Cour d'appel, 18 décembre 2018, Monsieur c. DU. c/ La SAM A

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Abstract🔗

Contrat de travail - Licenciement économique individuel - Licenciement abusif (oui) - Préjudice moral - Dommages et intérêts (oui)

Résumé🔗

Le salarié, engagé en qualité de spécialiste en investissements, a été licencié en application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963. Il s'avère cependant que le licenciement résulte de la suppression de son poste, consécutive à la perte d'un client. Il s'analyse donc en un licenciement économique individuel, de sorte que la volonté de l'employeur d'éluder les dispositions de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 relatives au licenciement économique, rend cette rupture abusive. Toutefois, les manœuvres de l'employeur, destinées à contourner les dispositions précitées, n'ont entraîné aucune répercussion sur l'emploi de l'intéressé. Ce dernier n'établit pas davantage que le retard allégué du déclenchement de l'allocation chômage est imputable aux circonstances entourant le licenciement ou à une faute de l'employeur. Par ailleurs, il a retrouvé un emploi. En outre, il a bénéficié d'un entretien préalable et avait eu connaissance de la suppression du département trésorerie. Il ne peut donc reprocher à son employeur une légèreté blâmable dans la mise en œuvre de la mesure de licenciement. En revanche, le certificat médical qu'il produit atteste qu'il a présenté un trouble anxiodépressif consécutif à son licenciement. La Cour répare le préjudice moral ainsi subi par l'allocation de la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts. Il lui est également dû un reliquat de congés payés s'élevant à 4 615,30 euros bruts.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 18 DECEMBRE 2018

En la cause de :

  • - Monsieur c. DU., né le 15 juin 1967 à Bondy (93140), de nationalité française, demeurant X1à Nice (06100) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANT,

d'une part,

contre :

  • - La SAM A anciennement dénommée SAM B, immatriculée au registre du commerce et de l'industrie sous le numéro X, dont le siège social est sis X2 à Monaco, prise en la personne de son Administrateur Délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 21 décembre 2017 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 26 février 2018 (enrôlé sous le numéro 2018/000096) ;

Vu les conclusions déposées les 22 mai 2018, 9 octobre 2018 et 6 novembre 2018 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SAM A ;

Vu les conclusions déposées les 10 juillet 2018 et 23 octobre 2018 par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur c. DU. ;

À l'audience du 13 novembre 2018, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur c. DU. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 21 décembre 2017.

Considérant les faits suivants :

c. DU. a été embauché par la SAM A, en qualité de spécialiste en investissements, selon contrat à durée déterminée pour la période allant du 22 avril 2013 au 8 novembre 2013, puis par un second contrat de même nature, du 9 novembre 2013 au 31 mars 2014.

Le contrat à durée déterminée de c. DU. s'est poursuivi par un contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 2014.

Son salaire annuel brut s'élevait à la somme de 120.000 euros.

Ce salarié était placé sous l'autorité hiérarchique de s. GE.

Le 23 juillet 2015, lors d'un entretien préalable, la SAM A a informé c. DU. de sa décision de procéder à son licenciement.

Selon lettre recommandée avec avis de réception en date du 27 juillet 2015, l'employeur lui a notifié son licenciement sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.

c. DU. a perçu l'indemnité légale de licenciement.

Son préavis de trois mois a pris effet le 1er août 2015 et le salarié a été partiellement dispensé de l'effectuer.

Le 7 septembre 2015, c. DU. a été dispensé d'exécuter la fin de son préavis.

Le 31 octobre 2015, il lui a été remis son dernier bulletin de salaire, accompagné du règlement correspondant, son solde de tout compte, son certificat de travail et l'attestation destinée à Pôle Emploi.

Par requête en date du 2 décembre 2015, c. DU. a saisi le bureau de conciliation du Tribunal du travail, sollicitant, notamment, un reliquat dû au titre des congés payés d'un montant de 6.345,96 euros bruts ainsi que la somme de 140.000 euros de dommages-intérêts pour rupture abusive.

Aucune conciliation n'est intervenue et l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement contradictoire en date du 21 décembre 2017, le Tribunal du travail a statué ainsi qu'il suit :

  • « dit que le licenciement de Monsieur c. DU. par la société anonyme monégasque dénommée B est abusif,

  • condamne la société anonyme monégasque dénommée B à payer à Monsieur c. DU. la somme de 3.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

  • déboute Monsieur c. DU. du surplus de ses demandes,

  • condamne la société anonyme monégasque dénommée B aux dépens ».

Pour statuer ainsi, le Tribunal du travail a retenu que :

  • l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'instaurait pas au profit de l'employeur un droit unilatéral de résiliation, discrétionnaire et absolu,

  • il appartenait au Tribunal de vérifier à la fois le respect par l'employeur des droits du salarié, et l'absence d'abus dans les circonstances ayant entouré la résiliation,

  • la mise en œuvre d'un licenciement sur le fondement de l'article 6 conduisait, certes, le Tribunal du travail à ne pas s'interroger sur la validité de la rupture, en cas de paiement effectif de l'indemnité de licenciement, mais ne pouvait avoir pour objet de contourner les dispositions d'ordre public, notamment celles relatives au licenciement économique,

  • au cas d'espèce, la procédure mise en œuvre démontrait qu'il s'agissait, en réalité, d'un licenciement économique individuel pour suppression de poste,

  • l'employeur avait, de ce fait, placé le salarié dans l'impossibilité de démontrer le caractère fallacieux des motifs ayant présidé à son licenciement,

  • le salarié n'avait subi aucun préjudice résultant de la législation en matière de reclassement et de priorité de réembauchage,

  • seul un préjudice moral, consécutif au licenciement, pouvait être indemnisé,

  • le salarié n'avait pas produit tous ses bulletins de salaire, privant ainsi la juridiction de tout contrôle sur le mode de calcul des congés payés proposé.

Par exploit d'appel et assignation délivré le 26 février 2018, c. DU. a relevé appel de cette décision.

Aux termes de cet exploit et des conclusions qu'il a déposées les 10 juillet 2018 et 23 octobre 2018, c. DU. demande à la Cour de :

« - le recevoir en son appel et le déclarer fondé,

Par conséquent,

  • confirmer le jugement du Tribunal du travail du 21 décembre 2017 en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement de Monsieur c. DU. reposait sur un faux motif et était abusif,

  • infirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté Monsieur c. DU. de sa demande de reliquat de congés payés,

  • infirmer également ledit jugement s'agissant du quantum des dommages-intérêts alloués à Monsieur c. DU.

Statuant à nouveau,

  • condamner la SAM A à payer à Monsieur c. DU. la somme de 6.345,96 euros bruts, à titre de reliquat dû sur les congés payés acquis (article 4 Bis de la loi n° 619),

  • dire que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la citation devant le bureau de conciliation et ce, jusqu'à parfait paiement,

  • condamner la SAM A à payer à Monsieur c. DU. la somme de 140.000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,

  • débouter la SAM A des fins de son appel incident comme étant radicalement infondé,

  • condamner la SAM A aux entiers dépens de première instance distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI aux droits duquel vient Maître Sarah FILIPPI, ès-qualités d'administrateur ad hoc, et d'appel distraits au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

c. DU. soutient que le recours, par l'employeur, à l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 traduit sa volonté d'occulter le motif réel du licenciement et il souligne que ce texte n'instaure pas un droit de résiliation discrétionnaire et absolu.

Il affirme qu'il a, en réalité, fait l'objet d'un licenciement économique et que les dispositions de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 ont délibérément été méconnues par l'employeur, et qu'en particulier, l'obligation de reclassement, qui lui aurait permis de faire partie d'une autre entité du groupe, n'a pas été respectée.

Il considère que la volonté de nuire de son employeur est caractérisée.

L'appelant fait aussi observer qu'il lui reste 25,5 jours de congés à prendre et que les inexactitudes affectant ses bulletins de paie sont de nature à nuire à la détermination de ses droits. Il précise avoir versé tous les bulletins de salaires permettant de déterminer le montant de son indemnité de congés payés.

Sur son préjudice, il estime que dans l'hypothèse d'un licenciement collectif, il aurait, néanmoins, pu prétendre à un reclassement au sein du groupe A. Il considère que l'absence de réembauchage après son licenciement démontre les manœuvres utilisées par l'employeur pour cacher le motif réel du licenciement. Selon l'appelant, la seule fraude à ses droits génère le préjudice.

Il fait aussi valoir qu'il a été licencié à l'âge de 48 ans, ce qui l'a placé dans une situation financière délicate au regard de ses charges, que les indemnités de Pôle Emploi ne lui ont pas été versées immédiatement, qu'il n'a pas trouvé d'emploi stable à ce jour et que ses droits arriveront prochainement à échéance.

Aux termes de conclusions déposées les 22 mai 2018, 9 octobre 2018 et 6 novembre 2018, la SAM A demande à la Cour de :

  • « recevoir la SAM A en son appel incident,

  • lui allouer le bénéfice de ses écritures de première instance et d'appel,

  • confirmer le jugement du Tribunal du travail du 21 décembre 2017 en ce qu'il a débouté Monsieur DU. de sa demande de rappel d'indemnité compensatrice de congés payés,

  • le réformer pour le surplus,

  • Statuant à nouveau,

  • déclarer irrecevable la pièce produite par Monsieur DU. sous le numéro 58,

  • dire et juger que le licenciement de Monsieur DU. ne procède pas d'un faux motif et n'est pas abusif,

  • débouter Monsieur DU. de l'ensemble de ses demandes, et en tout état de cause, des fins de son appel,

  • condamner Monsieur DU. aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

La société A fait valoir :

  • sur la demande de rappel d'indemnité compensatrice de congés payés, que l'appelant ne produit toujours pas la totalité de ses bulletins de salaires, qu'un décompte des congés payés en jours ouvrés, à raison de 2,08 jours par mois, a été mis en place, que le salarié n'a jamais contesté ce décompte, qu'il bénéficiait ainsi de 25 jours de congés payés par an, qu'il lui restait 10,5 jours de congés payés à prendre, qui lui ont été payés par le biais d'une indemnité compensatrice de 5.653,85 euros, dont le calcul n'est pas contesté et que, si le décompte des congés payés avait été effectué en jours ouvrables, il aurait été moins favorable au salarié, qui serait alors débiteur de 6 jours de congés payés,

  • sur le licenciement intervenu, que l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 donne à l'employeur un droit autonome et unilatéral de résiliation, qu'en pareil cas, le rôle du juge se limite à vérifier que l'employeur n'a pas commis d'abus dans l'exercice de ce droit, qu'en l'espèce, le salarié a été rempli de ses droits et a bénéficié d'un entretien préalable, que, dès lors, le Tribunal n'avait pas à s'interroger sur la validité de la rupture et ne devait pas apprécier la validité du motif de licenciement, en l'état du paiement de l'indemnité prévue à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, qu'en outre, les échanges de courriels sur lesquels s'est fondé le Tribunal du travail, -en particulier, le mail du 13 juillet 2015-, ne sont pas probants, que le salarié n'aurait pas pu bénéficier d'avantage supplémentaire en cas de licenciement pour suppression de poste, qu'il ne saurait soutenir que depuis près de trois ans, le poste de Madame GE. aurait été maintenu pour les besoins de la cause,

  • sur l'intention de nuire et de frauder les droits du salarié, qu'elle n'est pas établie dès lors que les droits et prérogatives du salarié ont été respectés,

  • sur la demande de dommages-intérêts, que l'appelant n'a subi aucun préjudice, que la société A est une petite structure, que le salarié n'aurait pas pu bénéficier d'un poste dans une catégorie inférieure, que la société n'a pas ignoré son obligation de reclassement, que la société SSVL ne fait pas partie des sociétés du groupe,

  • sur le prétendu préjudice moral, qu'il n'est pas établi,

  • sur l'avenant n°12 à la Convention Collective Nationale relatif à la sécurité de l'emploi, qu'il n'est pas applicable, en l'absence de licenciement économique collectif

  • sur le rejet de la pièce adverse n° 58, qu'elle est rédigée en langue italienne et n'est pas traduite.

  • sur l'appréciation du préjudice allégué, que d'une part, le délai, invoqué par l'appelant, entre la fin de son préavis et la perception de l'allocation chômage, n'est pas imputable à l'employeur, d'autre part, la baisse de ses allocations ne saurait lui être imputée non plus, en l'état, de surcroît, du nouvel emploi occupé par c. DU.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

  • 1-Attendu que les appels, principal et incident, relevés dans les formes et délais prescrits par le Code de procédure civile, sont réguliers et recevables ;

  • 2-Attendu que la pièce n° 58, produite par c. DU. intitulée « Dichiarazione sostitutiva di certificazione », entièrement rédigée en italien, sans être accompagnée de sa traduction en langue française, langue officielle en Principauté, sera écartée des débats ;

  • 3-Attendu que l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 énonce que le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties ;

Que si ce texte octroie à l'employeur un droit unilatéral de résiliation lui permettant de licencier un salarié sans se référer, de façon explicite ou implicite, à un motif inhérent à la personne de celui-ci, il n'instaure pas pour autant un droit discrétionnaire et absolu ;

Que lorsque le licenciement intervenu sur le fondement du texte précité fait l'objet d'une contestation, il appartient aux juges du fond de vérifier, non pas la cause de la rupture, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié ainsi que les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de faute ;

Qu'il appartient au salarié, qui allègue une faute dans l'exercice unilatéral du droit de résiliation, d'en rapporter la preuve ;

Attendu qu'au cas d'espèce, il ressort des débats, que c. DU. a été embauché par la société B, en qualité de spécialiste en investissements, selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 6 mai 2014, et ce « sous la supervision hiérarchique de Madame s. GE. » ;

Que selon l'annexe à ce contrat de travail établi le 6 mai 2014, les parties ont, en particulier, convenu des dispositions suivantes :

« Un portefeuille d'obligations cotées à haut rendement fondé sur les études et analyses de faisabilité en matière économique, financière ou d'investissements du SALARIÉ a partiellement été et continuera d'être mis en place pour le compte et sous l'entière responsabilité du client de L'EMPLOYEUR (ci-après le PORTEFEUILLE).

Le SALARIÉ rendra compte aussi souvent que nécessaire à L'EMPLOYEUR et répondra immédiatement à toute demande d'informations relatives au PORTEFEUILLE.

La performance sera calculée en dollars américains (US$) et en considération des seuls investissements sur titres obligataires effectivement réalisés, notamment à l'exclusion de tout profit lié aux liquidités. » ;

Qu'il apparaît que c. DU. a été essentiellement chargé de ce portefeuille d'obligations nommées High Yield, et ce, afin de gérer les avoirs détenus par le trust ST GROUP ;

Que, par ailleurs, il ressort des débats, et en particulier des pièces produites par l'appelant sous les numéros 8, 9, 10, 11 et 12, constituées d'échanges de courriels, que la direction de la société A a décidé de fermer le département trésorerie, auquel était rattaché l'appelant ;

Que tel est le sens de l'échange de courriels intervenu le 1er juillet 2015 entre c. DU. et m. PE. en ces termes :

« m.

J'ai eu un entretien hier soir avec Monsieur, et j'ai été surpris d'apprendre qu'il avait pris la décision de fermer le portefeuille High Yield, dans le cadre de la fermeture de l'activité Trésorerie de A.

Il m'a demandé de lui lister en 3 catégories les positions (A tenir, A vendre, et Problème), dans un objectif de clôture du portefeuille pour la fin de cette année . », courriel auquel m. PE. répondait : « J'en ai été informé aussi » ;

Que le lendemain, c. DU. écrivait à m. PE. le mail suivant :

« Trouve ci-joint la liste des positions du portefeuille HY annotée. Monsieur m'a demandé de vendre les positions pour lesquelles le prix de vente est supérieur au prix d'acquisition. C'est le cas pour plusieurs bonds aujourd'hui, je les exécute ? Je te remercie de m'éclairer sur le modus operandi engendrer (SIC) par cette situation », ce à quoi l'interlocuteur répondait : « Je te prie d'exécuter les instructions de Me Tettamanti » ;

Qu'enfin le 15 juillet 2015, c. DU. a écrit à m PE. le mail suivant :

« Au vu des dernières informations, j'ai besoin de comprendre ce qui se passe. Lors de notre dernière entrevue, mardi 7 juillet, tu m'as confirmé, accompagné de Giulia, que le bureau Trésorerie allait être fermé, et que j'étais d'une certaine façon un dégât collatéral de cette décision soudaine, prise par Monsieur fin juin. J'ai vu s. hier, et il semblerait que dans des échanges que tu as eu (SIC) avec elle, tu lui aurais affirmé le contraire. Quel est ce revirement ? Suis-je toujours un dégât collatéral ? Par ailleurs et pour information, j'ai commencé hier à exécuter des ordres de vente du portefeuille HY, pour un total de USD 2.285.661 » ;

Qu'en réponse, m. PE. a indiqué :

« Je t'ai confirmé dans notre meeting, et je te confirme, que l'activité dont tu t'occupes prendra fin. Le client ST Group a décidé de ne plus l'effectuer, et tu as reçu des instructions claires de liquider les positions qui peuvent être liquidées suivant les instructions que tu recevras directement de Me Tettamanti. Je sais que tu es en train de t'en occuper.

Je te confirme aussi, comme je t'ai dis (SIC), que la position de la trésorerie était aussi mise en liquidation, et que donc les opérations que s. suivait doivent être, pour autant que possible, clôturées. s. ne sera pas remplacée pendant son absence. Comme tu le sais, l'état particulier de s. fait en sorte qu'un licenciement n'est pas possible à ce stade. La position de s. sera donc revue après son congé maternité, chose que je lui ai confirmée hier.

Cette décision a été prise à la suite d'une réflexion globale qui a en effet eu lieu après la communication concernant la situation de s. C'est pour cette raison que tu en as conclu que tu es un effet collatéral. C'est une question de point de vue.

En ce qui te concerne, je suis en train d'éclaircir avec le client comment il entend procéder, après quoi je serai en mesure de te soumettre une proposition concrète de comment terminer la relation en cours.

J'espère avoir éclairci la situation » ;

Attendu qu'il ressort suffisamment de ces échanges, que le licenciement de l'appelant est dû à la suppression de son poste, elle-même consécutive à la perte du client ST GROUP ;

Qu'il apparaît ainsi que le licenciement de c. DU. survenu pour des motifs non inhérents à sa personne, résultant d'une suppression effective d'emploi consécutive à la perte du client, s'analyse en un licenciement économique individuel ;

Qu'il s'en déduit qu'en cherchant à éluder les dispositions édictées par la loi n° 629 du 17 juillet 1957 relatives au licenciement économique, l'employeur a rompu abusivement le contrat de travail ;

Attendu que, sur le préjudice résultant de ce licenciement, l'appelant soutient, en particulier, que l'employeur aurait délibérément contourné les dispositions de la loi précitée, relatives au respect de l'ordre des licenciements, à la faculté pour le salarié d'être versé dans une catégorie inférieure et à la priorité de réembauchage ;

Mais attendu que :

  • - c. DU. salarié français domicilié à EZE, ne peut justifier d'aucun préjudice tenant au non-respect de l'ordre des licenciements,

  • - en l'absence de toute manœuvre de son employeur, le salarié aurait, en effet, pu demander, en application de l'article 6 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957, à être versé dans une catégorie inférieure, mais il ne démontre pas qu'il y ait eu un poste à pourvoir dans une telle catégorie au sein même de la société A, ni qu'il aurait été qualifié pour occuper un tel poste, se limitant à évoquer, de manière générale, de possibles reclassements dans d'autres sociétés faisant partie du même groupe,

  • - au vu du registre d'entrée et de sortie du personnel présenté par l'employeur, c. DU. n'établit pas non plus que la priorité de réembauchage de six mois à compter de son licenciement n'a pas été respectée,

Qu'enfin, aucune autre conséquence ne peut être tirée de l'absence de réembauchage par la société, depuis le licenciement de l'appelant ;

Que dès lors, il apparaît que les manœuvres de l'employeur, destinées à échapper à l'application des dispositions édictées par les articles 6 et suivants de la loi du 17 juillet 1957, n'ont eu aucune répercussion sur l'emploi de c. DU. ;

Que s'agissant du préjudice tenant à la tardiveté alléguée du déclenchement de l'allocation chômage, il n'est pas établi que ce retard soit imputable ni aux circonstances entourant le licenciement, ni à une faute de l'employeur. Qu'il apparaît, en outre, que contrairement aux affirmations de l'appelant, celui-ci a retrouvé un emploi. Qu'en toute hypothèse, l'appelant ne démontre pas que ces chefs de préjudice matériels, inhérents au licenciement même, sont la conséquence du non-respect, par l'employeur des dispositions légales relatives au licenciement économique ;

Attendu que, par ailleurs, l'appelant, qui a bénéficié d'un entretien préalable, et qui, au regard des courriels cités précédemment, avait eu connaissance de la suppression du département trésorerie, ne peut reprocher à son employeur une légèreté blâmable dans la mise en œuvre de la mesure de licenciement ;

Qu'en revanche, les premiers juges ont justement retenu qu'il était établi, par un certificat médical, rédigé en 2016, produit aux débats par le salarié, que ce dernier présentait un trouble anxio-dépressif consécutif à son licenciement, et qu'il devait être indemnisé du préjudice moral ainsi subi ;

Que dès lors, l'allocation, par les premiers juges, d'une somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts est suffisante à l'entière réparation du préjudice moral subi ;

Qu'en conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef ;

  • 4-Attendu que l'article 1er de la loi n° 619 du 26 juillet 1956 énonce que le travailleur salarié qui, au cours de la période de référence telle que définie à l'article 6, justifie avoir été occupé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum d'un mois de travail effectif au sens de l'article 3, a droit à un congé dont la durée est déterminée à raison de deux jours et demi ouvrables par mois de travail, sans que la durée du congé exigible puisse excéder trente jours ouvrables ;

Qu'au cas d'espèce, il apparaît que la société A a mis en place un décompte des congés payés s'effectuant en jours ouvrés, à raison de 2,08 jours par mois, aux termes duquel c. DU. était bénéficiaire de 25 jours de congés payés par an ;

Que l'appelant conteste ce mode de calcul, la circonstance qu'il ne l'ait jamais critiqué avant la présente instance ne le privant pas du droit d'élever désormais cette contestation ;

Que pour rapporter la preuve que son mode de calcul serait plus favorable au salarié, la société A produit un tableau qui, pour avoir été élaboré par elle-même, ne peut être retenu comme probant ;

Qu'elle allègue également que le décompte des congés payés pourrait également s'effectuer en jours ouvrés mais ne démontre pas que ce mode de calcul, du reste non prévu par l'article 1er de la loi précitée, est plus favorable au salarié ;

Qu'il s'en déduit que le décompte des congés doit être effectué conformément aux dispositions précitées de la loi du 26 juillet 1956 ;

Attendu que, par ailleurs, sur la période totale de travail pour le compte de la société A, soit du 22 avril 2013 au 31 octobre 2015, c. DU. a acquis, en application de l'article 1er de la loi précitée, 75 jours de congés ;

Qu'il prétend n'avoir, sur cette même période, pris que 49,5 jours de congés mais n'en justifie pas, faute de produire l'intégralité de ses bulletins de salaires depuis son entrée dans l'entreprise ;

Que cependant, il ressort des bulletins de salaires qu'il a produits, que c. DU. a acquis pour chacune des années 2013/2014 et 2014/2015 25 jours de congés, alors qu'il aurait dû acquérir, en vertu de la loi, 30 jours de congés, et doit, de ce fait, être indemnisé des 10 jours manquants ;

Que dès lors, au regard de son salaire journalier de référence, il lui est dû un reliquat de 4.615,30 euros bruts (10 x 461,53 euros), que la société A sera condamnée à lui payer, par voie d'infirmation du jugement entrepris ;

  • 5-Attendu que la société intimée, qui succombe, supportera les entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels, principal et incident, formés contre le jugement rendu le 21 décembre 2017 par le Tribunal du travail,

Rejette des débats la pièce n° 58, en langue italienne non traduite en français, communiquée par l'appelant,

Confirme ce jugement, sauf en ce qu'il a débouté c. DU. de sa demande en paiement de reliquat de congés payés,

Statuant à nouveau du seul chef réformé,

Condamne la société A à payer à c. DU. la somme de 4.615,30 euros bruts, à titre de reliquat dû sur les congés payés acquis,

Laisse les dépens du présent arrêt à la charge de la société intimée, distraits au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Madame Claire GHERA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 18 DÉCEMBRE 2018, par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller faisant fonction de Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général Adjoint.

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