opérant et est sans incidence sur le fait que x AAA n'a pas été alertée sur les produits dans lesquels ces fonds ont été investis, et n'a pas été convenablement informée et conseillée,

  • - sur le préjudice, la somme de 937.570,59 euros a été investie sur des fonds alternatifs, dont certains titres, devenus désormais illiquides, ne peuvent plus faire l'objet de la moindre transaction,

  • - par le courrier qu'elle a adressé le 13 novembre 2009 à x AAA la société B a reconnu sa responsabilité et a proposé un remboursement des sommes,

  • - le total du préjudice se monte à la somme de 812.832 euros, car de la somme initiale s'élevant à 937.570,59 euros, a été déduit le remboursement provenant de la liquidation des parts du fonds TURQUOISE et du fonds ARIS MULTI STRATEGY OFFSHORE,

  • - le préjudice subi ne peut s'analyser en une perte de chance dès lors que par plusieurs mentions manuscrites, la banque a indiqué que le capital investi dans ces fonds alternatifs serait garanti à 100 %.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions ci-dessus évoquées, auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

  • 1-Attendu que l'appel, relevé dans les formes et délais prescrits par le Code de procédure civile, est régulier et recevable ;

  • 2- Sur l'obligation précontractuelle de renseignement :

Attendu que l'article 5 alinéa 2 de la loi n° 1.194 du 19 juillet 1997 énonce que les sociétés agréées doivent s'enquérir de la situation financière de leurs clients, de leur expérience en matière d'investissement et de leurs attentes en matière de services, et communiquer de manière appropriée les informations utiles dans le cadre des négociations avec leurs clients ;

Que l'article 5 de l'Ordonnance Souveraine n° 13. 184 du 16 septembre 1997 dispose que préalablement à la signature de la gestion, la société doit s'enquérir des objectifs, de l'expérience en matière d'investissement et de la situation financière du mandant. Les prestations proposées doivent être adaptées à la situation financière de ce dernier ;

Qu'enfin, l'article 6 de cette ordonnance énonce que le mandat de gestion doit porter au minimum les mentions suivantes : les objectifs de la gestion des catégories d'instruments financiers que peut comporter le portefeuille ;

Qu'il incombe à la société de gestion de portefeuille, débitrice de l'obligation d'information, de rapporter la preuve qu'elle l'a remplie ;

Attendu qu'au cas d'espèce, il n'est pas contesté que le 17 mai 2006, x AAA a signé avec la SAM B trois mandats de gestion discrétionnaires :

  • - un mandat de gestion rattaché au compte F. n° X1, ouvert dans les livres de la G à Monaco,

  • - un mandat de gestion rattaché au compte B. n° X2, ouvert dans les livres de la G à Monaco,

  • - un mandat de gestion rattaché au compte C n° X3, également ouvert dans les livres de la G à Monaco ;

Qu'au regard de la date de leur souscription, ces trois mandats sont soumis à la loi précitée du 19 juillet 1997, relative à la gestion de portefeuilles et aux activités boursières assimilées, ainsi que l'Ordonnance Souveraine du 16 septembre 1997, de même que les avenants signés les 17 mai 2006 et 17 mai 2007, le fait que ces dispositions aient été ultérieurement abrogées est sans incidence sur leur application aux contrats souscrits lorsqu'elles étaient en vigueur ;

Qu'en effet, d'une part, les effets d'un contrat sont régis, sauf exception, par la loi en vigueur à l'époque où il a été passé ;

Que d'autre part, la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007 sur les activités financières ne précise ni qu'elle est d'application immédiate aux contrats en cours, ni que ses dispositions relèveraient d'un ordre public impérieux ;

Qu'enfin, la société appelante ne caractérise pas les raisons d'une application immédiate de la loi du 7 septembre 2007, que la seule nature d'ordre public alléguée, ne peut justifier ;

Que dès lors, en l'absence de dispositions expresses de la loi prévoyant son application immédiate et à défaut de considérations d'ordre public particulièrement impératives, les contrats conclus le 17 mai 2006 restent soumis à la loi du 19 juillet 1997 ;

Attendu que, sur l'obligation précontractuelle de renseignements, la société appelante produit pour la première fois en cause d'appel, un profil client établi avant la signature des mandats, le 17 mai 2006, comportant les énonciations suivantes :

  • - la structure patrimoniale de la cliente, évaluée au cas d'espèce entre 2 et 5 millions d'euros,

  • - la composition actuelle de cette structure, au cas d'espèce : actions, fonds d'actions, obligations, fonds d'obligations, dépôts à terme, liquidités, fonds monétaires, fonds alternatifs/Hedge Funds et « commodities »,

  • - l'expérience en matière de gestion, au cas d'espèce est précisée le type de gestion pratiquée dans le passé, soit une gestion discrétionnaire,

  • - la définition de la gestion future du portefeuille, au cas d'espèce sont précisés la durée du placement envisagé, de 3 à 5 ans, et l'impératif de liquidités du portefeuille à hauteur de 150.000 euros par an,

  • - l'objectif retenu par le client pour la gestion de ses avoirs, au cas d'espèce : « Générer un revenu provenant d'un investissement d'au minimum 50 % en obligations, dépôts à terme et liquidités. Ce revenu pourra faire l'objet de variations à la hausse comme à la baisse en fonction de l'évolution d'actifs caractérisés par une distribution variable de leurs revenus. Ces actifs présentent en effet la caractéristique d'une plus grande volatilité et par conséquent un risque plus important de plus ou moins-value »,

  • - le type de gestion souhaitée, au cas d'espèce une gestion discrétionnaire,

  • - la répartition moyenne du portefeuille entre les différentes classes d'actifs retenus pour la gestion du présent portefeuille, conformément à l'avenant au mandat de gestion, au cas d'espèce : actions, fonds d'actions, obligations, fonds d'obligations, dépôts à terme, liquidité, fonds monétaires, fonds alternatifs/Hedge Funds, Fond Private Equity, commodities, métaux précieux,

  • - la qualité des instruments utilisés, au cas d'espèce, des actions de grande capitalisation, moyenne capitalisation, et petite capitalisation ainsi que des obligations Single A ou plus, de Single A à Single B et moins de Single B (par exemple CCC ou moins),

  • - la zone géographique des investissements, au cas d'espèce : l'Europe, y compris le Royaume-Uni, la Suisse, les pays de l'Europe de l'Est, y compris la Russie, les États-Unis, les pays d'Amérique latine, le Japon, les pays d'Asie, y compris la Chine, l'Inde et le Pakistan,

  • - les types de marchés financiers couverts, au cas d'espèce : indices globaux, indices locaux (CAC 40, DAX, DOW JONES), indices sectoriels (DJ STOXX Telecoms, etc...) et indices spécifiques (Nasdaq...),

  • - la politique en matière de produits dérivés et à effet de levier : au cas d'espèce, le client n'autorise en aucun cas le recours à ces produits ;

Qu'il apparaît que les énonciations de ce profil, établi au moment de la souscription des trois contrats initiaux, relatives à la recherche par la société B des objectifs poursuivis par la cliente dans la gestion de ses avoirs, et à la détermination de la situation patrimoniale de celle-ci, remplissent les exigences légales ;

Qu'en revanche, ce profil de risque ne suffit pas à établir quelle était l'expérience de x AAA en matière d'investissement ;

Qu'en effet, la seule indication y figurant, relative à l'expérience de la cliente, est la référence au type de gestion pratiquée dans le passé, à savoir une gestion discrétionnaire, dont il ne peut être tiré la conséquence que x AAA aurait une connaissance avisée et approfondie des instruments financiers ainsi qu'une expérience affirmée en matière de gestion ;

Que d'ailleurs, dans la consultation qu'il a établie aux intérêts de la société appelante, le professeur GASTAUD n'a pas manqué de relever le caractère incomplet du profil de risque établi le 17 mai 2006 (page 10 § 2 de sa note) ;

Que si l'établissement d'un profil de risque incomplet peut ne pas suffire à caractériser un manquement à l'obligation d'information précontractuelle, en l'espèce, l'examen de la relation entre la cliente et la société de gestion ne permet pas davantage de démontrer que cette obligation a été correctement remplie ;

Mais attendu que l'ensemble des pièces produites par la société appelante n'établit pas qu'elle a respecté les prescriptions des textes susvisés ;

Qu'en effet, la société B ne saurait se satisfaire d'un profil antérieurement établi par un tiers, la banque Rothschild, pour en tirer des conclusions sur l'expérience de sa cliente, et se dispenser de remplir sa propre obligation de ce chef, peu important, à cet égard que BBB ait été le conseiller financier de l'intimée au sein de cette entité distincte, puis au sein de la société B ;

Qu'elle ne saurait davantage tirer de la présence de fonds alternatifs dans un ancien portefeuille de x AAA géré par une entité distincte, la conséquence que celle-ci avait une connaissance suffisante de ces produits ;

Qu'en outre, l'insertion, dans les contrats de mandat, d'une clause-type selon laquelle « Le client reconnaît avoir expliqué à la société de gestion sa situation patrimoniale, l'état de ses connaissances des marchés et instruments financiers ainsi que l'objectif poursuivi et reconnaît par ailleurs avoir reçu toute l'information nécessaire à la bonne compréhension de l'objet du présent mandat », ne suffit pas à rapporter la preuve que la société de gestion s'est acquittée de son obligation ;

Que, par ailleurs, aucune information n'est fournie sur la situation personnelle de l'intimée au moment de la souscription des contrats. Qu'il ressort des pièces produites que x AAA était alors âgée de près de 72 ans, pour être née le 2 octobre 1934 à CHARLEROI ;

Qu'enfin, la circonstance que les investissements de x AAA aient été répartis sur trois comptes distincts, comportant des instruments financiers de nature différente, ne démontre pas l'expérience que pouvait avoir celle-ci en matière de gestion, alors surtout que des contrats de mandat discrétionnaires ont toujours été souscrits par la cliente, aux termes desquels elle déléguait à la société de gestion les décisions en matière d'investissements ;

Que les mêmes observations s'appliquent également au profil établi le 17 mai 2007, avant la signature de l'avenant à cette date ;

Qu'au regard de ces éléments, il apparaît que la société appelante n'a pas rempli son obligation précontractuelle d'information conformément aux exigences légales ;

Attendu que, par ailleurs, il ressort des débats et des pièces produites qu'à la date du 15 septembre 2008, ont été établis trois nouveaux mandats de gestion, respectivement rattachés, à chacun des trois comptes F, B et C mêmes comptes ;

Que ces nouveaux mandats sont soumis, comme leurs avenants concomitants et ultérieurs, à la loi applicable lors de leur souscription, soit la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007 sur les activités financières et l'Ordonnance Souveraine n° 1.284 du 10 septembre 2007, portant application de cette loi ;

Que l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.284 précitée, énonce que les sociétés agréées pour l'exercice de l'activité visée au chiffre 1) de l'article premier de la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007 doivent également s'enquérir de la situation financière de leurs clients, de leur expérience en matière d'investissement et de leurs objectifs en ce qui concerne le service demandé, informer les clients des risques inhérents à la nature des opérations qu'ils envisagent et communiquer d'une manière appropriée les informations utiles dans le cadre des négociations avec leurs clients ;

Qu'au regard de ces dispositions, qui reprennent celles qui figuraient dans l'article 5 alinéa 2 de la loi de 1997, les développements qui précèdent, relatifs au manquement, par la société B à son obligation précontractuelle d'information, s'appliquent également aux mandats et avenants conclus à partir de 2008 ;

Que dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a relevé à l'encontre de la société B un manquement de ce chef ;

  • 3- Sur l'obligation d'information et de conseil :

Attendu qu'il appartient au professionnel sur lequel pèse une obligation d'information, de mise en garde ou de conseil de démontrer qu'il s'en est valablement acquitté ;

Que cette obligation ne cesse pas mais est atténuée en présence d'un investisseur averti ;

Attendu qu'au cas d'espèce, la société appelante affirme que x AAA serait un investisseur averti, ce qu'elle conteste ;

Qu'il incombe à la société de gestion de rapporter la preuve de la qualité d'investisseur averti de x AAA;

Attendu que la Cour, se rapportant aux développements ci-dessus, relève à nouveau qu'il ne ressort ni des profils de risque comme des autres documents produits par la société appelante, ni de la structuration des trois comptes détenus par x AAA ni encore du fait qu'elle ait eu recours à une gestion discrétionnaire de ses avoirs, y compris par le passé, ni enfin de sa situation personnelle la circonstance, que celle-ci serait un investisseur avisé ;

Que dès lors, la société restait tenue, à son égard, d'une obligation entière ;

Mais attendu que l'intimée ne conteste pas avoir été destinataire, de 2006 à 2009, de tous les relevés bancaires émis par la banque C, établissement teneur des comptes, ainsi que de l'ensemble des situations de portefeuille transmis par la société B, détaillant toutes les opérations engagées ;

Que pour autant, elle n'a jamais élevé de contestations sur ces relevés et situations ;

Qu'elle a émis, pour la première fois, une contestation par courrier du 5 novembre 2009, postérieur à la révocation du mandat, sollicitant d'une part les explications sur un investissement d'un montant de 370.000 euros placé dans la société D et sur un autre transfert d'un montant de 38.000 euros, toujours en faveur de cette société, et contestant d'autre part, les investissements auxquels la banque avait procédé « de manière considérable et inconsidérée » dans des fonds alternatifs qui n'avaient « rien à voir avec un concept obligataire tel que vous me le laissiez croire » ;

Que, cependant, il ne ressort pas des termes de ce courrier que cette contestation serait rattachée à une situation de portefeuille précise ;

Que du reste, la société B se prévaut de l'acceptation présumée de x AAA en l'absence de contestation émise par celle-ci sur les relevés dont elle a été destinataire ;

Qu'il apparaît, en effet que, les mandats de gestion discrétionnaire contiennent en leur article 6, intitulé « Information du client », les clauses suivantes :

  • - point 6-2 : « À la fin de chaque trimestre civil, un état de la situation du Portefeuille destiné à informer le Client du résultat de la gestion effectuée, sera adressé au Client par la Banque Dépositaire »,

  • - point 6.3 : « Le Client recevra, à tout moment, sur sa simple demande, un état de la situation du Portefeuille, tel qu'il pourra être évalué au jour de sa demande »,

  • - point 6.5 : « Le Client s'engage à examiner l'état de la situation du Portefeuille, à faire toutes les vérifications qu'il jugera nécessaires et à faire valoir ses observations éventuelles à la Société de Gestion endéans les 30 (trente) jours calendrier de la réception. Si aucune réclamation n'a été faite à l'expiration de ce délai, les opérations de gestion, seront présumées acceptées et il ne lui sera plus possible de faire valoir une quelconque contestation quant à la gestion opérée, sauf en cas de faute lourde ou dol de la Société de Gestion » ;

Que la clause figurant au point 6.5, dont la validité n'est pas discutée par l'intimée, emporte présomption de la conformité des opérations à la gestion souhaitée qui ne pourra plus être contestée, hormis le cas de faute lourde ou de dol ;

Que le dol, qui se définit comme une tromperie destinée à surprendre le consentement du cocontractant, ne se présume pas et doit être prouvé ;

Que la faute lourde se distingue du seul manquement à une obligation contractuelle et désigne un comportement d'une extrême gravité, confinant au dol, et dénotant de la part du débiteur de l'obligation une inaptitude à l'accomplissement de la mission contractuelle ;

Attendu qu'il ressort des débats que x AAA qui ne dément pas avoir régulièrement reçu les états de situation de son portefeuille, ne les a jamais contestés ;

Que les relevés de situation patrimoniale versés aux débats -pièces 13, 14 et 15 de l'appelante- sont, en outre, tous revêtus de la signature de x AAA;

Qu'il ressort des relevés de portefeuille trimestriels - pièces 10, 11 et 12 de la société appelante-, qu'ils sont extrêmement détaillés et délivrent une information complète aux clients ;

Qu'ils comportent, en première page, une synthèse des avoirs, puis dans les feuillets suivants, un relevé détaillé du portefeuille sur huit ou neuf pages, dans lesquels sont répertoriés tous les titres composant les actions et fonds d'actions, les obligations et fonds obligataires, les fonds alternatifs, les produits structurés, les commodities, avec, pour chacun d'eux, la quantité, la devise, le prix d'achat, le cours, la plus ou moins-value, le montant en devise de cotation et le montant en euros ;

Qu'ainsi, en application des clauses ci-dessus rappelées, l'intimée, qui a reçu l'ensemble de ces relevés, sans jamais les contester, est présumée avoir accepté la gestion opérée par la société B et qu'elle ne peut, sauf démonstration de faute lourde ou de dol, la contester ;

Qu'il incombe à x AAA de rapporter la preuve d'une faute lourde ou d'un dol imputable à la société de gestion ;

Que l'intimée considère que la société de gestion B a commis une faute lourde en lui délivrant des informations mensongères selon lesquelles les fonds investis dans le compte F. seraient garantis à 100 % ;

Qu'il apparaît que le 9 juillet 2009, a été transmis à l'intimée un document intitulé « portefeuille détaillé » ;

Que ce document est partiellement versé aux débats, seule la page 8 de cette pièce étant produite par l'intimée -sa pièce n° 15, intitulée « Situation compte FELICIE au 9 juillet 2009 »- ;

Attendu que, sur le fondement de cette pièce, le Tribunal a retenu une faute lourde à la charge de la banque qui « n'établit pas avoir clairement expliqué à x AAA a nature des fonds alternatifs, la persuadant au contraire que les capitaux étaient garantis. Les indications figurant sur le document daté du 9 juillet 2009 sont en effet mensongères, le capital ne pouvant être garanti pour ce type de placement » ;

Que ce relevé de portefeuille se présente sous la forme d'un tableau composé, de gauche à droite, de l'intitulé des différents fonds, de leur quantité, de la devise, du prix moyen d'achat, de leurs cours, de la plus ou moins-value en pourcentage, du montant en devises de leur cotation, du montant en euros et de leur pourcentage total ;

Que sur cette pièce, la société de gestion a fait figurer les mentions manuscrites suivantes :

  • - au regard du fonds « Irongate Global Strategy Fund Ltd », accusant une moins-value de 32,05 %, la mention « 2013 Capital Remb à 100 % », suivie d'une signature,

  • - au bas du document, la mention « 100 % capital garanti entre 2010 et 2013 » suivie d'une signature et de la date « 10/7/09 » ;

Qu'il ressort de ces mentions que la garantie évoquée n'était pas immédiate mais qu'elle devait intervenir entre 2010 et 2013 ;

Qu'en outre, la teneur de cette pièce est confirmée d'une part, par le courrier écrit par la société appelante à x AAA le 30 octobre 2009 en ces termes :

« Nous nous référons à l'entretien que nous avons eu ensemble en présence de Monsieur CCC au cours duquel nous avons pris l'engagement suivant : nous garantissons qu'à l'échéance de la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013, votre compte Félicie Ter récupérera la somme totale de 937.570,59 euros correspondant aux fonds suivants (suit un tableau récapitulant les différents fonds et mentionnant un total de capital investi d'un montant de 937.570, 59 euros) .

La valeur finale du portefeuille au 31/12/2013, ne sera validée que lorsque la valeur nette d'inventaire seront officiellement publiés -soit deux ou trois mois après cette date - » ;

Qu'elle est confirmée d'autre part, par le courrier écrit par la société de gestion à la cliente le 13 novembre 2009 en ces termes :

« En ce qui concerne les fonds alternatifs, nous vous joignons une copie des contrats que vous avez signés avec notre société de gestion, ainsi que les situations de vos différents comptes, pour lesquelles vous aviez marqué votre accord.

Néanmoins, il est évident qu'il y a eu une mauvaise interprétation sur la nature des produits, et afin d'éviter tout malentendu, nous vous confirmons les propos tenus lors de notre entretien avec Monsieur CCC le 9 octobre 2009.

.../...

Pour autant que vous nous confirmiez le mandat de gestion sur le dossier des fonds alternatifs, nous vous certifions par la présente, le remboursement, au 31 décembre 2013, au minimum, de la somme initialement investie, soit 937.570 euros. Il est entendu que vous n'interviendrez en aucune façon dans la gestion de ce dossier. En cas de résiliation de votre part, nous vous demandons également de bien vouloir accepter une pénalité de 1 % par an, au prorata Temporis de la période restant à courir jusqu'à l'échéance du 31 décembre 2013 » ;

Que x AAA qui avait résilié les mandats de gestion, n'est pas revenue sur sa décision et n'a pas accepté la proposition faite par la société B dans ce courrier ;

Que dès lors, la société de gestion, qui s'est engagée au remboursement de la somme de 937.570 euros dans la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013 au plus tard, sous condition d'une confirmation de son mandat, ne saurait, en l'état d'une part, de la résiliation anticipée des mandats de gestion avant cette date par x AAA d'autre part, de l'absence de toute information sur ce que serait devenu ce placement à cette date, se voir reprocher, à ce titre, une faute lourde, voire un dol, qu'elle aurait commis le 10 juillet 2009 ;

Attendu que, par ailleurs, x AAA fait grief à la banque de ne pas l'avoir suffisamment conseillée et de lui avoir transmis des informations qui l'ont induite en erreur ;

Que cependant, il apparaît qu'entre le 16 mai 2006, et le 10 octobre 2009, la société de gestion fait valoir que x AAA a participé à vingt-huit rendez-vous organisés par la banque et à plusieurs conférences téléphoniques avec son conseiller ;

Que l'intimée reproche à la banque de ne pas rapporter la preuve de ces rendez-vous, ni de leur teneur ;

Que pourtant, la société appelante verse aux débats, en pièces 39, 40, 57, l'ensemble des comptes rendus de visites et de conférences téléphoniques qui ont eu lieu avec x AAA et que celle-ci n'argue pas de faux ;

Que si cette dernière objecte que ces comptes rendus sont des documents internes à la banque, qu'ils n'ont pas été établis à son contradictoire et qu'ils ont, au contraire, été rédigés par BBB alors préposé de la société appelante, l'intimée ne dément pas vraiment le nombre de ces rendez-vous, ni le contenu de ceux-ci ;

Que l'examen de ces pièces, qui doivent être regardées avec prudence compte tenu des objections soulevées, ne révèle toutefois aucune anomalie ; que l'on peut y relever la date de chacun des rendez-vous, les portefeuilles concernés, ainsi que les différents points abordés lors des visites ou des échanges téléphoniques, relatifs notamment aux stratégies d'investissement, aux informations transmises à la cliente ainsi qu'aux demandes exprimées par celle-ci ;

Que la société B démontre suffisamment avoir délivré à sa cliente une information complète ;

Qu'en outre, l'ensemble des relevés de portefeuilles détaillés, retraçant fidèlement, chaque trimestre, la composition des titres et leur position, confirme qu'une information conforme à la réalité a été donnée à x AAA qui n'a émis aucune observation lorsqu'elle a remarqué que les fonds alternatifs commençaient à perdre de la valeur à compter du second trimestre 2008 ;

Qu'il s'en déduit, que faute de rapporter la preuve d'une faute lourde ou d'un dol, l'intimée est, en vertu de la clause ci-dessus rappelée, présumée avoir accepté les opérations d'investissement effectuées par la banque, dont elle n'est pas fondée à contester la gestion ;

Que dès lors, x AAA est réputée avoir accepté la composition de ses portefeuilles et l'augmentation progressive de la part des fonds alternatifs dans ceux-ci, qui sont des informations qui figuraient sur les relevés dont elle a été destinataire, qu'elle n'a jamais discutées ;

Qu'enfin, la lettre écrite le 13 novembre 2009 par la société B, qui contient un engagement de remboursement à terme, ne saurait être considérée comme une reconnaissance de responsabilité ;

Qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il n'apparaît pas que la société appelante a manqué à son obligation d'information et de conseil ;

Qu'en conséquence, le jugement sera réformé de ce chef ;

  • 4-Sur le dépassement du mandat de gestion :

Attendu qu'au cas d'espèce, x AAA a confié à la société B des mandats de gestion discrétionnaire, déléguant ainsi à cette société les décisions d'investissement liées à ses actifs ;

Que celle-ci, qui conclut à la confirmation du jugement, ne critique pas cette décision en ce qu'elle n'a pas retenu de faute à l'encontre de la société de gestion quant au non-respect allégué des seuils fixés par les mandats ;

Attendu qu'elle fait toujours grief à la société B d'avoir méconnu l'interdiction d'investir sur des produits à effet de levier dans le compte F et de ne pas avoir respecté les prescriptions légales en la matière ;

Attendu que l'article 18 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.284 du 10 septembre 2007 portant application de la loi n°1.338 du 7 septembre 2007 sur les activités financières, énonce, notamment, que lorsque le mandat autorise des opérations à effet de levier, un accord spécial et express du mandant doit être donné. Il indique les modalités de ces opérations et de l'information du mandant. Le mandat doit faire état des risques inhérents à certaines opérations ;

Qu'il apparaît que les mandats de gestion discrétionnaire pour les comptes B et C signés le 15 septembre 2008, qui contiennent, dans une annexe I la typologie de certains instruments financiers à risques élevés et, dans une annexe II, un avertissement sur la politique en matière de produits à effet de levier, aux termes duquel la cliente a autorisé, « spécifiquement le recours à ces produits dans un but de protection exclusivement. Il est conscient que les primes payées en échange de cette protection peuvent être totalement perdues et mener par conséquent, à des pertes en capital », respectent les prescriptions légales précitées ;

Qu'à l'inverse, bien que le mandat de gestion discrétionnaire pour le compte F établi le 15 septembre 2008 contienne les mêmes dispositions, il apparaît que x AAA a expressément exclu le recours aux produits à effet de levier ;

Qu'en revanche, les investissements en fonds alternatifs ont été autorisés par l'intimée dans l'ensemble de ses comptes F, C et B ;

Qu'il ne résulte pas de la documentation produite par les deux parties que tous les fonds alternatifs fassent systématiquement appel à l'effet de levier ;

Or, attendu que x AAA ne démontre pas que les fonds alternatifs dans lesquels la société B a investis dans le compte F constituaient, en réalité, des placements à effet de levier ;

Que les prospectus que l'intimée produit relativement aux fonds TURQUOISE et GEMS PROGRESSIVE -ses pièces n° 24 et 25- rédigés en langue anglaise, et non traduits, ne peuvent être retenus comme probants ;

Que la même observation et les mêmes conséquences s'appliquent aux extraits du site Bloomberg concernant les fonds GEMS et GOLDEN PEAK -pièces 27 et 28 de l'intimée-, ainsi qu'à sa pièce 29, correspondant à la « plainte préparée par le cabinet Baker & Hostetler LLP en date du 20 juillet 2010 » ;

Que l'extrait du site OPCVM 360 relatif au fonds FIDAM -pièce 26 de l'intimée- ne permet pas d'établir que ce fonds ait eu recours à un effet de levier ;

Que d'ailleurs, l'extrait du Money Guide, également produit par l'intimée, définit le fonds alternatif ou hedge fund comme un fonds d'investissement réalisant des opérations hautement spéculatives, « au moyen le plus souvent des produits dérivés et en utilisant l'effet de levier », ce qui n'induit pas un recours systématique à un tel effet ;

Qu'il s'en déduit que x AAA défaillante à rapporter la preuve d'un dépassement de son mandat par la société B par le recours à des produits à effet de levier dans le compte F, sera déboutée de ses demandes de ce chef, par voie d'infirmation du jugement entrepris ;

  • 5-Sur le préjudice :

Attendu que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d'information consiste en une perte de chance ;

Que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ;

Qu'elle est souverainement appréciée par les juges du fond ;

Que le moyen soutenu par x AAA selon lequel son préjudice ne saurait être limité à une perte de chance dès lors que les capitaux ont été garantis par la société de gestion n'est, pour les motifs déjà développés par la Cour au point 3 de son arrêt, pas opérant ;

Qu'au cas d'espèce, le non-respect, par la société de gestion, de son obligation précontractuelle d'information relativement à l'expérience de sa cliente en matière d'investissement, a fait perdre à celle-ci une chance de ne pas contracter avec cette société ;

Que son préjudice sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 20.000 euros, par voie d'infirmation du jugement entrepris ;

  • 6-Sur la demande d'expertise :

Attendu qu'il se déduit de l'ensemble des éléments ci-dessus que la demande d'expertise, présentée à titre subsidiaire par la société appelante, n'est pas nécessaire à la solution du litige ;

  • 7-Sur les dommages-intérêts :

Attendu que l'action en justice représente l'exercice d'un droit et que la société B ne démontre pas qu'en l'assignant, x AAA ait commis une faute ayant fait dégénérer en abus son action en justice ;

Que dès lors, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts, par voie de confirmation du jugement entrepris ;

  • 8-Sur les dépens :

Attendu que les dépens de première instance et d'appel seront compensés ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel formé par la société B MONACO contre le jugement rendu le 6 octobre 2016 par le Tribunal de première instance,

Infirme ce jugement sauf en ce qu'il a débouté la société B de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

Statuant à nouveau, des chefs infirmés,

Dit que la société B a manqué à son obligation précontractuelle d'information,

Condamne la société B à payer à x AAA la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice,

Déboute x AAA du surplus de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à expertise,

Ordonne la compensation des dépens de première instance et d'appel,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Madame Claire GHERA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 29 JANVIER 2019, par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, assistée de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général adjoint.

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