Cour d'appel, 11 décembre 2018, Monsieur RI f. c/ La SAM A
Abstract🔗
Contrat de travail - Licenciement - Motif fallacieux (non) - Volonté de masquer un licenciement économique (non) - Rupture abusive (oui) - Brutalité du licenciement - Préjudice moral - Dommages-intérêts (oui)
Résumé🔗
Le salarié soutient que dans le contexte du plan social de restructuration de la société, son poste a été supprimé par suite d'un redimensionnement, de sorte qu'il a été licencié pour un motif fallacieux, la véritable raison étant d'ordre économique. Cependant, seul le projet de protocole transactionnel du 17 juillet 2014 évoque en préambule d'une part la suppression du poste de directeur conduisant au licenciement de l'appelant pour motif économique, et d'autre part la contestation émise par le salarié auprès de l'employeur remettant en cause le motif économique à l'appui de son licenciement. Or le projet n'a pas abouti et il ne constitue pas un commencement de preuve par écrit. La réalité de la suppression ou d'un redimensionnement du poste de l'appelant n'est donc pas démontrée, de sorte qu'il ne peut valablement être soutenu que le licenciement de celui-ci procède d'une volonté de tromperie pour masquer un licenciement d'ordre économique.
Le salarié n'a fait l'objet d'aucune sanction pendant les douze années de service au sein de la société, et ses évaluations des années précédant le licenciement font état d'une très grande satisfaction de son responsable hiérarchique. Si les mails échangés entre les parties dans les deux jours précédents le licenciement témoignent d'une insatisfaction de l'employeur quant à la position de l'appelant sur la mise en œuvre du plan de restructuration, il ne résulte cependant pas des pièces produites qu'il ait pu anticiper la rupture de son contrat de travail. Le fait que le salarié, âgé de 59 ans, ait manifesté son souhait de quitter l'entreprise et que des négociations aient été engagées sur ce point avec la direction, ne peut atténuer le caractère brutal qu'a revêtu la rupture soudaine de son contrat de travail, majoré par la dispense du préavis. Le licenciement présente un caractère abusif dans sa mise en œuvre, qui a causé un préjudice moral à l'appelant et justifie l'allocation de 20 000 euros de dommages-intérêts.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 11 DÉCEMBRE 2018
En la cause de :
- Monsieur RI f., né le 15 juin 1955 à Antibes, de nationalité française, Directeur d'usine, demeurant et domicilié X1 à NICE (06000) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- La Société Anonyme Monégasque dénommée A (anciennement SAM B), dont le siège social est 4/6, avenue Albert II à Monaco, prise en la personne de son Président Délégué en exercice demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat en cette même Cour ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail, le 8 juin 2017 ;
Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 31 juillet 2017 (enrôlé sous le numéro 2018/000014) ;
Vu les conclusions déposées les 28 novembre 2017, 20 mars 2018 et 30 juillet 2018 par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la Société Anonyme Monégasque dénommée A ;
Vu les conclusions déposées les 17 janvier 2018 et 22 mai 2018 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur RI f.;
À l'audience du 9 octobre 2018, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur RI f. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 8 juin 2017.
Considérant les faits suivants :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée conclu le 4 septembre 2002 Monsieur f. RI. a été employé à compter du 9 septembre 2002 en qualité de directeur d'unité par la S. A. M. B (devenue la S. A. M. A le 30 janvier 2015).
En juin 2013 Monsieur f. RI. s'est vu confier en sus la responsabilité d'une Business Unit Industrie incluant la responsabilité de l'usine C de Charente.
En 2014, afin de faire face à des difficultés économiques, la préparation d'un plan social a été engagée dans le cadre de la réorganisation du site de production monégasque, prévoyant la suppression de 67 postes.
Parallèlement à l'élaboration de ce plan social, des négociations ont débuté en juin 2014 entre l'employeur et Monsieur f. RI. sur la situation personnelle de celui-ci.
Le 24 octobre 2014 Monsieur f. RI. a été licencié sur le fondement de l'article 6 de la loi n°729 du 16 mars 1963, par courrier remis en mains propres, avec dispense d'exécution de son préavis de trois mois.
Après avoir contesté les circonstances de cette mesure par courrier de son conseil en date du 6 novembre 2014, Monsieur f. RI. a saisi le 15 décembre 2014 le bureau de conciliation du Tribunal du travail des demandes de condamnation au paiement des sommes suivantes :
dommages et intérêts : 250 000 euros,
intérêts de droit,
exécution provisoire.
Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement du Tribunal du travail.
Suivant jugement du 8 juin 2017, le Tribunal du travail a :
dit que le licenciement de f. RI. par la S. A. M. A anciennement dénommée SAM B est abusif,
condamné la S. A. M. A anciennement dénommée SAM B à payer à f. RI. la somme de 13.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
débouté Franck RI. du surplus de ses demandes,
condamné la S. A. M. A anciennement dénommée SAM B aux dépens.
Au soutien de cette décision, les premiers juges ont, en substance, estimé que l'employeur, en ne produisant aucune convocation, avait licencié Monsieur f. RI. avec une légèreté blâmable, et que de surcroît, la dispense de préavis intervenue sans aucune justification particulière était de nature à jeter le discrédit sur le salarié, éléments conférant à ce licenciement un caractère abusif.
Ils ont considéré que s'agissant d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, seule pouvait être admise la demande de dommages et intérêts relative au préjudice moral résultant du contexte ayant présidé à la mise en œuvre de la rupture, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.
Suivant exploit du 31 juillet 2017, Monsieur f. RI. a interjeté appel du jugement susvisé dont il a sollicité la confirmation en ce qu'il a considéré le licenciement abusif et l'infirmation en ce qu'il lui a alloué la somme de 13.000 euros à titre de dommages et intérêts, en demandant à la Cour, statuant à nouveau, de :
réévaluer les dommages et intérêts alloués et de condamner la S. A. M. A anciennement dénommée SAM B à lui payer la somme de 250.000 euros à titre de dommages et intérêts,
dire et juger que les condamnations porteront intérêts à compter de la citation devant le bureau de conciliation,
condamner la S. A. M. A anciennement dénommée SAM B aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.
Aux termes de conclusions récapitulatives n°3, Monsieur f. RI. a demandé à la Cour de :
l'accueillir en son appel « parte in qua » et l'y déclaré recevable et bien fondé,
sur le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société A, vu les articles 427 et suivants du Code de procédure civile et l'appel incident formé par la société A,
constater qu'il ne pouvait pas soumettre à la Cour un chef de jugement ne lui faisant pas grief,
constater en tout état de cause que la dévolution s'opère pour le tout au regard de l'appel incident formé par la société A,
confirmer en conséquence le jugement intervenu en ce qu'il a considéré le licenciement abusif et, ce, par adjonction de motifs notamment celui tenant au motif fallacieux parfaitement caractérisé,
infirmer le jugement intervenu en ce qu'il lui a alloué la somme de 13.000 euros de dommages et intérêts,
et statuant à nouveau, réévaluer les dommages et intérêts alloués et condamner la S. A. M. A anciennement dénommée SAM B à lui payer la somme de 250.000 euros à titre de dommages et intérêts,
dire et juger que les condamnations porteront intérêts à compter de la citation devant le bureau de conciliation,
débouter la SAM A de toutes ses demandes, fins et conclusions,
condamner la S. A. M. A anciennement dénommée SAM B aux entiers dépens distraits au profit de Maître PASTOR-BENSA, sous sa due affirmation.
Monsieur f. RI. fait valoir pour l'essentiel que :
- en jugeant que l'abus ne résidait que dans la méthode adoptée par la SAM B pour le licencier, le tribunal a commis une erreur d'appréciation,
- il ne pouvait soumettre à la Cour une disposition du jugement qui ne lui faisait pas grief, telle que celle déclarant le licenciement abusif,
- en tout état de cause, en formalisant un appel incident du chef du caractère abusif du licenciement retenu par le Tribunal, la société A conduit la Cour à statuer à nouveau sur cette disposition de jugement et à apprécier cette prétention au regard des différents moyens soulevés, dont celui du motif fallacieux du licenciement,
- le jugement doit être réformé en ce qu'il a écarté l'existence d'un motif fallacieux de nature économique, lequel est démontré par le plan de départ volontaire mis en œuvre et par l'existence du projet de protocole transactionnel qui vise expressément la suppression de son poste pour des raisons économiques,
- la société a été à l'origine des discussions sur son départ car son poste allait être surdimensionné par rapport au site réduit qui allait demeurer à Monaco ; son départ devait intervenir au terme d'une période de 13 mois à compter de l'annonce de la mesure de licenciement collectif,
- le projet de protocole transactionnel qui lui a été soumis subordonnait le versement d'une prime de 39.000 euros à des objectifs assignés qui n'étaient ni réalistes ni réalisables, s'agissant de la continuité des livraisons, du budget alloué à chaque salarié licencié et du nombre de jours de grève,
- le projet de protocole transactionnel qui vise le motif économique du licenciement doit être considéré comme un commencement de preuve par écrit,
- si la société a dans un premier temps recruté un directeur d'usine expérimenté à durée déterminée pour assurer la transition suite au licenciement collectif pour motif économique, elle a par la suite redimensionné le poste pour l'adapter à l'effectif réduit de l'usine et l'a confié à son ancienne collaboratrice, Madame SA FE.; le redimensionnement de son poste témoigne du motif économique sous-jacent à la rupture de son contrat de travail,
- le motif selon lequel il aurait révélé à des salariés des informations strictement confidentielles relatives aux postes supprimés est fallacieux, et destiné à tenter de dissimuler que le véritable motif du licenciement est de nature économique,
- son licenciement a été conduit en la forme sans ménagement et avec une légèreté fautive, alors qu'il exerçait des fonctions à responsabilité et avait une ancienneté de 12 ans dans l'entreprise,
- son éviction a été orchestrée : dès juillet 2014 il s'est vu retiré la responsabilité, assumée depuis juin 2013, de la Business Unit Industrie regroupant l'usine B à Monaco et l'usine C en Charente et il a été mis à l'écart de l'élaboration de la dernière version du plan de licenciement,
- son licenciement abusif du fait de la légèreté blâmable avec laquelle il a été conduit, doit également être reconnu abusif dans la prise de décision du fait du motif fallacieux visant à camoufler un motif économique, ce qui justifie l'indemnisation de son entier préjudice, tant moral que matériel,
- il subit un important préjudice financier. Compte tenu de son âge et de la spécificité de son expertise, il n'a pu retrouver un emploi et a dû s'orienter à compter du 16 mars 2015 vers l'auto-entreprise qui n'a pas généré un revenu lui permettant de faire face à ses obligations financières. Ayant atteint l'âge de 60 ans en septembre 2015, il a finalement sollicité la liquidation de sa retraite,
- son licenciement brutal a donc eu d'importantes répercussions sur son niveau de vie et impacte sa pension de retraite qui se trouve réduite d'environ 200 euros par mois par rapport à ce qu'il aurait perçu si son employeur l'avait maintenu en poste comme convenu,
- l'attribution d'une somme de 250.000 euros, correspondant à deux ans et demi de salaire, à titre de dommages et intérêts doit lui permettre de faire face à ses échéances et de continuer à pourvoir à l'éducation de ses deux enfants.
La SAM A anciennement dénommée SAM B, intimée, a relevé appel incident par conclusions du 28 novembre 2017, complétées le 20 mars 2018 et le 30 juillet 2018 à l'effet de voir la Cour :
l'accueillir en son appel incident, et l'y déclarer fondée,
confirmer le jugement du Tribunal du travail en ce qu'il a jugé que le licenciement de Monsieur f. RI. ne revêtait aucun caractère abusif du fait d'un motif fallacieux,
déclarer irrecevable la demande additionnelle de réformation du jugement du Tribunal du travail formée par Monsieur f. RI. par voie de conclusions du 16 janvier 2018 en ce qu'il a jugé que le licenciement ne reposait sur aucun motif fallacieux,
infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la mise en œuvre du licenciement de Monsieur f. RI. revêtait un caractère abusif et accordé à ce titre la somme de 13.000 euros à titre de dommages et intérêts,
débouter Monsieur f. RI. de toutes ses demandes, fins et conclusions à cet égard,
condamner Monsieur f. RI. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
La société A fait notamment valoir que :
- Monsieur f. RI. en se limitant à solliciter une revalorisation du quantum des dommages et intérêts tout en demandant confirmation des autres dispositions du jugement n'a pas saisi la Cour d'appel d'une demande de réformation de la décision du Tribunal du travail sur le rejet du motif fallacieux ; ses développements sur le sujet sont donc désormais irrecevables,
- elle n'a jamais eu l'intention de supprimer le poste de Monsieur f. RI. ni dans le cadre du plan de restructuration, ni postérieurement à celui-ci. Elle a d'ailleurs remplacé Monsieur f. RI. dans l'urgence par Monsieur WI. salarié ayant une expérience confirmée et rompu à l'exercice spécifique et délicat de mise en œuvre d'un plan social, avant de confier le poste de directeur à Madame SA FE. à compter d'octobre 2015, ce poste étant toujours occupé à ce jour,
- la fonction supplémentaire confiée à Monsieur f. RI. de coordination des actions commerciales entre l'usine B et le site C de Charente, correspondait à une expérimentation temporaire sur une période d'un an, dont la mise en place de même que l'arrêt n'ont entraîné aucune modification de son contrat de travail,
- le licenciement de Monsieur f. RI. ne dissimulait pas une suppression de poste ni une quelconque modification de celui-ci ; il ne repose sur aucune justification économique mais sur des considérations personnelles en application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963,
- l'appréciation de la validité du motif économique à l'origine de la restructuration de la société A ne relève pas de la présente procédure,
Monsieur f. RI. a été inclus à chaque étape de l'élaboration du projet de plan et maintenu dans un rôle d'acteur majeur de la mise en œuvre de la restructuration, et ce malgré son absence manifeste de coopération,
- le licenciement a été mis en œuvre dans le strict respect des dispositions du droit monégasque,
- Monsieur f. RI. a été convoqué par mail du 22 octobre 2014 à un entretien préalable qui a eu lieu le 23 octobre 2014 pendant près d'une heure en présence de la responsable des ressources humaines de la SAM A et du directeur des ressources humaines du Groupe. Elle l'a reçu une nouvelle fois le 24 octobre pour l'informer en personne de son licenciement,
- Monsieur f. RI. ne peut se plaindre d'une prétendue brutalité dans la mise en œuvre de son licenciement prétextant qu'il « ne s'attendait absolument pas que soit évoqué la rupture de son contrat de travail » alors qu'il a lui-même manifesté plusieurs mois auparavant son souhait de quitter l'entreprise et initié une négociation de ses conditions de départ,
- la dispense de préavis relève des prérogatives de l'employeur. Monsieur f. RI. a été intégralement rempli de ses droits au titre de son préavis. Le jugement déféré doit donc être réformé en ce qu'il a estimé vexatoire ladite dispense,
- les conditions de mise en œuvre du licenciement résultent de la nécessaire réactivité dont elle a du faire preuve compte tenu de l'attitude adoptée par Monsieur f. RI.
Monsieur f. RI. ne démontre pas l'existence d'un préjudice financier imputable à son employeur, autre que celui inhérent à toute rupture du contrat de travail. En tout état de cause, faute d'avoir interjeté appel du jugement du tribunal du travail ayant reconnu l'absence d'abus dans la décision de licencier, sa demande d'indemnisation d'un quelconque préjudice financier en cause d'appel est irrecevable,
il n'établit pas avoir subi une atteinte à sa « crédibilité et à son honorabilité » de sorte que le jugement du tribunal du travail doit être réformé en ce qu'il lui a accordé des dommages et intérêts pour préjudice moral.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
1-Attendu qu'en application des dispositions de l'article 429 du Code de procédure civile, « l'appel ne défère à la juridiction que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique et de ceux qui en sont la conséquence nécessaire. La dévolution s'opère par le tout lorsque l'objet du litige est indivisible » ;
Que la société A soutient que M. RI. n'a sollicité aucune réformation du jugement du Tribunal du travail en ce qu'il a écarté l'existence d'un motif fallacieux de nature économique, et que ces développements sur ce point et sur l'octroi de dommages et intérêts pour préjudice matériel sont donc irrecevables ;
Qu'il doit être observé que le jugement déféré ne contient aucune disposition relative au rejet d'un motif fallacieux ;
Que Monsieur f. RI. ne pouvait soumettre à la Cour le chef de jugement ayant déclaré son licenciement abusif, sans autre précision, dès lors que cette disposition ne lui faisait pas grief ;
Que néanmoins, il ressort de l'acte d'appel et d'assignation délivré que Monsieur f. RI. fait grief au jugement attaqué de ne pas avoir retenu l'abus commis par l'employeur dans la prise de décision de licencier et critique, par voie de conséquence, le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués ;
Qu'en tout état de cause, l'appel incident aux termes duquel la société A conteste le caractère abusif du licenciement retenu par le tribunal et le montant des dommages et intérêts mis à sa charge, doit conduire la Cour à examiner l'ensemble des moyens allégués au soutien du caractère abusif du licenciement et de la demande de dommages et intérêts subséquente, l'objet du litige étant indivisible sur ce point ;
Qu'il en résulte que les appels, principal parte in qua et incident, relevés dans les formes et délais prescrits par le Code de procédure civile, doivent être déclarés recevables, et que par suite de l'effet dévolutif de ces voies de recours, la Cour est saisie de l'entier litige concernant l'appréciation du caractère abusif du licenciement et du préjudice qui en est résulté ;
2-Attendu que l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 énonce que le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties ;
Qu'en application de ce texte l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de licencier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, et doit en contrepartie s'acquitter des indemnités de préavis et, le cas échéant, de congédiement en sus de l'indemnité de licenciement ;
Que cependant l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'instaure pas au profit de l'employeur un droit discrétionnaire et absolu, et il appartient aux juges du fond, lorsque le licenciement intervenu sur le fondement de ce texte est contesté, de vérifier, non pas la cause de la rupture, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus, d'autre part ;
Qu'il appartient au salarié, qui allègue une faute dans l'exercice unilatéral du droit de résiliation d'en rapporter la preuve ;
Attendu qu'en l'occurrence, Monsieur f. RI. qui ne conteste pas avoir perçu ensuite de son licenciement l'intégralité des indemnités auxquelles son ancienneté lui ouvrait droit, soutient que dans le contexte du plan social de restructuration de la société, son poste a été supprimé suite à un redimensionnement, de sorte qu'il a été licencié pour un motif fallacieux, la véritable raison étant d'ordre économique ;
Qu'il n'est pas contesté qu'au cours de l'année 2014 la société A s'est trouvée confrontée à des difficultés économiques la contraignant à envisager la mise en œuvre d'un plan social, dans la perspective d'une évolution de son activité du « tout automobile » vers une activité d'industrie au sens large ;
Qu'il s'évince des courriels versés aux débats que Monsieur f. RI. en sa qualité de directeur d'usine, a été associé avec les autres membres de la direction, à l'élaboration des projets de réduction des effectifs ;
Qu'il n'est pas contesté que parallèlement les parties se sont engagées, au moins à compter du 18 juin 2014, dans des pourparlers aux fins d'un départ négocié de Monsieur f. RI.;
Que Monsieur f. RI. n'établit pas que l'employeur ait été à l'origine de ces négociations, la société A soutenant de son côté que le salarié avait formulé au printemps 2014 son souhait de quitter l'entreprise à moyenne échéance ;
Qu'il ressort du courrier adressé par Monsieur f. RI. le 18 juillet 2014 à M. j-c. LA. responsable des ressources humaines du Groupe B, qu'un accord « oral » est intervenu entre eux le 18 juin 2014 qui a donné lieu à l'élaboration de projets d'avenant au contrat de travail et de protocole transactionnel remis à Monsieur f. RI. le 17 juillet 2014 ;
Que l'avenant prévoyait, sous réserve de réalisation de la condition résolutoire de mise en œuvre d'une restructuration que Monsieur f. RI. devait avoir pour mission d'assurer, sous le contrôle de la direction des ressources humaines, la conduite de la consultation des délégués du personnel et la bonne mise en œuvre du Plan, moyennant une augmentation de la rémunération annuelle brute ; le versement d'une prime exceptionnelle était en outre prévu sous la double condition de la réalisation d'objectifs professionnels sur la période s'écoulant entre la date du protocole et le 31 mai 2015 et celle de la présence physique du salarié dans l'entreprise au 31 mai 2015 ;
Que seul le projet de protocole transactionnel du 17 juillet 2014 évoque en préambule d'une part la suppression du poste de directeur conduisant au licenciement de Monsieur f. RI. pour motif économique, et d'autre part la contestation émise par le salarié auprès de l'employeur remettant en cause le motif économique à l'appui de son licenciement ;
Que les premiers juges ont à juste titre souligné la portée limitée de ce projet d'accord transactionnel, non signé et non abouti, conclu dans le cadre de pourparlers pour justifier le versement au salarié de sommes supérieures aux indemnités légales et sa renonciation à toute action contre l'employeur ;
Que dans ce contexte, Monsieur f. RI. ne peut valablement soutenir que ce projet de protocole constitue un commencement de preuve par écrit ;
Qu'il ressort du courrier précité du 18 juillet 2014 que Monsieur f. RI. était, au cours de ces négociations, en contact avec un conseiller juridique ;
Qu'il doit être observé que suivant courrier adressé par son conseil le 6 novembre 2014, juste après la rupture de son contrat de travail, Monsieur f. RI. n'a fait état que d'une contestation relative aux circonstances brutales et vexatoires de son licenciement, en faisant valoir qu'il ne serait pas opposé au règlement amiable de ce différend ;
Qu'il est établi en tout état de cause que le poste de Monsieur f. RI. n'a pas été supprimé ; qu'en effet la société A a recruté dans un premier temps Monsieur Philippe WI. du 29 octobre 2014 au 30 octobre 2015 pour assurer la mise en œuvre du plan de restructuration puis la formation de Madame a. SA FE. qui a été promue au poste de directeur d'usine à compter du 1er octobre 2015 ;
Qu'il résulte des pièces produites que le contenu des fonctions exercées par Madame SA FE. de même que les délégations de pouvoirs qui lui ont été consenties et qui définissent le contour de ses responsabilités sont identiques à celles qui étaient dévolues à Monsieur f. RI. en tant que directeur d'usine, nonobstant la réduction des effectifs ;
Que l'arrêt de la Business Unit Industrie date du 12 juin 2014 soit trois mois avant le licenciement et ne peut témoigner d'une éviction orchestrée, comme l'allègue Monsieur f. RI. dès lors qu'il s'agissait d'une expérimentation mise en place sur une période d'un an sans aucune incidence sur son contrat de travail ;
Que la réalité de la suppression ou d'un redimensionnement du poste de Monsieur f. RI. n'est donc pas démontrée, de sorte qu'il ne peut valablement être soutenu que le licenciement de celui-ci procède d'une volonté de tromperie pour masquer un licenciement d'ordre économique ;
Qu'il s'ensuit que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur f. RI. de sa demande d'indemnisation du préjudice matériel ;
3-Attendu sur le préjudice moral, que si la loi monégasque n'impose pas d'entretien préalable, les premiers juges ont néanmoins à juste titre relevé que les conditions de mise en œuvre du licenciement de Monsieur f. RI. témoignaient d'une soudaineté et d'une précipitation fautive ;
Qu'il résulte en effet des éléments du dossier que sur douze années de service au sein de la société, Monsieur f. RI. n'a jamais fait l'objet de sanction, que ses évaluations des années précédant le licenciement font état d'une très grande satisfaction de son responsable hiérarchique au regard de son engagement personnel vis-à-vis du groupe, de relations professionnelles et managériales qualifiées de simples et aisées avec lui ;
Que si les mails échangés entre les parties dans les deux jours précédents le licenciement témoignent d'une insatisfaction de l'employeur quant à la position de Monsieur f. RI. sur la mise en œuvre du plan de restructuration, il ne résulte cependant pas des pièces produites que Monsieur f. RI. ait pu anticiper la rupture de son contrat de travail ;
Que l'employeur fait état d'un entretien qui a eu lieu le 23 octobre 2014, qu'il est cependant établi qu'aucune convocation n'a été adressée à Monsieur f. RI. lui permettant de comprendre que cet entretien avait pour objet la rupture de son contrat de travail ;
Que le fait que Monsieur f. RI. âgé de 59 ans, ait manifesté son souhait de quitter l'entreprise et que des négociations aient été engagées sur ce point avec la direction, ne peut atténuer le caractère brutal qu'a revêtu la rupture soudaine de son contrat de travail ;
Que le préjudice psychologique causé par la brutalité de la rupture a été majoré par la dispense d'exécution du préavis, laquelle a pu être perçue par le salarié comme vexatoire et de nature à jeter le discrédit sur lui, au regard de son ancienneté dans l'entreprise à un poste de direction et de la qualité de ses évaluations ;
Que les éléments de préjudice ainsi retenus conduisent la Cour à confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que le licenciement de Monsieur f. RI. présentait un caractère abusif dans sa mise en œuvre, mais à le réformer sur la somme allouée, afin de porter à 20.000 euros le montant des dommages et intérêts dus à Monsieur f. RI. en réparation du préjudice moral subi ;
4- Attendu que la société intimée, qui succombe, supportera les entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels, principal et incident, formés contre le jugement rendu le 8 juin 2017,
Dit que par suite de l'effet dévolutif de ces voies de recours, la Cour est saisie de l'entier litige concernant l'appréciation du caractère abusif du licenciement et du préjudice qui en est résulté,
Confirme ce jugement en ce qu'il a dit abusif le licenciement de Monsieur f. RI. par la S. A. M. A anciennement dénommée SAM B,
Dit que Monsieur f. RI. n'établit pas l'existence d'un motif fallacieux de licenciement,
Confirme par conséquent le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur f. RI. de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice matériel,
Réforme le jugement sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre du préjudice moral,
Statuant à nouveau du seul chef réformé,
Condamne la société A anciennement dénommée SAM B à payer à Monsieur f. RI. la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Condamne la société A anciennement dénommée SAM B aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 11 DÉCEMBRE 2018, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Madame Sylvie PETIT-LECLAIR, Procureur Général.